C'était sous l'occupation anglaise. En 1425, digne d'un film de cape et d'épée, une course poursuite mémorable trouva son épilogue sur marché de Duclair. Road moovie...
Cathédrale St-André d'Avranches
On va bientôt retrouver tout ce beau monde à Duclair. L'occasion de goûter à la langue française en usage à l'époque...
Rémission à deux Anglais et à leurs serviteurs, coupables d'avoir battu un orfèvre d'Avranches auquel ils réclamaient un anneau d'or volé à l'un d'eux par une chambrière. (JJ 173, n. 253, fol. 126 recto.)
Henry, roi
d'Angleterre etc. Faisons savoir etc. Nous avons reçu
l'humble supplique des amis et parent de Jehan Pesemrffhe et Jehan
Boutelier ainsi que de Jehan Brisebon et Colin Sanson, leurs
serviteurs, natifs de notre pays et royaume d'Angleterre. Une chambrière de Boutelier lui avait pris un anneau d'or et trois ou quatre écus d'or qu'elle porta à Martin Vigner, orfèvre à Avranches pour les transformer en un ouvrage qu'elle lui commanda. Apprenant cela, Boutelier demanda à les récupérer par l'entremise de son ami Pesemerffhe qui se rendit chez l'orfèvre. Là, Vignier avoua effectivement avoir reçu un anneau et un écu de cette chambrière. Pesemerffhe lui expliqua le mauvais tour qu'avait joué la chambrière à son ami et fut assuré que l'orfèvre rendrait les objets du délit sans traiter la commande de la chambrière et ne quitterait pas Avranches d'ici là. |
Henry
etc. Savoir faisons, etc.,
nous avoir receue lumble supplicacion des parens et amis charnelz de
Jehan Pesemerffhe, Jehan Boutelier et Jehan Brisebon et Colin Sanson,
leurs serviteurs, natifs de nostre pays et royaume d'Angleterre,
contenant que come nagaires une chamberiere dudit Boutelier eust prins
et osté audit Boutelier ung anel ou verge d'or et iij ou
iiij
escuz d'or, au desceu dudit Boutelier, son maistre, lesquelz elle
eust portez et bailliez a Martin Vigner, orfèvre, lors
demourant a Avrenches, où lesdis Pesemerffhe
et Boutelier demouroient, pour les convertir en certain ouvrage qu'elle
lui avoit commandé fere. Laquelle chose venue a la
congnoissance
dudit Boutelier, eust fait demander audit Vigner par ledit Pesemerfihe
iceulx anel et escuz. Lequel Vignier eust confessé audit Pesemerffhe que ladicte chamberiere lui avoit baillé ledit anel ou verge d'or et ung escu. Et pour ce icellui Pesemerffhe pour ledit Boutelier, qui estoit son ami et affin, eust dit audit Vignier que ledit anel et escu estoient a icellui Boutellier et que ladicte chamberiere les lui avoit ostes, que c'estoit raison que ilz lui feussent restituez. Lequel Vigner eust promis et accordé audit Pesemerffhe qu'il ne partiroit point de ladicte ville d'Avrenches jusques a ce que restitucion feust faicte de ce dont il lui faisoit demande ou que il y eust aucun appoinctement fait entre eulx et ladicte chamberiere. |
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Rattrapé
entre Caudebec et Duclair |
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Seulement, Vignier quitta très vite
Avranches sans tenir sa promesse. Il fit halte à Saint-Lo et
se rendit dans la région de Rouen. Apprenant cela, Boutelier
et Pesemerffhe en firent de même, accompagnés de
deux serviteurs. Parvenus sur les lieux, ils tombèrent par hasard sur Vigner, sur le grand chemin de Caudebec à Duclair. Alors, Boutelier lui demanda s'il allait enfin lui rendre ce qui lui appartenait. Embarrassé, l'orfèvre lui répondit que les objets se trouvaient à Saint-Lo, dans l'hôtel où il demeurait à présent. Colère de Boutelier. Il jure à Vigner qu'il ne lui échappera pas tant qu'il n'aura pas tenu sa promesse. Le ton monte, Vigner tente de s'enfuir. Puis on en vient aux mains. Boutelier, pris par sa robe, tombe de cheval. Mais le voilà qui assène des coups de poing au visage de son adversaire en le tenant à son tour par les vêtements. On en est là. Après discussion, on tombe d'accord pour aller porter devant la justice l'objet du différend. |
