Alain Joubert



5.3 – Les marqueurs emblématiques.

Nous avons, dans cette partie du travail, essayé de repérer l’usage, on le non-usage, de certaines expressions comme facteur de différenciation culturelle entre les deux rives, mais aussi tenté de déceler, à travers les représentations qu’elles véhiculent, les exclusions ou connivences entre les deux rives.

5.3.1. –Les expressions qui différencient les deux rives par leur usage ou leur non-usage.
5.3.1.1 – L’autre côté de l’eau

C’est une expression connue mais peu utilisée rive gauche. Les habitants de la rive droite et en particulier de Duclair (encore qu’on la retrouve dans l’estuaire au Havre), l’utiliseraient fréquemment vis-à-vis de la rive gauche de la Seine.

Sur la rive gauche, quand on désigne l’autre rive, on préfère dire que « l’on va à… » ; ce qui se conçoit plus facilement car on peut nommer des villes

  1. (L’autre côté de l’eau) « C’était l’autre, un autre monde, un monde ouvrier. L’autre côté était le réservoir à nénettes, la boîte, la ville. Maintenant que j’habite au Trait, je me sens à la ville ».

  1. « Nous on l’utilise pas, mais je sais que beaucoup de gens l’utilisent encore… Ah tiens, on va aller de l’autre côté de l'eau, surtout les gens de la rive droite qui disent plutôt… Non, rive gauche, nous on dit… tiens aujourd’hui on va aller à Duclair, on va aller au Trait. On va pas dire : on va de l’autre côté ; enfin moi, ça me vient pas à l’idée, ça ! »

(7) « Maintenant on dit bon… on va à Duclair ou n’importe… mais il y a une époque où ça a été utilisé… maintenant… on parlerait plutôt de la ville qu’on va. On va à Jumièges, on va à Duclair, on va à Yainville ou n’importe ».

(9) « Bernard B (de Yainville), il dit toujours « l’autre côté »… nous aussi on le dit. Bon ben… on va aller de l’autre côté… Il habite de l’autre côté. »

(24) « On le dit facilement, mais en principe, nous on dit le nom… On va à Jumièges, on va à Duclair mais on ne dira pas on va de l’autre côté : non, on dit toujours le nom du village ou de là où on va… »

(27) « L’autre côté de l’eau, on le dit rive droite par rapport à la rive gauche. Ici j’ai jamais entendu dire de l’autre côté de l’eau pour la rive droite alors que nous, effectivement, rive droite, par rapport à ici, il y avait une tendance à dire « de l’autre côté de l’eau », comme si c’était un pays différent. Il y a peut-être un sentiment de supériorité de la rive droite par rapport à la rive gauche. »

(37) « Moi, j’ai été élevé à Saint-Pierre-de-Varengeville et Saint-Paër, alors quand ont parlait de l’autre côté de l’eau, c’était de l’autre côté de Duclair, c’était le pays des oies et des piots (des dindons)… l’autre côté de l’eau pour Duclair, c’était Berville, Anneville et tout le côté là…

« Moi, je m’rappelle étant jeune, j’ai été élevée là-bas pendant la guerre de 14. Quand ils parlaient de l’autre côté de l’eau, c’était Berville. Tandis que non, Heurteauville, on n’a jamais entendu parler que c’était de l’autre côté de l’eau… même à Caudebec… On n’en parlait pas comme ça en parlant de Saint-Nicolas. J’ai pas entendu tandis que Duclair, oui. Demandez aux vieux Duclairois, ils étaient de l’autre côté de l’eau, eux-autres.
« A Caudebec, ils ne parlaient pas des gens de l’autre côté de l’eau à Saint-Nicolas… tandis qu’à Duclair, oui, ils disaient dans leurs termes « l’autre côté d’l’eau »

Cette notion d’oies est précisée par Monsieur C. : « De l’autre côté de Duclair ce sont les oies, c’est une oye, c’est comme ça qu’on les appelle car ils venaient vendre des oies au marché. »

(48) « De l’autre côté de la Seine ».
« Non, on va aller à Jumièges, on va aller à Yainville… on dit comme ça, nous. Mais d’autres, je sais pas. »

(57) « A Duclair, il y avait ceux qui habitaient le haut de la côte et ceux qui habitaient de l’autre côté de l’eau »

On perçoit nettement à travers l’énonciation de l’expression « l’autre côté de l’eau » par les habitants de la rive droite, d’une part la différenciation qu’ils introduisent entre les deux rives, d’autre par la supériorité du citadin sur le rural.

