Par Laurent QUEVILLY.

Août 1842 : les loups attaquent dans la presqu'île d'Anneville. Mars 1845 : ils infestent la forêt de Brotonne. Vers 1880, on en signale plus de 300 venus  de Mauny. Voici quels furent nos derniers rapports avec les rois des bois...

Ils sont partout, les loups. Le Journal de Rouen vous en livre des meutes et des meutes tout au long du XIXe siècle. En novembre 1828, on en voit même un, les yeux étincelants, nager entre deux eaux, face à La Bouille, et tenter de grimper à bord de la barque d'un batelier. Après une demi-heure de vaine lutte à coups de rame, le marin appelle au secours et il faut le coup de fusil d'un homme arrivé à la rescousse pour clore le litige. Quans le corps de l'animal sera repêché, on lui prêtera des proportions gigantesques si bien qu'il sera acheminé au muséum de Paris...
En 1794, note dans ses mémoires l'abbé Dumesnil, curé de Guerbaville. les loups pullulaient rive gauche : "Je me jetai dans le bois du Maur. Il était déjà nuit close quand j'abordai les sombres futaies de la forêt de Brotonne et j'entendis plusieurs fois hurler les loups, tout près de moi, mais les loups m'effayaient moins que les Jacobins !"

En 1825, le Dr Lestorey, médecin de Caudebec, reçut la visite d'une femme partie ramasser du bois mort en forêt et qui trouva trois chiots. Lestorey se pencha et reconnut trois Louvetots. "Vous avez eu bien de la chance. Une lieue sépare la lisière de la forêt des rives de la Seine. Si la louve vous avait vue, elle n'eût pas manqué de vous faire un mauvais parti..." Lestorey envoya un de ces animaux aux Jardin des Plantes par l'entremise de son ami le Dr Vincent Duval, orthopédiste. Mais il en garda un qui vécut en bonne intelligence au sein de la famille et qui, sur ses vieux jours, vecint si hargneux qu'il fallut se résoudre à l'abattre.

Juin 1833, Journal de Rouen : Une lettre que nous recevons de la commune de Guerbaville. canton de Caudebec, nous annonce que, depuis huit à dix mois, les loups se sont considérablement multipliés dans la forêt de Brotonne et qu’ils ont attaqué et mutilé, tant dans l’intérieur de la forêt que dans les pâturages qui l’entourent, environ 50 à 80 poulains, dont une quinzaine sont morts sur-le-champ ou des suites des morsures. " Les choses, nous écrit-on, en sont venues au point que les propriétaires riverains de la forêt n’osent laisser leurs bestiaux pâturer la nuit." On ne s'étonnera pas sur un chemin de la forêt de Brotonne s'appelle toujours la Route-au-loup...

Si le meilleur ami de l'homme est le cheval, celui du loup est le châtelain de Mauny ! Successeur du marquis d'Etampes, Rémi Caban s'opposait à toute battue en 1836. En témoigne cet article du Journal de Rouen :

On nous écrit de Duclair à la date du 25 août. "Depuis quelques semaines, les communes d'Anneville, Berville et Yville-sur-Seine sont infestées par les loups. Beaucoup de cultivateurs se plaignent de pertes plus ou moins importants qu'ils éprouvent en mettant leurs bestiaux au marais. La nécessité d'une battue se fait vivement sentir et pourant il n'en est pas du tout question car cela compromettrait les plaisirs d'un grand propriétaire de Mauny en chassant de ses bois une partie du gibier qu'ils contiennent.
Il nous semble que M. le maire d'Anneville aurait dû, comme on le lui a demandé, adresser à M. le préfet une réclamation tendant à faire autoriser cette battue. Si en ne le faisant pas, il a comme on le dit, cédé à l'influence qu'exerce sur certaines gens dans le pays le grand propriétaire en question, c'est un tort qu'on ne saurait trop blâmer. L'autorité supérieure s'empressera, nous n'on doutons pas, d'ordonner la destruction de ces animaux qui causent la consternation dans les environs..."

Remi Caban fut finalement le premier à montrer l'exemple. Le 25 juillet 1837, on annonce que les gardes de Rémy Caban fils ont abattu trois loups qui infestaient les environs de la Bouille. Blessé, un quatrième est abattu par la meute de M. Reiset. Dans un nouveau numéro, le Journal de Rouen précise que du 25 au 27 juillet 1837, les mêmes gardes ont pris trois loups dans des pièges tendus en forêt de Mauny.


