Les énervés de Jumièges ! C'est ainsi que leurs voisins désignaient les habitants du cru. Enfants, on nous racontait que deux fils de roi, punis par leur père, avaient dérivé sur la Seine, les jarrets coupés, pour s'échouer à Jumièges où ils avaient depuis leur tombeau. Connue dans toute l'Europe, cette légende était-elle une belle supercherie...

 Par Laurent QUEVILLY.

La légende des énervés se situe à l'époque de Filibert, dans les années 660. Alors que Clovis II, béni par sa sainte femme Bathilde, entreprend de se rendre longuement en terre sainte, le gouvernement est confié à son fils aîné sous la régence de la reine. Mais voilà que le dauphin s'oppose à sa mère, l'exclut du conseil et entraîne avec lui son cadet dans la révolte. Apprenant cela, Clovis rentre précipitamment en France. Ses fils lui opposent immédiatement une armée. Alors, Clovis leur adresse un messager de paix. Qui échappe de justesse à la mort! Fort des prières de sa vertueuse épouse, le roi finit par triompher des rebelles. Il réunit ses leudes qui n'osent porter jugement contre la lignée royale. Bathilde, elle, a son idée: "Je juge que doivent être affaiblies la force et la puissance de leur corps, puisqu'ils ont osé les employer contre le roi leur père." 

Un antique supplice
Supplice emprunté à l'Orient, l'énervation était connue des Romains qui punissaient ainsi les soldats coupables de fautes graves.
En France, elle s'appliquait encore après Charles Martel. On usait du fer, du feu, voire de l'eau bouillante.

Une représentation de l'énervation des deux princes

L'historien Guillaume de Jumièges appelait cette cruelle opération cauteriare. Mais il ne fait aucune allusion aux fameux enervés Jumièges. Ce qui peut praître troublant de la part de notre chroniqueur, contemporain de Clovis II.  Le Dr Paul-Joseph petit a consacré un opuscule à l'énervation et aux énervés de Jumièges en 1902.
 

Mais la légende est là. Nos deux princes eurent les nerfs des jarrets anéantis par le feu. Pantelants, expiant leur faute par le jeûne et la prière, ils offraient un triste spectacle au couple royal. Comme ils demandèrent à entrer en religion, on ne sut à quel monastère les adresser. "Fions nous jusqu'au bout à la providence" estima Bathilde qui eut l'idée de les confier à la Seine, dans une barque à la dérive, accompagnés d'un serviteur et de vivres.

Le bateau fut construit, des lits aménagés. Et les deux princes embarquèrent en se signant devant un grand concours de peuple. Ils dérivèrent ainsi jusqu'en un lieu appelé Gemme. Filibert vint à eux et reconnut en leurs parures les héritiers d'une riche lignée. Il les conduisit jusqu'au moutier de Monsieur Saint-Pierre pour en faire de fidèles serviteurs de Dieu. Avertis, le roi et la reine vinrent à Jumièges, en agrandirent le monastère, lui léguèrent des terres. Nombre de seigneurs se firent moine tandis que les deux princes finirent leurs jours ici jusqu'à ce que "Notre Seigneur reçust leurs âmes en paradis". 

Pure légende !

Pure légende ! Inepte roi fainéant, Clovis est mort très jeune, 21 ans peut-être, 26 tout au plus, un âge en tout cas où ses enfants n'étaient pas en mesure de se dresser contre lui. Pleutre, il ne si fit jamais pèlerin en terre sainte. Ses trois fils, Clotaire, Childéric et Thierry, ont tour à tour régné et n'ont jamais été moines, encore moins énervés.

Cette histoire apparut en fait bien plus tard, dans un manuscrit du XIIe siècle, sans doute pour justifier l'origine de biens considérables effectivement consentis par la reine Bathilde. Sous l'influence des croisades, on réécrit alors l'histoire pour mener tous ses héros à Jérusalem. C'est dans une vie de sainte Bathilde, rédigée en latin, qu'apparaît le supplice des Enervés: "Et lorsque les jeunes hommes eurent été amenés devant leur père, en présence de tous, elle ordonna qu'on leur brûlât les nerfs des jarrets avec des clous rougis au feu." Notons que les Annales de Jumièges, rédigées en 1225, on fait allusion à un seul Enervé. Une fois supplicié, dit ce récit, il fut directement enfermé à Jumièges où il aurait fait don du quart de ses biens. Une copie de ce texte fut grattée plus tard pour mettre au nombre de deux nos fameux Enervés. Voilà qui s'appelle faux et usage de faux...

