Par Laurent QUEVILLY.


Avant l'arrivée du train, des bicyclettes, des automobiles et des cars, la diligence était, au XIXe siècle, le moyen de déplacement de nos pères entre Rouen et Duclair. Refaisons le trajet en voiture à cheval grâce à des textes d'époque...

  
L’établissement des messageries royales est dû à Louis XI qui fonda ce service au mois de juin 1464. Pour son seul bénéfice, et le monarque enjoignait « aux maîtres de courriers de ne bailler aucuns chevaux à qui que ce soit sans le mandement du roi, à peine de la vie». En s'ouvrant aux voyageurs, en multipliant le nombre de relais, ce service public n'allait atteindre son plus haut degré de perfection qu'au XVIIe siècle. Sur les principales routes de France, tous les quinze à vingt kilomètres, la poste aux chevaux était formée de relais dirigés par un maître de poste, lequel disposait de postillons et louait ses chevaux à partir d'un tarif officiel variant selon le type de véhicule, la distance parcourue, le nombre de passagers...
 
Comme le maître, le postillon était attaché à un seul relais dont le nom et numéro de rang figurait sur la plaque métallique portée au bras. Le postillon était monté sur le cheval de brancard à gauche. Arrivé au relais suivant, il dételait ses chevaux et les faisait « rafraîchir ». Il revenait ensuite au pas à son relais d'origine avec interdiction de mettre ses chevaux au galop.Si le maître de poste bénéficiait de privilèges fiscaux, de terres à ferme, il avait aussi des contraintes. Une lumière devait briller toute la nuit dans l'écurie et un postillon rester de garde afin de ne pas faire attendre les courriers. En dehors de routes de poste, les déplacements à cheval avaient leur professionnels. Chez nous, le cocher le plus ancien qui nous soit connu est Robert Liberge. Le 26 mai 1670, il a 33 ans quand il épouse à Duclair une fileuse de dix ans sa cadette, Antoinette Petit. Mort aux Vieux en 1703, Pierre Seels, était le cocher particulier de la marquise d'Epinay. 
 La distance entre relais se compte en "postes", soit environ huit kilomètres. Les chevaux des relais sont marqués.
  
  Le relais des Vieux 


 
Un arrêt du Conseil du Roi, daté du 27 février 1589 crée un office de messager-voiturier de Rouen au Havre et du Havre à Rouen. Ce service sera surtout utilisé par l'administration municipale et par les négociants. Le trajet n'était pas sûr. En 1629, on autorisa le messager à porter des pistolets « en considération du danger et péril qu'il y a sur les chemins à cause des voleurs et vagabonds qui guettent les passants… » Jusqu'à la Révolution, le messager, affecté exclusivement au transport des voyageurs, paye un droit d'exploitation à la ferme générale des Postes qui contrôle tout le transport public. Il peut aussi véhiculer des paquets jusqu'à 25 livres. Au delà de ce poids, on devra confier ses colis aux rouliers qui eux sont libres. Enfin le courrier, lui, ne transporte que des dépêches.
 
  
  

La paroisse des Vieux était dans notre région le siège du premier relais de poste sur la route de Rouen au Havre dont le tracé correspond à l'ancienne voie romaine. On le voit apparaître ici sur cette carte de 1689. Mais en a-t-il été toujours ainsi ? Une carte de 1632 reproduite ci-dessous montre La Vaupalière comme premier relais puis Sainte-Marguerite et non les Vieux. Cette configuration est confirmée dix ans plus tard. Puis La Vaupamière et Sainte-Marguerite disparaissent des cartes au profit des Vieux.

   En 1653, les négociants havrais se plaignent de la désinvolture des courriers. Un expéditeur dit avoir remis une lettre contenant deux Louis d'or qui n'est jamais parvenue à son destinataire à Rouen.
  

Doublé d'un auberge, le relais des Vieux, dit encore des Vifs, des Vieufs, sera longtemps tenu par la famille Blondel. Font halte ici les voyageurs mais aussi les messageries. Les maîtres de poste sont aussi souvent agriculteurs, la location de leurs chevaux ne couvrant pas toujours les frais d'entretien des animaux. Aussi bénéficient-ils de certains privilèges fiscaux. 

 

En 1741, une carte figure le relais des Vieux sous les nom des "3 Cornets". Est-ce l'enseigne de l'auberge où officient Louis-François Blondel puis son fils ? A cette époque, malgré des injonctions répétées envers les riverains pour veiller à l'entretien des chemins, une mauvaise réputation frappe ceux de Rouen au Havre, « lesquels, se plaint le procureur du roi, sont devenus tellement impraticables, que les carrosses et fourgons et ceux qui courent la poste soit à cheval soit en chaise ne peuvent y passer sans de sérieux dangers, à cause de la profondeur des ravines. » Le duc de Choiseuil ajoutera encore plus tard : « Ils sont devenus si mauvais, depuis 1756, qu’on a cessé de les entretenir, qu’ils sont presque impraticables et qu’on ne peut y conduire aucune simple chaise sans y mettre trois chevaux.»

 

Sous l'ancien régime, en 1758, un Jean-Baptiste Moret, cocher, est parrain chez Jean-Baptiste Perrier, aubergiste à Jumièges. 

 

C'est à cette époque qu'apparaissent les grandes diligences. Trois places de luxe sont à l'avant dans le coupé. Au centre, l'intérieur compte deux banquettes. Enfin, on accède par le cul de la voiture dans la rotonde. 

 

Le relais des Vieux apparaît une dernière fois sur une carte de 1759.  Deux ans plus tard, le père Blondel est toujours attesté comme maître de poste. Mais pour aller de Rouen au Havre on ouvrit une nouvelle route de poste passant par Barentin, Yvetot. Bolbec, Saint-Aubi-Routot. Guillaume François Blondel, maître des postes royales au Vieux obtint son transfert au nouveau relais de Barentin le 25 septembre 1768. Un an plus tard, Blondel fils compte quatre postillons et douze chevaux. Doté d'une auberge, le relais de Barentin apparaît sur une carte de 1770 où l'itinéraire par les Vieux et Caudebec ne figure plus. En revanche, on y voit un relais de poste à La Mailleraye sur une route allant d'Yvetot à Pont-Audemer et Bourg-Achard. Ce relais de poste de la Mailleraye a été voulu par les seigneurs du cru et venait alors d'être mis en service. Il était attenant à une auberge tenue jusque là par le sieur Douche et qui vint à mourir. Elle avait pour enseigne "La Place Victoire". Dans le logement nouvellement construit, on pouvait y mettre une vingtaine de lits. Le propriétaire était Duvrac Le Jeune.   

En 1769. on note un postillon du nom de Charles Sehet, à Villers-Chambellan, aujourd'hui Villers-Ecalles. Peut-être un employé du relais de Barentin. Trois ans plus tard, en 1772, Denis Nicolas Sehet se signale pour exercer le métier de voiturier au Trait. A Saint-Paër, en 1781, Jean Joseph Delesque est aussi cocher. 1786 voit Louis XVI faire halte à Barentin et les chevaux de Maître Louis Blondel servent à rafraîchir le cortège royal. Mais la Révolution s'annonce. En octobre 1788, Blondel siège à l'assemblée départementale parmi les représentants du tiers-état. On retrouvera son nom dans les cahiers de doléances.

 

En 1790, le dernier budget de l'abbaye de Jumièges consacrait toujours un chapitre aux "ports, lettres et commissions". Des sommes minimes sont versées "au postillon et au commissionnaire de Duclair" pour les lettres et paquets, parmi lesquels 29 pots de beurre d'Isigny. En 1790, à Duclair, le sieur Georges Guillaume Nicolas Blard exerce la profession de messager. C'est donc lui qui est chargé de porter des colis d'une localité à une autre. En 1793, précise l'Almanach des gens de goût, place Notre-Dame, à Rouen, "le messager de Ducler arrive les lundis, mercredis & vendredi et part les mêmes jours." 

 

 A Guerbaville, on conservait le souvenir de Pierre Duvrac, cultivateur et maître de poste à La Mailleraye qui, en 1791, avait produit une pétition relative aux décrets sur les successions et qu'il vint exposer à la Convention.

 Par route, par eau... 
 

Pour toute concurrence, les attelages avaient à l'époque les coches d'eau exploités par des particuliers. Dès la seconde moitié du XIVe siècle, un service de voitures d'eau fonctionnait entre Rouen et Elbeuf, Les Andelys, le Val des Leux, la Bouille, Caudebec, Saint-Ouen, Jumièges, etc. La voiture d'eau de Rouen à Duclair et Caudebec appartenait en 1670 à Pierre Le Saint et transportait surtout du blé et des boissons. l'Almanach de 1793 indique que la voiture de Duclair "arrive les mercredis & repart le samedi".

 

Et puis il y a les diligences nationales par eau de Caudebec et Duclair : "Celle de Ducler part de Rouen les Samedis, arrive à Ducler les Lundis ; repart de Ducler les Mardis & arrive à Rouen les Jeudis fuivants. Ceux qui defireront charger des marchandifes fur ces Diligences, pourront s’adreffer chez le citoyen Lemarchand, à l’Hôtel de la Romaine, Porte Haranguerie, ou au Bureau defdites Diligences tenu par la citoyenne veuve Agas & le Rommois, fur le port, vis-à-vis la Romaine à Rouen. On porte les marchandifes à prix raifonnable." 

A cette époque commencent à circuler les malles-postes conduites par un courrier. C'est une façon, pour l'administration postale, de faire concurrence aux voitures publiques. Outre la cabine aux sacs postaux, un coupé de 3 ou 4 places accueille les voyageurs qui payent plus cher qu'en diligence. On peut circuler au galop, privilège des maîtres de poste. Au relais, la malle-poste est prioritaire sur la diligence. 

 

En octobre 1795, la Révolution instaure la liberté des communications. Nombres d'entreprises de transport se créent. En 1796, on comptait un voiturier à Saint-Pierre-de-Varengeville en la personne de Jacques-Philippe Leclerc. Celui-ci fit une demande de passeport révolutionnaire le 2 germinal de l'an 4 (22 mars). C'était un homme de 38 ans, haut de 5 pieds 8 pouces, cheveux et sourcils noirs, yeux gris, nez long, bouche moyenne, menton allongé pointu, front large, visage long et une couture à la joue gauche,

 

La loi du 9 vendémiaire de l'an VII (30 septembre 1898), livre les messageries au privé. Du coup, les relais se vident, l'État y perd. Alors, le 6 mars 1805, on taxe les entrepreneurs de voitures publiques qui n'empruntent pas les chevaux des maîtres de poste. Elle est fixée à 25 centimes par cheval et par poste. 

 

Si la route de poste de Rouen au Havre via les Vieux n'existait plus, le trajet était emprunté par des voitures publiques. Le vendredi 8 mai 1807, le Sr Lacheray prévient le public que, pour satisfaire au désir des voyageurs et habitants du pays de Caux, il vient d'établir des cabriolets qui partent tous les jours de Rouen pour Caudebec, à 2 heures après midi et de Caudebec pour Rouen à 7 heures du matin. Le prix des places et celui du transport des marchandises sont très modérés. S'adresser à Caudebec chez le dit sieur Lacheray, place de l'Ecu, et, à Rouen, chez le sieur Appey, bureau des diligences, rue du Bec.

 

En 1808, l'Entreprise générale des Messageries impériales, dont les bureaux étaient rue des Carmes, à Rouen, faisaient partir chaque jour des voitures pour Le Havre mais aussi Caudebec et autres destinations...

 

A Guerbaville, un cocher nommé Pierre Nicolas Herondelle est attesté sous Napoléon. Le 2 septembre 1816, un Brevet de Maître de la poste de la Mailleraye est attribué " Au Nom de sa Majesté le Roi de France et de Navarre" à la veuve Petit et son fils "pour remplir la place de Maîtres de la poste aux chevaux de La Mailleraye, route d'Yvetot à Lisieux, à la charge pour eux d'avoir le nombres de postillons, chevaux et équipages prescrits pour le service de ce relais"

  
  

Thomas Frognall Dibdin, 4 mai 1818

 

Ainsi donc, le 4 de ce mois, entre dix et onze heures du matin, la cour de l'hôtel Vatel résonna sous le fer des chevaux, et les échos de la maison répondirent au fouet du postillon. Les habitués ordinaires de la porte d'un hôtel, y compris les curieux, assistaient à notre départ. Au plaisir de vous revoir.

 

— Bon voyage; on n'entendait plus que cela autour de nous, avec d'autres exclamations de cette nature.

 
 

Vers onze heures, nous partîmes au grand trot, vers les barrières par où nous étions arrivés à Rouen. Nous avions un postillon passé maître dans son emploi. Le repos semblait être, pour ses éperons et son fouet, un état contre nature. Nos chevaux, bons normands, étaient un peu fougueux; et comme un postillon français n'admet pas que le pavé soit un motif de ralentir sa marche le moins du monde, nous brûlâmes celui des rues, profondément frappés de cette idée, que nous allions découvrir mille points de vue admirables jusqu'au Havre, terme de notre voyage dans le cabriolet. (...)  

 

Arrivés aux barrières, nous tournâmes à gauche, ayant la grande route du Havre plus en face. Nous voici tout de bon en voyage. Avant d'atteindre la première côte, vous traversez Canteleu, village extrêmement pittoresque, parsemé de moulins à eau, et vivifié par un ruisseau rapide, qui, après cent détours, va se jeter dans la Seine. Vous commencez bientôt à gravir cette majestueuse éminence, au haut de laquelle se trouvent çà et là parsemées quelques unes des maisons de campagne qu'on aperçoit de la montagne Sainte-Catherine. La route est d'une belle largeur. Cependant la chaleur se faisait sentir ; nous mîmes pied à terre, afin de laisser nos chevaux respirer plus à l'aise, et nous montâmes paisiblement la côte. M. Lewis nous devança, prit position, mesura cette courbe magnifique décrite par la Seine, jeta un coup d'œil sur les tours et les clochers de Rouen, à une faible distance devant lui, atteignit son crayon toujours prêt, et, dans un moment d'enthousiasme, reproduisit l'ensemble de cette scène enchanteresse. La voilà dans son portefeuille.
 

 
 

 
 
 

Nous remontâmes en voiture, après avoir permis au postillon, sur sa demande, de regarder le dessin, qu'il déclara trouver charmant. J'aime la curiosité de cette espèce, quand elle ne frise pas l'impertinence, et je soupçonnai fortement que notre homme n'était pas d'une trempe ordinaire. Notre première halte eut lieu à Saint-George de Boscherville, ancienne abbaye du douzième siècle (sic).

 

Les arbres sans nombre qui bordent la route, depuis la montagne de Canteleu jusqu'à ce village, étaient alors en pleines fleurs, exhalant dans les airs plus de parfums, pour ainsi dire, qu'ils n'en pouvaient supporter. Le pommier et le poirier brillaient entre tous les autres ; et, comme le ciel devint encore plus serein, la température plus douce, le soleil plus brillant, il est impossible d'imaginer une atmosphère plus embaumée, un aspect plus délicieux, une journée plus aimable.

 

Nous accusions la rapidité des minutes, lorsque nous arrivâmes à Saint-George, siège de l'église, relique principale d'une abbaye jadis florissante. Nous descendîmes à l'auberge, et, pendant que nos chevaux, aussi-bien que notre postillon, déjeunaient, nous sortîmes pour aller goûter d'un mets d'une autre espèce. Nous suivîmes une rue en pente sur la gauche, ombragée de rameaux qui se croisaient en berceau sur nos têtes. Nous pressâmes notre marche, toujours appuyant sur la gauche, et nous aperçûmes bientôt, à travers les arbres , et à peu de distance, le vénérable monastère (...)

