Né
à Duclair en 1930, Joseph Foucault s'était
établi
à Sainte-Marguerite après y avoir
épousé,
à 21 ans, Françoise Frémont, une jeune
veuve,
fille de
cultivateurs du cru. Le jour de ses noces, Foucault avait eu pour
témoin le notaire du chef-lieu de canton, maître
Rigoult.
C'est que ce jeune homme de bonne famille, orphelin de père
et
vivant de ses revenus, fréquentait les notables. Et il ne
fut
pas long à être élu maire de
Sainte-Marguerite. Le 19 août 1855, il succédait
à
Louis Durand. Bientôt, son comportement, sa
gestion attirent
des soupçons. En 1861, il échappe même
de peu à la
révocation après enquête
administrative. Mais Foucault a le bras long. Alors, quand s'annoncent
de nouvelles
élections, va-t-il conserver son écharpe ?

"Ivrogne, voleur, tyran..."
Quinze années s'étaient
écoulées depuis sa
nomination. En 1868, on avait vu Foucault ordonner l'arrestation d'un
alliéné lors de l'incendie d'une
chaumière, au
hameau du Valbaret. Il avait reçu aussi Mgr
de Bonnechose pour sa première visite épiscopale.
Bref, il remplissait ses fonctions. Mais les remplissait-il bien ? Le
20 août 1870 un corbeau écrit de
Duclair au secrétaire général de la
préfecture :
"Malgré tout
le désir
que j'avais et l'indispensable besoin de communiquer à M. le
préfet des choses d'une haute gravité, je me vois
privé de pouvoir le faire. En attendant donc que j'aie cet
honneur, je dois dans le plus grand intérêt de
Monsieur
notre digne et honoré préfet vous informer des
choses
d'une nature grave auxquelles il importe d'apporter remède
et
d'éviter.
Des personnes haut
placées,
assure-t-on, vont prêter leur concours pour entreprendre de
nouveau l'affaire très scandaleuse du maire de
Ste-Marguerite-sur-Duclair qui a été
gracié il y a
quatre ans environ. Des ennemis de la préfecture se
proposent de
mettre tous les faits cachés au grand jour et assurent que
dans
le cas où il sieur Foucault serait nommé maire
des
témoins inconnus jusqu'alors, munis de pièces
authentiques, doivent mettre à néant les
simulacres
d'enquêtes faites par M. Lécouflet,
ancien juge de
Paix de Duclair.
Le dit M.
Lécouflet a
rapporté à plusieurs personnes notables que le
maire en
question était réellement coupable et que si on
lui avait
fait grâce ce n'était qu'afin d'éviter
un grand
scandale et de grands désagréments pour M. le
préfet et M. le procureur impérial. Aujourd'hui,
tout est
terminé. M. le préfet seul peut éviter
tout le mal
qui pourrait subvenir de nouveau s'il le nommait pour remplir une
fonction dont il a abusé trop longtemps.
L'adjoint actuel, M.
Tanquerel, M.
Lebourgeois, voilà trois hommes honorables parmi lesquels on
peut choisir un maire qui jouira de l'estime des habitants.
Cet avertissement est
d'une haute
importance et demande de très mûres
réflexions. En
outre, la conduite du maire Foucault est indigne sous tous les rapports.
Comme
ivrogne s'associant à toute la basse classe. On le voit ivre
à peu près tous les mardis et
fréquentant
continuellement les cafés. Pour les habitants il n'est connu
que
sous le nom de voleur et de tyran. M. le préfet peut se
convaincre de la vérité de ce que je relate dans
la
présente par une enquête auprès des
maires du
canton et autres personnes notables telles que Messieurs Lair,
juge de Paix, Chantin à Epinay, Emangard à
Duclair,
Delaunay, Bicheray..."
NDLR. Louis-François Emangard gère une
société de matériaux de
bâtiments. Bicheray
est notaire à Jumièges.
