Par Laurent Quevilly-Mainberte
La petite Lambert a beau dormir au cimetière de Jumièges. Le crâne fracassé. Ils continuent, les Porgueroult, ils continuent à jouer de la fronde. Et malheur a qui témoigne contre eux. Le fils Renault va en faire la terrible expérience...

Les reins cassés
Le lendemain, Pierre Renault se décide à se rendre chez le médecin du bourg, Jean Berryes. Il est 6 h et demie du soir quand le maître chirurgien arrive au Conihout. Il trouve le gamin de 14 ans au lit et l'examine aussitôt. "J'ai remarqué à la seconde vertèbre de la partie inférieure un enfoncement et détachement de l'épine dont j'ai fait l'opération le mieux que possible. Ce qui m'a paru avoir été occasionné par une chute ou autre coup. J'ay ordonné un régime de vie, craignant les accidents fâcheux qui en peuvent arriver et ne pouvant répondre de sa vie, vu qu'il, m'a été dit, jetait beaucoup de sang par sa bouche. Ce que j'atteste véritable..."
La lettre au Parlement...
Je ne sais qui l'aida à rédiger cette lettre. Sans doute Grésil. Mais Pierre Renault écrivit aussitôt au procureur général de Normandie:
"Fait remontre à votre grandeur qu'il a eu le malheur d'être présent à tous les maltraitements que Valentin Porgueroult, sa femme et ses enfants ont fait à plusieurs particuliers de leur hameau" Renault rappelle qu'il a été assigné comme témoin voici trois mois concernant la mort de la fille Lambert "qui fut tuée par un jet de fronde des enfants dudit Porgueroult. Depuis lequel temps, le père et les enfants se sont vantés qu'ils tueront ceux du suppliant.
Les ont maltraités toutes les fois qu'ils les ont trouvés, bien persuadés que le suppliant était hors d'estat de les poursuivre, faute de moyens, puisque pour avoir raison dudit Porgueroult, il faut après avoir passé par tous les tribunaux, obtenir un arrêt du parlement.
Le suppliant n'aurait jamais osé Monseigneur, se plaindre à votre grandeur de tous les maltraitements commis à ses enfants mais, entièrement dénué et hors d'état de se faire rendre la justice qui lui est due, les enfants de Porgueroult continuant leurs mauvais traitements et ayant trouvé dimanche dernier un de ses enfants à cheval, le firent tomber de manière qu'il a les reins démis et resté au lit et peut-être hors d'état de pouvoir gagner sa vie tant qu'il plaira à Dieu lui prolonger.
Vous seriez surpris, Monseigneur, si le suppliant vous détaillait le nombre de procès en crime que ledit Porgueroult a eus pour maltraitements par lui commis (...) La misère du suppliant est si grande qu'il espère, Monseigneur, que vous lui accorderez votre justice. Ce considérant, Monseigneur, il plaise à votre grandeur, vu le certificat du chirurgien de Jumièges qu'il a donné par charité, faire venir par devant vous ledit Porgueroult pour lui enjoindre de se contenir et ses enfants que cependant lui ordonner de payer telle somme qu'il vous plaira pour subvenir aux besoins de son fils, ou votre grandeur ne voudrait pas faire venir ledit Porgueroult, enjoindre au sieur procureur fiscal de Duclair de faire informer les faits cy dessus détaillés..." Pierre Renault assure au procureur général qu'il "continuera, lui et sa famille, ses prières pour la postérité et santé de votre Grandeur"
Pierre Renault.
Des témoins se défilent !
Trois mois passent...

