Par Émile Savalle

 La fondation de l’abbaye de Jumièges par saint Philbert remonte à l’année 654.

Les marais asséchés ; les landes défrichées; le territoire assaini, ensemencé, planté de vignes ;
des chemins créés, des carrières ouvertes ; d'immenses bâtiments conventuels construits au milieu d'un vaste enclos, à l'abri derrière des murailles à  tourelles ; trois grandioses églises
édifiées, dont la richesse intérieure et la splendeur architecturale n'ont jamais été surpassées depuis; une colonie cénobitique obéissant à la règle de Saint-Benoît de Nursia, qui ne comptait aux premiers joins que soixante-dix-sept frères, s'élevant bientôt jusqu'au nombre de neuf cents moines de chœur et quinze cents frères convers ou de travail ; tels sont, à une époque bouleversée par les révolutions de palais, les principaux sultats obtenus en moins de quarante ans par l'abbé Philbert, un des saints les plus vénérés de l'Église, un des plus beaux noms de l'humanité.


Or, ce ne fut pas qu'à l'aide de ses propres richesses, grandes à la vérité, qu'avec les ressources fécondes de sa charité, de son éloquence, de son génie que le fondateur put mener à bonne fin une œuvre aussi complète dans son ensemble , aussi parfaite dans ses détails. Il eut deux puissants appuis, la reine Bathilde et saint Ouen, archevêque de Rouen: celui-ci employa tout son crédit à la cour et toute son influence épiscopale pour faciliter la réalisation des projets de son ami ; celle-là combla de biens le monastère, soit en concessions de terres, soit en sommes d'argent, soit en dons de pierres précieuses destinées à l'ornement des églises. Bathilde, que les  fidèles reconnaissants ont depuis honorée comme sainte, était d'origine saxonne et avait été esclave. 


Cherchait-elle par ses vertus et par sa générosité à se faire pardonner en quelque sorte son élévation inouïe ? Elle aussi, plus tard, descendit du trône, comme Clotilde et Radegonde, pour entrer dans un couvent ; elle aussi quitta la couronne pour le voile. Sans doute elle dut s'applaudir d'avoir concouru à l'édification et à la splendeur de ces asyles alors qu'elle alla chercher a Chelles l'hospitalité claustrale et l'oubli de ses grandeurs évanouies.

  Mais les largesses de Bathilde, reine encore à l'époque qui nous occupe (654-660), eurent un autre motif plus direct, plus naturel Nous le trouvons dans une légende très controversée que nous reproduisons textuellement d'après le « Brief Recueil des Antiquitez et Fondations de Jumièges. » (1) La voici dans toute sa naïveté, c'est-à-dire dans ce qui fait à la fois son originalité, son mérite, sa force.

(
1) Ouvrage attribué à Dom Adrien Langlois qui, prieur à l'abbaye de Jumièges au commencement du XVIIe siècle, y introduisit la réforme.


 

« C'est (dit l'auteur anonyme de cette précieuse chronique, cité par M. C.-A. Deshayes dans son Histoire de l’abbaye royale de Jumièges), c'est en ce sainct lieu les deux fils aisnez de Clouis second du nom, et de saincte  Baltilde, furent destinés du ciel pour faire leur pénitence. L’histoire rapporte comme ce (Ici seulement commence, à notre avis, la traduction du manuscrit original) Clouis ayant succédé fort ieune à la couronne de France, après le décez de son père Dagobert, espousa une étrangère, saxonne de nation,  nommée Bauldour ou Baltide, que l'Eglise a canonizée au nombre des saincts, de laquelle Clouis eut cinq fils  encore qu'aucuns chroniqueurs ayent teu les deux premiers nez, à cause de leur forfait qu'ils ont jugez indignes d'être révêlez à la postérité pour enfants du roy. 

Quelques historiens rapportent qu'iceluy meu a de piété et dévotion d'aller visiter le sainct Sepulchre de N.S, et autres lieux de ta Terre Saincte, laissala régence du royaume à saincte Balthilde, son espouse, par le conseil et advis de ses princes et seigneurs. (Assemblée générale des arhimans et des leudes) Mais aussitost qu'il eut entrepris son voyage, accompaigné de la plus grande partie de sa noblesse qu'il avait choisie pour l'assister, plusieurs seigneurs indignez et malcontents de ce que le roy « les avoit laissés derrière, commencèrent à conspirer contre la royne, et en excitèrent plusieurs à sédition et révolte, disants qu'il n'appartenait pas qu'une femme et icelle estrangere commandast en France, voir mesme trouvèrent moyen de divertir et enlever ses deux fils aisnez de son obéissance. 