 

Nous revînmes à l'auberge ; les chevaux nous attendaient ; le cabriolet était prêt à nous recevoir ; nous montâmes, et le postillon fouetta pour Duclair.

 La journée était encore plus aimable, s'il est possible, qu'auparavant. En jetant les yeux sur mes instructions, je trouvai que nous devions visiter, en passant, les restes d'un vieux château à La Fontaine, hameau situé à environ deux milles anglais de Saint-George. Ces restes, cependant, ne sont que des fragments de ruines, si je puis m'exprimer ainsi: elles offrent néanmoins quelque intérêt, mais ne sont pas non plus sans danger. Des portions de murs à moitié rompus sont l'unique soutien d'une chambre où se trouve une cheminée doublement curieuse par sa construction et les ornements qui la décorent. Dans le court espace de dix minutes, M. Lewis en fit une esquisse légère, mais caractéristique.
 
 

Je dis que ces fragments ne sont pas sans danger; en effet, plusieurs parties, notamment le plancher supérieur de cette chambre, formé de cailloux et de mortier, ont perdu leur aplomb, et menacent de tout écraser au-dessous d'eux. Apercevant une large ouverture ou lucarne, à la hauteur moyenne du mur extérieur, j'y arrivai au moyen d'un lierre vigoureux qui tapissait la muraille, et découvris alors tout le paysage devant moi. Depuis quelque temps la Seine avait cessé de se montrer à nous ; mais je retrouvai, de ma lucarne, une vue admirable de ce fleuve majestueux qui s'élargissait de plus en plus dans son cours ; à gauche, et dans un lointain qui en adoucissait encore les nuances, paraissait l'antique et belle église que nous venions de quitter.   

La verdure des haies, des arbustes et des bois, tranchait d'une manière éclatante avec les pommiers aux fleurs de pourpre, et les poiriers aux fleurs de neige. Pour un peintre, ou plutôt, d'après les principes rigoureux de la peinture, il n'y avait rien dans ce paysage qu'un artiste eût jugé digne de son pinceau, parce qu'il n'aurait trouvé là ni premier plan, ni second plan, ni perspective. A tout prendre néanmoins, vous eussiez préféré cet aspect, même aux bois d'Hobbima, aux frais ruisseaux de Ruisdaèl, et aux riches herbages de Cuyp. J'avoue d'ailleurs que ce charmant paysage était redevable d'une grande partie de ses attraits au brillant azur du ciel et à la douceur de la température, j'avoue encore que les parfums exhalés par ces milliers de fleurs épanouies, ajoutaient infiniment au plaisir du spectateur ; mais il est temps de quitter cette élévation et de songer à gagner Duclair. 

   

Duclair est situé sur le bord même de la Seine, qui, en cet endroit, ressemble parfaitement à un lac. Nous nous arrêtâmes à l'auberge pour laisser reposer nos chevaux. M. Lewis, comme à l'ordinaire, alla chercher quelque position favorable où il pût exercer ses crayons. Moi, cependant, j'entrai en conversation avec l'aubergiste et sa fille, âgée d'environ vingt-deux ans, d'un extérieur fort distingué, et paraissant bien élevée. Elle allumait un grand feu de bois pétillant, pour faire cuire une alose, destinée aux voyageurs de la diligence qu'on attendait dans une demi-heure.  

Les Français n'imaginent pas qu'ils puissent jamais employer assez de beurre dans la préparation de leurs aliments. Un homme à tempérament bilieux eût été saisi de convulsions à la vue de l'énorme morceau de beurre que cette jeune et active cuisinière jugeait indispensable pour la coction de son alose. J'exprimai ma surprise ; la jeune femme se mit à rire , et ajouta qu'on ne pouvait rien faire dans la cuisine sans le beurre. Je vous dirai en passant que l'alose, qui rappelle un peu le goût de notre maquereau, est un gros poisson, délicieux, et que nous avions grand soin de demander pour la table d'hôte à Rouen. Dégagé des flots de beurre où il nage, ce poisson n'est pas seulement un mets délicat, c'est encore une nourriture très substantielle; je lui donne, sans balancer, la préférence sur tous les item gastronomiques de Juliana Berner et d'Isaac Wallon.

 
L'auberge est située sur le bord de la route, au pied d'une roche de terre calcaire assez élevée. L'autre bord du chemin est baigné par la Seine. Je pris une chaise et m'assis en plein air à côté de la porte, jouissant ainsi de la brise, et fort disposé à jaser avec le maître du lieu. Il s'en aperçut, s'approcha, et m'aborda d'un ton de familiarité assez plaisant. « Vous êtes de Londres, monsieur ?
 

— Oui.
 — Ah ! monsieur, je ne pense jamais à Londres sans éprouver beaucoup de chagrin.
 — Comment cela ?
 — Monsieur, je suis l'unique héritier d'un riche banquier qui mourut en cette ville avant la Révolution. Il était l'associé d'un Anglais. Ne pourriez-vous m'aider, en cette occasion, de vos avis et de vos services ?
 — Je répondis que mes avis et mes services valaient, à la lettre, moins qu'une obole ; mais qu'enfin, tels qu'ils étaient, je les lui offrais de bon cœur.
 — Votre fille, monsieur, n'est-elle pas mariée?
 — Non, monsieur, elle n'est pas encore épousée; mais je lui dis quelle ne sera jamais heureuse avant quelle le soit. 

 
 

Sa fille, qui avait prêté l'oreille, fit quelques pas vers nous, puis, tournant la tête, répliqua d'un air plein de malice : Ou malheureuse, mon père ! Dans la suite de l'entretien, le bon aubergiste parut oublier tout-à-fait son désappointement douloureux de ne pas succéder comme héritier au riche banquier de Londres. Je suis loin cependant de l'accuser de forfanterie.... Mais les Français sont d'admirables maîtres en fait de variété. Dans les sujets ordinaires de discussion, leur langage passe aussi rapidement que la flèche d'un Indien, From grave ta gay, from lively to severe. Du grave au doux, du plaisant au sévère.

 

Les chevaux étaient rafraîchis; le fouet du postillon éveilla les échos du lieu, et obligea M. Lewis de quitter la retraite paisible d'où il dessinait quelques vues. On nous pria de monter, et quoique nous n'eussions pas dépensé un sou chez les bonnes gens de la maison, ils nous aidèrent à nous placer dans le cabriolet, et nous dirent cordialement adieu. Comme je demandais la route de Jumièges : « Ah ! vous voulez donc voir, messieurs, cette fameuse abbaye ? maintenant il n'en existe que les débris, » se mit à dire le verbeux aubergiste. Je le remerciai de sa politesse, lui souhaitai, ainsi qu'à sa fille, toute sorte de bonheur ; et nous partîmes au grand trot pour cette abbaye de Jumièges autrefois si fameuse...

 Les voituriers de Duclair 
 

En 1818, Jean-Ferdinand-Robert Desmarest, aubergiste, natif de Saint-Paër, fonda sa maison sur les quais de Duclair. Il venait juste de se marier avec Désirée Pélagie Lalouette. 

Desmarets entrait ainsi en concurrence avec un autre aubergiste-voiturier, Louis-Bathélémy Damamme. Peu de temps comme on va le voir. En 1920, devant la multiplication considérable des entreprises de voiturage, les accidents, le non respect des règles donne lieu à des accidents et le pouvoir royal fut amené à réagir. Tous les propriétaires furent obligés de détailler leur activité en préfecture et leurs véhicules inspectés dans les chefs-lieux de canton.  

A 46 sans, veuf depuis six mois, Damamme vint à mourir le 7 novembre 1820. Aussitôt, ses héritiers mirent en vente, par l'entreprise du greffier Queval, les cinq chevaux et les voitures de Damamme. Sa famille était présente de longue date à Duclair. Lui, avait vu le jour à Aulnay et s'était d'abord établi comme marchand.

 

A Duclair, le voiturage devint dès lors une affaire familiale pour Desmarest. Car sur la place du marché, son beau-frère, François-Alexandre Lalouette, dit Bernard, mit en service, le 1er juillet 1822, une diligence Célérifère à quatre roues, suspendue, réunissant l'élégance à la solidité "et dont les commodités ne laisseront rien à désirer à MM. Les Voyageurs". Lalouette se chargeait aussi du transport des marchandises. Les départs de Duclair pour Rouen avaient lieu les lundis, mercredis et vendredis à 6h du matin et 7 h en hiver. A Rouen, la diligence descendait son monde à l'auberge Villard, 50, place du Vieux-Marché. 

  

Modèle d'été de la diligence Célérifère utilisée par M. Lalouette sur la place de Duclair. Elle a été importée d'Angleterre dès 1816 par Jean-Henri de Sievrac. Les Lalouette descendaient de Bernard, originaire de Clermont-en-Guyenne, époux de Marie Desmoulins et mort à Duclair en 1762. Quelques mois avant d'étrenner sa Célérifère, François-Alexandre Lalouette s'est marié avec Adélaïde Populaire Planquette.

 

L'été de 1822 fut comme celui de 1821 : chaud et mortel pour les chevaux. Le Journal de Rouen dispensait des conseils pour éviter ces coups de sang.

 

En mai 1823, le château du Taillis est à louer, au hameau de Saint-Paul. On précise que diverses voitures publiques passent à proximité.

 

Oubli ou vol ? Le jeudi 17 juillet, il a été pris ou perdu, à la voiture de Rouen à Caudebec, un SAC DE NUIT, rempli de hardes, linge et autres effets. Il contenait aussi un PORTE-FEUILLE, où sont quarante à cinquante feuilles d'écriture, la grande majorité au net, le reste au brouillon. On prie instamment ceux qui auraient ledit sac en leur possession, n'importe à quel titre, de faire remettre le Porte-Feuille et ses papiers à Rouen, rue Morand, N° 8, on à Caudebec chez M. le curé les papiers ne pouvant être d'aucune utilité à ceux qui les retiendraient, et étant d'un grand prix pour le propriétaire.

 

Le 15 août 1823, MM Guéroult et Cie mirent en activité des berlines à quatre roues "sur ressorts bien perfectionnés". Elles allaient chaque jour de Rouen à Paris mais aussi au Havre par la route dite d'en-bas et passaient donc par Duclair, Caudebec... A Rouen, les bureaux étaient à l'Hôtel de France, rue des Carmes, en face de la Poste aux lettres. Le départ avait lieu à 7h et demie du matin. Le mois de novembre suivant, la compagnie insistait sur la qualité de ses berlines, très bien suspendues sur ressort et "joignant à beaucoup de sécurité pour les voyageurs une grande célérité due aux mesures prises pour l'exactitude du service." Le 1er janvier 1824, la compagnie fit partir de Rouen pour Le Havre, à 15h, un cabriolet assurant le service des dépêches. On se chargeait aussi du transport des marchandises, finances, valeurs en papier et recouvrements. La fréquence des voyages et des envois permettaient de réduire le prix des places.

 

En 1824, à Rouen, de nombreuse entreprises de transport livrent une rude concurrence aux grandes sociétés de messagerie. Elles ont pour nom le Célérifère, L'Eclair, l'Hirondelle, l'Impulsive, les Jumelles, le Vélocifère... Il part chaque jour une trentaine de véhicules vers différentes destinations. En 1790, une seule voiture allait à Paris en deux jours. Aujourd'hui, elles sont dix qui mettent deux fois moins de temps. L'Annuaire statistique de la Seine-Inférieure décline les nuances entre les différents véhicules parcourant nos routes : les diligences, les voitures, les malle-postes, les Célérifères, les berlines, les Jumelles, les Vélocifères....

 Pierre Maillet, maître de poste à Duclair

Depuis la création d'un relais de poste à Barentin, en 1768, l'ancienne route de Poste par Duclair et Caudebec avait été abandonnée par l'administration. Ce qui n'empêcha pas Bonaparte d'emprunter cet itinéraire en 1802 . Sous la Restauration, on décida son amélioration. Ce qui détermina la création d'un nouveau relais à Duclair. Il entra en service le 1er juin 1824 avec Maître Maillet, époux d'Eulalie Prud'homme. C'est le fils du maître de poste de Forges-les-Eaux. 

 

 
 

Annonce parue dans le Journal de Rouen du lundi 7 juin 1824.

 

Le 15 mai 1824, un article du Journal de Rouen nous renseigne sur l'état des routes : "Depuis quelque temps déjà, la nouvelle route de Rouen au Havre par Caudebec a été achevée et livrée à la circulation de Rouen jusqu'à Lillebonne. Nous nous empressons d'annoncer que, sur la demande de M. le Préfet, l'administration générale des postes vient de régler le service et l'établissement de nouveaux relais ainsi qu'il suit : de Rouen à Duclair, 2 poste 1/4, de Duclair à Caudebec, 1 3/4, de Caudebec à Lillebonne 1 3/4, de Lillebonne à Bolbec, 1 3/4. Cette dernière distance étant à peine d'une poste, il a été décidé que la communication de Caudebec à Bolbec aurait lieu directement en attendant l'achèvement de la prolongation de la route sur la Botte, au-delà de Lillebonne par Saint-Romain. On différera en conséquence de monter le relais de Lillebonne jusqu'à cette époque. Par la même décision, les brevets de ces trois relais ont été accordés, savoir : celui de Duclair au sieur Pierre Maillet, fils du maître de poste de Forges-les-Eaux, celui de Caudebec au sieur Sampic, déjà titulaire du relais d'Yvetot et celui de Lillebonne à la dame Veyrène, maîtresse de poste à Bolbec".

   

Le relais de Duclair apparaît sur une carte de 1825 avec un tracé parallèle à celui de Barentin et passant par Caudebec, Lillebonne, Bolbec, La Botte et Le Havre. Les relais étaient installés en moyenne de sept en sept lieues, soit 28 km, distance qu'un cheval peut parcourir au galop ; un cavalier pouvait ainsi parcourir près de 90 km par jour. Des employés des relais, les postillons, ramenaient les chevaux. Le titre de maître de poste s'obtenait par l'achat de cette charge qui donnait lieu à un brevet. Dans la plupart des cas, le brevet reste au sein du patrimoine familial, la charge de maître de poste se transmettant du père au fils ou de l'époux défunt à la veuve. La possession de ce titre conférait à son titulaire, dans l'Ancien Régime, certains avantages : ils ne dépendent pas de tribunaux de droit commun, ils bénéficient d’exemptions et de privilèges, ils sont exemptés de la taille.
 Les maîtres de poste étaient très souvent, également aubergistes et cultivateurs. Ils employaient un important personnel, bénéficiaient d'une certaine aisance financière et étaient considérés comme notables.

 
Vaysse de Villiers, 1824
 

J'ai quitté à Rouen ma voiture de poste pour prendre la diligence, afin de trouver de nombreux compagnons de voyage, parmi lesquels j'en devais naturellement rencontrer quelques-uns plus ou moins au fait des localités que j'allais parcourir.

 

Cette messagerie nous a rapidement conduits de la rue des Carmes au quai de la Bourse, qu'elle a suivi ensuite jusqu'à la longue avenue du Mont-Riboudet, on il se termine. Plus loin, on traverse le village de Bapeaume, espèce de faubourg de Rouen, au sortir duquel le conducteur a soin de vous inviter à descendre, pour gravir à pied la montagne de Canteleu, et l'on juge qu'il a bien raison, en voyant l'extrême rapidité de la rampe et du tournant qui se présentent an commencement de cette montée, considérablement abrégée par un sentier plus rapide encore, destiné aux piétons.

