Par Laurent Quevilly-Mainberte

La petite Lambert a beau dormir au cimetière de Jumièges. Le crâne fracassé. Ils continuent, les Porgueroult, ils continuent à jouer de la fronde. Et malheur a qui témoigne contre eux. Le fils Renault va en faire la terrible expérience...
 


Dimanche 24 août 1749. Le meurtrier de la petite Lambert a été entendu voici une dizaine de jours. Cette journée d'été n'en finit pas de brûler. Le fils de Pierre Renault revient de la pâture, juché sur un cheval et suivi d'un poulain. Quand il croise la route de l'aîné des Porgueroult. Celui-ci agite son chapeau, épouvante l'animal qui part au grand galop et, un quart de lieue plus loin, finit par verser son cavalier sur la terre sèche du chemin. Jean Renault restera estropié à vie.

Les reins cassés

Le lendemain, Pierre Renault se décide à se rendre chez le médecin du bourg, Jean Berryes. Il est 6 h et demie du soir quand le maître chirurgien arrive au Conihout. Il trouve le gamin de 14 ans au lit et l'examine aussitôt. "J'ai remarqué à la seconde vertèbre de la partie inférieure un enfoncement et détachement de l'épine dont j'ai fait l'opération le mieux que possible. Ce qui m'a paru avoir été occasionné par une chute ou autre coup. J'ay ordonné un régime de vie, craignant les accidents fâcheux qui en peuvent arriver et ne pouvant répondre de sa vie, vu qu'il, m'a été dit, jetait beaucoup de sang par sa bouche. Ce que j'atteste véritable..."


La lettre au Parlement...


Je ne sais qui l'aida à rédiger cette lettre. Sans doute Grésil. Mais Pierre Renault écrivit aussitôt au procureur général de Normandie:

"Fait remontre à votre grandeur qu'il a eu le malheur d'être présent à tous les maltraitements que Valentin Porgueroult, sa femme et ses enfants ont fait à plusieurs particuliers de leur hameau" Renault rappelle qu'il a été assigné comme témoin voici trois mois concernant la mort de la fille Lambert "qui fut tuée par un jet de fronde des enfants dudit Porgueroult. Depuis lequel temps, le père et les enfants se sont vantés qu'ils tueront ceux du suppliant.

Les ont maltraités toutes les fois qu'ils les ont trouvés, bien persuadés que le suppliant était hors d'estat de les poursuivre, faute de moyens, puisque pour avoir raison dudit Porgueroult, il faut après avoir passé par tous les tribunaux, obtenir un arrêt du parlement.

Le suppliant n'aurait jamais osé Monseigneur, se plaindre à votre grandeur de tous les maltraitements commis à ses enfants mais, entièrement dénué et hors d'état de se faire rendre la justice qui lui est due, les enfants de Porgueroult continuant leurs mauvais traitements et ayant trouvé dimanche dernier un de ses enfants à cheval, le firent tomber de manière qu'il a les reins démis et resté au lit et peut-être hors d'état de pouvoir gagner sa vie tant qu'il plaira à Dieu lui prolonger.

Vous seriez surpris, Monseigneur, si le suppliant vous détaillait le nombre de procès en crime que ledit Porgueroult a eus pour maltraitements par lui commis (...) La misère du suppliant est si grande qu'il espère, Monseigneur, que vous lui accorderez votre justice. Ce considérant, Monseigneur, il plaise à votre grandeur, vu le certificat du chirurgien de Jumièges qu'il a donné par charité, faire venir par devant vous ledit Porgueroult pour lui enjoindre de se contenir et ses enfants que cependant lui ordonner de payer telle somme qu'il vous plaira pour subvenir aux besoins de son fils, ou votre grandeur ne voudrait pas faire venir ledit Porgueroult, enjoindre au sieur procureur fiscal de Duclair de faire informer les faits cy dessus détaillés..." Pierre Renault assure au procureur général qu'il "continuera, lui et sa famille, ses prières pour la postérité et santé de votre Grandeur"
Pierre Renault.




Des témoins se défilent !

Trois mois passent...