La royne, advertie de la conspiration  en donna soudain advis au roy son mary lequel ouïe cette nouvelle tourna bride en toute diligence. ce qu'ayant entendu  les Conspirateurs firent amas de grandes armées soubs l'autorité  de ses deux fils, pour lui empescher son retour et prendre le gouvernement du royaume, et de fait se présentèrent au champ de bataille contre lui ; mais Clouis assisté de ses fidèles (Le mot leude est souvent traduit eu latin par le mot  fidelis ) serviteurs et se confiant à l'aide du Tout-Puissant, qui ne délaisse jamais les siens, mit en déroute cette multitude de rebelles, une grande partie demeurez sur la place,  les autres, prenant la fuite, et les deux fils avec les principaux conspirateurs pris prisonniers et amenez à Paris, le roy estant arrive fait assembler tout son conseil, princes et seigneurs (Nouvelle réunion de l'Assemblée générale.) pour donner judgement contre tous ces rebelles, lesquels furent condamnez à divers genres de mort, selon le démérite et qualité d'un chacun.

Mais pour le judgement de leurs princes supplièrent Sa Majesté les en vouloir excuser disants qu'il n'appartenoit qu'au roy et à la royne de châtier  leurs enfants, que s'il ne lui plaisait les condamner lui-mesme, qu'il en donnast le judgement à la royne leur mère ; ce que le roy eust pour agréable. Alors la royne Balthilde, inspirée par l'esprit de Dieu, qui ne pouvoit laisser un tel excès impuni, aimant mieux que ses enfants fussent punis en leurs corps que d'estre réservez aux supplices éternels  par une sévérité pitoyable et pour satisfaire aucunement à la justice divine, les déclara inhabiles à succéder à la couronne, et d'autant que la force et puissance corporelle qui leur avoit servi pour s'eslever contre leur père consiste aux nerfs ordonna qu'ils leur seroient coupez aux bras, 

et ainsi rendus impotents, les feit admettre dans une petite nacelle ou bateau, avec vivres sur la rivière de Seine  sans gouvernail ou aviron, assistés seulement d'un serviteur pour leur administrer leurs nécessitez ; remettant le tout à la providence et miséricorde de Dieu, sous la conduite duquel ce bateau dévalla tant sur la rivière de Seine qu'il parvint en Neustrie (aujourd’hui Normandie) et s'arresta au rivage d'un monastère appelé des anciens Gèmiéges, commencé à fonder par le roy Dagobert (La plupart  des auteurs fixent la fondation de l'abbaye de Jumièges à l'année 651,c'est-a-dire sous Clovis II et non sous Dagobert. Il est cependant possible que ce soit ce dernier, un des plus grands princes de la dynastiemérovingienne qui ait, comme à Saint-Wandrille, autorisé à.Jumièges les premiers travaux, interrompus par sa mort ou par tout autre cause, maisrepris quelques années après et menés cette fois à bonne fin, grâce à la persévérance de saint Philbert et au concours  de Bathilde et saintOuen) , dont sainct Philibert (qui on fut le premier abbé) en estant averti, les alla trouver accompaigné de ses religieux, sent quels ils estaient, la cause de un tel événement, et, admirant leur contenance et maintien tout auguste les a reçut gracieusement et les mena en son  monastère, par ses prières recouvrèrent leur santé, et furent instruits à la discipline monastique et vie spirituelle. Cependant, le roy et la royne, advertis de cet heureux succez, vindrent en toute diligence au monastère de Jumièges, ils reçurent une grande consolation et contentement, et  rendants actions de grâce à Dieu consentirent que le sainct propos et volonté de leurs enfants fust accompli, croyants fermement que Notre-Seigneur les ayoit destinez pour vivre et mourir dans ce sainct lieu, leur grand-père Dagobert avoit déjà consacré son cœur et affection.

Et dès-lors le roy et la royne ayant esté ainsi présents à la vesture de leurs enfants voyants que leur delict étoit suffisamment satisfait et effacé par leur entrée en la religion y qui est comme un second baptesme, advisèrent à ne les priver de tout leur héritage et patrimoine, selon la rigueur de la sentence ; mais au lieu de leur droict et succession, donnèrent à ce monastère de  grands privilèges et possessions pour amplifier le bien et l'augmenter de religieux. Et ainsi finirent ces deux enfants de France heureusement leurs jours en ce monastère qui à leur occasion. est appelé en la chronique de France  l’abbaye des Énervés. 


 Telle est cette légende dont tous les détails s'accordent si bien entre eux et avec les faits historiques. Aussi sommes-nous fort étonné des doutes, des contradictions, des démentis même dont elle a été l'objet. M. E.-H. Langlois surtout semble lui avoir porté le dernier coup dans sa notice lue le 9 juin 1824 au sein de la Société libre d'Émulation de Rouen.

Depuis cette époque, en effet, elle a définitivement passé pour une fable absurde, un événement apocryphe, oeuvre de quelque moine ingénieux qui l'inventa au moyen-âge dans le dessein d'illustrer par un récit brillant le berceau de son monastère. Une voix pourtant, une seule, celle d'un poète (Ulrich Guttinguer) s'est élevée depuis en sa faveur, mais pas assez haut pour la réhabiliter,et les Énervés de Jumièges demeurent encore sous le coup du jugement de M. Langlois.

