C'est l'une des plus imposantes du cimetière de Jumièges.
En haut du champ des âmes, la tombe des Lefort domine toutes les autres. Et elle intrigue. Qui étaient-ils...

Jean Baptiste François Lefort ? Rien de commun avec Jean-Baptiste Lefort, le marchand de bois de Canteleu qui détruisit méthodiquement l'abbaye à l'aube du XIXe siècle. Simple homonymie...
Né à Fourneville, petite commune du Calvados, le 21 septembre 1768, Jean Baptiste François Lefort est déjà capitaine de navire quand, à 29 ans, le 29 fructidor de l'an V, il épouse à Jumièges Anne Marguerite Porgueroult.
La mariée est née quant à elle le 2 juin 1777. C'est la fille de Valentin Porgueroult, celui qui, dans sa jeunesse, tua à coup de lance pierre la petite Rose Lambert, estropia à vie le fils Renault, empoisonna la vie du Conihout, tâta de la prison. Avant de devenir un conseiller municipal soucieux du bon ordre public sous la Révolution.

On ne choisit pas sa famille et Anne Marguerite Porgueroult n'aura pas la réputation sulfureuse de son père. Avec Jean-Baptiste Lefort, elle forme un couple de notables.

Après avoir posé sac à terre, le mari sera sur ses vieux jours conseiller municipal sous la houlette de Casimir Caumont, le propriétaire de l'abbaye. Lefort a alors 60 ans, 4.000 francs de fortune. Il est qualifié de propriétaire.... et marchand de bois, comme son homonyme de sinistre mémoire ! Marchand de bois, cela se comprend car la famille devait acquérir en 1832 une grande partie de la forêt de Jumièges en compagnie des frères Rondeaux.


Lefort avait bien arrondi sa fortune. En 1825, devant Me Deshaye, on le voit acheter à Clément Mennière des immeubles à Duclair moyennant 8.100 F. En 1826, il avait avancé de l'argent au chantier de construction navale Bataille, à Guerbaville, qui malheureusement avait fait faillite. Jean Prosper Loisel, de Saint-Martin, lui avait par ailleurs vendu des immeubles au Landin pour 6.000 F.

Jean-Baptiste Lefort mourut en 1846. Son épouse en 1859. Tous deux reposent dans le tombeau ainsi que trois de leurs enfants :


Jacques-Philippe Lefort (1798-1845), négociant à Rouen, mort à 48 ans avant ses parents. Il habite 14, rue Herenguerie, en 1829, lorsqu'il acquiert à Duclair une maison de Guillaume-Georges Hulin moyennant 5 000F à charge de laisser jouir des objets vendus et de faire 350 F de rente viagère à vie au sieur Lemarchand.
En 1835, le maire d'Yainville, Jean Georges Delépine, vendit à Jacques-Philippe Lefort, alors négociant à Rouen, trois corps de ferme qu'il occupait en compagnie de Tranquille Duval. Le tout représentait plus de onze hectares en cours closes, terres, jonc-marinières, bois-taillis...
En 1836, Lefort fils habitait 15, rue Herbière lorsqu'il acquiert l'ancienne ferme de mon aïeul, Charles Mainberte, "sise à Jumièges et Yainville". Si l'on se fie à la formule, elle était à cheval sur les deux communes et le village des Fontaines se prête à cette configuration. Cette petite exploitation était passée entre les mains du sieur Michel Levillain, décédé à Jumièges en 1812. Ses héritiers la mettaient donc en vente. Si Jacques-Philippe Lefort demeurait alors 15, rue Herbière, son père occupait le 17.

Flore Olympiade Lefort, (1807-1877). En décembre 1867, elle est localisée à Duclair dans les minutes du notaire de Jumièges. Amand Constant David, de Rouen, a une obligation envers elle. Ce garçon épousera bientôt une fille Rollin.

Rose Justine Lefort (1814-1872). Cette dernière repose aux côtés de son époux, Hippolyte Bucquet, qui mérite ici quelque éloge.

Le combattant du typhus



Hippolyte Bucquet est né le 4 septembre 1809 à Louviers. Il obtint son diplôme de vétérinaire en 1833 et fut nommé vétérinaire départemental l'année suivante. En 1842, établi à Bourg-Achard, il épouse à Jumièges Rose Justine Lefort.

Ardent militant d'un société de vétérinaires commune aux département de l'Eure et de la Seine-Inférieure, il voit ses vœux se réaliser en 1856 et en devient aussitôt le vice-président.  1860 le porte à la présidence.
L'année 1871, par des mesures appropriées, on le verra éradiquer rapidement une épidémie de typhus qui menaçait tout le canton de Routot.
Buquet avait une sœur, Louise Anna, épouse de Jean Baptiste Désiré Giron. En juin 1972, Valentin Albert Prunier remit au notaire de Jumièges un certificat de propriété dans leur intérêt.
Le 3 février 1880, Buquet est fait chevalier de la Légion d'honneur.
Républicain convaincu, Hippolyte Bucquet fut conseiller municipal de Bourg-Achard dès 1848. Il refusera le poste de maire ou encore celui de directeur du service sanitaire du département de l'Eure. Mais il rendra jusqu'à ses dernières forces des services à l'agriculture et l'hygiène publique. On le retrouve notamment administrateur de l'hospice de Bourg-Achard.
Veuf, Hippolyte Bucquet est mort le 6 mars 1890. Ses obsèques furent célébrées à Bourg-Achard mais son corps repose à Jumièges.

La donatrice de l'école


Hippolyte Bucquet et Rose Justine Lefort avaient eu une fille, Louise Anne, née à Bourg-Achard en 1844. A 16 ans, elle y épousait le manufacturier Jean Baptiste Désiré Givon. Mme Givon sera Officier de l'Instruction publique pour avoir fondé le groupe scolaire Marcel-Bucquet. A Jumièges, elle financera la construction d'une école au Conihout, inaugurée le 29 octobre 1911 et qui portera le nom des Lefort. Décédé à Rouen le 7 février 1924, Mme Givon lèguera encore d'importantes sommes d'argent à la paroisse de Jumièges.

NOTES

Le couple Lefort-Porgueroult a eu d'autres enfants : Stanislas Augustin, mort en 1805 et Charles Claude né en 1805.

La généalogie d'Hippolyte Bucquet s'établit comme suit.
Son père, Louis Jacques Bucquet, marchand, originaire de Montfort avait 24 ans au moment de sa naissance et sa mère, Elisabeth Geneviève Testu, 32.
Ses grands-parents paternels sont Louis Jacques Bucquet et Catherine Raimbert. Ses grands parents maternels : Jacques Nicolas Testu et Marie Geneviève Gavois.