Ils sont les ancêtres de nos médecins de campagne. Sous l'ancien régime, dans notre région, les chirurgiens exerçaient leur art à Duclair, Jumièges et Boscherville. L'un d'eux tenait son journal... 

Les pesanteurs de la religion interdisaient jadis aux hommes d'œuvrer contre la volonté divine. Notamment la maladie. Depuis le moyen-âge, les chirurgiens étaient assimilés aux barbiers et maintenus dans une corporation. Ainsi tenaient-ils boutique et certains sont définis comme « marchands chirurgiens ». Ils étaient sous la domination des médecins qui, eux, bénéficiaient des privilèges des professions libérales et se refusaient à tout travail manuel. 

A Rouen, les chirurgiens avaient cependant leur communauté qui parvint à s'émanciper de la tutelle intellectuelle des docteurs en médecine en dispensant ses propres cours d'anatomie. Il en sortait deux catégories. Ceux qui passaient l'épreuve du grand chef-d'œuvre. Cet examen durait trois semaines et comportait quatorze épreuves. Ceux là exerçaient dans la capitale normande, notamment ses hôpitaux. 

Les barbiers chirurgiens qui exerçaient hors des murs de Rouen, comme à Duclair, Boscherville ou à Jumièges, obtenaient leur place grâce à un examen atténué : la légère expérience, qui ne durait que trois jours et se passait devant les maîtres de la communauté de Rouen. Une fois reçus ils étaient préposés par la communauté à un poste désigné, dont ils ne pouvaient s'écarter sans son autorisation. Leurs attributions étaient d'ailleurs limitées et ils devaient appeler les maîtres de la ville dans tous les cas sérieux.

On devenait chirurgien en étant longuement « apprentif » chez un maître. Son propre père souvent. Il était interdit à l'apprentif de quitter la boutique avant terme pour monter sa propre affaire sous peine de poursuites. La communauté traque aussi les charlatans. Elle recevait par ailleurs les sages-femmes qui avaient étudié leur art, soit avec d'autres sages-femmes jurées, soit sous un des maîtres ou à la maternité de l'hôpital.

Dans le canton de Duclair

1087. Gontard, abbé de Jumièges, figure parmi les médecins qui traitèrent Guillaume le Conquérant dans sa dernière maladie à Rouen.

1435. Le sieur Robin du Querne, chirurgien de Jumièges, s'est fait une telle réputation que l'on vient parfois de loin pour le consulter. Ce fut le cas d'un nommé Isambard Lavenu, entré à l'infirmerie de Fécamp.

Le 14 mars 1594, la communauté engage des poursuites contre un chirurgien de Duclair qui a pris la qualité de « garde de l'état de chirurgie au baillage de Rouen ». Un usurpateur. Mais il n'est pas seul dans le collimateur...

1597. Le procès des gardes se déroule. Il est mené par Pierre Varembault, Jean de Bouafles et Robert Beauclerc contre Hercules Lemesle, se disant chirurgien à Duclair et Michel Blondeau, soit-disant chirurgien à Barentin. Ceux-ci avaient signé un rapport sur la fille Hélène Masson, de Varengeville, en prenant donc le titre de gardes. Le père d la fillette avait payé cette signature « ung teston ». Ils furent condamnés à l'amende.

1653 : Valentin Mérite est chirurgien à Jumièges. Il est fils de Noël Mérite et de Noëlle Heusé et l'époux de Marguerite Thuillier.

1672 : Jean Dieppedalle est nommé pour Saint-Georges le 5 novembre.

1678 : Isidore Guillots, de Touffreville-en-Caux, aspirant pour Saint-Georges, est reçu sous la présidence de M. Barasin, docteur en médecine .

Vers 1679, Jacob Leroux est reçu pour Duclair. Il fut marié à François Perdrix dont il eut une fille, Marie, épouse de Charles Marestre, maître taillandier à Darnétal. Ce dernier possédait du bien à Duclair qu'il fieffa à mon ancêtre Félix Quevilly.

1683 : Marie Leguay, veuve Geste, sage-femme à Duclair. Claude Audouaire Bellamy reçu à Duclair. Les Drs Le Chandelier et Saunier sont présents.

Vers la même époque, on note le nom de deux autres sages-femmes à Duclair : Isabeau Cauchois, femme de Thomas Coquerel et Marie Nepveu, femme Moulard.

1687, le 17 janvier, Pierre Clérel, fils du chirurgien du même nom, reçu à Jumièges. Il utilisait déjà ce titre, cinq ans plus tôt, lors de son mariage avec Marie Brochand. Son père qui fut son maître d'apprentissage était l'époux de Philippine Tassin. A la même époque, Claude Panier est nommé chirurgien à Duclair.

1689 : René Levallois est reçu maître à Duclair le 24 mars.