 
Nous allons résumer les principales objections qu'on a dirigées coutre cette légende et discuter
leur valeur de bonne foi. Nous répondrons ensuite aux systèmes par lesquels on a tenté de l'expliquer. Enfin nous exposerons succinctement les différentes preuves qui peuvent établir sa véracité et lui rendre le caractère authentique auquel elle a droit à nos yeux.

On a prétendu que Clovis II étant mort, suivant certains historiens, à vingt-deux ans (656), et, suivant d'autres, à vingt-six (660), n'a pu avoir des enfants en âge de se révolter contre lui. Cet argument est facile à réfuter. La chronique parle du mécontentement de quelques seigneurs jaloux indignés même de ce que le roi eût confié le gouvernement et la tutelle de ses enfants, pendant son absence à la reine Bathilde, à une femme d'origine étrangère, à une saxonne, à une ancienne esclave.

Or, on sait quelles étaient la fierté et la turbulence des Leudes et des Ahrimans dans les derniers temps mérovingiens. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que quelques seigneurs aient été blessés d'un tel choix, qu'ils aient saisi ce prétexte pour en exciter plusieurs autres a dition et révolte et tenter une révolution du palais. 

Ainsi la chronique attribue, ayant tout, l'initiative et poursuite du complot à quelques seigneurs et non aux jeunes princes, qui n'avaient guère à la mort de leur père que six à sept ans, ou au plus, dix à onze ans.

Les mécontents commencèrent donc à conspirer contre la reine voire même trouvèrent moyen de divertir et enlever ses deux fils aisnez a de son obéissance. C'est qu'ils pensaient ôter à Bathilde, en même temps que son précieux dépôt, tout crédit, toute autorité, toute puissance. L'histoire mentionne nombre de tentatives pareilles.

Sous la Fronde, les séditieux n'ont-ils pas essayé de s'emparer de la personne du jeune roi Louis XIV ? Nous n'avons pas à faire ressortir davantage l'analogie : autres temps, autres intrigues; mais le but est le même. L'autorité semble être attachée à la personne du roi, et, ici, une fois maîtres des fils aînés de Clovis absent, les rebelles devaient avoir confiance dans la réussite de leurs projets.

Bathilde prévient son mari, qui rebrousse chemin et les révoltés de leur côté assemblent à la hâte leurs partisans «soubs l'authorité de ses deux fils aisnez. » On va comprendre toute l'habileté de cette conduite. 

Clovis II était fou, et cette folie, qui avait provoqué son pèlerinage et qui datait du jour sa main sacrilège avait profané les reliques de saint Denis, cette folie, dis-je, favorisait singulièrement les desseins des leudes s'ils réussissaient à mettre à leur tête ses deux fils aînés.

Les jeunes princes ne furent que des instruments ; il ne prêtèrent à la conspiration que le prestige de leur nom et de leur présence forcée et l'on conçoit pourtant l'efficacité de ce concours, quoique passif, dans une telle conjoncture. Si leur rôle avait été direct, sans doute l'Assemblée générale des Franks n'aurait pas récusé de les juger.


Qu'on
s'en tienne à la lettre de la chronique des Énervés et, une fois la part qu'ils ont prise à ce complot réduite à sa véritable importance, on se préoccupera alors beaucoup moins de leur âge.

Ainsi, quand on a objecté l'âge des Énervés c'est qu'on avait mal compris, mal interprété la légende que nous avons rapportée. On ne saurait admettre, dit-on encore, qu'une mère, une sainte, en présence de deux enfants coupables, ait prononcé un arrêt aussi rigoureux, ait choisi un supplice aussi cruel. Ce nouvel argument n'est sérieux aussi qu'en apparence. Quelques mots suffiront pour s'en convaincre.

On se rappelle la réponse que fit sainte Clotilde à Arcadiu. envoyé vers elle par ses fils Clotaire et Childebert. Le messager, porteur d'une épée et de ciseaux, lui demanda ce qu'on devait faire de ses petits-enfants en la puissance de leurs oncles : « J'aime mieux, s'écria-t-elle, les voir morts que tondus ! » A-t-on jamais eu l'idée, à cause de cette imprudente exclamation, d'accuser sainte Clotilde d'avoir été une mère dénaturée, s'en est-on servi pour attaquer sa sainteté ?
N'est-il pas permis de penser qu'elle se repentit bien vite d'avoir prononcé si légèrement, si inconsidérément cette fière parole, qui devint un arrêt terrible, une sentence irréparable ?

 Et pourtant ses petits-enfants, à elle, quel crime avaient-ils commis ? .

Si d'ailleurs, la reine Bathilde a été béatifiée, ce doit être à cause de la piété de ses dernières années, qu'elle a passées dans un couvent; et, si elle eut des remords, ce fut, il est probable, dans les derniers jours .de son règne ses donations aux monastères sont considérables, et, surtout, après qu'elle fut descendue du trône, qu'elle songea à l'expiation.