Le corps des deux princes, affirme Dom Cousin, auraient été retrouvés en 934 dans le chapitre et translatés en l'église Notre Dame. Leur tombeau n'est certainement pas de cette époque. Il jure même par une erreur anachronique. Car les deux princes sont vêtus d'habits ornés de fleurs de lys. Or ces attributs ne sont apparus qu'au XIIe. En étudiant de près les motifs, on ne peut qu'attribuer ces sculptures aux ciseaux d'un artiste du XIIIe. "En sorte, disait Hyacinthe Langlois, que ce monument n'a point donné sujet à fable. Mais la fable a donné sujet au monument." Pour accréditer la légende, on fit graver ce texte en latin :

 

Ici, en l'honneur de Dieu repose la souche de Clovis
Race belliqueuse et qui fit la guerre
Sur le désir de Bathilde ils se repentirent
Et pour leur propre crime et pour le mal causé à leur père.

Bel anachronisme ! L’abbaye est représentée ici telle qu’elle n’était pas encore au temps de Philibert…

En l'église Notre-Dame étaient deux statues représentant le couple royal. Sur le socle de Clovis, un bas-relief montrait la barque à la dérive et deux adolescents recueillis. Sur celle de Bathilde, on le voir endosser l'habit monastique. Au XVe, un mystère fut composé sur ce thème. Il est connu sous le nom de "Miracle de Nostre Dame et de saincte Bauteuch, femme du roy Clodeveus qui, pour la rébellion de ses deux enfans, leur fist cuire les jambes, dont depuis se revertirent et devindrent religieux." 2.634 vers ! Trente-six personnages !

Au XVIe siècle, on réalise une fresque de cette histoire pour le nouveau cloître de cette abbaye appelée parfois, dans la chronique de France l'abbaye des Enervés. Elle représente l'arrivée des deux princes. Sur la porte du même cloître, on va jusqu'à attribuer aux Enervés le nom même de Jumièges :

Gemegia ex natis Clodovici gemellis
Aueta refulgebat nongentis fratibus olim

Ronsard, en 1562, évoque cette épopée dans le chant IV de sa Franciade pour amener le jeune lecteur à cette morale: ne jamais rien faire à l'encontre de ses parents. Quant aux moines, ils poussent leur conviction jusqu'à fêter chaque 18 mars l'anniversaire des Enervés. Ce jour-là, c'est l'abbé en personne qui officie.

Les thèses s'affrontent

 

Qui étaient vraiment ces énervés? Voilà qui opposa plusieurs érudits.

La thèse Langlois

En publiant "Apologie pour l'histoire des deux fils aînés de Clovis II, énervés et moines de Jumièges", Don Adrien Langlois, prieur de l'abbaye en 1615, opte "naïvement" pour les fils de Clovis II qu'il handicape du reste des bras. En fait, c'est lui qui exhume des limbes de l'oubli cette fameuse légende. Dans quel but? Rappeler aux donateurs potentiels, à Louis XIII lui-même, que Jumièges a la faveur de la couronne depuis des temps immémoriaux. Et ça marche. Les dons affluent... 

Langlois trouva dans le poète Ulric Guttinguer un partisan convaincu. Pour lui, la légende est bien attestée par d'anciens chroniqueurs, excepté Guillaume de Jumièges. Il s'appuie notamment sur le Miracle de sainte Bauteuch qui, à ses yeux, ne peut avoir été inventé de toutes pièces.

La thèse Duplessis

Le père Duplessis, lui, échafaude une tout autre version en remontant au père de Charlemagne. Pépin le Bref avait pour frère Carloman. Ce dernier aurait vu ses deux fils se dresser contre lui avec l'aide de leur oncle Gripon. Gripon a bien existé, il s'est bien révolté contre Carloman. Mais l'histoire n'a pas retenu l'énervement de ses neveux. Si ce n'est qu'ils entrèrent en religion...