1696 : Guilyot, à Saint-Georges.

1698 : Jacques Morin, préposé à Jumièges. Signe péniblement de son nom. De son côté, Claude Cahagne demande à changer de résidence de La Neuville pour aller à Saint-Georges-de-Boscherville. Accordé.

1700 : la communauté soutient le chirurgien de Jumièges contre un « empirique ».

1722 : Jacques Bayries fonde à Duclair une dynastie de chirurgiens.

1730 : Antoine Fouquet est chirurgien à Jumièges. Il se marie en 1731 avec Marie-Françoise Blocquet. Valentin Delépine avait fait opposition à ce mariage. Avant de retirer sa demande. A la même époque, on note Pierre Laval, originaire de Fissac-en-Quercy, à Saint-Georges. Des sentences furent prononcées contre lui.

1741 : Berryes autorisé à poursuivre un particulier qui exerce sans qualité à Jumièges.

1744 : A la demande de Berryes, chirurgien à Jumièges, on poursuit un nommé Pinchon, qui est condamné en mai.

1749 : François-Amédée Cavoret reçu préposé à Duclair (natif de St-Pierre-de-Magnard en Savoie, diocèse de Genève), reçu auparavant chirurgien de mer. Il épouse la veuve de prédécesseur et tient un journal de ses interventions. Mais on lui fait concurrence...

16 décembre 1750 : François-Aignan Cornu reçu pour Duclair. Il paie 22 livres de droits de bourse commune.

1753 : Immatriculation de la requête de Nicolas Bordas, natif d'Arron, diocèse de Chartres, aspirant pour Duclair.

1754 : Commis aux rapports dénominatifs des personnes malades ou blessées : Baieries père à Duclair.

26 juillet 1762 : poursuites contre Bayrries jeune qui exerce à Duclair sans mandat. Cavoret est alors chirurgien reconnu.

Ce n'est qu'en 1762 qu'est créé un collège de chirurgiens à Rouen. Un édit de Louis XV venait enfin les séparer des barbiers en leur conférant le statut de profession libérale et les mettait sur un pied d'égalité avec les médecins.

1764 : Jean-Baptiste-Benoît Bayrries est préposé pour Duclair, David Tréhet pour Saint-Georges. Il est examiné en janvier de l'année suivante.

Cette même année 1764, à Duclair, Bayrries accueille dans son foyer une première fille, Marie Catherine. En péril de mort, elle fut ondoyée à la hâte par Me Jean Bouchet, maître chirurgien accoucheur d'Epinay sur Duclair, en présence de Mmes Heurteault et Bertault qui assistaient à l'accouchement.

1771 : affaire de la communauté avec Bayrries, chirurgien à Duclair. On ne sait encore sur quoi porte le litige.

1772. A l'abbaye de Jumièges, Bernard Beyries, jeune moine, fait office de chirurgien.

Voici du reste une délibération adoptée par le chapitre de l'abbaye le 20 décembre de cette année-là.

Le RP Prieur a représenté que M. Hérisson, médecin de Caudebec, proposait de lui donner 300 livres pour être le médecin de notre abbaye au moyen de quoi il se transporterait toutes fois et quantes quand le requerrait en notre abbaye.

Cette proposition examinée, on a observé 

que depuis trois ans on ne lui devait que 20 livres pour deux voyages, attendu que les secours que procurent aux malades le frère François Dufresne, frère convers de Saint-Wandrille, que l'on appelle pour conférer avec le frère Bernard Beries, convers chirurgien de notre abbaye de Jumièges et se consulter ensemble lorsque les maladies sont de quelque importance ; 

qu'un malade qui n'aurait confiance audit médecin de Caudebec se trouverait gêné de peur d'augmenter la dépense ; 

que les deux cents livres auxquelles le RP Prieur réduirait ses gages, dans le cas où la communauté l'aurait accepté, serviraient à appeler de Rouen le médecin auquel un malade aurait confiance ou de tout autre endroit ou à payer les voyages dudit médecin de Caudebec lorsqu'on l'appellerait ; 

qu'en général un médecin gagé (assuré) de sa pension annuelle aurait peine à quitter des malades peut-être aussi pressés d'avoir du secours et qui lui rapporteraient un casuel certain qui pourrait être préféré dans le cas où le médecin ne prévoirait pas une nécessité très urgente de s'absenter pour se transporter en notre abbaye. 

Tout ouï et considéré, il a été arrêté unanimement que l'on paierait les médecins par voyages selon que l'on aurait besoin d'eux et qu'on les appellerait afin de laisser la liberté aux malades, si besoin était, de choisir et donner leur confiance à tel médecin qu'ils jugeraient bon. En foi de quoi, j'ai dressé le présent acte signé du RP Prieur et des sénieurs et de moi, frère Toussaint Outin, faisant l'office de secrétaire du chapitre...