 


 

 

Étroit, raboteux et ombragé, il pénètre à droite dans un profond ravin, où s'enfoncent les voyageurs devenus autant de piétons eux-mêmes, jusqu'à ce qu'ils rejoignent la diligence, au sommet de la côte. La montée, qui est d'un quart de lieue pour eux, est d'une demi-lieue pour ceux qui restent dans la voiture. Ceux-ci découvrent des points de vue magnifiques sur la vallée de la Seine; les autres en sont dédommagés par la double perspective de la ville de Rouen et de la vallée de Déville, mais plus encore peut-être par le ton sauvage et solitaire, la fraîcheur et l'ombrage, enfin la nature brute et montagneuse de ce tortueux sentier.

 

La perspective reçoit un plus grand développement au sommet de la côte, où l'on rejoint sa voiture. On y longe, à gauche, un parc au milieu duquel se montre, à travers les arbres, le château de Canteleu, regardé comme un des plus agréables de France, par son heureuse situation sur une hauteur boisée qui domine la vallée de la Seine. Le point de vue embrasse Rouen et Elbeuf. Ce château appartenait, lors de mon passage en 1824, à M. le Couteux-Canteleu, pair de France, qui eut l'honneur d'y recevoir S. A. R. Madame, duchesse de Berry, pendant son court séjour à Rouen dans l'été de la même année. Ce fut au moment de notre retour du Havre; elle partait de Rouen, nous y arrivions.

 

On laisse, une demi-lieue plus loin, du même côté et à une plus grande distance de la route, l'ancienne abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville, dont l'église et la salle capitulaire, monuments du XIe siècle, méritent d'être visitées. Le gouvernement n'a pas dédaigné de contribuer à sauver d'une ruine inévitable ces restes de gothicité, précieux par la richesse et la singularité des sculptures. M. Charles Nodier en a fait une description brillante et détaillée dans son Voyage romantique en Normandie.

  En face de ce monument, la route quitte le plateau montagneux et infertile sur lequel elle s'est élevée, pour regagner, par une longue descente, les rives de la Seine, ou plutôt c'est la Seine qui, après un long circuit, regagne elle-même le pied de la colline et le bord de la route, dirigée en terrasse sur la droite de ce fleuve durant une lieue. La vallée abonde plus que jamais en belles perspectives.

 

Duclair est un bourg de deux mille habitants. Il consiste dans une haie de maisons rangées le long de la route et adossées à un coteau escarpé, qui la domine d'un côté, pendant que la Seine la baigne de l'autre. Les roches crétacées dont se compose ce coteau présentent des formes bizarres, quelquefois des masses imposantes. Il en est une qu'on a baptisée Chaire de Gargantua, à cause de sa forme de chaire à prêcher et de son énormité.
 

Ailleurs on croit voir des tours, des châteaux ruinés, de vieilles fortifications; on ne voit que des rochers de craie, au milieu desquels se montrent de temps en temps quelques-unes de ces grottes habitées, de ces espèces de casemates qu'offrent en si grand nombre les bords de la Loire, dans la Touraine et le Saumurois.

  

En 1826, Sainte-Marguerite-sur-Duclair avait son voiturier en la personne de Jean-Jeanne Ponty. Il figure parmi les créanciers du sieur Bataille fils, ex-constructeur de navires à Guerbaville. A Caudebec, on connaissait Étienne-Julien Saunier.

 

En 1827, un règlement imposera sur les diligences un frein manœuvrable par le conducteur. Si bien que les Postillons deviendront bientôt cochers. Toujours en 1827, Jacques-Esprit Tuvache établit une voiture publique à prix modéré pour assurer le service entre La Mailleraye et Rouen. Elle part du bac du Trait à 5 h 30 et de Rouen à 15 h 30 tous les jours de la semaine sauf le mardi, jeudi et dimanche. Les bureaux sont chez Vautier, au passage de la Mailleraye, chez Duval, aubergiste de la place du Vieux-Marché... Tuvache louait aussi une voiture à volonté de six places et des chevaux. Fils d'huissier, il était né à Duclair et mourut à 40 ans, le 21 mars 1829, laissant Perpétue Morin pour veuve. La famille Tuvache était originaire de Jumièges où elle était propriétaire sous l'ancien régime. Quelques mois avant sa mort, Tuvache et sa mère avaient vendu à Alexandre Honoré Dossier la ferme familiale d' Heurteauville avec droit dans la harelle.

 

3 février 1829. Nous avions raison de signaler soit la négligence des agents du nettoiement, soit l'insuffisance des moyens mis à leur disposition depuis le commencement des gelées. Par suite de l'une on l'autre de ces causes, un accident qui pouvait avoir des suites funestes est arrivé ce matin sur la place du Vieux-Marché.
 Des glaces et des immondices avaient été relevés en tas et, suivant l'usage, on ne s'était pas occupé de les enlever. Une des roues d'une diligence qui traversait la place à cinq heures du matin étant passée sur ce monticule à versé. Heureusement aucun des voyageurs qu'elle contenait n'a été blessé.
 Puisse cet exemple engager la police municipale à prescrire aux entrepreneurs du nettoiement à faire leur service avec plus de soin et, s'il le faut, leur adjoindre des auxiliaires temporaires pour tout le temps où les glaces continueront à obstruer les rues.

 Bloqués par la procession

En 1829, les Diligences Jumelles assuraient la liaison Rouen-Le Havre par la route du Bas, autrement dit par Duclair. Ses bureaux étaient au 21, rue du Bec. Les autres bureaux des diligences, sont situés Grande-Rue, rue et place des Carmes, rues Thouret, de Fontenelle et de la Savonnerie.

   Avec ses cinq chevaux disposés en arbalète, l'une des premières diligences à trois compartiments dessinée par Benard.
   
Le dimanche 1er juillet 1832, une des diligences venant de Rouen et passant par Duclair fut bloquée un bon bout de temps par une procession. Le curé, l'abbé Pierre Richer, bénissait ce jour-là un reposoir élevé dans le bourg. Un voyageur confia son mécontentement au Journal du Havre en termes alambiqués :  Jeudi 12 janvier 1832 Encore un accident , fruit de l'insouciance d'un conducteur des voitures publiques. Hier vers la fin du jour, un cabriolet de place dont les chevaux étaient , a cc qu'il parait , lancés au galop, a versé au bas de la côte de Bonsecours.
 
Le cocher a été renversé de son siège et horriblement mutilé par une des roues qui lui a passé sur la jambe droite. Les deux personnes qui se trouvaient dans la voiture n'ont eu que quelques contusions très légères.
 

"Nous sommes loin de trouver mauvais que les processions religieuses continuent à parcourir les lieux où tous les habitants tiennent encore aux cérémonies extérieures au culte, mais nous ne concevons pas trop par quel motif des voyageurs se croiraient obligés d'interrompre la circulation ordinaire, par respect pour des formes que la loi n'autorise plus et que les convenances seules peuvent tolérer."

 

La diligence du temps de Victor Hugo, poursuit M. Guitard, reposait sur quatre roues qui divisaient tout le véhicule en deux trains. L'impériale, au sommet de la voiture, munie d'un rideau de cuir, allait en s'évasant, affectant en avant la forme d'une capote de cabriolet, et se terminant par une banquette de bois sur laquelle s'asseyaient le conducteur et trois voyageurs. Sous la bâche s'empilaient les bagages, au milieu desquels se logeaient les chiens, admis seulement sur l'impériale. Le coupé était une place aristocratique où le voyageur jouissait d'une vue plus étendue et respirait moins qu'ailleurs les tourbillons de poussière que la diligence soulevait et laissait au loin derrière elle. L'intérieur ressemblait assez à la caisse d'une calèche, ses portes s'ouvrant sur le côté. Quant à la rotonde, on y entrait par L'arrière de la voiture. Chaque place était numérotée et nul n'avait le droit de changer sa place. On allait se faire inscrire, afin de retenir les angles des compartiments, si propices au sommeil pendant les parcours de nuit.

 
L'homme important de la diligence, le capitaine au long cours de ce navire branlant qui naufrageait quelquefois, c'était le conducteur. Il annonçait le départ au son de la trompette, fixait le temps consacré aux repas non sans quelque connivence avec les hôteliers, — on le disait du moins. Quoi qu'il en soit, un bon conducteur était chose précieuse. Mardi 11 janvier 1831. II n'est presque pas de jours sans que l'on n'ait à déplorer des accidents arrivés par l'insouciance des conducteurs de voitures publiques. Dimanche dernier, un cabriolet de place dont les chevaux étaient, à ce qu'il paraît, lancés au galop, a versé sur le Pont-Neuf, du côté de la ville. Le cocher fut renversé son siège et horriblement mutilé par l'un des roues qui lui passa sur le corps. Les quatre personnes qui se trouvaient dans la voitures n'ont eu que quelques contusions très légères.
  
 

Il devait avoir un caractère ferme et prudent, des connaissances spéciales. Il devait surveiller le chargement de la voiture, être attentif à ce que le centre de gravité fût convenablement placé, visiter à chaque relais le harnachement et les roues qui parfois prenaient feu, servir au besoin de cocher et connaître parfaitement la route.
 Enfin, chose grave, c'était lui qui manœuvrait la mécanique. Une machine aussi lourde ne descendait pas sans danger les côtes rapides.

 
 Un personnage plus populaire que le conducteur, c'était le postillon, dont le chapeau à rubans, la veste bleue à parements rouges, le gilet rouge, les pantalons blancs et les larges bottes ont été maintes fois reproduits par la lithographie.

 

Dans les années 1830, on note la présence d'un postillon à Villers-Chambellan, Jean-Baptiste-Paul Lemasson, époux de Marie-Félicité Varin. A Guerbaville est un cocher du nom d'Amable Frédéric Chateil qui meurt à 33 ans le 12 juin 1832.

 Maître Désir Vautier
 

Pierre Maillet était encore en poste en octobre 1829 quand il lui vint une fille parrainée par un Maillet de Paris. Désir Vautier, passeur d'eau à La Mailleraye, racheta le brevet de maître de poste à Duclair.
La diligence de Rouen à Caudebec a versé samedi dernier (25 février 1832), vers La Frenaye. Le père du conducteur de la voiture, qui était sur l'impériale, a eu une cuisse cassée. Plusieurs voyageurs ont été plus ou moins froissés.
 
     


 Vautier exerça environ trois ans avant de mettre en vente sa charge. En témoigne cette annonce parue dans le Journal de Rouen le 11 juillet 1833.
 On voit que la poste de Duclair occupe journellement 30 chevaux. Deux diligences neuves font la ligne Duclair-Caudebec, une autre Rouen-La Mailleraye...

 

Mais qui était Désir Vautier ? On lui connaît un homonyme prénommé tantôt Désir, tantôt Désiré et natif du Trait. C'était un marin qui tenait plusieurs bacs, dont un temps celui de Duclair, et pratiquait la pêche en Seine. Il aura brièvement investi dans le relais de poste sans y être forcément présent. Les maîtres de Poste déléguaient souvent leurs fonctions pour se livrer à d'autres occupations et ne portaient même jamais l'uniforme réglementaire 

 

Le Journal de Rouen éditait l'Annuaire, dit encore l'Almanach de Rouen de la Seine-Inférieure et de l'Eure. Le journal précise : "L'éditeur a eu soin de faire connaître dans chaque endroit les jours et heures des départs des voitures publiques, ces indications sont fort utiles et pour les commerçants en général et pour toutes les personnes qui voyagent."

Le 11 novembre 1834, Rose Duffy, femme de Louis Colignon, postillon demeurant à Duclair, est condamnée à l'exposition et cinq ans de réclusion pour vol qualifié. Le couple s'est formé en 1831 à Hénouville. Là, on dit Louis Colignon natif de Barentin, postillon à Hénouville depuis quelques mois et auparavant à Rouen. C'est un veuf. Elle, elle est native de Barneville.

Le 15 juin 1835, un vol est commis dans l'une des voitures publiques relient Le Havre à Rouen. La presse : "Pendant qu'un des voyageurs s'était endormi à côté du sac de onze cents franc qu'il tenait sous sa main sur le banc de la rotonde, un industriel qui veillait près de lui s'est emparé du sac et s'est laissé glisser derrière la voiture qui a continué sa route, allégée du poids de onze cents francs que le dormeur a eu la douleur de ne plus retrouver à son réveil à la place qu'il leur avait donnée."

 

En août 1835, les sieurs Legendre et Cie, de l'hôtel du Commerce, sur le port de Caudebec, successeurs de la veuve du Mesnil, annoncent une baisse de tarif sur les deux diligences très bien suspendues qu'ils font partir de chez eux, tous les jours, pour Rouen et retour. Les bureaux sont à Rouen, chez les Jumelles, à Duclair, chez Horecholle, aubergiste.

 

A Barentin, Lemonnier, le maître de poste, transféra ses bureaux de chez Mlle Quemin à l'auberge Beljambe. A Rouen, place Henry IV, ils furent déplacés à côté du débit Leprieur où ils étaient jusqu'à présent. Lemonnier faisait cause commune avec l'entreprise Jumeau, d'Yvetot, qui assurait la liaison avec la capitale du pays de Caux. Là-bas, les bureaux étaient établis chez Laurence, à Barentin, c'était donc désormais chez Beljambe. Tout ceci entra en vigueur le 18 décembre 1835.
 

  
Maître Delaporte 

 
Maurice Delaporte devint le nouveau maître de poste de Duclair. Celui-ci allait tenir l'hôtel de la Poste jusqu'en 1850
Parmi les voitures qui faisaient halte à Duclair, il y avait celles des sieurs Legendre et Cie, de l'hôtel du Commerce, sur le port de Caudebec, successeurs de la veuve Mesnil. A Duclair, en 1835, leur bureau se trouvait à l'auberge Horecholle. Botaniste à ses heures, Néel, le maître de poste à Caudebec, fit partir à compter du lundi 10 août, tous les jours à 6h, une diligence à quatre roues qui descendait chez Dubois, successeurs de Dépreaux, aubergiste place du Vieux-Marché. Elle repartait à 4 h de l'après-midi.

 On voyait aussi passer celles de l'Entreprise de diligences de La Mailleraye à Rouen. Le lundi 8 février 1836, le nouveau gérant, le sieur Fleury, mit en service une voiture neuve avec des tarifs à la baisse. Ceux-ci présentaient deux catégories : coupé ou intérieur. Les arrêts avaient lieu au Trait, à Yainville, Duclair, La Fontaine et Hénouville, Saint-Georges et Canteleu. Les bureaux étaient chez Fleury, à La Mailleraye, Delaporte, à la poste aux chevaux de Duclair et à Rouen à l'auberge Léger, 47, place du Vieux-Marché. Fleury ne va exercer que quatre ans...

On nous écrit de Duclair à la date du 23 juillet (1836). Hier, à onze heures du soir, le nommé Berne, roulier à Lillebonne, venant de Rouen, descendait endormi sur le devant de sa voiture attelée de trois chevaux, la côte de Saint-Martin-de-Boscherville. Ce malheureux est tombé sous une roue et a eu la tête horriblement fracassées, il est mort sur place. C'était un homme dans la force de l'âge qui laisse une veuve et plusieurs enfants.
Les journaux ne cessent de publier de semblables malheurs arrivés tous de la même manière, et pourtant ces exemples se renouvellent. puisse celui dont nous venons de parler ne pas être perdu pour les rouliers qui jusqu'à présent se sont rendus coupables de l'imprudence qui a coûté la vie au malheureux Berne ! Souvent on rencontre sur notre route, soit dans la direction du Havre, soit dans celle de Rouen, des voitures sur lesquelles l'insouciant conducteur est couché. Ces contraventions ne sont presque jamais signalées, serait-que les surveillants chargés de ce soin toléreraient cette infraction à la police du roulage ? C'est pourtant un abus qui entraîne, comme on voit, d'assez terribles conséquences pour que l'autorité fasse sous ses efforts pour le réprimer."
 