Janvier  1840, le Journal de Rouen ajoute :
 Un très-vieux et énorme loup a été abattu le 17 de ce mois dans la forêt de Mauny, par M. Levreux, garde de M. Remy-Caban. L'animal, malgré une balle reçue dans les flancs, s'était relevé et a pu courir encore pendant quatre a cinq cents pas, au bout desquels il a été atteint et terrassé à la main par M. Levreux.

Reste que les loups continuent d'inquiéter la région à partir du bois de M. Caban. Ils se manifestent au cours du mois d'août 1842. 
« Leur nombre, racontera Louis Viardot, était si considérable et leur voracité si grande, qu'ils causèrent de grands ravages dans toutes les communes ; ils y dévorèrent une immense quantité de bestiaux. La présence des hommes ne les effrayait pas ; ces loups luttaient et s'élançaient même sur eux, lorsqu'on voulait les empêcher d'emporter la proie dont ils s'étaient emparés. »

Si l'on consulte le Mémorial de Rouen
du 1er septembre 1842, le journal tempère la voracité de ces fauves envers les hommes mais confirme leurs ravages dans le bétail :

« On nous annonce qu'une bande de loups, dont le repaire est dans la forêt de Mauny, exerce depuis quelque temps d'affreux ravages dans les communes d'Yville, Anneville et Berville. Ces animaux sont si voraces qu'ils s'attaquent jusqu'aux chiens des gardes de la forêt.

Le chien de garde de M. Darcel


« Il y a huit jours, poursuit le Mémorial, le garde de M. Darcel faisait sa tournée, lorsqu'il aperçut tout coup un loup sortir d'une boulaie et se lancer sur son chien, à quarante pas de distance. Pour lui faire lâcher prise, il tire un coup de fusil chargé à petit plomb; mais, sans s'émouvoir, la bête emporte le chien aux yeux du maître et va le dévorer dans le bois voisin.

Le mouton du sieur Perdrix

« A quelques jours de là, le berger du sieur Perdrix, fermier à Yville, ramenait ses moutons, sur le soir un loup tombe à l'improviste au milieu du troupeau, enlève un mouton avec une prestesse prodigieuse. Le gardien court à la poursuite, et parvient à saisir le mouton par la tête, tandis que l'intrépide voleur le tient à belles dents par la queue. Les cris, les coups de bâton rien ne l'effraie ; il dispute intrépidement sa proie ; enfin la victoire demeure au berger, mais il ne rapporta à la bergerie qu'un cadavre.

Le troupeau de Mauger

« Jeudi dernier, ce fut le troupeau de M. Mauger, d'Anneville, qui servit de pâture à ces terribles animaux. Ils ont dévoré neuf moutons, blessé dix-huit, et, malgré le berger et quelques personnes accourues à ses cris, ils poussèrent toute la troupe vers la forêt pour la disperser ensuite et la ravager plus facilement.

Nous ne saurions trop appeler l'attention des autorités sur ces ravages qui jettent l'épouvante dans toute la contrée, au point que les cultivateurs n'osent plus faire pâturer leurs bestiaux. Nous avons cependant des louvetiers; c'est un devoir pour eux de se signaler en pareille occurrence, ils ne doivent pas s'arrêter devant des intérêts mal entendus, ils ont le droit de faire des battues, d'ordonner leur chasse comme ils l'entendent, sans s'inquiéter de certaines clameurs d'amour-propre. Nous pouvons leur assurer à l'avance le concours de tous les habitants de la contrée. »

Une vieille connaissance

Quand il ne terrorise pas nos sous-bois, le loup a des activités secondaires. A Rouen, en 1830, un loup sauvage livrait combat à des chiens en compagnie de l'ours Martin sur le terrain de Monsieur Guerre, le bien nommé, quartier de Bonne-Nouvelle. Dans la région de Fécamp, en 1840, mais aussi dans l'arrondissement du Havre, des mendiants en tiennent en laisse pour tendre la main et susciter un regain de charité. L'un d'eux fut arrêter alors qu'il était porteur de la coquette somme de 300 F or.
Voici ce qu'écrivait l'abbé Cochet vers cette époque :