Réélu dans un
fauteuil
Reste que dimanche 30 avril 1871, Foucault est largement
réélu par ses conseillers. Dix suffrages contre
un pour
Alphonse Leboucher qui, à son tour, réalisera le
même score pour le poste d'adjoint contre Jean-Baptiste
Biget.
Sainte-Marguerite est encore sous le coup de l'occupation prussienne et
de l'affaire Delacroix Une sordide histoire à
laquelle Foucault n'est pas étranger.
Mais un nouveau curé vient tout juste d'arriver.
Nommé en
mars 1871, il s'agit de l'abbé Bénard qui nous
vient
d'Auberville-la-Renault. Il remplace le vieux pasteur de la paroisse,
Prosper Leroux, qui vient de décéder
après 35
années de sacerdoce. Bientôt, les rapports entre
Bénard et Foucault vont se détériorer.
Le
curé dira le maire volage. D'autant que ce dernier a
maintenant les mains
libres. En janvier 1873, il perd sa femme, âgée de
43 ans,
qui lui a donné quatre enfants.
La bête noire du curé

Le matin du 18 avril 1874, venu confirmer ici 287 enfants de
Sainte-Marguerite, d'Epinay et de Saint-Paër, le
cardinal-archevêque de Bonnechose achève sa visite
pastorale dans le canton de Duclair. Il est
accompagné de
son vicaire général, l'abbé Legros. Le
curé de Sainte-Marguerite le prend
à part. Le 15 juillet suivant, il lui écrit :
"J'éprouve un
besoin de
conscience de vous tenir au courant de la situation municipale de
Ste-Marguerite dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir une
première fois au mois d'avril dernier. Dans
le même mois avait lieu la réinstallation de M. le
maire
en vertu de la nouvelle loi. Elle s'est accomplie dans des conditions
scandaleuses. M. Foucault réélu s'est rendu
à la
mairie complètement ivre, accompagné du garde
champêtre et de quelques suivants qui essayaient mais en vain
de
dissimuler sa position. Tout le monde s'en est aperçu sur la
place et une bande d'enfants a suivi notre magistrat de ses rires et de
ses cris. Arrivé à la mairie, il n'a pu dire un
mot et
son greffier a dû se charger de le remplacer pendant la
cérémonie.
2°) Le jour
même de la
confirmation, après avoir dîné avec Son
Éminence,
le maire s'est enfermé dans son café
où il a
passé la nuit et n'est rentré chez lui ivre
qu'à
deux heures du matin.
J'espérais
que la visite de
Monseigneur pourrait le rappeler à l'ordre, ou du moins au
sentiment des convenances, au contraire le mal n'a fait qu'empirer et
il n'est pas de semaine ou les mêmes faits ne se reproduisent
plusieurs fois et publiquement, il va chercher sur la place des
ouvriers, le premier venu, et passe la moitié de ses jours
et de
ses nuits avec des gens sans aveu.
Hier, 14 juillet, 2
heures
après midi, il est sorti du café avec deux de ses
abonnés, dont l'un est notre facteur, en ivresse manifeste
et
les voisins le regardaient en haussant les épaules... Il y
aurait des scènes de détail à
dépeindre que
ne comporte point ma lettre.
Les
conséquences de cette
conduite, Monsieur le Vicaire Général, sont
déplorables sur l'esprit de la population qui, à
force
d'être témoin de ces scandales, n'y fait plus
attention.
L'absence de toute police, surtout le dimanche, retient dans les
cabarets jusqu'à une heure avancée dans la nuit
la pire
espèce des habitants et le mauvais exemple y
entraîne des
hommes jusqu'à présent bien
réglés.
Personne ne parle, personne ne songe à
révéler
l'état des choses quand même il s'agirait de faits
tombant
sous la police correctionnelle. Avec quelques politesses faites
à M. Le Curé, M. le Maire reste parfaitement
tranquille.
D'ailleurs, on sait que M. Ferrand, juge de paix, connaît
tout et
reste son ami.
