Un sujet de
Martial Grain
Rédaction :
Laurent Quevilly
Rédaction :
Laurent Quevilly
Ils avaient le même nom ! Et ils étaient nés le même jour ! Avouez que Charles et Célina Duparc étaient faits pour se marier. Pour le meilleur et pour le pire, comme on dit. Mais là, ce fut surtout pour le pire...
Résidant à Jumièges, tous deux étaient orphelins de père. Encore une similitude entre Charles Tite Duparc, jeune cultivateur de 22 ans, et Célina Louise Adrienne Duparc, sans profession, nés le 4 janvier 1870. Seulement lui c'était au Mesnil et elle à Epinay-sur-Duclair, même si leurs racines plongeaient dans le même terreau.
Un contrat de mariage fut dûment établi chez maître Peschard, le notaire de Jumièges. Et l'on fixa les noces au 26 novembre 1892, à 10 h du matin. Devant le maire, Sever Boutard, deux cousins assistaient le marié. Quant à la future, elle était flanquée de son grand-père jumiégeois, Jean-Baptiste Amand et de son oncle, Alexandre Aldric Deshayes, propriétaire à Duclair. Leurs veuves de mères donnèrent leur consentement. Puis l'on grimpa jusqu'à l'église Saint-Valentin où s'impatientait l'abbé Lequy.
Charles Duparc venait tout juste d'être libéré du 24e RI et rentrait de la caserne Hatry, à Rouen. Après son conseil de révision à Duclair, il avait d'abord été exempté de ses obligations militaires, étant fils unique d'une veuve. Le noir sera décidément la couleur de cette famille...
Charles alla accomplir une période d'exercice dans le 39e de ligne, du 23 août au 19 septembre 1897. Il n'avait plus que quelques mois à vivre. Le 16 avril 1898, à 28 ans, il se serait noyé au Mesnil. On ne retrouve pas le fait-divers dans le Journal de Rouen des jours suivants et le registre d'état-civil nous parle d'un décès "à son domicile" sur le coup de 13 h 30. Mais cette formulation en cas de noyade est souvent d'usage...
Le cruel destin des fils Duparc
Célina demeura veuve avec ses deux fils au hameau du Conihout. Né un an après son mariage, il y aura Marie-Louis qui se fera appeler tantôt Marie, prénom féminin et plutôt Louis sous l'uniforme. Il aura un bon degré d'instruction : 3 sur 5. Et puis Maurice Mathieu Charles avec sa cicatrice sous l'œil droit.
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![]() A gauche, Célina Duparc et ses fils vers 1900. Ils sont orphelins de père depuis deux ans. Photo de droite : Maurice est à gauche, Louis à droite. |
" Deux jeunes
frères sont partis..."
Graeme Allwright
Graeme Allwright

Louis Duparc
Le 10 février 1917, d'Evreux, il répond encore à sa tante et sa cousine : "Germaine, j'ai reçu ta carte ce matin que tu m'as envoyer à Evreux, je t'en remercie de tout cœur, jen ai reçu aussi une de maman qu'elle m'avait envoyer à Breteuil. L'on nous a équiper hier tout à neuf. Il y en a qui disent que l'on peut encore rester huit jours ici enfin on en sait rien, aussitôt que je saurai au juste, je vous l'écrirai si j'ai le temps car tout cela ça fait du trifouille, enfin pourvu que l'on se porte bien c'est l'essentiel. Maman me dit que Maurice est en repos dans la Marne. Je termine pour aujourd'hui en vous souhaitant une bonne santé. Votre neveu et cousin qui vous aime de tout son cœur. Louis Duparc."
Puis Marie-Louis passa au 119e le 24 juin et fut porté disparu le 1er juillet 1917 lors des combats d'Ailles, dans l'Aisne. Son corps ne fut retrouvé qu'après l'Armistice et identifié grâce à son bracelet. On l'inhuma à la nécropole nationale de Pontavert. "Sa mère et son frère ont toujours cru qu'il n'avait pas de sépulture, dira Martial Grain. Ils n'ont jamais été avertis par les autorités concernées."
La cousine Germaine

La stupide boucherie
Dès le 3 août, on envoya Edouard vers la Belgique, aux environs d'Anderlues. Oui, on l'envoya à découvert en pantalon garance face aux mitrailleuses allemandes au nombre sous-évalués par nos généraux. Et cet ordre stupide fut encore donné le lendemain jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne à commander. Ni personne pour commander. Edouard succomba de ses blessures à l'ambulance 4/7 de Piéton.
L'armée française, avec 24. 000 morts le 22 août 14, subit sa plus lourde perte. En fantassins. En encadrement. Si bien que l'on bombardera à des grades supérieurs nombre de sous-officiers, voire d'hommes de troupe sans préparation. Les survivants de cette hécatombe errèrent à pied sur 300 km jusqu'aux bords de la Marne, le ventre vide, écrasés de chaleur. Ceux qui se servaient dans les fermes étaient fusillés pour pillage. Ceux qui, blessés, restaient au bord de la route furent abandonnés et capturés par les Allemands. Des gendarmes français abattirent des valides, considérés comme déserteurs, qui se cachaient simplement de l'ennemi.
Mademoiselle Boutry
Germaine Boutry ne se maria jamais. Vivant seule, elle partagea sa vie entre les voyages et le service des autres : les malades, les enfants du cathé. Connue dans tout le pays pour son dévouement, Mlle Boutry mourut en 1977 sans avoir jamais su où reposait l'unique amour de sa vie. Elle put simplement voir son nom gravé dans la pierre sur le monument aux morts de Duclair.
Épilogue

La mère des frères Duparc vivait près de la ferme de Martial Grain qui mesura plus tard, en écrivant son livre sur les Poilus de Jumièges et du Mesnil, le lourd fardeau qui pesait sur les épaules de cette pauvre grand-mère, orpheline de père, trop tôt veuve, mère d'un tendre garçon mort à la guerre et d'un autre qui ne s'en est jamais remis. Elle s'est éteinte en 1959.
Maurice Duparc et Charles Deshayes
Source
L'histoire de nos soldats morts pour la France, Martial Grain, les Gémétiques, 2014