On dit encore : « Le supplice était épouvantable ! » A coup sûr, il l'était moins que la mort violente des fils de Clodomir, Nous ferons, en outre, remarquer préalablement qu'il est impossible de déterminer, au juste, la part que les Énervés ont eue dans cette révolte.

Quand ils auraient été âgés de dix à onze ans, comme il n'est pas défendu de le supposer, sait-on bien s'ils ne se sont pas associés jusqu'à un certain point, aux coupables desseins des rebelles une fois qu'ils ont été en leur pouvoir ! Dans ce siècle, les  conspirations des fils contre leurs pères étaient si fréquentes, peut-on affirmer que l'exemple de leur châtiment fut inutile tout-à-fait, même après celui des véritables coupables ?

Or, examinons la nature du supplice qui leur fut infligé.

Bathilde, dit la chronique, « les déclara inhabiles à succéder à la couronne et d'autant que la force et puissance corporelle qui leur avoit servi pour s'eslever contre leur père consiste aux nerfs, ordonna qu'ils leur seroient coupez  aux bras ( Il n'est pas question de l'énervation des jarrets, comme quelques écrivains, amateurs de supplices raffinés, l'ont complaisamment répété).

C'était là un supplice ignominieux, qui les rayait de famille royale et les rendait impropres a porter dorénavant les armes; mais il était, surtout aux yeux des barbares encore plus ignominieux que cruel et si l'on songe à la dureté des lois de cette époque à l'égard de fautes légères, on accordera que la tonsure seule eût été une punition insuffisante et non définitive, ce même siècle offrant plusieurs exemples de princes et de ministres auxquels fut infligée cette dégradation et qui, leurs cheveux repoussés, se sont empressés de sortir du cloître. 

Si donc Bathilde aima mieux d'abord à voir ses enfants énervés aux bras que morts ou tondus, c'est sans doute qu'entre la mort, châtiment trop terrible, et la tonsure,peine trop faible, il n'y avait à choisir que ce moyen terme, leur cas, dans les mœurs inflexibles du temps pouvant bien passer, après tout, pour un crime de lèse-majesté et de parricide.

Il est absurde, ajoute-t-on, d'attribuer à un roi mérovingien l'idée d'un pèlerinage au Saint-Sépulcre, en Terre-Sainte. 

À coup sûr, nous ne prétendons nullement répondre à fond à cette objection, attendu qu'à nos yeux aussi une pareille assertion a tout l'air d'un anachronisme. Néanmoins, ne pourrait-on pas jusqu'à un certain point l'expliquer ?

Il existe plusieurs versions de cette légende. Nous avons préféré la plus courte, à cause de sa
brièveté d'abord, bien entendu, et de sa naïveté ensuite. Mais, de même que celle qu'a choisie
M, E.-H; Langlois était la traduction d'un texte latin, de même la nôtre était vraisemblablement écrite aussi en latin dans le principe ; il est même fort à présumer (et l'on verra plus bas sur quoi nous fondons cette présomption) que toutes les autres n'en sont que des amplifications enjolivées faites à diverses époques et, pour ce motif, offrant plus de prises à la critique, l'original latin serait donc perdu malheureusement.

Or, puisque dans les autres versions il s'est glissé une foule d'erreurs, pourquoi ne pas croire qu'il y avait simplement dans le texte primitif «Adlocasancta» (ce qui veut dire aussi bien à des lieux saints qu'aux Lieux-Saints ; mots que le traducteur aura mal interprétés en passant du sens général au sens particulier.

Du reste, que ce soit au Saint-Sépulcre en la Terre-Sainte ou bien à un saint sépulcre, à un lieu saint qu'on ait fait entreprendre à Clovis II un pèlerinage si brusquement interrompu, dans le but d'expier sa profanation et d'obtenir la guérison de sa folie intermittente tout cela no saurait infirmer sérieusement le fait de l’existence Énervés, il vaut mieux ne voir qu'une erreur maladroite du traducteur, qu'une infidélité de la version et rien de plus.

Enfin, on a conclu la fausseté de cette légende du silence des chroniqueurs contemporains, et surtout du silence l'auteur anonyme de la vie de saint  Philbert et de l'historien Guillaume de Jumièges.

Qu'on se souvienne des premiers mots de notre auteur. « Clovis, dit-il eut cinq fils, encore qu'aucuns chroniqueurs aient teu les deux premiers nez, à cause de leur forfait qu'ils ont jugez indignes d'estre révélez à la postérité pour enfants du roy, »

On n'a pas trouvé cette explication satisfaisante. Mais, en général, de ce qu'un écrivain contemporain a passé sous silence certains événements, on doit douter, tout au plus, de leur authenticité ; on n'est jamais autorisé par son oubli à les nier formellement.