Comment M. Foucault
suffit-il aux
dépenses de ses orgies avec son petit revenu de 2.400F pour
lui
et ses 4 enfants ? Là-dessus, il n'y a qu'une voix, l'on
répète dans la commune et plus encore au dehors
les
accusations dont il a été l'objet en 1864. A
cette
époque, dénoncé comme concussionnaire,
prêt
d'être perdu, il s'est tiré sans bruit au dernier
moment
grâce à l'intervention toute puissante de M.
Darcel. Le
dénonciateur, le greffier, un moment
écouté, eut
tort à la fin auprès du préfet et fut
renvoyé de la commune peu de temps après... Au
bureau de
bienfaisance, dont je fais partie, il dispose, seul et sans aucun
contrôle, de 2.000F chaque année !! pour besoins
extraordinaires.
Vous avez pu deviner,
Monsieur le
Vicaire Général, à mon attitude, dans
quel
embarras j'étais plongé quand il me fallut vous
faire la
première révélation. Je me voyais pas
d'issue
satisfaisante à entreprendre quoique ce soit à
cause de
l'influence de ses patrons. Peut-être qu'aujourd'hui ils
l'abandonneraient si l'autorité préfectorale se
montrait
ferme. M. le Doyen (NDLR:
l'abbé Masqueray, curé-doyen de Duclair depuis
1869)
lui-même pensait que je devais user d'une
prudence extrême dans cette affaire dont les suites,
disait-il,
seraient désastreuses pour moi si le préfet
manquait de
discrétion ou d'énergie... C'est dans ces motifs
qu'il
faut chercher la cause de l'indécision et des
réserves
que je vous exprimai au moment de la confirmation,
indécision
dont je souffre au-delà de ce que je saurais dire.
Depuis lors,
j'éprouve les
mêmes craintes à cause des ressorts secrets que M.
Foucault tient entre ses mains, mais je n'en suis pas moins
profondément attristé, de ce que par la faute
d'un seul
homme toute amélioration spirituelle ou
matérielle soir
impossible avec de bonnes dispositions dans les habitants et un revenu
communal de quinze à vingt mille francs...
Il m'a
déclaré à
moi-même qu'il avait trouvé Monseigneur
très
indulgent à son passage, qu'on pouvait attendre
tranquillement
pour restaurer l'église et qu'il nous suffit d'avoir obtenu
notre première messe. (La 1ère messe fut
retirée
à Ste-Marguerite à mon arrivée et n'a
été accordée de nouveau
qu'à la condition
que l'église serait restaurée, ce qu'il promit).
Il est
regrettable qu'à cette époque
l'autorité
diocésaine n'ait point été mieux
renseignée
sur la valeur de M. Foucault et des ses promesses...
Moi-même,
j'ai été la dupe de ces fallacieuses promesses en
vertu
desquelles je me suis cru obligé envers lui à de
grands
ménagements qui n'ont pas abouti à le faire
avancer d'un
pas. Au moment de la vacance, tout eut été
possible,
obtenir un vote régulier du conseil municipal qui
était
prêt. Cela fait, le nouveau curé eut pu se montrer
un peu
plus énergique et indépendant
vis-à-vis du maire,
et plus tard, quand il aurait constaté les excès
de sa
conduite, n'ayant aucun besoin de lui, il n'aurait eu qu'à
accomplir son devoir. A présent, que faire ? Tel est,
Monsieur
le Vicaire Général, le problème
à
résoudre. A l'aide de ce résumé
écrit de la
situation et de mes sentiments, il appartient à votre haute
sagesse de l'étudier et de le résoudre s'il y a
lieu, ou
au moins de me tracer une ligne de conduite. Dans des circonstances si
délicates, à mon prochain voyage à
Rouen, je me
propose de vous faire une visite pour connaître vos
impressions
à cet égard. Daignez agréer...
Les huit griefs du curé
Le 19 août 1874, l'abbé Bénard
écrit encore à son Vicaire
Général.