Et
ce non obstant, tantost après ledit Vignier se parti dudit
lieu d'Avrenches, pour sen venir vers les parties de Rouen, sans avoir
acompli sesdictes promesses. Lesquelz Boutelier et Pesemerffhe,
après le partement dudit Vignier, partirent semblablement
dudit
lieu d'Avrenches, sur espérance deulx en venir audit lieu de
Rouen, pour leurs afferes et besoingnes. Et en venant audit lieu, trouvèrent d'aventure ledit Vignier entre la ville de Caudebec et Ducler. Auquel Vigner ledit Boutelier demanda se il lui rendroit point sondit anel et escuz que sadicte chamberiere lui avoit bailliez. Lequel eust respondu qu'il les avoit laissiez a Saint Lo, en son hostel, où il estoit a présent demourant. Et lors ledit Boutelier lui dist ces paroles, ou semblables en substance, que il ne lui eschapperoit pas jusques a ce que lui eust baillé plege de lui rendre sondit anel et escuz. Et sur ce, se feussent meues parolles entre eulx ; pour lesquelles ledit Vignier se feust essoyé de soy enfuir et eschapper de ladicte compaignie. Et lors ledit Boutellier fut prins par sa robe telement que il leust fait cheoir de dessus son cheval a terre, et si fery de son poing par le visage ledit Vignier, en le prenant par sadicte robe. Et après pluseurs autres parolles dictes entre eulx, eussent esté d'accord de venir par devers aucune personne de justice, pour avoir chascun seurté de ce dont ilz descordoient. |
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Coups d'épée devant l'église |
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Voilà tout
notre monde à Duclait. Et l'on demande où se
trouve le sergent du roi. La chose étant
précisée, Boutelier se met en chemin, suivi de
l'orfèvre. Vigner met pied à terre et
pénètre dans les halles du marché.
C'est jour de marché et il y a beaucoup de monde. Soudain, Vigner s'enfuit vers l'église, l'épée à la main. Des quatre autres, restés sur leur monture, Pesemerffhe se détache et galope à la poursuite du fuyard. Il le rattrape, le saisit pour l'arrêter. Mais l'autre lui assène un coup d'épée à la main gauche. La plaie est béante, les tendons de plusieurs doigts sont coupés et l'Anglais saigne en abondance. Alors le blessé descend de son cheval, sort son épée et en donne plusieurs coups à Vignier qui se défend comme un beau diable. |
Et
sur ces termes feussent venuz ensemble jusques en la ville de
Ducler, a iiij lieues près de Rouen; auquel lieu ilz
demandèrent où estoit le sergent du Roy, qui leur
fut
enseigné et dit là où il estoit. Et
pour aler
devers lui se feust ledit Boutellier mis en chemin, cuidant que ledit
Vignier le suyst et alast après lui. Lequel Vigner se feust
demouré derrière et descendu a pié
dedans les
halles du marchié dudit lieu de Ducler, où il
avoit
foison de gens, pour ce que il estoit jour de marchié, et
s'en
commença a fuir vers Leglise dudit lieu, tenant son
espée
sacquée en sa main. Et quant lesdis Boutelier et Pesemerffhe
et
Jehan Brisebon et Colin Sanson, leursdis serviteurs, l'apperceurent,
ledit Pesemerffhe courut tantost sur son cheval après lui et
l'ataigny, et voult mectre la main a luy pour luy arrester. Lequel
Vigner frappa icellui Pesemerfhe un horion de son espée sur
la
main senestre et lui fist une grant playe et coppa les nerfs de
plusieurs de ses dois a grant effusion de sang. Lequel Pesemerffhe,
voyant la grant playe et sang que lui avoit fait ledit Vignier,
descendit de dessus son cheval, sacha son espée et en donna
pluseurs horions audit Vignier. Et ledit Vignier semblablement feroit
sur ledit Pesemerfhe et se defendoit au mieulx et plus fort que il
povoit. |
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Arrêtés
par le sergent royal |
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Mais voilà qu'apparaît le