«  Des bandes de loups ravageaient autrefois le pays de Caux, couvert de bois et de forêts. Les légendes du Loup de Bouteilles et du Loup vert de Jumièges, de vieilles traditions, et surtout des noms de lieux, attestent encore le passage de ces cruels ennemis de nos troupeaux et de nos bergeries. Les noms de Canteleu (près Rouen), de Canteloup (Ecrainville), de Chanteloup, de la Chapelle-du-Loup (Ypreville), du Chène-à-Leu (forêt de Roumare), de Loumare (Ecalles-Alix), de la Mare-à-Leux (Fréauville), de la Mare-aux-Loups (Croixdalle), du Val-à-Leux (Saint-Vaast-d'Equiqueville), du Val-des-Leux (carrières de Caumont, château de Duclair), du Val-aux-Loups (Criquetot-le-Mauconduit), de Louvicamp (canton de Forges), de Pisseleu (canton de Londinières), de Heurteleu (Antifer), de la Peau-de-Leu (Sommery), et de la Chambre-aux-Loups (Nesle-en-Bray), prouvent leur existence dans nos contrées aussi bien que leurs ossements exhumés de la Cité de Limes.
Les sept loups de Jehan Vaquelin

Le 27 mai 1454, un laboureur de Quevillon, Jehan Vaquelin, demeurant en l'hôtel de la Rivière-Bourdet, reçut du vicomte de Rouen, Guillaume Gombault, 45 sols tournois dus en vertu d'une ordonnance royale. On le récompensait d'avoir "prins et desniché de dessoubz dune vielle souche dun gros arbre estant en une halte et espesse touffe de genetz, en la forest de Roumare, environ dessus Dieppe Dalle, en la garde Jehan Briffault, sergent de la dite forest de Roumare, cinq leups et deux leupves, petits, jeunes, de ceste anne présente. Lesquelz il a apportez a justice et exhibez ainsi quil appartient (...) Devant Guillaume Duval, clerc, tabellion a Rouen (...) present Pierre Vincent et Colin Le Conte.

Annales de Normandie

« Grâce à Dieu, ajoute l'abbé Cochet, le pays de Caux est à peu près délivré de ces féroces mangeurs de moutons. Les troupeaux paissent paisiblement dans les champs et dans les prairies, ils pourraient même y pâturer la nuit, comme en Angleterre; car ce n'est qu'à de bien rares intervalles que les journaux signalent dans nos contrées l'apparition de loups égarés et perdus. Ce bienfait vient autant de la culture des terres, du défrichement des bois, que des chasses féodales et de la grande louveterie; on le doit autant à la bêche du moine qu'à l'épieu ou à la meute du grand seigneur. »

Battues en forêt de Brotonne

A peu près délivré... l'abbé se montrait encore prudent. Car les loups étaient toujours à nos portes. En témoigne le Journal de Rouen du mardi 25 juin 1833 : "Une lettre que nous recevons de la commune de Guerbaville, canton de Caudebec, nous annonce que, depuis huit à dix mois, les loups se sont considérablement multipliés dans la forêt de Brothonne et qu'ils ont attaqué et mutilé, tans dans l'intérieur de la forêt que dans les pâturages qui l'entourent, environ 60 à 80 poulains dont une quinzaine sont morts sur-le-champ ou des suites des mortures. Les choses, nous écrit-on, en sont venues au point que les propriétaires riverains de la forêt n'osent laisser leur bestiaux pâturer la nuit."
D'après ces faits, poursuit le journal, ce serait le cas d'ordonner des battues dans la forêt de Brothonne et nous ne doutons pas que les autorités départementale et forestière ne prescrivent ces mesures importants, non seulement dans l'intérêt de la conservation des bestiaux, mais dans l'intérêt bien plus grave de la sûreté des personnes."

Dans les premiers jours du mois de novembre 1833, une battue eut lieu dans la forêt de Brothonne, à la demande des autorités locales et sur l'ordre des magistrats supérieurs, pour détruire les loups qui ravageaient alors la contrée. A la suite de cette battue, M. le marquis de Fitz-James, qui y avait pris part, réunit, le 5 novembre, lès principaux chasseurs dans un déjeûner à Guerbaville. Ce jour-là, vers trois heures après midi, les mots VIVE HENRI V furent écrits sur le mur, extérieur de la chambre de M. de Fitz-James. Dès le lendemain, sur une lettre du sous-préfet d'Yvetot, des poursuites furent dirigées parle procureur du roi à l'effet de rechercher qui avait écrit ces mots; et à peine l'instruction était-elle commencée, que M. le marquis de Fitz-James déclara qu'il était l'auteur de l'inscription incriminée. Il passa en cour d'Assises en décembre.