1773 : Cavoret, de Duclair, appelé disciplinairement à la chambre de juridiction.

1774 : Mme Simon est sage-femme à Duclair.

1778 : François-Denis Neuville, originaire de Duclair, est préposé pour Yerville.

1781 : Frais de réception du sieur Goubé pour Duclair. (Droit de chambre :10 livres, droit d'inspecteur : 8, bourse commune : 10).

1782 : Joseph Legoubé, de Sainte-Marguerite-sur-Duclair, préposé à Duclair. 

1787. Lors de la désignation des premières assemblées municipales, en octobre, on note parmi les notables de Jumièges Nicolas Le Bouteiller, 28 ans, chirurgien. Marié à Marie-Angélique Vallery. Sept ans plus tôt, en novembre 1780, l'Académie des Sciences de Rouen lui avait décerné un troisième prix d'Anatomie et un autre de Botanique.

1789. Sous la Révolution, on voit encore Goubé procéder à des accouchements. Jeanne-Charlotte Beurier est alors sage-femme ordinaire de la paroisse. A Jumièges apparaît en 1793 un Dr Paris qui est démasqué comme étant un curé défroqué. 

Le journal de François-Amédée Cavoret


Lepecq
En 1778, Louis Lépecq de La Clôture, figure du monde médical rouennais, rédige un ouvrage intitulé Collecion d'observations sur les maladies et constitutions épidémiques. Pour parler de notre région, il s'appuie sur l'extrait « ou relevé du Journal d'un chirurgien du bourg de Duclair qui a eu la constance d'écrire sur son registre le détail des maladies qui y ont régné tous les ans, depuis 1749. »
1749, c'est l'année où François-Amédée Cavoret fut nommé chirurgien à Duclair en remplacement de Jacques Beyrries. Lepecq extrait de ce journal ce qui concerne les épidémies. Nous ne savons ce qu'est devenu l'original de ce document qui constitue sans doute une mine d'or sur nos aïeux. Voici ce texte dans son jus.

" Dès l'automne de 1749, on voyait régner à Duclair la fièvre quarte, qui se terminait souvent par des dépôts sur différentes parties du corps. Ils abcédaient ensuite mais les fiévreux qui ne furent pas guéris et beaucoup d'autres, eurent la fièvre tierce au printemps suivant et cette année 1750 présenta aussi des maladies de poitrine avec des fièvres putrides, on en voyait aussi se terminer par des abcès à la surface du corps.

En1753, des pleurésies et péripneumonies non meurtrières

En 1756, des fièvres inflammatoires du côté de Varengeville et Roumare.

L'année 1760 fournit à Duclair une épidémie de maux de gorge inflammatoires avec suppuration des amygdales, et une éruption rouge qui leur était utile.

Ce Chirurgien, observe Lepecq, respecta l'éruption, ne fit aucune saignée mais il était obligé de percer l'abcès des amygdales et souvent à plusieurs reprises. Tous ceux à qui cette opération a été faite se sont sauvés et il en mourut un grand nombre de ceux qui la refusèrent, surtout parmi les enfants. Quelques-uns furent guéris par des dépôts purulents dans toutes sortes de parties, spécialement dans les glandes.

Aux maux de gorge du printemps succédèrent des pleurésies et fluxions de poitrine, sans crachement de sang et l'éruption survenant le 9e jour, ils en guérissaient aisément.

A Sainte-Marguerite-sur-Duclair, il régna épidémiquement en 1761 un mal de gorge, épidémique et gangréneux sur les enfants et il en périssait un grand nombre à moins qu'on ne fût assez tôt arrivé et assez heureux pour leur percer les amygdales. Les adultes furent accablés en même-temps de pleurésies inflammatoires avec crachement de sang, sans éruption et la fièvre était très considérable. Mais les saignées en arrêtaient les progrès . On usa dans celles-ci, comme dans celles de 1760, d'une large infusion de fleurs de sureau.

La petite Vérole était épidémique à Varengeville, en 1762, elle ne le fut point à Duclair. II survenait aux adultes de fréquentes hémorragies, et ils en mouraient. On pratiqua la saignée, parce que le mal de tête était violent, elle ne fut funeste à aucun et la petite Vérole rentrée reparaissait après la saignée.

En 1763, des érésipèles au printemps. Mais en 1764, il y eut beaucoup de flux dysentriques, les malades étaient cependant sans fièvre, et les déjections étaient toutes noires, souvent mêlées de sang. On employa l'eau de Rhabel, dans l'infusion de feuilles de plantain, avec succès.

Quelques petites Véroles en 1766 et une quantité de fluxions de poitrine, peu dangereuses, en 1768.

La fièvre tierce fut épidémique au printemps de 1771. On n'y fit aucun remède mais ceux qui en furent pris en automne la gardèrent presque tous jusqu'au printemps de 1772.