En novembre 1836, nouveau service : " Les sieurs Parmentier et compagnie ont l'honneur de faire par au public qu'ils font partir une gondole pour Duclair tous les mardis et jours de foire seulement. De Rouen, à 7 heures précises du matin, bureau des gondoles de Bapeaume. De Duclair, à 3h heure 1/2 du soir, de chez Desmarest, aubergiste."
 

M.M. Parmentier et Cie, voiture publique Rouen-Duclair les mardis, et jours de foire A/R : 1,25 F

 

  
A partir de 1835, des plaques de cocher en fonte furent placées aux carrefours, sur des poteaux métalliques ou directement aux mur de bâtiments. Elles mentionnent la commune,  la voie de circulation ainsi que les directions et les distances. Les textes et chiffres, en relief, sont peints en « blanc, sur un fond bleu de ciel foncé ». Jusqu’à la Première Guerre mondiale, elles sont installées en hauteur, vers 2,50 m, afin de pouvoir être lues par les cochers.

Novembre 1836. Dans le Journal de Rouen, on s'insurge contre l'absence de parapet sur quatre lieues entre le poste de douane de La Fontaine et les quais de Duclair. Voici peu, conduit par une femme, un cheval est descendu subitement boire dans la Seine. Heureusement, elle était basse.  Le 5 novembre, venant de Rouen, un cabriolet avec trois voyageurs croise une ménagerie. Effrayé par deux ours, le cheval franchit le parapet et  manque de tuer ses passagers.  Que fait l'agent chargé de surveiller cette portion de route. De l'argent, le Département n'en manque pas pour les travaux de voirie...


 A partir du 4 juin 1838, le sieur Nion entra en concurrence avec Fleury et fit partir tous les jours de La Mailleraye à Rouen une voiture appelée La Villageoise. Elle s'arrêtait au Trait et à Duclair où le prix de la place pour la capitale normande s'élevait à 1,25 F. A La Mailleraye, les bureaux étaient chez la veuve Landrin. A Rouen, chez un marchand de vin du nom de Dieppedalle, 49, place du Vieux-Marché.
 
Mais au fait, où se situait le relais de Duclair ? Me Lengrenay, le notaire, nous dit en 1837 : "A vendre de gré à gré une ferme sise en la commune d'Hénouville, sur le bord de la grande route de Rouen au Havre, vis-à-vis le relais des diligences..." Voilà qui semble quelque peu éloigné du bourg de Duclair.
 
Dans une autre annonce, en 1838, Lengrenay précise que l'auberge Delaporte Delaporte se trouve "sur le quai". Elle sert régulièrement de salle de ventes pour les notaires. Comme ceux de Jumièges. Lebourgeois et Bicheray, y mettront de temps à autres des fermes en adjudication ou encore des bois de haute futaie... La situation de Delaporte est bien assise. En novembre 1839, il achète au sieur Vallois une propriété comprenant trois corps d'habitation, hameau de la Cavée, triège du Haut-de-la-Côte.
 En octobre 1838, le sieur Fleury informait le public qu'il avait baissé ses prix pour le transport des voyageurs entre Rouen et La Mailleraye. De Rouen à Duclair, il vous en coûtait 1F, de Rouen à Yainville 1,25F, de Rouen au Trait 1,50, de Rouen à La Mailleraye 1,75.

  L'accident de la foire de Duclair 


 L'imprudence des conducteurs s'observait trop souvent. Soit leur matériel ne présentait pas toutes les conditions de sécurité, soit ils conduisaient en état d'ivresse. Souvent, les aides descendaient de l'impériale avant l'arrêt complet du véhicule et plus d'un y a laissé la vie. Nombreuses aussi étaient, comme au far-west, les attaques de diligence. En 1831, Pierre-Amand Michel, de Caudebec, avait sauvé la vie à un postillon près de se noyer alors qu'il baignait ses chevaux. 23 juillet 1836, on écrit de Duclair : "Hier, à onze heures du soir, le nommé Berne, roulier à Lillebonne, venant de Rouen, descendait endormi sur le devant de sa voiture attelée de trois chevaux, la côte de Saint-Martin-de-Boscherville. Ce malheureux est tombé sous une roue et a eu la tête horriblement fracassée. Il est mort sur la place. C'était un homme dans la force de l'âge qui laisse une veuve et plusieurs enfants.
 Les journaux ne cessent de publier de semblables malheurs arrivés sous de la même manière et pourtant ces exemples se renouvellent. Puis celui dont nous venons de parler ne pas être perdu pour les rouliers que jusqu'à présent se sont rendus coupables de l'imprudence qui a coûté la vie au malheureux Berne !
 Souvent, on rencontre sur notre route, soit en direction du Havre, soit dans celle de Rouen, des voitures sur lesquelles l'insouciant conducteur est couché. Ces contraventions ne sont presque jamais signalées, serait-ce que les surveillants chargés de ce soi toléreraient cette infraction à la police du roulage ? C'est pourtant un abus qui entraîne, comme on voit, d'assez terribles conséquences pour que l'autorité fasse tous ses efforts pour le réprimer."
 
15 janvier 1838 : Il existe deux ponts forts étroits dans le fond de Bapeaume ; Or, on sait que par là passent de nombreuses voitures publiques et particulières , et le soir Les accidents ne laissent pas que d'y être assez fréquents. Un voyageur, qui se trouvait vendredi soir dans la voiture de Rouen à Caudebec, nous écrit qu'à cet endroit Les chevaux de la voiture dans laquelle il était se sont jetés sut les chevaux d'une autre voiture qui venait a leur rencontre : grâce à l'adresse des conducteurs , aucun malheur n'est arrivé ; mais on peut, malgré toute la prudence désirable, n'être pas aussi heureux une autrefois, et ce doit être pour l'autorité un motif d'agir activement, et de faire que la sûreté des voyageurs ne soit pas ainsi à chaque instant compromise. Quand l'argent des contribuables est employé à des travaux d'une aussi incontestable urgence , on peut être certain de ne point entendre de réclamations.
 
 
Le 10 octobre 1838, jour de foire à Duclair, les relations entre le bourg et Rouen étant plus fréquentes que de coutume, le sieur Parmentier, conducteur de gondoles à Bapeaume, crut devoir mettre une de ses voitures sur la route en service sur la route de Duclair. Mais elle n'était point munie d'une mécanique d'enrayure. Si bien qu'elle versa en dévalant la côte rapide de Canteleu. Parmi les voyageurs blessés, le sieur Folloppe, boucher de son état, eut la tête fracassé par une roue et se porta partie civile. Le 15 novembre suivant, le tribunal correctionnel de Rouen déclara Parmentier coupable d'imprudence. Il alla un mois en prison et dut verser 2.000F de dommages et intérêts à Foloppe.
 

 
  Si les voitures publiques sont sujettes à de fréquents accidents, que dire des voitures particulières sur les routes secondaires. En témoigne cette protestation d'un Duclairois en date du 12 décembre 1838. : "Il existe entre Duclair et Saint-Paër une côte très rapide dont l'encaissement n'est point chargé de cailloux. Déjà on a eu à déplorer des accidents et fort récemment encore un cheval s'y est abattu et s'est cassé une cuisse. Loin d'améliorer cette route qui est très fréquentée et d'en rendre le terrain égal, on y laisse séjourner d'énormes pierres qui ne peuvent amener que de nouveaux malheurs. Nous engageons les deux gardes-champêtres de Duclair à tenir un peu mieux la main aux règlements sur la police de la voirie."
  Une annonce parut en 1838 pour avertir que le sieur Legendre, maître d'hôtel à Caudebec, faisait partir de chez lui une diligence pour Rouen avec correspondance pour Paris. A Rouen le bureau est au 12 rue du Bec, siège des Jumelles. Il se charge du transport des finances et marchandises à prix modéré.  

 
Ulrich Guttinguer, 1838
 
 
"Les chevaux attelés, vous irez à Jumièges. En sortant de Duclair, le postillon se jette subitement à main gauche dans une traverse assez triste, mais aussi bonne qu'une traverse peut l'être...
 Sommes-nous loin de Jumièges, postillon...? — A deux pas. — L'impatience vous prend, car vous ne savez pas peut-être ce que c'est que les deux pas d'un paysan normand : on dirait qu'il les fait avec des bottes de sept lieues. Jumièges ! Jumièges !... Où donc est Jumièges ?
 Des terres maigres, quoique cultivées, des champs, de courtes forêts se succèdent sans que vos regards qui interrogent l'horizon, découvrent autre chose que des blés ou des avoines.
 Jumièges, au fond d'un bourg et d'un pli du terrain, ne vous apparaîtra que lorsque vous pourrez, pour ainsi dire, le toucher de la main."  


La mort de Desmarest



 
M. Desmarets occupait sur les quais de Duclair une maison à usage d'auberge. Celle-ci fut remise en location pour la Saint-Michel de 1838. Il fallait s'adresser à Seccard, propriétaire à Launay. 

 
 
 Après vingt ans d'exploitation d'une voiture publique à Duclair, Jean-Robert Desmarest rendit l'âme le 14 novembre 1839 sans avoir reçu les sacrements de l'église. Il avait 52 ans. 
Ce fut l'abbé Delouard, bientôt condamné pour pédophilie, qui l'inhuma.  Aussitôt le veuve Desmaret, Désirée Pélagie Lalouette, mit la diligence en vente. "Une diligence parfaitement conditionnée ayant quatre roues neuves et tous les accessoires en très bon état, six chevaux et tous les harnais nécessaires, aussi en parfait état. La clientèle est fort nombreuse, cette voiture étant la seule pour Duclair et les environs."  La seule ? En décembre, Delaporte, le maître de poste, annonce qu'il fera partir à compter du 9 une voiture de Duclair à 6h et demie du matin avec retour de Rouen à 4h du soir les lundis, mercredis, vendredis et dimanches. Il se charge des commissions, du transport d'argent.  La veuve Desmarest ne désarme pas et poursuivit manifestement l'activité de son défunt mari. Seulement, victime de la malveillance, elle dut publier ces précisions le 23 décembre 1839 : "Mme veuve Desmarest donne avis aux personnes qui ont bien voulu lui continuer la confiance qu'elles avaient en son mari que, depuis le vendredi 6 courant, la voiture publique qu'elle exploite a cessé de descendre à l'hôtel tenu par M. Tourant, rue de Fontenelle, n° 46, et qu'elle descendra désormais rue du Vieux-Palais, n° 33, à l'hôtel d'Orléans, tenu par M. Lelièvre. Mme Desmarest croit devoir publier cet avis afin de détruire l'impression défavorable qu'aurait pu produire les bruits inexacts que quelques personnes se sont plu à répandre dans le but de lui nuire. Ainsi, les personnes de Rouen qui auraient à se rendre à Duclair et celles de ce dernier lieu, qui voudraient aller à Rouen ou y expédier des paquets et marchandises aux jours accoutumés devront s'adresser à l'hôtel d'Orléans en n'ayant point égard aux indications erronées qui pourraient leur être fournies à l'hôtel de M. Tourant."

  Le 10 janvier suivant, Mme Desmarest fut contrainte de mettre en location pour la Saint-Michel à venir la "très jolie maison à usage d'hôtel située sur le quai de Duclair" qu'elle occupait. Pour la voir et en traiter, il fallait s'adresser à M. Secard, propriétaire à Aulnay près Duclair.
  Fin janvier 1840, c'est cette fois Jean Petit, maître de poste à La Mailleraye, qui passe une annonce en compagnie des sieurs Hulin et Léger. Il s'agit de prévenir les voyageurs "qu'ils font partir tous les jours une voiture à quatre roues de La Mailleraye pour Duclair et Rouen, à six heures du matin, et pour le retour à quatre heures du soir." Les bureaux sont chez Lesault, à l'hôtel de la Victoire, à La Mailleraye, chez Delaporte à Duclair, chez l'aubergiste Léger à Rouen, 47, place du Vieux-Marché. "Ils se chargent du transport des marchandises et des finances à un prix modéré."
 Jean Petit est né 1793 et est cultivateur. Il a épousé Julie Viard à Sainte-Marguerite en 1820. A Barentin, son homologue est le sieur Lemonnier qui, chaque jour, atèle quatre chevaux à des omnibus pour Rouen et Yvetot.
 
31 janvier 1840. Le tocsin sonne au passage de la diligence pour Rouen. A Caudebec, les voyageur aperçoivent un incendie s'élever d'une tannerie.


 Une voiture pour le comice

 
Un comice agricole eut lieu le dimanche 5 juillet 1840, 10h du matin, à la ferme de M. de Joigny, occupée par Médéric Coiffier, à Duclair. Concours de bestiaux, luttes et essais de charrues, distribution, sur la place du bourg de Duclair des prix de labourage et de moralité. Des médailles d'encouragement furent décernées pour la meilleure tenue des fermes et la perfection des instruments aratoires. La fête se termina par un banquet réunissant les lauréats. Les personnes qui désiraient en faire partie devaient s'inscrire chez M. Rigoult, secrétaire du comice à Duclair. Pour la commodité des habitants de Rouen qui voulaient se rendre cette fête, M. Delaporte, maître de poste à Duclair, fit partir, à neuf heures du matin, devant le café Dubiez, quai du Havre, une voiture qui repartit de Duclair, le soir, après le feu d'artifice.

  La circulation des marchandises
 


 Une énième carte des relais postaux fait apparaître "Ducler" en 1840.
A Rouen, la place du Boulingrin était un haut-lieu pour les voituriers. C'est là que l'on mettait en vente les chevaux des entreprises en faillite ou encore les diligences nouvellement construites. Le 10 février 1840, le tribunal de commerce prononça la faillite du sieur Fleury qui assurait la liaison La Mailleraye-Rouen où son comptoir était place du Vieux-Marché. On y posa les scellés et le failli fut conduit à la maison d'arrêt pour dettes. On nomma Morel juge-commissaire et Désir Vautier, cultivateur et propriétaire du Trait syndic provisoire de faillite.
  On nous écrit de Barentin, le 19 septembre 1840 : Hier, vers les cinq heures et demie du soir, une gondole qui voulait atteindre on plutôt dépasser deux autres diligences allant vers Yvetot,a renversé , entre Barentin et Bouville, le nommé Roussel, teinturier dans cette dernière commune, quoique celui-ci eût cherché à éviter la voiture et qu'il se tint même contre le fossé de la grande route, dans lequel il a fini par tomber après que les chevaux l'eurent foulé aux pieds et que la roue de devant lui eut passé sur l'épaule, qu'elle a fracassée.
 Le conducteur est alors descendu, a retiré le blessé, qui avait entre autre la figure et les mains ensanglantées, l'a déposé sur le bord de la route et est remonté aussitôt en voiture, en abandonnant la victime son malheureux sort.
 M. le docteur Mondeville, qui est survenu là quelques instants après l'accident, lui a prodigué les soins les plus empressés et a déclaré que cet homme serait longtemps à reprendre ses travaux, à cause de la fracture de l'épaule.
 On ignore A quelle direction appartenait la gondole. Il faut espérer que la publicité donnée à cet article la fera connaître.
  Le 20 décembre 1840, la neige perturbe les déplacements : "on ne s'étonnera pas que toutes les voitures publiques, y compris celles de la poste, aient été, encore plus que la veille, en retard d'arrivée."
 