Chaumière typique du Conihout, près du halage. (JCQ)

Le 28 octobre 1749, le procureur fiscal, Maître Joret, écrit enfin au bailli son indignation: "L'opiniâtreté qu'ont les enfants de Valentin Porgueroult à faire journellement du mal non seulement aux voisins de leur domicile mais encore aux passants donne lieu de penser qu'ils ne se comportent de la sorte que du consentement de leur père et mère pour ne pas dire de leur sollicitation.

"Les différents procès en crime qu'ils ont essuyé dans ce tribunal au sujet d'injures atroces, mauvais traitement et voies de faits", sans parler des poursuites engagées contre le cadet des Porgueroult concernant la mort de la fille Lambert "auroient dû les porter d'eux-mêmes à se remodérer et leur père et mère à les contenir et les punir comme ils le méritoient."

Seulement, le procureur a eu connaissance de l'agression du fils Renault. "Comme de pareils écarts et voies de faits sont très punissables surtout dans les personnes des enfants de Porgueroult, lesquels se sont vantés qu'ils se vengeraient contre les enfants de Renault de la déposition que leur père avait été obligé de faire lors du meurtre de la fille Lambert, et vu leur inconduite journalière dont le voisinage se plaint, ce qui ne peut provenir que d'un défaut d'éducation ou d'un caractère accoutumé naturellement à faire du mal dont les père et mère sont et demeurent garants et responsables", bref poursuit le procureur, il y a lieu d'ouvrir une nouvelle information.

Deux jours plus tard, le 30 octobre 1749, le sergent Le Bourgeois se rend au domicile de différents témoins pour les assigner à comparaître le jour-même. Ils ne viennent pas. Convocation trop tardive ? Décision collective? Une amende de 10 livres sera prononcée dès le lendemain à leur encontre. On les reconvoquera ultérieurement.

D'autres accusent

Le lendemain, vendredi 31 octobre, tous les témoins conviés ce jour-là sont en revanche bien présents dès 7h du matin au palais abbatial.
Tous racontent à Pierre Nicolas Delamarre les exploits des Porgueroult. Nous ne gardons de leur déposition que les détails particuliers consignés par le notaire royal, Robert Durant.



y z'entendent pas raison

Marie Merre, servante chez Jean Dossier, à Heurteauville, 22 ans. Elle était encore l'an dernier servante chez Augustin Boutard. Elle répète avoir été poursuivie à coups de pierres, avoir vu les enfants Porgueroult s'attaquer aux fruitiers. Avec les autres domestiques de Boutard, elle travaillait le lin sous un hangar quand les gamins vinrent les insulter et leur jeter des pierres. Ce dont ils n'osèrent se plaindre, ni au père, ni à la mère, sachant qu'ils n'entendraient pas raison.

Y pleurait

 
Robert Duparc, laboureur au Conihout, 30 ans. Lui, il a vu le fils Renault pleurer et se plaindre des reins en accusant le fils Porgueroult de l'avoir fait tomber de cheval.

Y pouvait pu arquer


Marie Rose Virvault, 24 ans, épouse de Robert Duparc, laboureur du Conihout. Elle était là quand on déshabilla le fils Renault. "Y supportait pas qu'on lui pose les mains sur les reins. On a été obligés de le reporter chez lui. Y pouvait pu arquer."


Valentine Duquesne, 22 ans, fille de Valentin Duquesne. Les chansons ne visaient pas que les Boutard. Mais aussi leur servante, Madeleine Hullé. Tiens donc...



 André Hullay, 26 ans, demeurant chez son père, laboureur au Conihout, est de ceux qui ont aidé le fils Renault à se relever. Lui aussi témoigne des exactions des Porgueroult.