5.3.1.2 – Les « horsains »

C’est un mot ancien utilisé par les parents des enquêtés, jamais plus employé à Heurteauville et même méconnu dans cette commue, désignant de façon péjorative quelqu’un qui n’est pas né dans la commune.
Il est censé être employé à Jumièges, à Caudebec et dans le pays de Caux. De fait, l’expression est connue et semble plus utilisée à Jumièges. A l’inverse, le terme semble ignoré dans l’Eure.

(5) Pour Monsieur J., « un horsain c’est quelqu’un qui n’habite pas la commune ».

(8) Monsieur A certifie n’avoir jamais entendu l’expression prononcée, même par son père.

(11) Monsieur J déclare que ce n’est pas beaucoup utilisé d’ailleurs. Sa femme ne connaît pas le terme. Il précise : « C’est des gens qui sont hors-pays ».

(15) « C’est quand on n’est pas du pays ».

(19) En revanche, à Jumièges : « Un horsain, ah oui, ici c’est courant… c’est un gars qui n’est pas d’ici (même s’il est d’en face) oh oui, oui oui… »
« C’est un horsain, c’est pas un vieux Caudebecais… Ah bon il y a peu de temps qu’il est là ? Oh ! Vous vous rendez compte, il y a que 14 ans. »

A Jumièges, c’est la même chose : pour être un vieux Jumiègeois, pour ne pas être un horsain, « Il faut au moins plusieurs générations ».

(25) « Nous, on l’emploie jamais. Je pense que oui, plus sur le plateau. »

(28) « Ah oui, ça c’est un terme tout à fait typique de Jumièges et qui est encore… très utilisé à Jumièges… Les gens utilisent facilement le terme horsain pour désigner ceux qui sont pas de la commune… J’ai toujours entendu dire horsain et moi je dis horsain… C’est assez péjoratif d’ailleurs, c’est pas tellement gentil. C’est l’étranger comme quand les Grecs parlaient des étrangers… des barbares quoi… tous ceux qu’étaient pas de nationalité grecque. Et de ce côté-là, j'ai jamais entendu prononcer ce mot-là… Ce serait plus un terme de la rive droite, alors… »

(35) « Un horsain, c’est un qui fait pas partie de la société de notre coin… nos grands-parents, oui, on l’a entendu souvent le dire plus que… maintenant. C’est perdu parce que maintenant beaucoup de gens voyagent… il était de la société si vous voulez mais pas du coin ».

(38) «  Quand on est arrivés en 42, on a été reçus… à bras ouverts. On a été bien reçus par la population, ça prouve qu’ils ne voyaient pas les gens autrement. »

(46) « C’est une expression qu’est vieille aussi un horsain. C’est un gars qui veut paraître…qu’on connaît pas… Quelqu’un qu’est pas du coin, ni plus ni moins » (Monsieur E qui pense que c’est une expression utilisée par les agriculteurs).

(50) « ça se perd… ça s’est employé mais ça se perd ».

(53) « Quelque fois entre nous en plaisantant… mais c’est plus employé… il est pas du pays, il est d’ailleurs… quelqu’un hors pays… (Quelqu’un de Jumièges) ben c’aurait été un horsain… ça a jamais été tellement employé… les parents y disaient ça autrefois, des horsains, oui, des nouveaux dans le pays… ils étaient pas connus dans le pays si vous voulez. »



5.3.1.3 – L’union des deux rives

Il ne s’agit pas d’une locution entendue mais d’une devise écrite que l’on trouve à la fois en sous-titre du journal de Duclair en 1925 et comme nom du bac à vapeur de Caudebec dans les années 20. Ceci nous renforce dans l’idée que cette union proclamée était sans doute plus un rêve des habitants de la rive droite qu’une réalité concrète. La seule chose que nous puissions dire, c’est que la zone d’influence des petites cités de la rive droite s’étendait sur la rive gauche.

5.3.2 – Les expressions, dictons ou sobriquets qui discriminent des groupes humains.

5.3.2.1 – Passer l’eau
C’est sous cette forme que l’on désigne l’opération qui consiste à traverser la Seine. C’est une phrase souvent utilisée, soit sous cette forme, soit sous la forme « passer la Seine ; passer le bac ».