Combien de vérités historiques, d'ailleurs, méconnues ou ignorées jusqu'à ces derniers temps, ont enfin été remises au jour d'après des témoignages dignes de foi, quoique isolés ? Combien de faits acceptés aujourd'hui avaient pourtant été omis par la plupart des auteurs du temps, soit involontairement, soit à dessein, et pour des motifs dont ils ont emporté le secret ? 

Il est incontestable que le VIIe siècle est celui de notre histoire dont les chroniques sont les plus  obscures et les plus contradictoires, la chronologie même est incertaine. « C'est, dit M. Th, Lavallée, dans les gendes qu'est toute l'histoire de cette époque, tant les intérêts politiques sont absorbés par les intérêts religieux, Les rois, leurs cours et leurs intrigues n'intéressent qu'autant qu'ils sont mêlés aux affaires des moines, des évêques, des saints (Histoire des Français,T. 1 ,p.120. Voir Guizot, Histoire de la civilisation en France,T, II, lec.17.)

Outre ces deux autorités, nous pourrions en citer une troisième non moins digne d'attention et de respect : « Les hommes qui les composèrent  (Les Vies des Saints) il y a treize siècles, dans le seul but d'exalter les vertus religieuses, ne se doutaient pas qu'un jour leurs pieuses légendes seraient les seuls documents capables de constater aux yeux de la science, l'état du monde romain, tourmenté.et désolé par ses conquérants. » Aug. Thierry, Lett. VII, sur l'Histoire de France, P.97).

On doit donc ne pas rejeter légèrement ce fait historique dont le souvenir fut pieusement conservé dans l'abbaye de Jumièges. La carrière des Énervés a été courte,  et, après leur châtiment ils furent vite oubliés à cause de l'épouvantable anarchie qui signala quelques années plus tard la réapparition d'Ebroïn sur la scène politique. La tradition cependant resta comme ensevelie dans un monastère. 

Puis quand on l'exhuma, quand les moines voulurent perpétuer la mémoire des Énervés par des sculptures,par un tombeau, par des inscriptions, ils rencontrèrent plus d'adversaires que de partisans : il y eut plus de contradicteurs que d'apologistes. Les paroles de notre légendaire, citées plus haut, font, à n'en pas douter, allusion au silence du moine anonyme qui a écrit la vie do saint Philbert, sous l'abbé Cochin, son second successeur.

Nous ferons observer qu'il y avait à Jumièges sous le saint fondateur «un grand nombre d'évêques, de clercs et nobles laïques. » Or, le moine anonyme n'a pas non plus écrit la vie de ces évêques, de ces clercs et de ces nobles laïques, ni même indiqué leurs noms ou les circonstances qui les avaient amenés à Jumièges.

Ce ne fut, il faut bien se le rappeler, que plus tard que les  moines cherchèrent à étendre la réputation de leurs maisons en écrivant tout ce qui pouvait en rehausser l'origine.

Vis-à-vis de Guillaume de Jumièges l'objection est facile à réfuter, Il s'est proposé, avant tout, d'écrire les annales des Normands et de leurs ducs, et non pas l'histoire d'un monastère. Sans doute une digression plus étendue sur la vie et sur l'œuvre de l'abbé Philbert nous eût offert beaucoup d'intérêt ; niais eût-elle été bien à sa place dans son ouvrage

II ne devait parler et n'a parlé qu'incidemment et très brièvement de Jumièges, de même que des autres abbayes de la province, il n'a consacré que cinq à six lignes à la fondation de son monastère. Voici du reste ce passage qu'on a eu en vue et l'on jugera s'il est vraiment de nature à rendre suspecte l'existence des Énervés : « Au temps de Clovis, roi des Francs, ce lieu fut bâti par le bienheureux Philbert avec l'assistance de la reine Bathilde a et il prit un tel développement qu'il en vint  jusqu'à contenir neuf cents moines. 

Un très grand nombre d'évêques, de clercs et de nubies laïques s'y retirèrent, dédaignant les pompes du siècle, afin de combattre pour le roi Christ et inclinèrent leur tête sous le joug le plus salutaire (Guillaume de Jumièges, 1,1. VI publié sous la direction de M. Guizot.).

Nous regrettons cette discrétion, cette concision, cette sobriété de renseignements de la part de l'historien Guillaume, mais nous ne pouvons l'en blâmer et l'existence des Énervés ne saurait, être sérieusement  attaquée à cause de son silence à leur égard.
 
Passons à présent à l'examen des systèmes qu'on a essayé de substituer à notre chronique.

Dom Mabillon et dom Toussaint-Duplessis étaient persuadés qu'elle reposait sur un fait historique certain, dont la date aurait été altérée, dont les noms auraient été changés, puisqu'ils ont tenté de l'expliquer d'après leurs inductions personnelles. 

Constatons préalablement ceci : leur incrédulité, leur incertitude, leur embarras, portaient sur les personnages et sur la date, non sur l'événement.