sergent de Saint-Joyre qui procède à
l'arrestation de tout ce monde. Il écoute
bientôt les belligérants
qui promettent encore une fois d'aller en justice pour
régler leur litige. On conduisit donc les quatre plaignants à Rouen. Là, Pesemerffhe fut mené devant Pierre Poulin, lieutenant général du bailli. Pesemerffhe jura de demeurer à Rouen et de se tenir à la disposition se la justice jusqu'à ce que la cause soit entendue. Mais les choses furent manifestement plus compliquées quand on vint signifier à Vignier qu'il allait être lui aussi mené en justice... |
Et
tantost après le sergent de la sergenterie de Saint-Joyre
seuirvint sur eulx et les arresta prisonniers. Et pour ce qu'il lui
sembloit qu'il n'eust pas dangier de mort ou mehaing en ladicte bateure
ou malefaçon, ledit sergent print et receut pleiges des
dessusnommez, qui se submistrent de aler devers justice pour ester a
droit sur ledit cas et malefaçon. Et pour ce que ledit Vigner n'avoit aucun pleige qui le pleigast, ledit sergent dist que il le menroit ou feroit mener par devers justice audit lieu de Rouen. Lesquelz Pesemerffhe et Boutellier, Jehan Brisebon et Sanson feussent venuz audit lieu de Rouen, et en especial feust venu ledit Pesemerffhe devers Pierre Poulin, lieutenant general de nostre bailli dudit lieu, auquel lieutenant le cas dessusdit fut declairé par ledit Pesemerffhe. Lequel lieutenant eust deffendu audit Pesemerffhe qu'il ne patist point de ladicte ville de Rouen, en l'arrestant prisonnier en icelle, jusques a ce quil eust parlé a lui et congneu dudit cas plus plainement. Et dit ledit lieutenant que icellui Pesemerffhe lui promist venir ou aler devers lui toutesfois qu'il le manderoit. |
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Il agresse le sergent |
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Vignier
tenta de tuer le sergent en s'emparant du couteau que portait un homme
commis pour le conduire à Rouen. Il fallut la force pour lui
ôter cette arme qui fut rompue par les gens qui
étaient
là présents. L'orfèvre se
débattit avec
tant de fougue qu'il tomba de lui même dans un cellier et
s'occasionna de graves blessures. Qu'importe, on se résolut
de
le ligoter pour le transporter enfin à Rouen le lendemain de
cette scène. Il y fut le mercredi 19 septembre et
survécut jusqu'au samedi, jour où il passa de vie
à trépas. De leur côté, les deux amis d'Avranches et leurs serviteurs redoutaient les rigueurs de la justice et évitaient d'apparaître dans les lieux publics, espérant un acquittement. Ce qui leur fut accordé par le conseiller du roi à Paris, Oger. |
Et,
come l'en dit, ledit Vignier, desplaisant qu'il
deust estre mené a justice pour ledit cas, tira un coustel
qu'il
osta a un des gens, qui là estoit commis par ledit sergent
pour
le mener, et en fery ou esseya a ferir ledit sergent. Lequel coustel
lui fut osté par force et rompu par les gens qui
là
estoient presens, et se debaty et defforça telement que en
soy
deforçant il chey en ung celier. Et en ce faisant fut
icellui
Vignier moult grevé et blecié ; et en conclusion
le
convint lier par force pour le amener a justice audit lieu de Rouen;
auquel lieu il fut depuis le mercredi XIXe jour de septembre derrain
passé, qui estoit le jour ensuivant dudit cas advenu,
jusques au
samedi ensuivant que par male arde ou autrement il ala de vie
a
trespas. Pour occasion duquel cas, les dessusdis Boutellier, Pesemerffhe, Brisebon et Sanson, doubtans rigueur de justice, se sont les aucuns retraiz en aucunes églises ou lieux d'aumosnes et les autres absentez, et par ce n'oseroient jamais retourner ne converser en nostre royaume Si donnons en mandement par ces présentes au bailly de Rouen |
Donné a Paris, au mois d'octobre. Lan de grâce mil quatre cens et vint cinq, et de nostre règne le tiers. Ainsi signé : Par le Roy, a la relacion du Conseil. Oger.