La thèse Mabillon

Il fallut attendre Mabillon pour approcher peut-être la vérité. Sa thèse? Sous Charlemagne, deux de ses opposants, Tassilion, Duc de Bavières, et son fils Théodon, moururent à Jumièges au terme d'un exil monastique. Ils avaient cherché à soulever les Huns contre l'empereur. Voilà qui inspira à ses yeux la légende des énervés. Et c'est à l'emplacement de leur sépulture, datant des années 800, que l'on érigea au XIIIe siècle le faux tombeau des énervés. En 1883, Eugénie-Caroline Saffray, dame de Chervet, publie sous le pseudonyme de Raoul de Navery Les mystères de Jumièges, sur le thème des Enervés. Elle réfute la thèse Langlois mais aussi Mabillon puisque pour elle, Tassillon est mort en Bavière. Alors, elle épouse la thèse Duplessis. Reste que lorsque l'on creusa sous le tombeau des énervés, on découvrit deux squelettes, dont celui d'un vieillard, les pieds tournés vers l'Est, ce qui indique des séculiers.

La thèse Savalle

Enfant de Jumièges, Emile Savalle rejoint Langlois et Guttinguer et donne pour certaine la légende. Il est appuyé en cela par Julien Loth, l'homme qui publia les manuscrits inédits de l''histoire de l'abbaye de Jumièges. Lire sa thèse:

 

Autres hypothèses...

Quand, en 1760, un moine écrit la chronique de Jumièges, il avance cette hypothèse. Deux princes ont certes été enterrés à Jumièges. Mais le terme énervés ne suppose pas qu'on leur coupât les jarrets. Simplement, ils furent débilités, autrement dit tondus, inaptes à porter la couronne : debilitare quasi nervos auferre...

Maintenant, une autre influence est encore possible, c'est la révolte de Robert et Henri, fils de Robert Le Pieux contre leur mère, la reine Constance. C'était en 1030. Henri eut alors des libéralités pour Jumièges.

Pour Hyacinthe Langlois, cette légende a été fabriquée sous Richard-Cœur-de-Lion ou de Jean-sans-Terre. Aucune trace antérieure! 

Le tombeau des Enervés disparut sous les gravats de 1793. On le retrouva mutilé, dans les années 1830. Il portait encore des traces de couleur or et azur. 

Le romantisme du XIXe siècle s'empara de cette légende pour la populariser jusqu'en Amérique. Et faire connaître ainsi Jumièges un peu partout. C'est en 1838 que E. Frère exhuma de la bibliothèque nationale le Miracle de sainte Bauteuche alors que Hyacinthe Langlois consacre à la légende un brillant essai. 

L'affaire des tableaux

En 1869, le peintre Gabriel Martin remporta le prix Bouctot pour une toile intitulée Les énevés de Jumièges. Elle fut longtemps accrochée à l'hôtel des Sociétés savantes de Rouen, rue Beauvoisine. Elle est depuis 2009 en dépôt au musée des Beaux-Arts.

"La parole a ensuite été donnée à M. Decorde, pour lire, au nom de M. Hellis, le rapport présenté par la Commission chargée de juger le concours relatif au Prix Bouctot.

"Ce prix devait être décerné à la meilleure oeuvre d'art, peinture, sculpture ou gravure, dont le sujet serait puisé dans l'Histoire de la Normandie. Un seul tableau avait été envoyé. Il représentait Les Énervés de Jumiéges, sujet qui rentrait complètement dans les conditions du programme. Conformément au rapport présenté par la Commission, l'Académie a été d'avis de décerner le prix à l'auteur de ce tableau. C'est un jeune peintre, M. Gabriel Martin, né à Rouen, demeurant à Paris, rue de Madame, n° 52.

"M. Martin, présent à la séance, est venu, à l'appel de son nom, recevoir ce prix des mains de M. le Président. Les applaudissements qui ont accueilli le lauréat, s'adressaient en même temps à son oeuvre qui décorait là salle dans laquelle l'Académie tenait sa séance."

Le tombeau des Enervés, Le Musée universel, 1857.

En 1911, Martin écrira au maire de Rouen : « À la fin de ma carrière, je serais heureux d’offrir à ma ville natale mon tableau des Énervés. J’espère que la ville voudra bien accepter cette offre d’un de ses concitoyens. » En 2009, le musée des Beaux-arts récupère le tableau, remisé dans un local d’entretien à l’Hôtel des Sociétés savantes, rue Beauvoisine. Restauré grâce à la famille Martin, il sera exposé du 13 septembre au 6 janvier 2019. 

Mais c'est surtout la toile d'Evariste Luminais qui est passée à la postérité. On doit même dire LES toiles. L’une, conservée aujourd’hui en Australie, fut exposée au Salon de 1880. L’autre est un fleuron du musée des Beaux-Arts de Rouen. On compte aussi une étude où apparaît un troisième personnage, assis en pleurs à l'avant de l'esquif.