Il a j'té en arrière

 Marie Anne Duquesne, 13 ans, est la fille d'Etienne Duquesne, voiturier par eau demeurant au Conihout. Elle allait chercher des bestiaux à la pâture quand elle a vu l'aîné des Porgueroult courir pour épouvanter le cheval de Jean Renault et faire ainsi tomber son cavalier. "Il a jeté son chapeau et les deux licols qu'il tenait pour faire peur au cheval. Et pis le qu'va a pris le galop et jeté en arrière. Le gars Renault est tombé". Le greffier note que la chute s'est produite dans un chemin très dur, "occasionné par la sécheresse de la terre et imprimé des bestiaux qui vont à la pâture." Marie Anne, elle, a vu Jean Renault tenter de marcher. Mais il fut contraint de rester à mi-route où sa mère vint le chercher. "Y disait qu'il avait les reins rompus."

Marie Madeleine Lefrançois, servante domestique chez Joseph Duquesne, au Conihout, n'a aucune connaissance des faits, si ce n'est la mort de la petite Lambert.


Il a frappé sa vaque

Geneviève Levillain, 25 ans, fille servante depuis plus de quatre ans chez Augustin Boutard. Les fils Porgueroult, dit-elle, tendent des filets, laçerons ou collets dans la haie mitoyenne pour prendre des volailles. "La femme d'Augustin Boutard en a trouvé jusqu'à cinq prises au piège." Elle confirme que les chansons touchaient aussi "une servante qui y était alors". Le linge? Il séchait sur la haie quand il a été souillé. Alors, on l'a reblanchi. "Et c'était pendant qu'elle et les autres domestiques étaient à dîner que lesdits Porgeroult gâtèrent le linge." Elle était là aussi à travailler le lin avec les domestiques quand ils sont venus les agresser. "Y z'ont manqué de tuer quelques unes d'elles."

Elle, elle a entendu dire que ces mêmes enfants ont menacé de mort ceux qui viendraient témoigner contre eux. Notamment les Renault. Valentin Porgueroult père a même frappé la vache dudit Renault "à dessein de la tuer lorsqu'elle passoit dans la rue."

Marguerite Bisson récite la longue litanie des griefs. Elle confirme que les Porgueroult ont poursuivi plusieurs fois une servante de Boutard à coups de pierres et de fronde alors qu'elle allait tirer ses vaques le matin et le soir. Elle-même a été menacée par le cadet. Et comme elle lui lançait qu'il ne valait rien, le gamin lui a dit qu'il la tuerait.

Marie Quesne, du Conihout, est moins prolixe. Elle a 23 ans et c'est la femme de Jean Poullain. "Les enfants Porgueroult font ben du mal à leurs vésins." Mais elle n'a pas assisté à tout.


La procédure stagne


Et puis les mois passent à nouveau. Le 15 décembre 1749,  Grenier, curé de Jumièges, verse au dossier la copie conforme des actes de mariages et de naissance des Porgueroult. Le 13 septembre 1750, il y ajoutera l'acte de décès d'Antoine Herpin.


Le mardi 28 avril 1750, à Duclair, Boutard et Porgueroult se retrouvent au prétoire ordinaire. Toujours dans le cadre de l'affaire des insultes. Mais, manifestement, Delamarre a été dessaisi de l'affaire. C'est Pierre François Marc de La Saussaye qui préside les débats. Boutard est défendu cette fois par Me Marescot. C'est son troisième avocat dans cette affaire qui ne trouvera pas encore aujourd'hui sa conclusion...

Nouvelles auditions

Le temps a poursuivi sa course. Le 9 octobre 1750, le sergent Le Bourgeois se rend chez les témoins qui se sont défilés un an plus tôt. Cette fois, ils viendront. Au palais abbatial de Jumièges, le 12, Delamarre débute ses auditions. Il est 8h du matin.



La tante du meurtrier


Françoise Porgueroult, femme d'Etienne Duquesne, a environ 39 ans. Elle est la tante de l'assassin et demeure au Conihout. "Le jour où le fils Renault a été blessé, je suis allé le chercher avec sa mère, dans la rue du Landin qui aboutit à la pâture. Il se plaignait de la tête et des reins. On l'a aidé a regagner sa maison mais j'ignorais la cause de ses blessures.  Oui, c'est vrai, mes neveux ont chanté des chansons il y a longtemps contre les Boutard. Non, je m'rappelle plus ce qu'elles disaient..."