(14) « On passe l’eau, c’est le passage, nous étions des passagers .»

(22) « On va passer la Seine, ça s’est dit, y ‘en a bien sûr qui disent on passait la Seine, mais y en a beaucoup qui disent on passe l’eau .»

(52) (passer l’eau) « Ah non, c’est pas un mot qu’on dit. On passe le bac. Oh non, on va prendre le bac ».

Par extension, l’expression passer l’eau signifie se marier, s’établie de l’autre côté. Il s’y ajoute sans doute une nuance de réprobation : passer, l’eau, c’est trahir.

(56) « Quelqu’un qui devait se marier… ah y va t’y en trouver une, y va pt’êt passer l’eau, y va p’têt passer le bois… s’il la trouvait pas au pays. Ce qui se disait alors : il a passé l’eau, il a passé la forêt pour en trouver une. »

(16) « Y en a qui ont passé l’eau (dans sa famille) pas du côté d’Heurteauville, c’est du côté d’Anneville… » (Monsieur J.C. qui, lui-même, prétend ne pas utiliser cette expression).

On retrouve cette expression dans la presqu’île de Brotonne à la Mailleraye où Monsieur B a rapporté le proverbe qu’il tenait de sa mère de la manière suivante : « Pour gagner son mariage, il ne fallait (dans la presqu’île de Brotonne) passer ni l’eau (la Seine) ni le bois (la forêt de Brotonne). » Questionnés systématiquement sur la connaissance de ce dicton, seul de toutes les personnes enquêtées Monsieur A en avait connaissance sous une forme différente.

5.3.2.2. – L’autre côté de la forêt, passer le bois

Ce n’est pas une expression utilisée à Heurteauville, sauf, dans la locution « passer l’eau », « passer le bois », que nous avons vue ci-dessus. Les personnes enquêtées sont unanimes :
(10) « On dit : on va dans l’Eure, mais on ne va pas de l’autre côté du bois ».

5.3.2.3. En haut, là-haut, en bas

« En haut » est une expression connue mais qui semble d’un emploi ancien, elle désigne la plateau par opposition à la vallée, et plus spécialement le Pays de Caux, mais également le Roumois.

(34) « En haut du Landin »
« On montait dans l’Eure »

(44) « Dans les hauts de l’Eure … ça monte un peu sur Routot ».

(55) « Bon, on va aller là-haut, non, on le dit pas, nous… mais maintenant on dit les choses par leur nom ».

Elle est parfois associée aux « fins fonds »

« En bas » est cité par une seule personne. Cette expression semble avoir été en usage dans l’Eure pour désigner la vallée de la Seine.

(4) « Les gens de l’Eure descendent en bas, aux fruits… »

 

(23) « Les gens qu’étaient là-haut… Sainte-Marguerite qu’était là-haut. »

(58) « Des gens de l’Eure qui descendaient à la Mailleraye ».

(29) « Nous quand on se considère Jumiégeois, on parle du Pays de Caux comme le plateau de Caux… pour moi, le Pays de Caux, c’est Fréville, c’est Yvetot. Mais c’est pas Jumièges, c’est pas Le Trait, c’est même pas Caudebec. C’est sur les hauteurs…faut monter. »

(43) « Quand on remonte sur les plateaux, là-haut, sur les plateaux du côté de Bourg-Achard, Bourgtheroulde, c’est plus encore pareil. »

(47) Dans le Pays de Caux… ou dans le Roumois, dans l’Eure, dans les fins fonds. Au-dessus de Gravenchon, Saint-Nicolas-de-la-Taille, par là-haut »

(57) A Duclair, il y avait ceux qui habitaient le haut de la côte ».

(82) « Quand on est monté à Bourg-Achard »
« Et puis les gens sont au sec là-haut (au cimetière de Jumièges).
(Il s’agit là d’une allusion au fait qu’à Heurteauville, les morts sont enterrés dans l’eau, le cimetière étant situé à la limite du bourrelet alluvial. On sent à travers cette remarque la répugnance que manifestent les gens à être enterrés dans l’eau, déjà notée par Françoise Zonabend à Mino) (Zonabend, 1973, p. 7 à 23).