Selon dom Mabillon, ce bénédictin d'une érudition immense, une des lumières les plus éclatantes de la Congrégation de Saint-Maur, le tombeau attribué aux enfants de Clovis II serait celui de Tassillon, duc de Bavière, et de Théodoric, son fils, que l'on dit avoir terminé leurs jours dans un monastère, peut-être celui de Jumièges, au commencement du Xe siècle.

Or la pénitence à Jumièges de ces deux princes ne repose que sur de pures suppositions ingénieuses, séduisantes, il est vrai, mais qu'aucun texte, quel qu'il soit, ne corrobore; et d'un autre côté il n'a jamais non plus été question d'énervation à leur égard, tandis que la mort à Jumièges des Énervés, fils de Clovis, a été positivement affirmée par nombre de chroniqueurs qui, s'ils sont peu d'accord sur l'accessoire, ne se contredisent pas sur le point principal.


L'explication fournie par dom Mabillon ne tient donc aucun compte des détails si curieux de notre légende, détails d'une couleur historique si exacte. Outre cette faute elle est inconciliable avec un. autre témoignage de valeur. Le tombeau des Énervés (Il est conservé sous les voûtes dans une ruine de) représente deux jeunes princes âgés d'environ seize à dix-sept ans, et non pas le père et le fils. 

Il est vrai que lors de l'exhumation des restes qu'il recouvrait dans l'église Saint-Pierre, il y a quarante ans environ, M, Hodiesne, médecin, constata qu'ils appartenaient à deux sujets d'âge différent et cette circonstance décida M. Deshayes à se rallier à l'avis de M, E.-H. Langlois. Mais deux frères nés le même jour, qui ont fait profession ensemble, doivent-ils nécessairement, fatalement, mourir en même temps? Evidemment, non. 

Dom Toussaint-Duplessis cherche davantage à concilier la légende avec son système. Mal-
heureusement son système ne s'appuie aussi que sur de pures hypothèses, .il suppose, en effet, la participation de deux fils de Carloman (l'ainé des enfants de Charles-Martel) dans la révolte de Gripon, leur oncle, contre Pépin-le-Bref ; il suppose leur énervation; il suppose enfin leur tonsure, leur pénitence et leur mort à Jumièges; toutes hypothèses gratuites, sans base et bien
plus improbables que les faits mentionnés dans nôtre Chronique. Il faut avouer que ce peu de « mots: Carloman vint en France en 753 et ses enfants furent tondus,  il faut, dis-je, avouer que ce peu de mots est bien fécond pour « y avoir trouvé tant de choses ou que le microscope dont on s'est servi pour les découvrir a extraordinairement grossi les objets (Histoire manuscrite, p. 15). »

 Ainsi lorsqu'on a nié à priori l'existence des Énervés, fils de Clovis II,  on a forcément été amené à énoncer des explications incomplètes, hasardées, parfois bizarres, ou bien à adapter
à des événements étrangers et mal prouvés la vie absolument ignorée de deux autres princes, N'était-il pas plus facile, plus simple, plus raisonnable dé procéder au rebours, c’est-à-dire d'accepter préalablement l'existence des deux fils de Clovis II, d'après notre Chronique, laquelle est corroborée par divers autres témoignages, par des inscriptions, par des sculptures, par des bas-reliefs, enfin par un tombeau monumental.

Un mot avant d'examiner particulièrement la nature et l'importance de ces témoignages.

Nous avons montré quels avaient été les promoteurs, les vrais coupables de la révolte, et dans quelles limites, en tout cas, il fallait renfermer la participation des jeunes princes. Par conséquent, la question d'âge est à écarter. Or Clovis II épousa Bathilde en 649, alors qu'il avait quinze ans (on sait qu'au moyen-âge les princes se mariaient très jeunes), et Thierry III, l'aîné des trois fils qui ont régné après leur père, naquit en 651. Il y a donc entre le mariage et cette naissance, un intervalle d'environ deux ans pendant lequel là reine a pu mettre au monde les deux jeunes princes. Les Énervés sont donnés par la légende comme fils aînés et jumeaux, — Qu'y a-t-il dans tout cela d'impossible et d'absurde ? qu'y a-t-il dans tout cela d'invraisemblable ?

MM. les Religieux ont toujours honoré la mémoire de Bathilde, qu'ils n'ont cessé de regarder
comme leur bienfaitrice ; le monastère lui devait « de grands privilèges et possessions pour ampli fier le bien et l'augmenter do religieux, ce qui explique la splendeur de ses églises et le
nombre des cénobites dans les commencements. 

Les libéralités de cette reine, comme nous le disions plus haut, ont un motif naturel dans l'hospitalité si spontanément offerte par l'abbé Philbert à ses deux fils aînés, à qui il ouvrit son
abbaye comme un asile de paix, comme un lieu d'expiation, de rédemption, Bathilde n’aura-t-elle pas espéré en outre que leur pénitence aiderait à la guérison et au salut de Clovis II ?