Chaumière
typique du Conihout, près du halage. (JCQ)
Le 28 octobre 1749, le procureur fiscal, Maître Joret, écrit enfin au bailli son indignation: "L'opiniâtreté qu'ont les enfants de Valentin Porgueroult à faire journellement du mal non seulement aux voisins de leur domicile mais encore aux passants donne lieu de penser qu'ils ne se comportent de la sorte que du consentement de leur père et mère pour ne pas dire de leur sollicitation.
"Les différents procès en crime qu'ils ont essuyé dans ce tribunal au sujet d'injures atroces, mauvais traitement et voies de faits", sans parler des poursuites engagées contre le cadet des Porgueroult concernant la mort de la fille Lambert "auroient dû les porter d'eux-mêmes à se remodérer et leur père et mère à les contenir et les punir comme ils le méritoient."
Seulement, le procureur a eu connaissance de l'agression du fils Renault. "Comme de pareils écarts et voies de faits sont très punissables surtout dans les personnes des enfants de Porgueroult, lesquels se sont vantés qu'ils se vengeraient contre les enfants de Renault de la déposition que leur père avait été obligé de faire lors du meurtre de la fille Lambert, et vu leur inconduite journalière dont le voisinage se plaint, ce qui ne peut provenir que d'un défaut d'éducation ou d'un caractère accoutumé naturellement à faire du mal dont les père et mère sont et demeurent garants et responsables", bref poursuit le procureur, il y a lieu d'ouvrir une nouvelle information.
Deux jours plus tard, le 30 octobre 1749, le sergent Le Bourgeois se rend au domicile de différents témoins pour les assigner à comparaître le jour-même. Ils ne viennent pas. Convocation trop tardive ? Décision collective? Une amende de 10 livres sera prononcée dès le lendemain à leur encontre. On les reconvoquera ultérieurement.
D'autres accusent
Tous racontent à Pierre Nicolas Delamarre les exploits des Porgueroult. Nous ne gardons de leur déposition que les détails particuliers consignés par le notaire royal, Robert Durant.
y z'entendent pas raison

Y pleurait
Y pouvait pu arquer


Il a j'té en arrière


Il a frappé sa vaque

Elle, elle a entendu dire que ces mêmes enfants ont menacé de mort ceux qui viendraient témoigner contre eux. Notamment les Renault. Valentin Porgueroult père a même frappé la vache dudit Renault "à dessein de la tuer lorsqu'elle passoit dans la rue."



La procédure stagne
Et puis les mois passent à nouveau. Le 15 décembre 1749, Grenier, curé de Jumièges, verse au dossier la copie conforme des actes de mariages et de naissance des Porgueroult. Le 13 septembre 1750, il y ajoutera l'acte de décès d'Antoine Herpin.
Le mardi 28 avril 1750, à Duclair, Boutard et Porgueroult se retrouvent au prétoire ordinaire. Toujours dans le cadre de l'affaire des insultes. Mais, manifestement, Delamarre a été dessaisi de l'affaire. C'est Pierre François Marc de La Saussaye qui préside les débats. Boutard est défendu cette fois par Me Marescot. C'est son troisième avocat dans cette affaire qui ne trouvera pas encore aujourd'hui sa conclusion...
Nouvelles auditions
La tante du meurtrier

Le doyen du Conihout
Le greffier note encore: "dépose en outre qu'il a été public dans le canton que la chute de Jean Renault, fils de Pierre, a été occasionnée par la peur et les mouvements que le fils aîné de Valentin Porgueroult fit faire au cheval, ou cavale, sur lequel était monté ledit Jean Renault fils et par récrimination de ce que Pierre Renault, père dudit Jean, avoit été en témoignage contre le fils cadet dudit Porgueroult à l'occasion de la mort de la fille de Lambert et finalement que ledit Porgueroult, sa femme et ses enfants ont toujours été, comme ils le sont encore actuellement, regardés pour de mauvais voisins..."
Et toujours Boutard
Le 22 décembre, Joret, le procureur fiscal, demande la contrainte par corps des Porgueroult et leur conduite en prison où ils seront entendus.
Le vendredi 15 janvier 1751, Pierre Nicolas Delamarre ne le suit pas tout à fait. Il ordonne l'incarcération des mâles. Et s'ils ne pouvaient être appréhendés, la confiscation de leurs biens.
En revanche, Geneviève Beauvet échappera à la prison. Delamarre préfère l'entendre plus tard au palais abbatial.
Maintenant, son mari a-t-il réellement tâté des geôles duclairoises? Pas sûr. Nous n'allons retrouver que ses fils derrière les barreaux...
Laurent QUEVILLY.
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Pierre Hullay, le doyen du Conihout s'était marié en 1709 à Madeleine Amand, il était fils de André et Anne Lamy. Il avait un fils prénommé comme lui, marié à Françoise Brunet, et qui témoigne lui aussi.
Sources
Recherche et numérisation aux archives départementales: Jean-Yves Marchand.