A Caudebec, le maître de poste cultivait le lin, ce qui lui valut une médaille d'argent au concours agricole de Saint-Wandrille, en juillet 1742. En octobre 1842, le sieur Duboc, résidant à l'hôtel du Commerce, conducteur de la voiture de Caudebec, versa son obole au profit des inondés de la Seine-Inférieure.
  Comment s'organisait la circulation des marchandises d'une ville à l'autre, et notamment pour Duclair ? Nous avons l'exemple de la Messagerie d'Eu à Rouen. En décembre 1842, après avoir été basée chez M. Le Peuple, rue Cauchoise l'enseigne était désormais établie au 20 de la rue Lenostre 
dans un nouveau magasin construit par M. Desmarest, successeur de la veuve Louvet. On ne sait s'il a un lien de parenté avec Desmarest de Duclair. Il précisait qu'un commis serait désormais toujours présent pour enregistrer les marchandises et éviter ainsi les confusions qui avaient pu avoir lieu à l'ancienne adresse. Les départs avaient lieu à Eu tous les mardis à 6h du matin et de Rouen le jeudi à 3h du soir. Rue Lenostre, on recevait aussi des marchandises à destination de Duclair ou encore de Caudebec, Lillebonne, Saint-Romain, Harfleur, Montivilliers et Le Havre par Jean Morel, messager, en correspondance avec la ville d'Eu.    

La veuve Desmarest jette le gant 
 
Finalement, la veuve Desmarest, le 8 janvier 1843, fut contrainte de vendre, de gré à gré, la clientèle et le matériel du service de la voiture de Duclair à Rouen. Le vendredi 3 février 1843, à une heure après midi, sur la place du Boulingrin, il fut procédé, par commissaire-priseur, à la "vente d'une diligence et de quatre chevaux
faisant le service de Duclair à Rouen." Trois semaines plus tard, la société des omnibus, les Rouennaises, annonçait par voie de presse la mise en service d'une voiture le jour du marché de Duclair.
  1843 est décidément une mauvaise année pour les voituriers locaux. A Saint-Pierre-de-Varengeville, le sieur Jean-Baptiste Dumont, cultivateur de son état, exerçait aussi cette activité. Il fit faillite en mai. En 1844, Barentin comptait, outre le relais de poste, au moins deux professionnels : Vincent, avec deux diligences de 18 places chacune,
Fabulet avec une voiture de huit places montée sur cinq ressorts. Vingt ans plus tôt, Jacques-Désiré Fabulet fils, cultivateur et voiturier à Barentin, occupait une maison en compagnie de l'aubergiste Havard.
 
 
Le drame du pont de Loumare
 
  La concurrence existant entre les entreprises desservant la même route donne lieu à des tragédies. Jeudi 20 avril. Le postillon de l'un des omnibus de Lemonnier, maître de poste de Barentin, double au galop une voiture de la Nouvelle alliance cauchoise. Celle-ci fait volontairement un écart alors que la route est encombrée de tas de sable. L'omnibus verse. Le sieur Marné, relayeur à Yvetot, se trouvait sur l'impériale. Il est tué sur le coup. Les autres passagers sont plus ou moins blessés, comme la dame Prévost, rue Bénard, à Rouen. Le juge de paix de Pavilly vient dresser procès-verbal. Et c'est Lemonnier qui sera jugé civilement responsable.
 Le père de Marné va, en effet, se porter partie civil dans un procès intenté en correctionnelle. Le postillon de l'omnibus, Morel, est d'abord condamné à quatre mois de prison, 50 F d'amende et 600 F de dommages et intérêts. Somme jugée insuffisante par Marné qui fait appel. Résultat : il obtient 4.000F et le postillon écope cette fois d'un an de prison.  Matin du 15 septembre 1843. La diligence des Messageries Générales, venant de Rouen, passe le relais de Duclair, Caudebec. Et verse ! Deux voyageurs sont blessés dont l'un plus grièvement qui ne peut poursuivre sa route. "On attribue cet accident à l'imprudence du postillon, qui, dit-on, était en état d'ivresse."
  En 1843, on se souciait d'élargir la route de Rouen au Havre dans le tournant du quai de Caudebec où elle ne faisait que deux à trois mètres de large. Tout le monde gardait en mémoire que, quelques jours avant les ordonnances de Juillet, la voiture de la duchesse d'Angoulême s'était emballée dans la descente et que deux chevaux avaient déjà l'encolure hors du talus quand on parvint à les arrêter.
 
La poste aux chevaux de Rouen se trouvait 20 rue de Fontenelle. M. Fauchet en était le maître en 1844. Elle englobait les relais les plus proches : Barentin, Martainville-sur-Ry, Duclair (à 20 km), Forge-Feret (Boos), Grand-Couronne, Les Cambres, Port-Saint-Ouen et Vert-Galant. Voici un extrait du règlement : "Il est dû 4 kilomètres, en sus de la distance, sur toutes les sorties de Rouen, sans réciprocité. Il est accordé un cheval de renfort à cause de la difficulté des chemins et de la longueur des distances sur les relais de Forges-Feret, Duclair et Vert-Galant.  On écrit du Havre, le 1er octobre 1844 :
  La malle-poste, partie du Havre dans la soirée d'hier, était arrivée au relais de Barentin, lorsqu'elle a été accrochée par une diligence avec une telle violence que le postillon a été précipité dans un ravin et tué sur le coup. Le courrier, grièvement blessé, est resté en route. Deux voyageurs, qui se trouvaient dans la malle, ont aussi été blessés. Les dépêches ne sont arrivées à Paris qu'après un long retard.
 
  Cette concession est faite pour toute l’année sur le relais de Duclair..." On traite avec Fauchet de gré à gré pour être conduit dans les chemins de traverse environnant le relais de Rouen. Enfin, il tient une berline à disposition. Fixé par l'Administration des Postes, le tarif est de 2F le myriamètre.
 A Rouen, on trouve par ailleurs huit stations de voitures de place (fiacres et citadines), dix loueurs de voitures à volonté. Douze localités sont desservies par des voitures publiques, dites encore omnibus. Pour Duclair, c'est à l'hôtel d'Orléans, tenu par le sieur Lelièvre, 46, rue du Vieux-Palais. Départs le lundi, mercredi, vendredi et samedi à 4h du soir. Enfin quatorze grandes villes sont desservies par des diligences.
 
Eugène Chapus, 1844
 
 Ils traversèrent ainsi le village de Montigny, puis Duclair, puis le Trait. Mais la poétique influence de ces dernières heures du jour semblait échapper en partie aux voyageurs (...) Tout à coup la chaise de poste s’est arrêtée, et le postillon s’est mis à héler le bac qui se balançait amarré a la rive opposée. La chaise passa le bac en compagnie d’un troupeau de moutons, de quelques ouvriers et de laboureurs attardés. Puis, quand elle eut atterri, elle continua sa route en laissant à sa droite le village et le château de la Mailleraye...  
(Le Roman des Duchesses)


En juillet 1845, après faillite, on vendit à Hénouville les dix chevaux d'Alexandre Séhet, cultivateur et relayeur, faisant le service des accélérés de la veuve Malcouronne et fils. Vingt harnais complétaient la chose ainsi que quatre voitures, deux à gerbes, deux charrettes.

Septembre 1846. Un postillon de Duclair, conduisant la berline de Mme Aguado revenant du Havre, a été renversé de son cheval à quelque distance de Saint-Martin de Boscherville, et s’est démis une épaule. Les premiers soins lui ont été donnés par un médecin qui accompagnait Mme Aguado et cette dame lui a donné provisoirement 200 fr.


L'arrivée du train

 
Jusque là, le courrier du Havre était acheminé par les diligences des Messageries Royales jusqu'à Rouen, où une malle-estafette prenait le relais pour rallier Paris. L'arrivée et le départ des diligences reste un spectacle, rue de Paris. Mais voici qu'en 1847 s'époumone le premier train au débarcadère de Graville. En 1847, à Barentin, les aubergistes Constant et Beljambe alignaient chacun une vingtaine de chevaux de louage qui vous aidaient à grimper les côtes. Au relais de poste, Lemonnier nourrissait une cavalerie de 34 têtes. Au Havre, la poste aux chevaux se trouvait 32, rue d'Orléans. Son maître de poste dit aussi directeur titulaire était M. Topsent. "Chevaux, voitures et courriers, à volonté."

10 décembre 1847
Vente sur faillite.

Le samedi onze décembre présent mois, à une heure après midi, monsieur Leblic, commissaire-priseur, procédera à Dieppe, place de la Halle-au-Blé, en vertu d'une autorisation de monsieur le juge commissaire de la faillite, a la vente, aux enchères, d'un Banneau monté sur des roues  ferrées avec un essieu en fer, d'une bonne Charrette peinte en bleu également montée sur ses roues, avec essieu en fer, d'un coffre à avoine, le tout faisant partie de l'actif de la faillite du sieur Colboc, voiturier à Duclair.
Requête de monsieur Traullé, agréé au tribunal de commerce de Rouen, syndic provisoire.

Janvier 1848. Voici comme Le Journal de Honfleur voit le progrès : Dimanche  dernier, deux  personnes fumant  des  cigares voyageaient en carriole sur la route de Caudebec Quelques étincelles tombèrent sans  doute sur la paille dont ils avaient enveloppé leurs jambes, car bientôt la  paille fut en feu, et nos deux voyageurs furent obligés de descendre au plus vite de la carriole ; bientôt l'incendie  fut éteint Un bon paysan, qui venait à cheval derrière la voiture s'arrête alors : — « Il y a long-temps, dit-il aux fumeurs, que je voyais bien par la fumée que le  feu  était à votre carriole !..  
— Pourquoi donc ne  nous avertissiez vous pas? lui demanda le propriétaire de la  voiture
— Dam ! reprit le paysan, il y a aujourd'hui tant de nouvelles  inventions, que je croyais que votre voiture était  à  la  vapeur ! »  

En 1852, l'hôtel de la Poste, qui avait été propriété de M. Delaporte, passa entre les mains de Georges Denise. La voiture fut prise en commun avec Noël Petit et parent de Delaporte nommé Poignant.
On verra chaque matin trois voitures converger à Duclair en partant de Jumièges, de La Mailleraye et de Caudebec. A l'hôtel de la Poste avait lieu le transbordement, ou plutôt l'empilage des voyageurs dans une grande diligence, genre Laffite. ayant coupé et attelée de cinq chevaux avec Poignant comme postillon et Petit comme grand-maître. De la Bunodière nous fait son portrait : "Le grand Noël Petit, ramassant les guides, exécutant un double quatre fouetté, poussait trois ou que Hup ! Hup ! d'une voix de stentor que la rive gauche et la ville entière entendaient et la lourde machine s'ébranlait. Quand on avait la chance d'avoir un coin de place en haut, sur une banquette ou sous une bâche, on ne s'embêtait pas. Noël Petit était un fervent et hardi bonapartiste et malheur alors à qui osait critiquer le régime impérial. Il s'inquiétait for peu des opinions de ses voyageurs et il fouaillait ses contradicteurs de mots cinglants qui résonnaient comme six coups de fouet."

 Sur une carte de 1854, le relais de Duclair figure toujours, simplement matérialisé par un cor.
 
  
Guide de Rouen, Brument, 1855
 
 Par terre, la distance de Rouen à Jumièges n'est que de 22 kilomètres. Un omnibus pour Duclair part tous les jours (place des Arts), à 7 heures du matin, et revient de Duclair à Rouen à 4 heures. Il prend des voyageurs pour Saint-Georges-dc-Boscherville.
  Jumièges est en dehors de la grande route, de sorte qu'il ne tant pas s'attendre à traverser le bourg en diligence ; pour jouir des ruines, on est forcé d'en faire l'objet d'une promenade particulière.  
Depuis le mois d'avril jusqu'à la fin d'octobre, un bateau à vapeur pour le Havre marche tous  les jours, cl ne met pas plus de temps à faire la route que ne mettaient autrefois les diligences. Il stationne quai d'Harcourt. Ce bateau prend des voyageurs pour les points intermédiaires les plus importants du voyage, tels que Duclair, la Mailleraye, Caudcbec, Villequier, Quillebeuf et Honfleur. L'heure du départ varie suivant l'heure de la marée
 
 
 En 1857, l'Annuaire-almanach du commerce indique que le transport par eau est assuré à Duclair par le sieur Lefieux. Celui de Rouen précise que Les Rouennaises de la Compagnie générale d'omnibus assurent un départ vers Duclair de la place des Arts à 8h du matin. Delaporte, à Duclair, est le titulaire du relais de poste, Dezille, celui du relais de La Mailleraye, Lomonnier à Barentin, Néel à Caudebec...
 
L'accident de 1860 
 
En 1860, l'Almanach de Rouen nous apprend que les hôteliers de Duclair sont Denise, Delaunay, Duquesne et Mellon. Pour le premier, il s'agit là d'une belle réussite. Sur les quais de Duclair, près du bac, un hôtel est attesté en 1851. Le 16 février 1854, Georges Denise avait épousé Clémence Delacroix. Lui est garçon d'écurie et fils de journaliers de Lillebonne. Elle est domestique et fille et originaire de Touffreville-la-Câble. Le couple eut un fils, Henry, un an plus tard. Puis une fille prénommée Clémence. Dix ans après son mariage, on retrouve donc notre palefrenier à la tête de l'établissement où il travaillait.

  Côté messagerie, Delahaye est établi au 15 rue de la Pie, à Rouen, et organise des départs pour Duclair le lundi et le vendredi à 3h de l'après-midi. Mais il y a aussi le sieur Berne, 37, rue Fontenelle, qui officie le vendredi et le samedi à 3h lui aussi.
  Le 21 décembre 1860, comme chaque jour, la diligence de Duclair quitte Rouen à 4h de l'après-midi. Seulement, ce jour-là, il y a beaucoup de neige. La descente de la côte de Saint-Georges est très glissante et les roues arrière dévient...
  Vendredi dernier, vers six heures du soir, la diligence de Duclair à Rouen, du sieur Poignant et Cie, conduite par le sieur Noël, conducteur de la Mailleraye, a versé au bas de la côte de Saint-Georges-de-Boscherville, près la maison du sieur Legras, charron. Elle était fortement chargée et beaucoup de voyageurs ont reçu des contusions; toutefois on assure qu'aucune d'elles n'aura du résultats sérieux. Le choc n'a point été aussi violent qu'il eût pu l'être si l'accident fût arrivé au milieu de la côte ; mais c'est par un hasard providentiel que l'on n'a pas eu de plus grands malheurs à déplorer. Les vasistas ont été brisés ainsi que le timon, ce qui a occasionné un retard de plus de deux heures.
 Toutes les personnes de Duclair, qui avaient quelque membre de leur famille à Rouen, étaient impatientes et dans la plus grande consternation. 
 
(La Vigie de Dieppe, 25 décembre 1860)
 
 

  
 Depuis 1847, date du premier entre Rouen et Le Havre, une voiture publique allait de Duclair à la gare de Barentin trois fois par jour. Elle s'arrêtait aux Vieux, lieu de l'ancien relais de poste, et cette correspondance étaient signalée dans les guides à l'article de Saint-Paër. Empruntons maintenant cette route...
 