5.3.2.4 – Les malins de La Bouille

L’expression les malins de La Bouille est largement connue à Heurteauville et identifie tantôt les gens de La Bouille.


Un cabaret de La Bouille a repris le nom des Malins de La Bouille

(17) « à des bêtes gens, qui connaissent tout »

(30) tantôt à des « gars qui n’ont pas été fichus de construire leur église dans le même sens que les autres ».
« A La Bouille, y a une église, on rentre par le clocher. » « On l’utilise (cette expression) quand il arrive une bricole, t’es un malin de La Bouille » .

Elle ne figure pourtant pas dans le Blason populaire de la Normandie d’Alfred Canel
(Canel, 1959).

5.3.2.5 – Les « ouivais »

Canel cite par ailleurs dans cet ouvrage un mot, « les ouivais », qui désignerait les habitant de Basse-Normandie et  - par extension - ceux de la rive gauche de la Seine. Nous avons systématiquement posé la question, personne ne connaît ni n’utilise le terme ouivais parmi les personnes enquêtées. Toutefois Madame S cite un « Monsieur Ouivet » qui aurait habité à la cale du Trait. Et Monsieur JC a connu des gens qui portaient le nom de Ouivais.

5.3.2.6 – Les « mâqueux de navets » et les « mâqueux de fayots ».

Les rapports entre Heurteauville et Vatteville, toutes deux communes de la presqu’île de Brotonne semblent très antagonistes comme le prouve un proverbe : « Vatteville, mâqueux de navets », auquel on répondait par « Heurteauville, mâqueux d’fayots ! » (haricots). Ces cultures étant dominantes dans chacune des deux communes (Ce dicton a été cité de nombreuses fois comme le montre le tableau récapitulatif).
Si le proverbe semble connu, il semble utilisé qu’à l’état de relique mais plusieurs autres expressions dans la bouche des Heurteauvillais font penser à un antagonisme ancien. Plusieurs interlocuteurs signalent que les Vattevillais font corps face au horsain.

« Dites à Vatteville, ils se marient tous… tout le monde est en famille à Vatteville. »

« Une chose que j’remarque, que les Vattevillais, ils sont ce qu’ils sont, ils sont comme tout le monde, mais ne dites jamais du mal d’un Vattevillais à un autre Vattevillais… Vous êtes pas bien, les gars… J’sais pas si vous êtes au courant, ils reviennent tous à Vatteville… entre eux ils se battent mais quand ils sont dehors, touchez pas à un Vattevillais… ça c’est une commune ».

(Du fait de leur parenté) « Ils avaient tous des noms (des surnoms), surtout à Vatteville. J’connais pas à Vatteville… J’connais pas quelqu’un qu’était pas dénommé. »

Nous avons vu plus haut qu’ils n’appréciaient pas que les gars d’Heurteauville aillent tourner autour des filles de Vatteville.
Ou alors, on constate des réactions de rejet.

(Vatteville) « J’connais pas du tout par là, non non j’connais pas par là, pas du tout ».

D’ailleurs, les Vattevillais le rendent bien aux Heurteauvillais.

« J’ai un voisin là, Monsieur T… et je sais qu’il se plaisait pas ici, que…. Heurteauville était pas un pays intéressant, était un sale endroit, un sale pays. Et puis au bout d’un moment, il se met à m’expliquer un petit peu sa vie et puis il me dit : j’ai du mal à me faire à Heurteauville, c’est un drôle de pays, et puis moi, j’suis pas d’ici, j’suis pas de ce pays là. Alors je lui dis ah bon, vous êtes d’où ? vous êtes de beaucoup plus loin ? Ben, il me dit, j’suis d’Vatteville. »

5.3.2.7 – Les énervés de Jumièges

De même, les rapports entre Heurteauville et Jumièges semblent tendus comme semblerait le prouver le sobriquet « les énervés de Jumièges », détournement de la légende du même nom, qui semble de création récente.


Evariste Luminais, Les Enervés de Jumièges, étude, huile sur toile, 0,34 X 0,47, Sbv. Evariste Luminais. Donation H. et S. Baderon, 1985; Rouen, Musée des Beaux-Arts.

