Par
Laurent Quevilly-Mainberte
Il est tombé sous les coups de toute une famille. En 1750, à Jumièges, Michel Renault porte plainte pour vol, coups et blessures. Un procès qui illustre la défense de la propriété privée. Et ressuscite quelques expressions locales...
Michel Renault est bien mal en point. Ce vendredi 23 octobre 1750, avec son accent du sud, Jean Berries, chirurgien du bourg de Jumièges, est requis pour se rendre à son domicile, au Sablon. En pénétrant chez lui, vers 9h du matin, le médecin trouve le laboureur dans sa cuisine, assis sur une chaise. Et lui demande de se dévêtir pour l'examiner sous toutes les coutures. Avec le vocabulaire médical de l'époque, Berries note sur l'omoplate gauche une contusion "de la grosseur d'un œuf de poule" avec une excoriation de la longueur de quatre doigts et la largeur de deux "lingnes". Au bras droit, le paysan présente une plaie sanglante de la largeur d'un liard et de la profondeur d'une lingne. Elle est manifestement due à une pierre ou un coup de sabot. Renault se plaint encore d'avoir reçu plusieurs autres horions. Surtout sur la poitrine. Conformément à ses habitudes, le docteur Berries se sent dans l'obligation de saigner le blessé sur le champ et lui ordonne de garder le lit. Il ne répond pas de sa vie...
Les faits
Que s'est-il passé? Michel Renault loue à Valentin Gruley une petite masure, rue Mainberte. Autrement dit un terrain planté d'arbres fruitiers. Des haies le séparent des habitations voisines. Celles de Jean Deshayes et de la farouche famille de Pierre Gruley.

Renault ne réside pas sur place. Il a beau tenir clos son verger, venir ici plusieurs fois par jour surveiller son bien, il y trouve à chaque fois les Gruley qui en ont forcé l'entrée pour se servir abondamment en fruits.
Ce vendredi matin, jour de la Saint-Romain, il tombe encore sur l'aînée des Gruley, âgée de 18 ans, le tablier plein de pommes. Il court après elle pour lui faire mettre bas sa cueillette. Mais de l'autre côté de la haie, Pierre Gruley a tout prévu. Sa femme est armée d'une fourche. Ses enfants de pierres. Bref, c'est un véritable guet-apens notera le greffier. Les projectiles, les insultes pleuvent. Renault crie, s'effondre, gémit...
Le lendemain, samedi 24 octobre, la saignée du chirurgien a fait de l'effet. Michel Renault quitte son lit pour protester auprès de la Haute justice. Il n'a que trois pas à faire, le greffe se trouve au palais abbatial, rue du Quesnay. Là, on enregistre sa plainte pour vol, coups et blessures...
L'enquête
Le 26 octobre, aux aurores, Thomas Lebourgeois, sergent royal, se rend au domicile de plusieurs paroissiens pour leur tendre une convocation au palais abbatial. Parmi les dix témoins qui seront entendus, la plupart ont des liens familiaux avec la victime. Et ils auront tous la même version...

A 8h, les auditions commencent pour Delamarre, bailli de la Haute justice. Il a pour greffier Jean Boullard, praticien, demeurant à Duclair.
"Y mériterait une suée !..."
Vendredi dernier, raconte-t-il, jour de la Saint-Romain, il descendait la rue Mainberte pour aller à la messe de Jumièges. Il était environ 9h du matin. Lorsqu'il entend Michel Renault crier. Il se dispute avec Pierre Gruley. Ce dernier hausse le ton. Dit à Renault qu'il "mériterait bien qu'il lui en donne une suée..."
Pierre Thierry sortait de chez lui ce vendredi-là pour aller lui aussi à la messe. Il a vu Michel Renault qui ramassait ses fruits et, alors qu'il était courbé, les trois enfants Gruley postés le long de la haie de séparation l'accablaient à coups de pierres. Ce qui fit crier Renault. Pendant quoi, Pierre Gruley et sa femme étaient à environ dix pas de leurs enfants et riaient de ce qu'ils faisaient au lieu de les réprimander et de les contenir.
"Viel sacré diable de pendu !..."

Marie Anne Grippois ajoute qu'il y a environ quinze jours, un dimanche, pendant les vêpres, elle vit la fille aînée de Pierre Gruley qui fit une brèche pour sortir de la petite masure que Michel Renault tient de Valentin Gruley, laquelle emportait dans son tablier environ deux douzaines de pommes


"Il a broché à travers la haie !"
Elle sent que c'était Gruley...