Ad votum matris bathildis paenituere
Pro scelere proprio proquo labore patris 

(en poésie le mot labor signifie quelques fois maladie).
 
A considérer le récit légendaire en lui-même, sa simplicité, sa naïveté, son unité, sa brièveté, la précision, l'exactitude des mœurs qu'il dépeint, et qui n'ont été bien connues que de nos jours, grâce surtout aux savants travaux de MM, Augustin Thierry, de Sismondi, Guizot, ne sont-ce pas là autant de preuves de son antiquité, et partant, de sa véracité? 

Dom Toussaint-Duplessis faisait remonter le manuscrit qu'il avait vu au chartrier de l'abbaye, à la fin du Xe siècle, c'est-à-dire, trois cents ans seulement après l'événement, à l'époque où les manuscrits primitifs de Jumièges étaient encore gardés à Haspres, en Flandre (Cambrésis), quand le monastère se relevait de ses ruines et qu'il fallait de nouveau.créer une bibliothèque. Dans ce même siècle, Fulbert dit qu'il n'a écrit la vie de saint Aicadre que d'après l'ordre des moines de Jumièges, ses maîtres, et sur des manuscrits auxquels il s'est borné à faire quelques corrections. Les interpolations de Fulbert ( Remarquez cette parenthèse : « Le bateau parvint
en Neustrie (aujourd'hui Normandie). » S'il n'y avait que des additions de cette nature à.reprocher à Fulbert, la chronique des Énervés aurait été en butte à moins d'attaques et sa défense serait aujourd'hui plus facile) sont, apparemment, devenues les incorrections qui ont été si âprement signalées dans la légende des Énervés.

La vie exemplaire des moines au Xe siècle exclut tout soupçon sur leur sincérité. Enfin le
style sobre et la peinture fidèle des moeurs mérovingiennes suffiraient, au besoin à prouver que l'auteur vivait sous la première race, ou au pis, fort peu de temps après. Ajoutons que cette chronique est à nos yeux un petit chef-d'oeuvre de narration historique, La catastrophe des Énervés offre tout l'intérêt d'un drame : exposition, péripéties, dénouement. 

Il faut avouer qu'une pareille fiction serait celle d'un habile écrivain, d’un adroit imposteur, la vérité seule impose aussi heureusement. Un moine d'imagination, un copiste étourdi, contemporain des Croisades, peut avoir commis le récit romanesque cité,avec complaisance, par M. E.-H. Langlois. Un écrivain sincère, un témoin, un cénobite contemporain des faits a seul pu saisir sur le vif les détails dont on relève l'exactitude historique à chaque ligne de notre chronique.

Outre cet admirable récit, des statues, des bas-reliefs, des fresques, des distiques furent,
à diverses époques, placés en souvenir des Énervés dans les églises et dans le cloître de l'abbaye de Jumièges (1).

 (1) D'après MM. les Religieux, voici quelle serait l’éthymologie du mot Jumièges:

Gemegia ex natis Clodovoei dicta Gemellis,
Auctla refulgebat nongintis fratribus olim

 
Gemiéges ainsi appelé des deux fils gémeaux de Clovis, brillait jadis par ses neuf cents moines.


Nous n'insisterons que sur le monument le plus remarquable, un tombeau placé au milieu du
choeur de l'église Saint-Pierre et qui représentait en relief deux jeunes princes âgés, selon Tousaint-Duplessis d'environ seize à dix-sept ans ; ils étaient ceints d'un diadème et revêtus de
longs manteaux parsemés de fleurs de lys d'or, avec une agrafe de pierreries. 

Selon M, E.-H. Langlois, ces statues ne remonteraient guère qu'au règne de saint Louis ; cela est incontestable. Les quatre vers suivants, qui résument tant bien que mal la légende, étaient gravés autour du tombeau!

Hic in honore Di requiescit stirps Clodovoet
Patri bellica gens, bella salutis agens
Ad votum matris Bathitdis poenituere

Pro scelere propro, proque labore patris 

(lVoici comment cette épitaphe a été traduite t

En l'honneur du Très-Haut reposent en ces lieux
Du valeureux Clovis les enfants belliqueux

Venus, selon le voeu de Bathilde, leur mère,
Se repentir ici d'avoir trahi leur père


Cette imitation en vers français si incomplète, donne une Idée de l'infidélité des versions en général.

Déjà, dans ces vers latins du XIIIe siècle, l'histoire des Énervés est altérée ; elle attribue aux doux jeunes princes une culpabilité que leur âge rend douteuse!

Les autres légendes, que nous avons cru devoir écarter à cause de leurs longues digressions, de leurs erreurs, de leurs fréquente anachronismes, de leurs enjolivements romanesques datent aussi de cette époque. La version française citée par M, E.-H Langlois est du XVe siècle et l'original latin a été écrit, évidemment sous l'influence des Croisades. - Nous nous bornerons à ces rapprochements.

