Ils craignaient que le ciel leur tombe sur la tête ! Ces gens vivaient au pied de l'abbaye. Et regardaient d'un mauvais œil les choucas virevolter autour des clochers éventrés. Comme des oiseaux de mauvais augure...


Le 26 mai 1823, sept habitants de Jumièges adressèrent au préfet une pétition. Il ne s'agissait plus de sauver l'abbatiale alors déjà démolie, gisant en ruines, mais de se protéger contre la chute des toits de ses clochers, ces deux admirables tours qui faisaient toujours la fierté des gens de Jumièges.

Les pétitionnaires étaient de proches voisins. Déjà, leurs propriétés avaient souffert de la chute de débris. Le plus inquiet était Le Painteur, secrétaire greffier de la mairie. En signant la supplique, il ajoute qu'il craint que les archives de la commune, déposées dans sa maison soient ensevelies sous les décombres des clochers. Les archives. Mais surtout lui-même et sa famille. Il est tombé récemment de lourdes ardoises. 

La mairie était alors aménagée dans une dépendance de l'abbaye. 

Hardi, autre signataire, membre de la Légion d'honneur et un troisième pétitionnaire, dont le nom est illisible, se disaient eux aussi particulièrement exposés, leurs maisons étant voisines du « local de la mairie ». 

Mais il y avait encore Couturier, Pelletier, Fournier, la veuve d'Epouville et Vesmes (?), tous propriétaires ou locataires d'immeubles bâtis à l'ombre de nos deux tours gémétiques qui se délabraient de plus en plus. 

Divers ouragans

Que disent exactement nos pétitionnaires au préfet ? Leur texte est intéressant à plus d'un titre. « Ils ont l'honneur de vous exposer que, voisins des ruines de l'abbaye, ils sont menacés journellement de désastres et de malheurs qu'ils veulent éviter. 

« Les toits des clochers sont dans un tel état de vétusté qu'il est étonnant que la chute n'en ait pas eu lieu dans divers ouragans qui se sont passés depuis quelques mois. 

Un demi-pouce d'épaisseur !

« Cependant, ils ont résisté à leur violence mais il s'en est détaché un nombre considérable d'ardoises qui ont été jetées à des distances très éloignées et dont la chute a principalement endommagé la maison d'un nommé Couturier, un des signataires de la présente et qui pouvaient causer de grands malheurs, en songeant que la plupart de ces ardoises ont un demi-pouce d'épaisseur. 

D'anciens désastres

« Il est urgent de faire faire la restauration de la couverture de ces mêmes clochers, sans quoi le pays, déjà malheureux par d'anciens désastres, est à la veille d'en éprouver de nouveaux. 

« Le sieur Couturier, un des signataires, a eu l'honneur de vous présenter précisément une pétition pour en réclamer la restauration, sous la foi qu'il a encore que ces clochers appartiennent au gouvernement, mais il paraît, Monsieur le préfet, d'après les dires que le possesseur actuel du reste des débris, passe pour avoir en propriété ces mêmes clochers. 

Un amer pour les marins

« Une chose à vous observer, Monsieur le préfet, c'est qu'il existe une croyance générale dans le pays, qu'ils ont été réservés pour l'utilité de la marine, parce que c'est sur eux que se guident les marins pour éviter les roches dites les Meules qui se trouvent avant d'arriver à Guerbaville (Mailleraye), passage extrêmement dangereux mais malheureusement la députation qui fut alors à Paris et dont la demande fut accueillie n'a rien rapporté ou du moins on n'a rien conservé dans le pays qui constate les résultats de sa mission. 

« Cependant, jusqu'alors, les divers propriétaires de l'abbaye ont épargné les clochers malgré que tous les autres édifices ont été continuellement voués par eux à la destruction. 

« Mais qu'importe, quel qu'en soit le propriétaire, il est la plus grande urgence qu'ils soient réparés sous le plus bref délai ou qu'il soit avisé aux moyens d'éviter aux soussignés les malheurs qu'ils redoutent. 

« C'est pourquoi, Monsieur le préfet, les soussignés ont recours à vous et vous supplient de bien vouloir accueillir favorablement leur demande. 

« Présenté à Rouen le 26 may 1823, suivent les signatures des pétitionnaires avec leurs courtes déclarations personnelles.»

QUIZZ

Quelle est la conclusion de cette histoire ? Deux dates sont avancées pour la disparition des clochers. Elles demandent à être précisées...

1829.  Le clocher sud est abattu.
1859. Le clocher nord s'effondre.


Source

Manuscrit inédit de l'abbé Maurice.