 
 Victor Pavie, 1863
 
  Il n'est cœur si gonflé qui ne se dilate sur la route de Duclair à Barentin. Des rivières sans nom, humbles affluents de la Seine, et dont les sinuosités sont aux siennes comme la vipère au boa, rampent au pied des collines les plus boisées, les plus fourrées, les plus capricieusement enchevêtrées qui se puissent voir. Le postillon, enfant de ces collines, et qui a tété à leurs mamelons, nous affirme que leur aspect ne changera pas, et que les petits-fils de nos arrière-neveux les retrouveront telles quelles: — « Une terre bonne à rien ! » Et du manche de son fouet il nous montre (spectacle rassurant pour le paysagiste) entre deux touffes d'alisiers, le produit malheureux d'un défrichement téméraire. — Oui, terre bonne à rien. Poussez et repoussez, taillis, pour la joie du bûcheron, pour la vie du foyer, pour le triomphe des campagnes, sur ces maigres versants où la main qui vous sema vous protège et vous éternise. Que la leçon profite et qu'on se la raconte en passant ! Au fond, dans la prairie, une herbe rare et torréfiée par trois mois de soleil, buvait avec une avidité indicible l'eau d'un étang récemment débondé. Voyez, messieurs, trois mois sans boire ! Si ce n'est pas pitié ! Lâchez vos bondes, leur disais-je. Il est bien temps à cette heure ! Le déluge n'y pourrait rien. Il en est de la terre comme du pauvre monde. » Ce spectacle parut avoir impressionné vivement notre homme. Au premier bouchon, il serra les guides à lui, mit pied à terre, et ne fit qu'une gorgée de la moque de cidre que la servante d'auberge lui tendait.

  Sur la route de Duclair à Caudebec, l'endroit le plus pénible était la montée de la côte Béchère, à Yainville. Michel Thiollent se souviendra : "La maison de la ferme était habitée par la famille Bénard dès la fin du XIXe siècle et par la famille Thiollent à partir des années 30. On dit que cette maison avait été, au XIXe siècle, un relais pour diligences sur la route Rouen-Le Havre et qu'elle portait le nom de "Manoir du Claquevent". Elle servait de restaurant et bistrot. Des écuries abritaient les chevaux, tout près d'une forge. Les voyageurs qui voulaient se reposer pouvaient s'héberger à l'Hôtel Carré."  

1863 : la veuve Delaporte 

 
La ligne Paris-Rouen-Le Havre siffla le déclin des diligences. Jadis, sur la route de la capitale, 16 à 18 relayaient à Boos. Dès 1845, ces entreprises avaient presque toutes cessé leurs activités et les loyers avaient chuté. En 1864, à Saint-Paër, on pouvait attraper le train de Barentin au Vieux avec la voiture publique de Duclair. Elle partait de l'hôtel du Chariot d'Or pour Barentin trois fois par jour : à 7h, 11h et 15h afin d'assurer la correspondance avec le train.
 Les transports par terre du chef-lieu de canton étaient assurés par M. Delahaye, par eau par Rogers-Lecuyer.  En 1865, à Rouen, on comptait deux lieux de départ pour Duclair. L'un au 46 de la rue de Fontenelle tous les jours à 4h du soir, départ de Duclair tous les matins à 7h. L'autre place des Arts tous les mardis à 7h30 du matin en hiver et 7h en été, départ de Duclair à 2h en hiver et 3h30 en été. Ce dernier service est assuré par la compagnie générale des omnibus les Rouennaises, dirigée par M. Fauchet. (Almanach de Rouen).  Ce même Almanach de 1865 nous apprend dans la rubrique Messageries, fourgons, chariots etc. que deux professionnels desservent Duclair dans la capitale normande : Delahaye, 37 rue de Fontenelle, le lundi et vendredi à 3h du soir, Siourd, 33, rue du Vieux-Palais, même jours, 4h.  
Toujours en 1865, précise L'Almanach, les voitures publiques de Duclair sont assurées par MM. Georges Denise et Noël Petit. Quant au relais de la poste au chevaux, il est dirigé par la veuve Delaporte depuis deux ans. Mais il va bientôt fermer, victime du rail.

Le lundi 25 novembre 1867, Noël Petit descend de sa diligence... avec un phoque tué à coups de fusil par un agriculteur de Gauville, le sieur Desjardins. Il l'apporte fièrement à la poissonnerie de Rouen.

La veuve Delaporte est encore attestée comme directrice du relais en 1870. Cette année-là, Noël Petit reçoit, sur ordre de l'Empereur, une médaille d'Honneur pour s'être, le 10 décembre 1869, à Rouen, rendu maître d'un cheval emporté attelé à une voiture. Voici comment fut relaté cet exploit : "Vendredi, vers cinq heures du soir, entre la côte de Canteleu et la barrière du Havre, un propriétaire, qui rentrait en ville en voiture, venait de mettre pied à terre pour allumer ses lanternes, quand son cheval a pris la fuite sans qu'on pût le rattraper. Le cheval avait déjà franchi les barrières de l'octroi, lorsque que M. Noël Petit, entrepreneur de diligences, voyant ce cheval emporté, s'est jeté à sa tête et est parvenu à l'arrêter. M. Petit a déjà donné des preuves de courage dans de pareilles circonstances."

En 1872, Mme Delaporte n'apparaît plus dans l'Almanach. Seules figurent les voitures publiques de Denise et Petit qui organisent un départ chaque matin à 7h30. Mais M. Boulogne propose aussi un départ chaque matin, M. Lecerf chaque soir à 17h30. Enfin la correspondance Chenaye, trois fois par jour pour Barentin, est toujours indiquée. Le 28 juin 1872, le relais de Rouen, dont dépend Duclair, est considéré comme inutile et supprimé par le ministère des Finances. Fauchet, son maître de Poste, porte l'affaire devant le conseil d'État pour obtenir une indemnité. Sa requête est déboutée.
Le dernier relais, celui de Paris, disparaît définitivement le 4 mars 1873. Il ne servait plus qu'aux déplacements de Napoléon III à Saint-Cloud et Versailles...
  En 1873, les voitures publiques sont toujours assurées par Denise et Petit mais on note un départ de Desaint tous les matins et de Foutrel le soir à 8h. Et toujours les correspondances pour Barentin.
  En 1874, même configuration à une exception près : exit Desaint, voici Chantin qui, de Jumièges, passe par Duclair chaque matin.
  A cette époque, l'abbé Bénard, curé de Sainte-Marguerite, ne supporte pas les frasques du maire du village, le sieur Foucault. Parmi les nombreuses lettres adressées à son vicaire générale, voici ce truculent voyage en diligence.  
Du 16 décembre 1874 : J'ai l'honneur de vous faire part d'un scandale nouveau du maire de Ste-Marguerite. Il est de nature à convaincre ses défenseurs les plus dévoués.
  Vendredi 11 courant, il est allé à Rouen et n'est revenu que le samedi par la voiture de Noël (voiture de Caudebec, place Henri IV). Au départ de Rouen, il était tellement ivre qu'il a fallu le monter sous la bâche. Le conducteur a étendu la paille et lui a dit : "Couche toi là et ne bouge pas !"
  Pendant tout le voyage, il a été en butte aux quolibets de toute sorte. Comme il remuait beaucoup à sa place et se roulait sur les colis de marchandises, le conducteur lui a dit : "Tiens toi tranquille, autrement je te f... par terre."
  Il continuait cependant de s'agiter, se levait, embrassait ses voisins sur la banquette. "Dis donc mon petit Joseph (c'est le nom du maire) a repris un des voyageurs, quand tu présides ton conseil et que tu es saoul comme cela, qu'est-ce que disent tes conseillers ? Mes conseillers, répond le maire, je m'en f... Je les emm... (sic)."
  Un autre reprenait : "Dis donc l'administrateur, où est ton écharpe ? Je connais mon sort, je connais mon sort depuis trois jours, a répondu le maire. Alors, tous les voyageurs ont repris : es-tu dégommé ?" Ce à quoi il n'a pas répondu. "Et dis donc Joseph, où vas-tu coucher ce soir ? Probablement à la mare de Léguillon ?" (c'est auprès de cette mare que le maire a passé une partie de la nuit du 3 au 3 9bre en revenant de Duclair.)
 Enfin, il a été montré en dérision à sa descente de la voiture aux quelques voyageurs qui ne le connaissaient pas. Tout Duclair a su l'histoire le lendemain, excepté le juge de Paix et les gendarmes !!
  
En 1875, même liste, moins Denise. L'Almanach ajoute : "Tous les mardis, jour de marché, service spécial du vapeur l'Ecureuil au départ de Rouen avec retour le soir."
 L'Almanach de Rouen indique aussi que des départs
de voitures publiques pour Duclair, Jumièges, La Mailleraye et Caudebec ont lieu tous les jours au 145, rue des Charrettes, à 4 3/4 tous les jours avec un retour à 9h 1/2 le matin. Elles sont assurées par les sieurs Petit et Denisse (sic).

Acius, le bureautin

 
Parmi les conducteurs attestés à cette époque, on note, en 1870, Paulin Acius, nom à consonance germanique. Mais de pure invention par l'administration de l'hospice général de Rouen. Il fut trouvé le 16 avril 1834, exposé à la porte de l'établissement à 10 h moins le quart et âgé d'environ quatre jours. Il portait un bandeau, un bonnet de futaine, un autre bonnet de cazin garni de calicot et doublé de futaine, un vieux morceau de toile blanche pour fichu, une chemise à brassière de calicot garnie de dentelle, une brassière de futaine, un vieux morceau de toile pour couchette, un vieux lange de plusieurs morceaux dont ont découpa un carré pour le coller dans son dossier, On lui attribua le collier 195.
Baptisé le lendemain de sa découverte par l'abbé Adam, Paulin fut d'abord placé en nourrice à Pont-Audemer le 19 avril 1834. On le retrouvera par la suite chez le Dr Cavoret, maire de Duclair.
Il fut conscrit en 1854 et demeurait toujours chez le docteur Cavoret. Qualifié de domestique, il se maria
 en 1864 à Duclair avec Emélie Augustine Lefebvre qui lui donnera six enfants : quatre filles et deux garçons dont Paul Eugène qui sera le dernier cocher de la Duclair. Cavoret et "Denisse" figurent parmi les témoins. En 1870, Acius est dit garçon d'écurie. Habitant rue de l'Église, il y tenait aussi un commerce de graineterie.  

1872. — Le 25 février fut fondée à Jumièges une société anonyme de la voiture publique de Jumièges à Rouen. Actionnaires : Victrice Stanislas Lambert, Valentin Lambert, Zéphir Vétu, Adolphe Boucachard, Auguste Étienne Désiré Chantin, Pierre Honoré Decaux, François Simon Cabut, tous de Jumièges et François Victor Lesain, de Yainville. Durée 3 ans, fonds social 6.000F.
   
Harry Furniss, 1877, The London society
 
 
Cinq heures nous trouve au sommet de la diligence pour Caudebec, place Henri-IV. C'est du moins quelques chose comme une diligence, avec ses nombreux compartiments, son énorme capot en cuir et son toit de bâche voûté. Nous partons avec cinq chevaux et courageusement montons la colline avec style. Là, un tournant de la route révèle une scène qui nous restera en mémoire. Le soleil est alors bas sur l'horizon et la vallée derrière nous remplie d'une lumière brillante ; la rivière aux plis sinueux parsemés d'îles vertes est comme un miroir d'or bruni sur lequel tout se reflète : la grande cathédrale, pierre par pierre et pinacle par pinacle; les grappes d'habitations ; les tracés féeriques de la navigation, c'est une vallée enchantée pleine de douces illusions.
  Notre chauffeur, un homme corpulent et costaud avec un visage qui brille comme une pleine lune dans le brouillard, est plein de bienveillance pour notre confort; il se penche de temps en temps, abandonnant les chevaux à leur propre guide, pour commenter les points d'intérêt sur la route. C'est à Madame, qui a mobilisé les sympathies de cet honnête homme, que nous devons cette considération. «Madame se trouve-t-elle bien?" demande-t-il constamment d'une voix insistante tout en se retournant.
  Le trajet de Rouen à Caudebec est fort agréable. La route serpente d'une vallée boisée à l'autre, coupant une grande courbe de la Seine ; et lorsque vous approchez de nouveau du fleuve, à Duclair, le paysage prend des allures grandioses. Un moment, la route descend par un étroit passage surplombé de rochers escarpés. Une masse en saillie, nous dit notre chauffeur, s’appelle la chaise de Gargantua. Quel lien avec la légende ? il ne saurait le dire. Mais il nous explique que c'était un géant, un gaillard et qu'il s'asseyait là, comme dans un fauteuil, avec un bras sur chaque rocher. A Duclair, la roche est également creusée de grottes à usage tantôt d'écurie, tantôt d'habitation. La vue de ces demeures troglodytes est pittoresque et saisissante et rappelle celles des roches calcaires d’Inkerman, en Crimée. A Duclair, nous perdons notre charmante et archaïque diligence et sommes transférés dans un omnibus ordinaire. Le crépuscule tombe, voilant tout le paysage. Au Trait, nous changeons encore d'omnibus, mais cette fois sans descendre : un bus est conduit le long de l'autre et les passagers s'y précipitent pendant que leurs bagages sont transbordés un à un. Ici aussi, nous perdons notre sympathique chauffeur au visage lunaire qui se dirige vers le bac et traverse la rivière avec passagers et bagages pour rejoindre une autre diligence qui l'attend sur l'autre rive. Les arrêts sont nombreux pour notre diligence. Quand les passagers descendent, de longues recherches sont effectuées sur le toit à la lueur d'une lanterne pour retrouver leurs bagages. Des colis sont demandés et tout est retourné pour trouver une boîte ou un paquet manquant. Mais tout le monde est patient ici et le temps n'a pas d'importance. Enfin, les lumières bienvenues de Caudebec apparaissent et nous arrivons au bout de notre route.
  

 
Le personnage dont nous parle cet anglais est Noël Petit, entrepreneur de voitures publiques à La Mailleraye. Il tient son métier de son père qui fut maître de poste et qui est mort en janvier 1873.

Le 1er août 1876, à la requête de Léon Baville, du Mesnil, et de Victrice Lambert, de Jumièges, les chevaux de la voiture publique de Jumièges à Rouen sont vendus. Ils sont les liquidateurs de cette société qui n'aura vécu que quatre ans. Et pourtant...
 
 Une forte fréquentation

 
Tandis qu'une ligne de chemin de fer entre Barentin et Duclair était en projet, on songea à en créer une autre entre Rouen et Duclair, via Boscherville. En 1877, pour estimer le trafic on disposait du bilan des voitures publiques.
 La voiture de Duclair à Rouen porte en moyenne, aller et retour, douze personnes par jour. Une autre voiture conduit dix personnes le mardi de Duclair à Rouen pour un aller simple. Ce même mardi, jour de marché, un bateau fait un aller et retour avec une moyenne de quinze passagers. Ce qui porte à 10 840 le nombre de voyageurs totalisés sur un an. Ce chiffre est même de 12 000. Car o
utre les voitures publiques, des voitures de louage parcourent la route de Rouen à Duclair, soit en totalité, soit jusqu'à l'abbaye de Boscherville à la belle saison.  Une tournée de 82 k., absolument classique pour les archéologues, consiste à visiter : l'abbaye de Saint-Georges de Boscherville, l'église de Duclair, l'abbaye de Jumièges, l'abbaye de Saint-Wandrille et Caudebec. (Les Guides bleus)
  Brefs, les chiffres étaient encourageants et Mecjamas; ingénieur des Ponts & Chaussées, envisageait même une ligne de chemin de fer allant de Duclair à Jumièges à travers bois.
 