« Après la guerre de 14, y avait un peu d’animosité, les jeunes se bagarraient… Jumièges surtout.
… C’est pas la même mentalité quand même Jumièges… même encore maintenant, y a un peu de jalousie… c’est pas tout à fait pareil quand même…. Y sont plus énervés que nous… les énervés de Jumièges, oui… »

« Déjà l’Eure, c’est pas comme la Seine-Maritime, c’est plus calme, c’est pas pareil… on dit toujours les énervés de Jumièges, mais j’crois bien qu’on en fait partie, on est toujours surexcités. »

(26) « ça se dit facilement… même un gamin qui va être infernal on va lui dire ah t’es un énervé de Jumièges… ou des gens qui sont un peu excités. C’est ce qu’on leur dit ».

(60) « C’est une plaisanterie, oui, c’est plutôt l’inverse, un peu surexcités, finalement, ils sont un peu nerveux. »

« Oui on dit souvent même à B, un gars qu’habite à Jumièges et puis il vient travailler parfois : l’énervé de Jumièges ».

Cet « énervement » n’est-il pas l’expression de deux modes de vie qui s’affrontent de part et d’autre de la Seine, l’un urbain, et l’autre rural, lent, au rythme des retraités.
Par ailleurs, on reproche aux Jumiégeois d’avoir une mentalité spéciale : « Ils ne veulent pas faire profiter un voisin ».

« J’aime pas l’ambiance de Jumièges, y a une sale mentalité… à Jumièges y a une mauvaise entente, les gens sont jaloux… assez renfermés . Y a des histoires de familles qui existent depuis des générations. »

« J’aime bien Heurteauville, j’ai bien ce qui s’y passe. Heurteauville, pour moi, c’est une zone de traditions ».

« Les gens de Jumièges ont du mal à venir à Heurteauville. Je vois, l’autre jour, à la fameuse réunion de la protection des végétaux, un gars de Jumièges m’a dit : dis-donc, t’aurais pu faire ça à Jumièges ou au Mesnil… mais j’ai dit : c’est notre syndicat, c’est autre chose. Mais c’est amusant d’entendre ça.
—  ils veulent pas traverser ?
— non, c’est pas tout à fait ça. Je pense qu’ils veulent pas « s’abaisser ». Ils ont l’air de dire : on est supérieurs à vous. »

L’on peut, sans doute, trouver des explications à cette oppositions entre Jumiégeois et Heurteauvillais dans leurs attitudes d’antagonisme ancien au moment de la séparation des deux communes, mais il semble que cet antagonisme ait perduré, y compris pendant la guerre.

Madame S raconte que, pendant la guerre, elle allait se procurer du beurre dans l’Eure, à Hauville, parce que c’était impossible dans les fermes de Jumièges ;

M. JC confirme : « moi, j’ai fréquenté la rive gauche principalement.
Pendant la guerre, on arrivait à fait un peu de marché noir… disons la réalité, c’est que ce marché noir consistait… pour ma mère… à confisquer ma part de chocolat et celle de mon père pour aller les échanger contre du beurre jusqu’à Hauville… parce qu’à Jumièges, y avait rien à faire… Ils en avaient comme les autres, je sais pas ce qu’ils fabriquaient avec… » Or sa famille était de Jumièges, ce qui prouve qu’il ne s’agit même pas d’une opposition entre Heurteauville et Jumièges, mais plutôt d’un problème de mentalité.

5.3.2.8 – D’autres habitants font l’objet de sobriquets, entendus lors de ces enquêtes.

- « Les canards de Duclair »
- « Darnétal, la terre maudite »

« L’autre côté de l’eau », « les Horsains, « l’union des deux rives » semblent être des expressions utilisées spécifiquement rive droite vis-à-vis de la rive gauche. Elles traduisent une supériorité manifeste de la rive droite sur la rive gauche et la volonté supposée, mais donc certainement pas réalisée, d’unir les deux rives.

Les expressions comme « passer l‘eau, passer le bois », « en haut », « en bas » de même que les sobriquets comme « les malins de La Bouille », « les mâqueux de navets et de fayots », « les énervés de Jumièges », « les canards de Duclair » utilisés aussi rive gauche traduisent, tantôt les tensions entre voisins de la même rive, tantôt la vision des gens de la vallée, par rapport aux habitants des plateaux, tantôt des oppositions profondes entre les deux rives.
Elles vont dans le sens d’une différenciation culturelle des rives entre des citadins affairés d’une part, et des ruraux « benêts » de l’autre.









Source: L'autre côté de l'eau, Alain Joubert.

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