17 juillet 1844 : "dans la nuit de samedi à dimanche, un poulain qui avait été mis à paître dans la prairie de Moulineaux a été attaqué par un loup et a reçu des blessures tellement graves qu'il a succombé le lendemain. Avis aux culrivateurs des communes environnantes qui mettent ainsi à paître de jeunes poulains la nuit dans les prairies. Avis aussi à MM. les officiers de louveterie".



1845 : « Dimanche dernier a eu lieu dans la forêt de Brothonne une battue générale en exécution de l’arrêté préfectoral du 27 janvier.

« Depuis longtemps, les riverains de la forêt explorée se plaignaient vivement de la présence de loups nombreux, marchant par bandes, et dernièrement un jeune homme avait trouvé dans un fourré cinq à six petits de ces dangereux animaux qui étaient nouvellement nés ; il avait même, dans le but de les enlever, été chercher de l’aide au village voisin, mais à son retour ils étaient disparus.

 « Chacun se prêta donc avec zèle à la battue ordonnée ; à neuf heures du matin, quatre cinq cents personnes, traqueurs et tireurs, se trouvèrent réunies et l’exploitation commença, dirigée par l’inspecteur des forêts et par le lieutenant de louveterie. La gendarmerie, conduite par son brigadier, s’était aussi réunie aux chasseurs.

Deux blessés !


 « Malheureusement le résultat n’a pas répondu à ce que l’on avait dû espérer et, après plusieurs heures de fatigues, quand chacun se retira, on n’était parvenu qu’à faire lever quatre loups, dont un fut blessé, et qui tous quatre disparurent.

 
« Cette journée a été marquée par deux accidents : l’inspecteur fut emporté par son cheval, qui le jeta rudement à terre, mais sans le blesser grièvement. Le cheval du brigadier de gendarmerie s’est abattu, et ce cavalier, ayant eu la jambe pressée violemment sous l’animal, n’a pu continuer la chasse.

« La présence inquiétante des loups dans ces parages ayant été de nouveau constatée dans cette battue, nous espérons qu’il sera pris promptement de nouvelles et efficaces mesures pour délivrer les habitants voisins de ces hôtes dangereux. »

Dangereux, les loups ? Manifestement, les chevaux l'étaient aussi pour les gendarmes...

Octobre 1845...

Le piéton et les loups. — Il y a quelques jours, le sieur Eugène Bardel, marchand de fruits à Heurteauville, commune de Jumiéges (Seine-Inférieure), traversait la forêt de Brothone, lorsqu'il entendit des cris en tout semblables à ceux que produirait une portée de jeunes chiens. Piqué par la curiosité, il avança dans la direction de ces cris et vit une louve occupée à promener sept ou huit petits. La louve fit aussitôt face en arrière et montra les dents; mais notre homme, qui n'est point peureux et qui d'ailleurs se trouvait armé d'un solide bâton, se mit à en frapper les arbres et à faire autant de bruit que possible. La louve effrayée se sauva, et son adversaire la poursuivit si vigoureusement qu'il parvint a lui enlever un de ses petits. Les habitants de Caudebec ont pu voir, mercredi dernier, le sieur Bardel promener triomphalement son louveteau par les rues de cette ville, et provoquer les chasseurs du pays à courir sus au reste de la famille (Journal des Chasseurs).