Cette étude donne aussi le nombre de voyageurs qui vont de la place du marché de Duclair à la gare de Barentin. On a vu qu'une voiture publique effectue trois allers et retours par jour. Elle transporte en moyenne six personnes, ce qui porte à 13 140 le nombre de voyageurs sur un an dans la vallée de l'Austreberthe.
  M. Chenaye, entrepreneur de voitures publiques à Duclair, fut déclaré en faillite par jugement du 4 avril 1878. Syndic : M. Langlois. Jacques Amand Chesnaye est décédé en juillet suivant. Dans sa Géographie de la Seine-Inférieure parue en 1879, l'abbé Tougard indique qu'une voiture publique part tous les jours de Duclair pour Rouen et Caudebec. La même année, L'Univers illustré consacre un article aux régates de Duclair et précise : En haut de notre gravure apparaît la malle-poste de Duclair, attelée de cinq chevaux. Les régales avaient attiré tant de monde qu'il avait fallu entasser des voyageurs jusque sous la bâche de la voiture.

En avril 1880, l'entreprise Noël Petit passe une annonce au nom des diligences de Duclair, Caudebec et La Mailleraye. Il lance un nouveau service de Villequier à Rouen et vice-versa. Départ place Henri IV. Tous les dimanches, départ pour Duclair à 7h 1/2 du matin, de Duclair à 8 heures du soir.

 
  La ligne Barentin-Duclair 

Le 20 juin 1881 a lieu le voyage inaugural du train entre Barentin et Duclair. La voiture publique qui jusque là effectuait le trajet trois fois par jour disparaît donc. Reste la route de Duclair à Rouen. Et la diligence a encore de beaux jours devant elle. On en parle même dans La jeune Belgique, en 1881 : "La diligence de Duclair ne partait qu'à sept heures ; Jacques ne l'attendit pas et s'en alla à pied, nuitamment ; il lui fallait quatre ou cinq heures pour faire cette route qu'il connaissait tant..." 

  Le second tronçon de chemin de fer, allant de Duclair à Caudebec, fut inauguré le 31 juillet 1882. En mars 1884, Noël Petit cesse sont service de messageries et voyageurs entre Rouen, Caudebec et Villequier. En revanche, Dufour, messager à Duclair, annonce trois départs par semaine, les lundi, mercredi et samedis en desservant Caudebec, La Mailleraye et Villequier. Il descend toujours hôtel du Vieux-Palais, rue d'Harcourt, à Rouen.

Novembre 1885 : Albert-Victor Delaunay, conducteur d'omnibus, de Rouen, reprend le commerce de messagerie de Duclair, Caudebec et Rouen à la suite de Dufour, décédé.

Jeudi 8 septembre 1887, à 7 h du soir, au lieu dit Belle-Vue, à Guerbaville, un incendie ravage un bâtiment de 35m de long appartenant à Noël Petit et contenant notamment du foin. En vingt minutes, tout est détruit après que la toiture se soit effondrée d'un coup. Distante de quelques mètres, l'habitation est préservée par les secours. Petit et ses domestiques étaient absents au moment de ce sinistre attribué à la malveillance.
 Noël Petit se consola-t-il avec le jugement rendu ce même mois de septembre par le juge de Paix de Caudebec. Le 14 juillet dernier, le passeur du bac, Onésime Aubert, avait exigé de lui la somme de 30 centimes pour le passer après le coucher du soleil. "A cette heure-là, je prends ce que je veux". Seulement Petit connaissait le cahier des charges du bac et intenta un procès bien normand. Aubert fut condamné à restituer 30 centimes à Petit, payer une amende équivalant à une journée de travail, effectuer un jour de prison, payer l'affichage du jugement et les dépens du procès.
Puis ce fut Adonis Pelage, 46 ans, qui fut condamné à un mois de prison pour menaces de mort envers le sieur petit parmi d'autres délits.
 En mai 1889, Noël Petit fut candidat malheureux aux municipales de Guerbaville. En revanche, en septembre, il fait parler de lui. M. Létendard était un paisible rentier, route de Caudebec, à Duclair. Un soir, il sort de sa propriété en tenant son cheval par la longe. Tout à coup, l'animal est pris de fougue, rue et s'échappe. Le voilà au grand galop, d'autant plus que la chaîne de sa longe lui excite les jambes de devant en les frappant. Mais voilà qu'apparaît Noël Petit dans sa voiture. Quelques enfants sont là, à jouer devant la propriété de M. Maresquier. Petit barre la route du cheval avec son équipage, protège ainsi les enfants et maîtrise l'animal avant de le remettre à son propriétaire.

Clépoint, garçon boulanger d'Anneville, avait beaucoup bu à Rouen. Aussi dormait-il sur l'impériale de Paulin Acius. Quand il se réveilla à l'arrivée à Duclair, il s'aperçut que son chapeau avait disparu pendant le trajet. Aussitôt, il assène un coup de poing au conducteur ainsi qu'à Jules Bénard qui, lui, ne disait rien. Après quoi, le voilà qui entreprend de briser la porte de la devanture d'Acius. L'arrivée d'un gendarme change le cours des événements. Prison, procès-verbal pour ivresse et voies de fait.

22 février 1889. Le fils du jardinier de Mme Dupasseur, de Jumièges, avait attaché son cheval au treillage de la gare d'Yainville. Arrive la voiture de Noël Petit. Le cheval du garçon prend peur, arrache sa bride et part au galop. Au bas de la côte, la voiture heurte un arbre, verse et se brise. Le cheval est en revanche indemne.

 La gare de Yainville-Jumièges n'est certainement pas étrangère à une vocation. Alexandre Grain est dit conducteur de voiture publique à Yainville quand il s'y marie en 1889. Il tiendra aussi café. Le 5 décembre 1892, le tribunal prononce sa faillite en qualité d'épicier-limonadier. M. Beyer lui succède en 1893 sous l'enseigne d'une épicerie-vins. Le frère d'Alexandre Grain commettra bientôt un parricide. 

Le conducteur indélicat


Mais revenons à nos diligences. Le 3 janvier 1891, Alphonse Le Hégard, pilote, reçoit quelque 200 F de l'inscription maritime pour solde de Devos, syndic des gens de mer à Guerbaville. Il confie la somme à Eugène Langlois, 20 ans, conducteur de la voiture publique de Noël Petit à la gare de Guerbaville. Langlois s'enfuit le 5 janvier. A Doudeville, son père confirmera que ce n'est pas un garçon facile. Trois condamnations. Quant à Noël Petit, il attend toujours la recette des 2, 3 et 4 janvier... Noël Petit rajoutera une plainte contre son employé. Un jour, Langlois se présente à Rouen, hôtel du Vieux-Palais, où il se fait servir plusieurs repas. Là, il affirme qu'il est venu chercher un cheval pour le compte de Petit. L'addition s'élèvera à 5,50 F. Ce dernier fait dresser procès-verbal.

Et voilà que l'épicier de Guerbaville, Jules Normand, se plaint d'avoir été impayé par Langlois. Le préjudice porte sur un tricot et un chapeau. Les gendarmes de Guerbaville finissent par arrêter le fugitif. Le tribunal d'Yvetot le condamne à treize mois de prison.

Le 19 juin 1891, vers trois heures et quart du soir, Henri Néel, 27 ans, conducteur de la voiture publique de Noël Petit vient de desservir la gare de Guerbaville lorsque, après 200 m de parcours, le cheval s'emballe. Sa sous-ventrière s'est débouclée et lui frappe les jambes. Impossible de le maîtriser avec les guides. Alors Néel descend de son siège. Mais le marchepied du brancard a été cassé voici trois mois. Aussi pose-t-il le pied dans le vide et tombe. Les roues de la voiture lui passent au-dessus du genou. Les passagers, Soligny et Hautot, pilotes et le cantonnier-chef Alleaume, lui portent secours et le ramènent  Guerbaville où le Dr Pasquier va lui réduire la fracture.


Noël Petit a cessé de conduire en 1892, après quarante ans de service. De la Bunodière : "'Une seule fois dans l'hiver de 1889, la voiture n'est pas partie. C'était, du reste, un conducteur émérite, qui n'ayant versé qu'une fois, se mettait dans une colère bleue lorsqu'on lui rappelait cet accident. Nous l'avons vu faire assaut de mèche avec la diligence de Quincampoix, lorsque l'un et l'autre conduisaient aux courses de Rouen et brûlaient le pavé de la rue Lafayette.
"Noël, gueulard hors pair, gai compagnon, franc buveur et gros mangeur, imbattable aux dominos (pour tous autres que les intimes), grâce au petit doigt de sa main gauche qui, replié par suite d'un accident, savait à point retenir un domino en fin de partie, était aussi poète à ses heures. Son indépendance se retrouvait jusque dans les règles de la prosodie, n'ayant pas de frère comme Corneille pour lui donner la rime. Il ne s'embarrassait point pour si peu, quant aux pieds il en avait plutôt trop.

Parmi ses œuvres de poids, car il a produit des kilos, quelques-unes de ses chansons politiques auraient mérité d'échapper à l'oubli. (...)

Ce brave Noël, qui conduisait si bien les chevaux et si tristement les vers, voulut s'essayer aussi à mener les hommes. Il eut, un jour, une velléité d'ambition élection électorale et se présenta au Conseil d'arrondissement, pour le canton de Caudebec. Il recueillit juste 50 voix.

Quand il cessa de conduire la diligence, il égaya le compartiment de chemin de fer par ses histoires et ses théories. Nous recommandons à nos météorologistes rouennais l'examen de sa thèse sur le bouleversement des saisons :

"Cela vient de ce que le soleil et le lune ne se lèvent plus à la même place et ce à cause des tunnels et des charbonnages qui ont changé l'équilibre de la terre".

En bon et fidèle bonapartiste, Noël Petit mourut le 15 août 1902. C'est un type disparu qui sortait de l'ordinaire et de l'ornière où l'abaissement des caractères tend de plus en plus à précipiter la foule de nos contemporains, sous les roues du char gouvernemental.

La voiture de Duclair est actuellement la propriété d'Acius, Eugène, fils de celui qui succéda à Noël en 1892. L'accident que le Nouvelliste a raconté le 19 septembre 1907, n'a fait que la rajeunir et elle vient régulièrement dételer tous les jours, place Henri-IV, hôtel du Vieux-Palais. C'est maintenant la dernière diligence qui desserve Rouen en l'an de grâce 1908.


Noël Petit aura impressionné deux autres érudits : Georges Dubosc et Edmond Spalikowski. Nous le retrouvons durant la campagne électorale de mai 1898. Et voici ce qu'en dit Le Travailleur normand : 


  "Deux vieux copains politiques se rencontrent mardi au marché de Duclair. Le premier est M. Noël Petit, ancien conducteur de la voiture publique, bien connu dans toute la région. Le second M. Quilbeuf, agriculteur au Houlme, aujourd'hui candidat avec l'étiquette républicaine dans la 4e circonscription. A Duclair, tout le monde connaît la brutale franchise et la loyauté de M. Noël Petit, aussi, quand on l'aperçoit se diriger vers le nouveau candidat, un groupe important se forma bien vite et on entendit M. Noël Petit s'exprimer ainsi, s'adressant à M. Quilbeuf :
 — T'es pas honteux de te dire républicain, tu étais avec nous, tu faisais partie de notre comité bonapartiste !
 Devant cette apostrophe, M. Quillbeuf est resté coi comme l'homme de la chanson. Il est parti sans demander son reste..."
 Après cet article, Noël Petit demanda au journal de publier sa version. "Je me promenais dans le bourg de Duclair lorsque j'ai rencontré M. Quilbeuf et je lui ai déclaré que j'étais très heureux de lui serrer la main comme ami mais que j'étais surpris de le voir transformé en républicain et qu'il se couvrait d'un manteau qui n'était pas le sien. Je ne lui ai pas dit qu'il était bonapartiste mais orléaniste et qu'aujourd'hui il suivait les opportunistes qui font la perte de la France".  Suivons maintenant notre postillon au temps où il était encore en activité...

 

 Paulin et Eugène Acius 

En 1892, Paulin Acius céda les rênes de la diligence de Duclair à son fils Paul-Eugène. Puis il mourut trois ans plus tard. Paul-Eugène épousa en 1901 Léontine Decaux. 


 
 

Georges Dubosc, 1894


  
 

Plus classique à cause de sa couleur jaune, avec sa bâche sous laquelle on apercevait nombre de paysans juchés, est la diligence de Duclair, une des voitures populaires de notre bonne ville. Rien qu’en la voyant tourner la rue d’Harcourt au galop de ses chevaux, faisant sonner les grelots de leurs colliers, on avait la vision des diligences de la vieille France, emportant toute une compagnie de voyageurs, qui préfèrent encore la diligence aux lenteurs du petit chemin de fer local. Du reste, quel joli parcours varié suit la vieille diligence !

 C’est la montée de la route poudreuse de Canteleu, avec cette admirable vue sur les clochers et sur les détours de la Seine, qui longe les hauts réservoirs de la Cité du Pétrole. Puis c’est l’entrée en Roumare, en passant devant les murs écroulés du Genetey. Puis la voiture dévale en laissant de côté Hénouville, chanté par Antoine Corneille.
 
  Les collines par onde en forme de sillons,
 
 Les tours et les détours de l’agréable Seine,
 
 Qui coule en serpentant dans cette large plaine,
 
 Les vaisseaux qu’elle porte en son vaste canal,
 
 Son onde qui paraît un liquide cristal.
  
Voici Saint-Martin-de-Boscherville, puis le petit hameau de la Fontaine et la Chaise de Gargantua, avec ses hautes roches blanches, au pied desquelles file la diligence.  Encore quelques galopades et voici Duclair, cher aux gourmands, Duclair et ses canetons fameux !
 
 
 
 

La route est courte – vingt kilomètres environ – mais elle est animée et égayée par la bonne humeur et les saillies lancées d’une forte voix par le conducteur qui n’était autre que Noël Petit. C’était un gai compagnon, à l’encolure puissante, au verbe sonore qui savait dominer le tumulte des bals masqués. Ardent politique, il n’en était pas moins un poète qui inspirait un vif patriotisme. Vard, le graisseur de wagons de Vernon, était bien un poète ouvrier d’un véritable talent. Pourquoi Noël Petit, le vibrant conducteur de diligence, ne le serait-il pas aussi ?

 

En dépit de quelques cahots dans le rythme, de quelques écarts dans la mesure, Noël Petit aurait pu conduire le quadrige d’Apollon, dieu de la poésie, tout aussi bien qu’il menait la voiture de Duclair au défilé des Courses.

En octobre 1895 eut lieu un gros accident de voitures à Rouen. Désiré Neveu, cocher au service de M. Noël, loueur de voitures rues Saint-Maur, conduit des voyageurs à la barrière du Havre. Il en revient, suivant la ligne de tramway. Quand un confrère conduisant un attelage à deux chevaux lui crie : Désiré, fais attention à toi ! Le cocher range sa citadine. Hélas, sa roue arrière est accrochée par une voiture légère conduite à vive allure par Périnel, boucher, rentrant à Duclair avec un ami. Dans le choc, le passager, M. Masson, ancien cordonnier de Boscherville demeurant depuis à Canteleu, est projeté au sol ainsi que Périnel. Le premier, crâne ouvert, rendra l'âme à la pharmacie Leroy malgré les premiers soins. Le second fut conduit dans un état très grave dans la voiture de Neveu à l'Hôtel-Dieu. Rétabli, Périnel fut poursuivi pour homicide par imprudence. On lui reprochait d'avoir conduit sa voiture à trop vive allure, "comme un imbécile" dira même un témoin. Le boucher fit appel de sa condamnation à un mois de prison et 100 F d'amende.