Des amis, connaissant ma passion pour Jumièges, me dirent un jour avoir été surpris de découvrir le tableau des Enervés à Sydney. Plus de cent ans plus tôt, on exprimait déjà le même étonnement. Voici un article du Matin. Il est daté du 8 juin 1889.

L'interview de Luminais

On sait que, d'après les lois et conventions internationales qui règlent la propriété artistique, aucune reproduction d'un tableau vendu, sauf stipulations contraires, ne peut être faite sans le consentement de la personne devenue propriétaire du sujet traité.

Ces quelques mots nous semblent utiles pour expliquer l'étonnement d'un voyageur visitant l'exposition des beaux-arts, au Champ-de-Mars « C'est étonnant, s'écria-t-il devant plusieurs personnes, je vois ici deux tableaux que j'ai déjà vus au musée de Sydney, en Australie; l'un, les Enevés de Jumièges, de M. Luminais, l'autre, Les derniers moments de Chlodobert, de M. Maignan Quel est ce mystère ? Où se trouvent les originaux, à Paris ou à Sydney? Les Australiens se croient les seuls propriétaires des originaux ! Est-ce qu'ils se tromperaient? »

On fit cercle autour du voyageur, qui disparu bientôt en faisant d'autres commentaires haute voix.
Averti de l'incident, nous nous fîmes un devoir de nous procurer de plus amples renseignements.
Nous apprîmes Que le voyageur qui s'était ainsi exprimé, causant une certaine émotion parmi les personnes présentes, est un professeur à San-Francisco, M. D. qui avait visité dernièrement lesprincipales villes de l'Australie. M. D. était descendu à l'hôtel de Gibraltar, rue Saint-Hyacinthe.
Hier, nous nous présentâmes à cet hôtel, mais il nous fut répondu que M. D. venait de partir pour Londres, où il doit séjourner quelque temps.

Caricature parue dans le Charivari du 1er mai 1880

Chez M. Luminais


Désireux d'éclaircir ce mystère, nous nous présentâmes chez M. Maignan, 1, rue de La Bruyère mais M. Maignan était parti pour la campagne.
Nous avons eu la bonne fortune de rencontrer M. Luminais, il son domicile, boulevard Lannes.

M. Luminais se met entièrement à notre disposition. Nous lui expliquons le but de notre visite.

Par ce temps de contrefaçon littéraire et artistique, disons-nous, il ne serait pas impossible qu'on ait vendu au musée de Sydney une contre-façon, une copie de votre tableau si remarqué au Salon de 1880. Renseignez-nous à cet égard.

Il est parfaitement exact, nous répond M. Luminais, que j'ai vendu au musée de Sidney mon tableau Les Enervés de Jumièges, qui a figuré au Salon de 1880.

Alors?

Le tableau exposé au Champ-de-Mars est une reproduction, sensiblement différente, de l'œuvre primitive, de l'original. Je crois que c'est mon droit de traiter plusieurs fois le même sujet. Je dois pourtant vous dire, n'ayant rien à cacher, que votre voyageur n'a pas été le seul à s'apercevoir de la chose. J'ai reçu d'un des membres de Ja colonie australienne à Paris, qui représente la ville de Sydney à l'Exposition, une lettre de reproches. On serait même, paraît-il, disposé à m'intenter un procès. Qu'on me le fasse, si l'on veut, je parie mille francs que je ne le perdrai pas.
Les quatre représentations des Enervés réalisées par Evariste-Vital Luminais


Première pensée pour les Enervés de Jumièges. Etude de 1880 sur le supplice.








Luminais réalisa aussi une étude de la légende des énervés avec un troisième personnage.







Les fils de Clovis II fut présenté au Salon de 1880 et acheté par l'Australie. Il est visible à Sydney

Luminais réalisa ensuite la version conservée au musée des Beaux-Arts de Rouen.
 
Mais vous avez-traité, exposé le même sujet, après l'avoir vendu ?

Ce n'est pas, à proprement parler, une reproduction que j'ai faite; je le répète, il y a des différences sensibles entre le tableau que j'ai vendu à Sydney et celui que je viens d'exposer.


Nous n'insistons pas. Nous nous retirons on emportant la conviction que cet incident ne sera pas sans causer quelque émoi ; nous assisterons sans doute à un débat des plus intéressants au point de vue de la propriété artistique.

Depuis...