Épilogue
Le 27 octobre 1750, le bailli de la Haute justice décida d'octroyer une provision alimentaire de 150 livres à Michel Renault, vu les mauvais traitements qu'il a subit et qui l'empêchent de subvenir à ses besoins. Les Gruley furent assignés à compararaître et l'on ne sait quelle fut leur sanction. Défense leur fut faite en tout cas de pénétrer chez Renault. Ni eux. Ni même leurs bestiaux...
Michel Renault semble s'être plutôt bien remis de cette mésaventure. Le 5 mars 1754, il fut condamné pour vol de bois dans la forêt de Jumièges...

Laurent QUEVILLY.
Notes généalogiques
Michel Renault était l'époux de Marie Godalier. Le 4 septembre 1749, son fils Valentin avait épousé Marie Anne Elisabeth Thierry, fille de Jean et Marie Anne Grippois, ce qui explique tous ces témoins ayant un lien de parenté avec lui.
Il avait aussi une fille, Marie Magdeleine, qui s'était mariée à Jumièges, le 15 février 1746 avec Michel Levillain.
Le chirurgien Berries était originaire de la paroisse de Saint-Germain de Caumont avant de s'intaller au bourg de Jumièges. Là, en 1735, il avait épousé Catherine Vastey, la jeune veuve de Jean Chérel qui lui donna des filles... L'un d'elle, Rosalie, épousera en 1779 Louis Romain Dépouville, le fils du notaire royal de Jumièges. Joli parti. Mais les parents de la mariée n'était déjà plus de ce monde.
Jean Beauvet, le témoin muet, s'est marié l'année suivante à Françoise Beauquet. Laboureur, il était fils de feu Pierre Beauvet et Marguerite Neveu.
Clothilde Legendre est vraisemblablement liée elle aussi à la victime. Elle est dite fille de Valentin Legendre. Or, un homme de ce nom, veuf de Marie-Anne Savalle, épousa Marie Anne Thierry le 18 juillet 1740. Ces derniers sont peut-être les parents de notre petite Clothilde.
Madeleine Decaux, la dernière déposante peu locace est une Horsain. Elle s'était mariée à Anneville en 1730 à Jean Mauger.
Enfin venons-en aux Gruley.
Il est dit que Michel Renault louait une masure à un certain Valentin Gruley. Sans doute le frère du principal accusé. Les frères Gruley avaient hérité de leur père Michel et de Anne Cottard qui, tenant le moulin de l'abbaye, en avaient été chassés par les moines pour incompétence.

Pierre Gruley était l'époux de Marie Barbe Adelain, la femme à la fourche.
Parmi leurs enfants impliqués dans l'affaire, Pierre Louis est certainement du nombre. Il est né en 1737 et a donc 13 ans au moment des faits. Il se mariera à Jumièges le 13 novembre 1769 avec Anne-Catherine Lemaître et aura la condition aisée de laboureur.
François Gruley est sans doute aussi parmi les agresseurs. Il est né en 1740 et a 10 ans au moment des faits. Il épousera au Mesnil Marie Anne Foloppe le 14 octobre 1770 et aura aussi la condition de laboureur. Veuf, il se remaria à Yainville le 9 novembre 1790 à Marie-Anne Bérenger.
Voici pour finir l'une de ses descendances directes dont je me vanterai modérément...
Pierre
Gruley 1703-1770,
époux de Marie Barbe Adelain
|
Nicolas Gruley 1748-1822, époux de Marie-Anne Ponty
|
Pierre Richard Gruley 1779-1832, époux de Anne Marie Deslogé
|
Clarisse Françoise Gruley 1809-1877, épouse Louis Levreux
|
Louise Augustine Levreux 1840-1898, épouse Charles Mainberte
|
Henri Emile Mainberte 1872-1917, époux de Julia Chéron
|
Andréa Eva Mainberte 1912-1958, épouse Raphaël Quevilly
|
Laurent Raphaël André Quevilly
▲|
Nicolas Gruley 1748-1822, époux de Marie-Anne Ponty
|
Pierre Richard Gruley 1779-1832, époux de Anne Marie Deslogé
|
Clarisse Françoise Gruley 1809-1877, épouse Louis Levreux
|
Louise Augustine Levreux 1840-1898, épouse Charles Mainberte
|
Henri Emile Mainberte 1872-1917, époux de Julia Chéron
|
Andréa Eva Mainberte 1912-1958, épouse Raphaël Quevilly
|
Laurent Raphaël André Quevilly
Sources
Recherche
aux archives départementales et numérisation:
Jean-Yves et Josiane Marchand.
Haut de page