En effet, quoi qu'il en soit de cette inscription, notre intention est de la mentionner, non de la discuter, Comme toutes lès légendes, elle atteste le fait de l'existence des Énervés, c'est là le principal : l'accessoire, le détail, la forme ne peuvent venir qu'après et n'ont qu'une importance secondaire. Ces princes ont-ils existé, oui ou non ? Si nous avons réussi à le prouver, notre tâche est remplie ; la chronique, sauf quelques légères éliminations dont les copistes du moyen-âge sont responsables, doit être inévitablement admise.

Et puis, pourquoi ces bas-reliefs, ces statues, ces fresques, ces vers; pourquoi toutes ces légendes, pourquoi enfin ce tombeau, si dans l'esprit des moines l'histoire des Énervés était un mensonge? Il y a plus, d'ailleurs; cette conviction était bien sincère et de bon aloi, devait reposer sur des preuves incontestables puisqu'un anniversaire avait été institué en faveur des deux jeunes princes mérovingiens.

Cette cérémonie se célébrait chaque année le 18 mai, l'abbé était tenu d'officier en personne, le tombeau était couvert d'un drap mortuaire et l'on devait sonner toutes les cloches (Pro filiis Francorum pater abas celebrabit anniversarium » disaient d'anciennes pancartes de l’abbaye). Cette coutume, pieux témoignage de la reconnaissance de MM. les Religieux, était encore respectée dans le siècle dernier.—Ainsi, les moines auraient sciemment associé la religion pendant dix siècles, sans interruption, à une imposture historique, dont ils n'auraient pas été dupes eux-mêmes! Ils ont pu un instant douter par respect pour la science de. dom Mabillon, la plus grande autorité de la congrégation de Saint-Maur, mais ils n'ont pas cru devoir sacrifier à cette admiration pour son génie l'obit ordonné par la règle.

Les adversaires de notre chronique sont surtout à cheval sur cet argument: la fourbe des moines au moyen-âge. Comment concilieront-ils cette fourbe avec là rapacité, la soif de l'argent qu'ils reprochent aux mêmes moines ? les prières gratuites de ceux-ci, leur culte permanent, leur reconnaissance inaltérable s'expliquent mieux par leur conviction éclairée, inébranlable, s'appuyant sur une tradition fidèlement, sûrement gardée, et méritent toute l'attention de l'historien, du penseur qui étudie sans idée préconçue, sans esprit de parti, sans préjugé, et qui va droit a la recherche de la vérité.

En résumé, l'existence des Énervés est à nos yeux possible, vraisemblable,  probable, certaine
enfin. Les absurdités, les contradictions qu'on a cru découvrir dans la chronique, résultent d'interprétations inintelligentes, incomplètes ou passionnées : on faisait, selon nous, fausse route en partant du tombeau et en côtoyant la légende.

Voici lé procédé de discussion qu'a suivi M. E.- H . Langlois! «Le tombeau est, à n'en pas douter, du XIIIe siècle, donc l'existence dés Énervés au VIe est un fait apocryphe. » Ce mode d'argumentation a-t-il besoin d'être réfuté ? Si on analyse notre chronique, on est étonné, répétons-le, de la sévère exactitude de ses détails historiques, et dès que la naissance des deux princes ne semble plus, physiquement parlant, un fait impossible, le lecteur désintéressé est irrésistiblement entraîné par la naïveté, le charme, et la sincérité du récit; c'est alors que le culte particulier des moines et les cérémonies de la religion viennent sanctionner le fait et affermir la croyance.

Si l'on nous demande à quoi bon une aussi longue discussion à propos d'un événement dont l'importance n'apparaît pas d'abord, nous répondrons que l'Histoire ne devant dédaigner aucun fait, la Chronique des Énervés peut, ainsi que d'autres récits, du même genre et du même siècle, jeter quelque lumière sur les mœurs des derniers Mérovingiens et, en particulier, sur la période obscure de 650 a 660 et sur les fréquentes révolutions du palais à cette époque. L'incertitude où l'on est sur la véritable date de la mort de Clovis II tombera peut-être devant son témoignage.

La folie de Clovis II et ses pèlerinages l'ayant fait disparaître absolument de la scène politique en 650, et la régence ayant appartenu dès-lors à la reine Bathilde, pourquoi quelques historiens n'auraient-ils pas cru à la mort de ce fantôme royal ? cet empire resté indivis pendant quatre années, cet héritage qu'on n'ose pas encore partager, ces désordres et cette rébellion, résultats d'une situation aussi embarrassée, la retraite forcée de Bathilde dans le couvent de Chelles en 660, ces événements n'ont d'explication raisonnable que si, adoptant les faits énoncés par notre Chronique, on reporte la mort de Clovis II à cette dernière date seulement.

Telles seraient, sans doute, les conséquences de l'admission de la Chronique des Énervés au nombre des.documents authentiques de l’histoire de France.