Flaubert lui-même, au milieu des ruines de Jumièges, s’était juré d’écrire leur histoire. Ce qui ne resta qu’un projet. Mais mois d’un an avant sa mort, le père de Madame Bovary s’en confiait encore à Marxime du Camp. 

Jean Hugo (1894-1984)  Gouache intitulée Les Enervés de Jumièges (9 x 13.5 cm)  annotée au dos d'un texte tiré de La Franciade de Pierre de Ronsard

Simone de Beauvoir, alors professeur à Rouen, raconte dans La Force de l'âge : "Je tombai en arrêt devant un tableau dont j'avais vu, enfant, une reproduction sur la couverture du Petit Français illustré et qui m'avait fait grande impression: les Énervés de Jumièges. J'avais été troublée par le paradoxe du mot énervé, pris d'ailleurs dans un sens impropre puisqu'on avait en fait tranché les tendons des deux moribonds. Ils gisaient côte à côte sur une barque plate, leur inertie imitait la béatitude alors que, torturés par la soif et la faim, ils glissaient au fil de l'au vers une fin affreuse. Peu m'importait que la peinture fût détestable; je suis restée longtemps sensible à la calme horreur qu'elle évoquait." 

Dans son discours de réception à l'Académie française, en 1960, Henry Troyat fait allusion aux Enervés. Ils inpirèrent aussi Simone de Beauvoir, Guibert, Salvador Dali qui vient à Rouen, le 4 décembre 1967, pour voir ce chef d'œuvre de l'art pompier. En 2018, à l'occasion de la sortie du nouveau dictionnaire Robert, Jean-Noël Jeanneney eut cette superbe sortie dans les colonnes du Figaro : « J'ai toujours été frappé de l'évolution du mot “ énervé ”, qui vient des énervés de Jumièges. Autrefois, cela voulait dire qu'ils n'avaient plus de nerf, qu'ils étaient devenus une sorte de flanelle molle; aujourd'hui, cela a une tout autre signification.»

               

Une baigneuse de Renoir éclabousse les Enervés.
Un clin d'œil de la Normandie impressionniste

Sacré travail de mise en scène ! Et de recherche d''accessoires.
Une reconstitution photographique par l'association A l'ail. 



On retrouvera le tableau au XXe siècle reproduit à l'intérieur d'un album d'Alain Souchon, "C'est déjà ça", accompagnée de ce commentaire: "Plus de nerf, la belle vie..."

En 1986, Claude Duty en fit un court-métrage onirique. Superbe. 




Bref, supercherie ou non, la légende entretenue par les moines fut un joli coup du pub. Elle n'a pas fini de faire ses effets...

Laurent QUEVILLY.

Durement châtiés de leur terrible faute,
Les deux fils de Clovis, énervés par le feu,
Blêmes, veules, brisés, sont couchés côte à côte
Dans un bateau qui vogue « à la garde de Dieu ».

Entre ses bords déserts la Seine solennelle
Emporte lentement ce funèbre convoi.
On vont-ils ? Nul ne sait. Au fond de leur prunelle
Flottent l'hébétement, la souffrance et l'effroi.

A Jumièges, enfin, la barque touche lerre.
On accourt, on les sauve, et des Religieux
Sous les arceaux bénis de leur saint monastèr e
Offrent à ces martyrs un asile pieux.

Car Dieu recueille ceux que le monde abandonne ;
Aux humaines douleurs il daigne compatir :
Il n'est crime si grand qu'un jour il ne pardonne
A qui possède en soi la fleur du repentir.

ADRIEN DÉZAMY.



Sources

Le magasin pittoresque, Tome IV, avril 1836, Les Enervés de Jumièges.
E.-Hyacinthe Langlois, Essai sur les énervés de Jumièges, 1838, Edouard Frère, Rouen.
Jumièges, Ulric Guttinguer, 1839, Nicétas Periaux, Rouen.
Savalle, Dissertation sur les Enervés de Jumièges
Le Matin, 8 juin 1889.
Raoul de Navary, Les Mystères de Jumièges, 1883, Paris, Delagrave.
G. Huet, La légende des énervés de Jumièges, Revue de l'école des chartes, 1916.
Chanoine Jouen, Jumièges, 1954, Lecerf, Rouen.
Congrès scientifique du XIIIe centenaire, Lecerf, 1955
.
Dominique Bussillet, Les Enervés de Jumièges, Cahiers du temps, 2007.
Châteaux et ruines de France, Alexandre de Lavergne, 1845, illus. Théodore Frère.
Le Musée universel, 1857-58.