Alors se déclara épidémiquement une fièvre ardente putride, qui enleva, depuis mars jusqu'à juillet, dix-huit sujets des plus robustes : il en régnait une pareille vers Pavilly, à l'autre extrémité de la même vallée.

En 1774, des fièvres malignes enlevèrent encore bien du monde dans les environs, elles étaient accompagnées d'une éruption milliaire, non critique, quelques-unes se terminèrent par un dépôt sous l'aisselle ou à l'aine.

En 1775, des petites véroles, sans accidents. Mais on vit dans la vallée des Vieux beaucoup de fièvres continues rémittentes en double-tierce dont les accès prenaient quelquefois 48 heures de durée avec délire. Beaucoup se terminèrent par des obstructions, l'œdème et l'hydropisie qui ne furent pas toujours incurables.

Pendant l'été de 1776, une fièvre putride, pétéchiale et vermineuse faisait quelques ravages dans la paroisse de Jumièges et dans ses environs, les malades tombaient dans la surdité du 4 au 7e jour.

En 1776, beaucoup de fluxions de poitrine, avec une éruption milliaire-exanthématique, qui a sauvé tous les malades. Dans l'hiver qui a suivi, des toux quinteuses et catarrhes suffocants, qui ont enlevé beaucoup d'enfants et la petite vérole, souvent confluente qui n'a pas été meurtrière.

L'air de Duclair est brouillardeux en automne, et cependant assez salubre. On y voit quelques octogénaires, et vieillards au-delà de cet âge se portant encore bien. Ce bourg contient au plus trois cens feux.

Au-dessus de Duclair, la Seine décrit une ligne courbe; d'où elle se porte à plus de 8000 toises en avant au Sud , pour former la grande anse qui englobe la forêt de Roumare en entier. Cette forêt en occupe toute la portion Orientale, et le centre en plus grande partie. C'est au-dessus de la chaîne des montagnes, qui bornent le lit de la Seine, au Septentrion, que se trouve assise, en plaine, la paroisse d'Hénouville. Elle voit sous elle une portion de bois, à mi-côte, du côté de l'Ouest et du Sud-Ouest ; la plaine à l'Est et au Septentrion.


Au siècle suivant, la vaccination sauvera quantité de vies humaines. Le Dr Cavoret, 3e du nom, obtiendra de nombreuses récompenses pour son action.
Dans l'été de 1776, la paroisse d'Hénouville, et quelques lieux voisins, virent régner épidémiquement les angines catarrhogangréneuses, qui frappèrent sur la classe des enfants la paroisse de l'âge le plus tendre et en enlevèrent un très grand nombre, près d'une quarantaine, dans cette paroisse. Les plus jeunes périssaient du catarrhe suffoquant, les poumons et l'arrière-bouche engoués d'une croûte épaisse, blanchâtre et fort tenace. Ceux de 6,7 ans éprouvaient quelquefois des éruptions scarlatines, avec la phlogose gangréneuse des amygdales, une diarrhée colliquative, les hoquets, les convulsions Ils rendaient aussi des vers et mouraient sphacélés.

On n'a point demandé de secours dans tous ces Villages et si quelques Chirurgiens y ont été appelés, ce fut presque toujours trop tard ; d'ailleurs ils ne pouvaient absolument faire avaler aucun médicament à ces infortunés enfants
.

Derrière la forêt se trouvent logés, à l'Ouest et au Sud-Ouest, plusieurs hameaux et petites paroisses. Mais on y remarque plus essentiellement le bourg de S. Georges avec l'abbaye de S.-Martin de Bocherville. Il y régna, dans l'hiver de 1775 à 1776, une maladie épidémique fort effrayante dont on trouvera l'histoire, l'invasion , les progrès et la terminaison dans la constitution de cette saison...

Ce bourg est situé dans un fonds, partie marécageux et en partie sablonneux, dont l'ouverture s'étend depuis le Sud jusqu'à l'Ouest Nord-Ouest. Dans cette partie se trouvent la Seine et des marais. Le Septentrion et l'Orient sont bordés de hautes montagnes à travers lesquelles vient cependant un courant de l'Est par une cavée à mi-côte qui débouche sur l'abbaye. Cette autre portion est garnie de bois, et couverte derrière les montagnes par la forêt de Roumare. 

La maladie avait commencé dans la portion du Village qui s'étend au Sud dans le temps que la haute Province était surchargée de brouillards fétides qui venaient du Sud-Est et après Noël, l'épidémie passa dans l'autre portion, vers le Couchant, au-delà de l'abbaye."

SOURCES

La communauté des chirurgiens de Rouen, François Hue.
Collecion d'observations sur les maladies et constitutions épidémiques.
Délibération du chapitre de Jumièges : ADSM 9H37