Ces jours derniers, dit de son côté l'Abeille cauchoise, on montrait, dans la cour d'un hôtel d'Yvetot, une énorme louve tuée à Notre-Dame-de-Bliquetuit, sur le terrain dit le More. Depuis quelque temps, l'apparition assez fréquente de ce féroce animal inspirait la terreur aux habitans de Notre-Dame, lorsque dimanche, vers sept heures du soir, les nommés Olympe Saffrey et Cyrille Fretel prirent la résolution, sans pourtant être chasseurs, de débarrasser la commune de ce terrible voisinage. Saffrey se saisit diune carabine et Frétel d'un gros bâton, et tous deux se dirigèrent hardiment vers la louve qui venait de quitter la forêt de Brotonne, cherchant infailliblement quelque nouvelle proie. Arrivé à une trentaine de pas de l'animal, Saffrey fit feu et abattit la louve qui ne fut pas tuée sur le coup, mais que Frétel acheva avec son bâton. Cette louve, dont la tête était vraiment monstrueuse, pesait à peu près trente-deux kilogrammes.  (Journal des Chasseurs).


Le loup tient tête aux nobles


De toutes les forêts que notre département possède, dit le Nouvelliste de Rouen en janvier 1861, on sait que la forêt de Brothonne est une des plus vastes, des plus belles et des mieux remplies de gros gibier. C'était là que nos rois venaient faire leurs chasses et qu'ils abattaient de leurs royales mains d'énormes sangliers, des cerfs vraiment dignes de leurs coups. Il semble qu'elle ne veuille point faillir à son antique réputation ; aujourd'hui encore le gros gibier y abonde, et il n'est pas rare d'y rencontrer en la traversant dés troupeaux de biches et de cerfs ; mais ce qui est moins gai à trouver sur son chemin, ce sont des bandes de loups, et il paraît qu'il n'en manque pas.
La neige tombée ces jours derniers les a rendus plus entreprenanst, et dimanche l'un d'eux est venu intrépidement se jeter au poitrail d'un cheval attelé à un cabriolet. Deux jeunes gens de Rouen étaient dans cette voiture. Le cheval, saisi à l'improviste, se cabre et par un bond essaie de se soustraire à l'étreinte douloureuse de l'animal carnassier ; mais celui-ci ne lâchait pas prise quand un des voyageurs, ne perdant pas son sang-froid, sauta à terre et déchargea sur le loup un des pistolets. Ce coup de feu mit l'animal en fuite sans toute fois que la balle l'eût atteint.

Les Annales forestières de 1863 : Le Nouvelliste de Rouen, à qui nous empruntons ces lignes, ajoute que son département vient d'être témoin d'un beau succès de louvetiers. Un loup, attaqué à Vieux-Port, par l'équipage du vicomte de Grente, est venu par la Vacquerie en face Caudebec, à la haie du Maur, et là il a fait tête et renvoyé les chiens.
Un vieux chien cependant avait persévéré, et c'est à ce moment que le marquis de Barville, averti de l'embarras du vicomte de Grente, amena ses chiens en quête d'un loup.
Rallier ce chien et forcer le loup à se jeter dans les taillis de M. Touzé fut pour la meute de M. de Barville l'affaire d'un instant. Le loup, tenant de nouveau tête aux meutes réunies, fut enfin abattu par M. de La Mailleraye.

30 octobre 1864. On écrit de Bourg-Achard que le nommé Léger, garde de M. Dawez, de Rouen, a tué samedi dernier, sur le territoire de ia commune de Bosgouet, une louve pesant 40 kilogrammes. Frappée â une distance de dix mètres avec du plomb n° 4, la louve tomba, mais pour se relever bientôt. Léger lui envoya sou second coup de fusil, qui l’atteignit également et la fit tomber ; elle alla rouler jusque sur la route de Montfort à Duclair où Léger la saisit. Depuis trois smemaines au moins, cette dangereuse bête se précipitait la nuit sur les parcs à moutons des environs et y causait de grands ravages.


La guerre de 70...