Le Travailleur normand du 22 novembre 1896 s'insurge :  "Les paveurs ont un singulier sans-gêne et respectent peu les arrêtés municipaux alors qu'ils travaillent sur des voies appartenant aux Pont et Chaussées. Ils ont dédaigné d'éclairer les travaux de réparation de chaussée qui se font sur le quai du Mont-Riboudet cette semaine Ils ont ainsi failli faire verser diverses voitures et notamment la diligence de Duclair."

   

  1897. Une voiture publique prend en charge le photo-club de Rouen à la gare de Yainville pour mener ces messieurs à Jumièges après une halte à l'église Saint-André.
 

En 1901, le guide Joanne indique que des voitures sont à louer à Duclair aux hôtels de la Poste et de Rouen, sur les quais, ainsi qu'à l'hôtel-auberge du Cheval-Rouge, sur la place du marché. Une course à Boscherville vaut 8 F, à Jumièges 10. L'hôtel de Rouen était tenu par M. Mellon et une grande porte cochère était surmontée de l'inscription Ecuries Remises.

 

A Jumièges, Vauquelin, de l'hôtel de l'abbaye, dispose d'une voiture publique pour la station d'Yainville. C'est 50 c. la course.

 

Eugène Acius déposait ses voyageurs place Henri-IV. Le 28 décembre 1902, le Travailleur normand en fait état : " On nous signale une anomalie curieuse dans l'éclairage de cette place. Tout le côté sud est absolument dépourvu de becs de gaz et cependant c'est certainement le côté le plus fréquenté. C'est par là on effet que se trouvent le débit de tabacs, la station des voitures de Duclair, etc., qui amènent forcément un mouvement plus actif dans leur direction. Il suffira, je pense, de signaler cette absence de lumière, qui ne peut résulter que d'un oubli, pour que l'autorité compétente y porte remède, Il n'est pas à croire du reste que la dépense à faire soit élevée. "

 

Cette même année 1902, Noël Petit, la figure emblématique des diligences de la région meurt célibataire à l'âge de 70 ans.

Et toujours des accidents

Signe des temps. Au début de 1903, des expériences de messagerie automobile sont tentées dans la région à partir de Rouen. La traction animale reste un moyen de transport dangereux. En janvier 1907, à Duclair, le jeune René Ruquet, seize ans, voulant monter sur un chariot en marche, est tombé si malheureusement qu'une des roues du véhicule lui a écrasé l'extrémité du pied gauche.  

  Le Journal de Rouen du 20 septembre 1907 fait état d'un accident bien plus spectaculaire. Si bien que l'information sera reprise dans la presse nationale. On y apprend que le cocher de la diligence de Duclair est un certain Durand...  

Un omnibus qui culbute

 

Un bizarre accident s'est produit hier matin sur l'avenue du Mont-Riboudet. Contrairement à ce qu'on avait cru tout d'abord, il n'a eu que des conséquences peu graves.

 Il était près de dix heures et quart quand la voiture publique faisant le service de Duclair à Rouen et vice-versa passait sur l'avenue du Mont-Riboudet.
 Le petit omnibus conduit par le cocher Durand et traîné par deux chevaux attelés en flèche filait à une assez vive allure vers la place Henri-IV, point terminus du trajet où il devait arriver vers dix heures et demie. Deux jeunes filles et deux dames occupaient l'intérieur de la voiture et plusieurs autres voyageurs avaient pris place sur l'impériale.
 L'attelage, contrairement à l'habitude, suivait sur le côté droit de la chaussée, l'espace assez étroit du reste, compris entre la ligne du tramway et le trottoir de la contre-allée. Au moment où l'omnibus arrivait à l'endroit appelé "les deux canons", il fringala, c'est-à-dire que par suite de la déclivité très accentuée du sol, les roues dérapèrent brusquement.
 Le mouvement imprimé à la voiture fut tel que l'avant train se brisa et que les roues du côté droit s'étant elles-mêmes rompues, le coffre fut projeté sur la contre-allée de l'avenue.
 Inutile de dire que les voyageurs, effrayés, avaient poussé des cris terribles et que, de toutes parts, on accourut à leur secours. Mais, heureusement, aucun d'eux n'était sérieusement blessé.
 Les quatre dames qui se trouvaient à l'intérieur furent tirées non sans peine de leur fâcheuse position. Elles n'avaient que des contusions très légères à la face et aux mains, contusions causées par les éclats des vitres brisées. Quant aux voyageurs assis sur l'impériale et au conducteur, ils avaient été heureusement protégés par la grosse bâche qui recouvre la partie supérieure de la voiture. Toutefois, un des voyageurs, un Anglais, avait été plus sérieusement contusionné à la jambe gauche. Mais sa blessure, toute superficielle d'ailleurs, ne l'a pas empêché de se rendre à pied chez un commerçant du voisinage, M. Narcisse, qui avec beaucoup d'empressement, lui donna quelques soins.
 L'Anglais et ses compagnons de voyage, vite remis de leur émotion, ont continué leur route sur Rouen, les uns à pied, les autres par le tramway.
 La voiture a été relevée au commencement de l'après-midi et remisée chez un carrossier de la ville. On assure que les roues n'étaient pas très solides et il n'est pas surprenant, dans ces conditions, qu'elles n'aient pu résister au fringalage de l'omnibus sur la pente de la chaussée.
 Rappelons, en terminant, qu'il y a un an environ, à peu près au même endroit, la roue d'un autre omnibus de Duclair s'était déclavetée. Le véhicule avait culbuté, mais les voyageurs n'avaient également reçu que des contusions sans gravité.


A Boscherville, le soir du 28 juin 1908, Eugène Lenormand, messager, faisant le service de La Mailleraye à Rouen, conduit une voiture lourdement chargée vers la capitale normande. Au sommet de la côte, il veut descendre mais, s'étant pris les pieds dans les guides, il tombe et l'une des roues lui passe sur les jambes. Passe alors à vélo Fontaine, garçon boulanger à Duclair, qui arrête l'attelage et alerte Couillard, commerçant à Canteleu. Ce dernier se rend sur les lieux et transporte la victime à l'Hôtel-Dieu.


Une nuit, en avril 1909, le messager Albert Durosay fait son service de Rouen à Duclair. Sa voiture est lourdement chargée. Derrière suivent deux autres, l'une conduite par sa femme, l'autre par son frère Gaston, messager à Caudebec. Dans la descente vers Boscherville, Albert lance aux autres que l'on approche du premier virage. Puis sa voix devient un cri d'effroi. Aussitôt, abandonnant leur attelage, ses proches de précipitent. Ils trouvent le malheureux tombé sous son véhicule, entre le sol et la civière chargée de quelque 400 kg. Quand il il retiré de là, on ne peut que constater sa mort qui aura été instantanée. A Duclair, Durosay était très estimé. A 36 ans, il laissait une veuve et deux fillettes.

17 juin 1910. Duclair. — Un cocher, Albert Duboc, 39 ans, demeurant A Rouen, reçoit de son cheval une ruade qui lui fracture une côte et le contusionne à l'abdomen.
Le 14 juillet 1910, date de l'assassinat du maire de Jumièges, le coup de revolver de Jules Martin fut suivi de coups de tonnerre comme on n'en vit jamais à Duclair. Des éclairs, des torrents d'eau. La foudre s'abattit près de la diligence d'Acius qui s'en revenait de Rouen. Effarouchés, les chevaux se cabrèrent. Mais il n'y point de drame.

En ces années 1910, Raoul Neveu, de l'hôtel Littré, à Jumièges conduit ses clients en carriole à cheval à la gare d'Yainville. A Duclair, Ernest Chéron est entrepreneur de voitures publiques. Un matin de juillet 1912, il transporte deux passagers et descend la rue Pavée. Parvenu en bas, le cheval détèle et continue sa route. Au tournant de la route de Rouen, le brancard lui frappe le flanc droit. Alors, le cheval monte sur le trottoir, son pied gauche se prend dans la borne-fontaine dont un des leviers s'enfonce dans le poitrail de l'animal. Heureusement, le boulanger Folie le saisit d'une poigne solide qui évitera l'accident.

Devant l'hôtel de la Poste, Eugène Acius est ici au premier plan tandis qu'un employé retire l'échelle menant à l'impériale. 

La diligence a cessé son service en 1915 avec l'avènement des lignes d'autocars. A Caudebec, ce n'est qu'en 1927 qu'une automobile remplacera l'omnibus tiré par deux chevaux.

Et voici l'autocar 

Trente ans après un premier article sur la diligence de Duclair, Georges Dubosc écrivit une nouvelle version. "Au coin de la rue Écuyère, dans la rue Rollon, stationne actuellement un grand autocar, de forme carrée, peint d'un vert superbe et qui assure, pour de nombreux voyageurs, un rapide transport pour Duclair et pour les villages sur la route. Ce nouvel autocar nous fait souvenir de l'ancienne voiture de Duclair qui fut une des dernières diligences de Rouen, et aussi une des plus populaires. Que de fois on la vit partir de l'hôtel du Vieux-Palais !

 

 Rien qu'en la voyant tourner au coin de la rue d'Harcourt, au galop de ses chevaux faisant sonner les grelots de leurs colliers, avec sa bâche sous laquelle on apercevait nombre de voyageurs juchés, on avait la vision des diligences de la vieille France.
  La route de Duclair, par Canteleu, la forêt de Roumare, Saint-Martin-de-Boscherville, était courte, mais elle était alors animée et égayée par la bonne humeur et les saillies lancées d'une voix forte par le conducteur qui s'appelait Noël Petit. C'était un gai compagnon à l'encolure puissante, au verbe sonore, qui savait dominer jadis le tumulte des réunions publiques. Ardent politique qui aurait été heureux de fêter le centenaire de Napoléon, Noël Petit était aussi poète à ses heures.
  En dépit de quelques cahots dans le rythme, de quelques écarts dans la mesure, Noël Petit aurait pu conduire le quadrige d'Apollon, dieu de la poésie, aussi bien qu'il menait la diligence de Duclair, au défilé des Courses rouennaises. La diligence de Duclair est disparue, comme celle de la Feuillie qui transporta souvent Michel à Vascœuil, comme la bonne vieille patache de Cailly, basse sur roues, qui s'arrêtait à l'hôtel du Cygne, sur la place Beauvoisine, disparu lui-même. Place à la locomotion automobile et place au nouvel autocar verdoyant de Duclair !

 

EDMOND SPALIKoWSKI, 1933
 


 Edmond Spalikowski s'est certainement inspiré de Dubosc pour écrire ce texte en 1933 qui évoque la fin des diligences :  

"Mais la dernière des dernières a été je crois la patache de Duclair à Rouen. Traversant une région édenienne que jalonnent Canteleu, la forêt de Roumare et Saint-Martin de-Boscherville, elle permettait ainsi aux voyageurs d'admirer des sites incomparables.

 

De plus, elle fut conduite pendant quelques années par un poète bonapartiste, Noël Petit dont la voix chaude lançait entre deux couplets politiques ou deux jurons quelques strophes de sa façon. Un cénacle de classiques se fut peut-être indigné des entorses données à la versification, mais le rythme y était et la façon de dire rendait toute sa valeur à l'œuvre.

 

A la montée de la côte si rude de Canteleu, chère à Guy de Maupassant, le bonhomme y allait de sa chanson, puis après le petit coup pris au café du village, le grelot des limoniers l'obligeait à se taire.

 

Mais le poète reprenait ses droits après la descente de Boscherville, dès qu'il apercevait les roches blanches qui annoncent Duclair. Il s'arrêtait à la Fontaine, regardait avec un émerveillement toujours nouveau le fameux rocher dit Chaise de Gargantua, et entrait triomphalement dans Duclair aux quais désertes à l'heure tardive où s'arrêtait la guimbarde.

 

Le lendemain, de bon matin, Noël Petit reprenait le fouet, roulant vers la grande cité où il remisait ses chevaux à l'Hôtel du Vieux-Palais, une de ces vieilles auberges rouennaises dont il serait amusant de conter aussi l'histoire. Que de générations grandies le long de ces vingt kilomètres de route campagnarde, verdoyante et fleurie, ont entendu la chanson du barde-conducteur et le bruit des grelots tandis que le passage du véhicule indiquait l'heure aux ménagères dont l'horloge à gaine était arrêtée..."

  

   

La diligence de Paul-Eugène Acius ici à Rouen
 
   

Ailleurs, Spalikowski écrit à propos d'Yainville : " J'ai connu cependant le temps où une diligence assurait le service des voyageurs entre la gare et l'abbaye. Sa disparition en laissant le champ libre aux autos n'en a pas moins enlevé ce peu d'animation que crée aux mêmes heures le passage d'un attelage essaimant le bruit en jetant sa fanfare de grelots et de ferraille sur la monotonie campagnarde."

 

La même année, dans son ouvrage Sur les routes normandes, Spali évoque ainsi la figure de la Mère Lamour, la fameuse vendeuse de journaux et de cartes postales décédée en 1920 : "Elle est morte avec la diligence de Duclair, comme toutes ces choses qui répondaient à une ère de naïveté et de simplicité, mais qui détonneraient aujourd'hui que les mœurs plus rudes et le progrès tyrannique ont transformé notre manière de vivre. Personne, cependant, ne regrette la lente et lourde machine brinqueballante reliant le gentil bourg renommé pour ses canards, avec la capitale normande." 

 

Personne, vraiment, ne regrette la diligence de Duclair ? Pas si sûr... Un auteur dont j'ai oublié le nom en gardait la nostalgie : « on ne reverra plus, dans nos villages, ces vieilles hôtelleries, ces maisons joyeuses pleines du bruit des voitures, des grelots, des postillons et des claquements de fouets; on ne verra plus la foule accourir à l'arrivée de la lourde voiture, interroger les voyageurs qui mettent pied à terre pour se réchauffer et se dégourdir les jambes. Le postillon n'est plus le messager des bonnes et des mauvaises nouvelles ».

   
Laurent QUEVILLY.
 

Sources  
Figoli, Attelage patrimoine Journal de Rouen.
H. de la Bunodière, le Nouvelliste de Rouen.
Jean-Pierre Hervieux, Le relais de poste des Vieux
Le Canton de Duclair, Gilbert Fromager.

Comment on affilait aux eaux en diligence il y a cent ans, Eugène-Humbert Guitard, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1943.
Annales industrielles, 8 juillet 1877.
Images de Barentin;, Claude-Paul Couture.
Nouvel itinéraire de Rouen et des environs, 1843.
Gérard Joly, La poste aux chevaux en 1833.
Jean Legoy, « Hier, Le Havre, tome II », 1997.
C 621-630 : Postes et messageries (1756-1790) : réglementation, personnel, état des relais, plaintes venant des fermiers des messageries ou des particuliers
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Super article , qui m'a doublement intéressé : ma grand-mère, avant son mariage (en 1910 ) ,a travaillé à l'hôtel de la Poste tenu par Henri Denise . Elle a donc connu la diligence d'Eugène Acius. Jean Chartier

en octobre 2011 un bâtiment situé à proximité du bac, face au Crédit Agricole, a été démoli : c'était l'ancien abri de la voiture de Duclair. Jean-Pierre Hervieux.