Le doyen du Conihout


 Pierre Hullé, laboureur du Conihout, en est peut-être le doyen. Il a 80 ans ! "Vu mon grand âge, je me rappelle pas de tous les sujets de plainte que le public a pu avoir contre Valentin Porgueroult, sa femme et ses enfants. Mais je me souviens qu'il y a plusieurs années, les enfants Porgueroult insultaient les Boutard toutes les fois qu'ils les rencontraient et chantaient des chansons. J'ai su que le cadet des Porgueroult avait tué la petite Lambert. Je les ai vus souvent avec des frondes... Ils méprisaient les remontrances que je leur faisais. Jamais le père a voulu châtier ses enfants...."

Le greffier note encore: "dépose en outre qu'il a été public dans le canton que la chute de Jean Renault, fils de Pierre, a été occasionnée par la peur et les mouvements que le fils aîné de Valentin Porgueroult fit faire au cheval, ou cavale, sur lequel était monté ledit Jean Renault fils et par récrimination de ce que Pierre Renault, père dudit Jean, avoit été en témoignage contre le fils cadet dudit Porgueroult à l'occasion  de la mort de la fille de Lambert et finalement que ledit Porgueroult, sa femme et ses enfants ont toujours été, comme ils le sont encore actuellement, regardés pour de mauvais voisins..."


Et toujours Boutard


 On entendra encore une fois Augustin Boutard, 52 ans, marchand  du Conihout, objet des chansons satiriques. "Il a eu et a encore plusieurs procès avec les Porgueroult", note le greffier. Boutard raconte encore une fois son calvaire qui, selon lui, dure depuis six ou sept ans. Sans interruption.  Oui, un calvaire que ces chansons poussées dans les rues, aux carrefours, sur les places publiques et et jours de grandes messes. Les procès, ils portent notamment sur les mauvais traitements infligés à ses domestiques. Mais aussi à ses "dimerons". Car il se trouve que Boutard tient des moines le rôle de prélever la dîme. Et, bien sûr, les Porgueroult ont refusé de payer. Il y a les volailles tuées à coups de bâtons et de frondes. Tous ces dommages pour lesquels les Porgueroult ont toujours été condamnés "dans les différents tribunaux". Il y a le linge souillé. Les agressions quand, durant deux ans, la femme Boutard fut contrainte d'égrener son chapelet au Landin. Il y a la mort de la fille Lambert. Les blessures du fils Renault. Augustin Boutard est intarissable...



 Joseph Duquesne, 33 ans, laboureur du Conihout, aura un témoignage tout aussi accablant. La petite Lambert, affirme-t-il, est morte dans ses bras.


 Jacques Poullain, journalier au Conihout, 25 ans, a vécu tous ces événements. Il revoit le fils Renault tomber de cheval et crier: "Porgueroult vient de me tuer !" Avec la femme d'Etienne Duquesne et la mère de l'enfant, il aide le petit Jean à se relever. "Après quoi sa mère le chargea sur ses épaules et le reporta à sa maison."


Le 22 décembre, Joret, le procureur fiscal, demande la contrainte par corps des Porgueroult et leur conduite en prison où ils seront entendus.

Le vendredi 15 janvier 1751, Pierre Nicolas Delamarre ne le suit pas tout à fait. Il ordonne l'incarcération des mâles. Et s'ils ne pouvaient être appréhendés, la confiscation de leurs biens.

En revanche, Geneviève Beauvet échappera à la prison. Delamarre préfère l'entendre plus tard au palais abbatial.  

Maintenant, son mari a-t-il réellement tâté des geôles duclairoises? Pas sûr. Nous n'allons retrouver que ses fils derrière les barreaux...

Laurent QUEVILLY.

Épisode précédent L'arrestation des Porgueroult



Notes


Pierre Hullay, le doyen du Conihout s'était marié en 1709 à Madeleine Amand, il était fils de André et Anne Lamy. Il avait un fils prénommé comme lui, marié à Françoise Brunet, et qui témoigne lui aussi.

Sources


Recherche et numérisation aux archives départementales: Jean-Yves Marchand.



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