Aux environs de la guerre de 70, les loups étaient chez eux dans la presqu'île d'Anneville. Les troupaux qui paissaient dans les marais bordant la Seine en faisaient les frais. Si bien que, les Prussiens étant parti, c'est vers ces carnassiers que l'on se tourna en dévoloppant toute une stratégie. Un collaborateur du Journal de Rouen récolta dans les souvenirs des anciens de la presqu'île. Caban, toujours lui, était toujours propriétaire du château et d'une partie de la forêt de Mauny : "Il fit creuser au milieu de la forêt un entonnoir de 10 mètres de diamètre et de 4 à 5 mètres de profondeur, qu'il fit recouvrir de branchages. Cet abri servait à supporter des planches basculantes, en même temps qu'il dissimulair l'entonnoir aux regard des fauves attirés par l'odeur de viande plus ou moins fraîche d'un vieux cheval sacrifié à cet effet et dont on avait jeté la carcasse au milieu de la fosse. Ce dispositif ingénieux donna des résultats inespérés.
Dès le lendemain, deux loups furent trouvés dans la fosse où il furent abattus. Quarante-huit heures après, on en prit trois et trois jours après deux autres. Les deux derniers furent capturés vivants avec des lassos placés dans les suates-de-loup du château de Mauny où ils vécurent en liberté. Mais leurs hurlements devinrent bientôt insupportables aux habitant de cette paisible commune et M. Caban dut se décider à faire abattre ces hôtes un peu bruyants."
Les loups descendaient fréquemment de la forêt de Mauny dans les marais d'Yville et d'Anneville où l'on allumait des feux, la nuit, pour les garder à distance du bétail. Une jument terrassa un jour, d'un coup de pied à la tête, un loup qui avait voulu s'approcher trop près de son poulain.
Pour protéger le bétail de ces voisins dangereux, on faisait le soir à la chandelle la prière au loup. "Et l'on rencore encore aujourd'hui des anciens qui vous racontent s'être trouvé au coin d'une haie en tête à tête avec un loup : ils ajoutent, du reste, avec bonne humeur, que cette rencontre aussi imprévue pour l'un que pour l'autre avait pour effet de les renvoyer dos à dos, et c'est à toute jambes que, sans demander leur reste, ils regagnaient qui sa forêt, qui sa chaumière."


Encore 300 loups en 1884 !


Avant la Grande guerre où l'homme sera un loup pour l'homme, la revue Lecture pour tous de 1914 tente encore de nous faire peur. "il y a une trentaine d'années, au début de l'hiver, ils apparurent soudainement en Normandie dans les communes d'Yville, d'Anneville et de Berville. Ces animaux paraissaient provenir de la forêt de Mauny ; leur nombre, considérable, fut évalué à plus de 300."



La dernière louve


C'est en 1911 que fut tuée la dernière louve de Normandie dans la forêt de Roumare. Elle est aujourd'hui au Museum d'histoire naturelle de Rouen. A la sortie de Canteleu, sur la route de Boscherville, une statue rappelle l'événement. Canteleu, les loups pouvaient-ils trouver un lieu-dit mieux nommé pour nous donner leur chant du départ.

Seulement voilà, il faut toujours que l'on vienne contrarier la chute toute trouvée d'un papier. La dernière semaine de janvier 1912, nous apprend le Chasseur français, Gaston Martin, garde de M. Darcel au château de La Fontaine, trouve des lapins tués au Veau-Renoult. Il finit par abattre... une louve ! Elle pèse 16 kg et mesure 1,60 m de bout en bout. Reste à trouver le loup. Sa femelle aura-t-elle fui un campement loin d'ici au cours d'une chasse ? On sait que ces bêtes-là peuvent parcourir 30 lieues sans fatigue en une nuit.
La peau de cette louve fut déposée au club Saint-Hubert, rue de Clichy, à Paris.

 "Il y a près de cinquante ans qu'on n'avait vu ces animaux dans notre région, écrivait en avril 1912 l'auteur de ce signalement, un certain Delaunay. Ils étaient assez nombreux, notamment dans la forêt du Trait, de Jumièges..." Mais aussi de Saint-Wandrille et de Saint-Arnoult.
Quand, en 1933, le Journal de Rouen rappellera cette affaire, rares restaient les anciens qui avaient vu un loup, notera le quotidien. Mais Auguste Ledème, ancien greffier, lui confia être de ceux-là. C'était au cours d'une vente aux enchères. Et il était empaillé.

Laurent QUEVILLY.






SOURCES


Le Mémorial de Rouen, 1er septembre 1842 (Laurent Quevilly)
Journal de Rouen du 1er mars 1845. Numérisation : Jean-Yves et Josiane Marchand.
Les églises de l'arrondissement d'Yvetot, article Louvetot, abbé Cochet.
Annales de Normandie (Rapporté par Quevillon pile et face).
Article du Chasseur français d'avril 1912 conservée par M. Andrieux, ancien maire de Saint-Martin-de-Boscherville.
Le loup empaillé dont parle Auguste Ledème avait été abattu en 1869 à Lonlay-l'Abbaye.


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