J'ai l'honneur de vous
transmettre
à l'appui de ma dernière lettre et comme
complément d'informations, le détail des faits
les plus
graves, pour quelques-uns je ne puis préciser les dates
qu'on
arriverait facilement à fixer en cas de besoin,
provisoirement,
il vaut mieux ne pas éveiller l'attention par des
démarches indiscrètes, d'ailleurs les cas dont
j'ai
à vous entretenir sont connus pour la plupart de toute la
paroisse.
1°)
Scène Lieury
La femme Vve Lieury,
habitant
Ste-Marguerite, est notoirement connue pour sa mauvaise vie. Sa maison
est ouverte à tout passant, l'on y voit avec le premier
venu, il
y a des intrigues honteuses vis-à-vis de la mère
et de
la fille, aujourd'hui décédée
après avoir
eu un enfant en 1870, peu avant mon arrivée, un assassinat a
été commis dans ce mauvais lieu entre ivrognes et
amants...
Un samedi, vers la fin
de
février ou mars de cette année, M. Le Maire a
rencontré la dite Vve Lieury sur la place, ils sont
entrés ensemble dans un cabaret où il ont
passé
l'après-midi, vers 10h du soir, sortis ensemble au bras l'un
de
l'autre, la particulière a entraîné le
maire chez
elle, à un kilomètre de là. A leur
arrivée,
la maison était occupée par un nommé
Duboc,
équarrisseur, homme de la pire espèce. On a
recommencé à manger et à boire. Duboc
qui
était plus sain, s'est fait un malin plaisir d'achever ses
deux
compagnons, M. le Maire et la susdite, après quoi il les
couchés dans le même lit. Le maire n'en a pas eu
connaissance, il s'est réveillé vers 10h, le
dimanche,
chez cette femme avec ses habits maculés. Or, le lendemain
dimanche, il était attendu à dîner chez
son gendre
avec son beau-frère. La servante du maire, instruite du
fait,
lui a fait porter des vêtements frais chez la
particulière
où il s'est changé et de là il a pris
sa route,
titubant encore, vers la maison de son gendre. Sa fille,
prévenue, est allée au devant de lui et l'a
introduit
à son bras devant son beau-frère qui s'est
aperçu
de son état, mais qui ignorait les circonstances. Le fait a
été connu le lendemain de la paroisse
entière.
2°) Le mois
dernier, le maire
s'est retrouvé au même cabaret avec la dite femme
Lieury
où ils ont bu toute la nuit et n'en sont sortis
qu'à deux
heures du matin. Le maire a été entendu lui
disant :
allons par ici, tout le monde dort, personne ne nous voit.
3°) Dans le
même mois de
juillet, une femme, peu recommandable d'ailleurs, la femme Douillet,
est allée chercher son fils au cabaret qui buvait avec le
maire.
Le fils ne voulant pas la suivre, elle s'est livrée envers
le
maire à des propos injurieux, mais
mérités. Le
maire a menacé de la frapper, alors, celle-ci s'est
retournée vers lui en lui disant "Malheureux, tu vas battre
sa
mère mais tu n'oserais me frapper !" A ces mots, le maire la
bouscule et lui arrache la ceinture de sa robe.
4°) Les 3 et 4
août de
cette année, un nommé Pinot,
précédemment
cafetier à Ste-Marguerite avec la femme duquel le maire
entretenait des relations coupables est revenu ici, il est descendu
chez le maire avec une jeune femme de Rouen qu'il appelait sa cousine,
l'on a bu ces deux jours sans cesser et pendant les nuits chez le
cafetier Pays.
(NDLR : Ferdinand Pays fut
déclaré en faillite en janvier 1875. Son
épouse, née Laoisse, se sépara de lui.)
5°) Le 10
août, la femme
Pinot est venue seule à son tour à Ste-Marguerite
sans
qu'on sache où elle ait pu aller ailleurs que chez le maire.
6°) Le 7
août, allant voir
un malade, j'ai rencontré le maire sur la place, il a voulu
me
parler mais il était en état d'ivresse manifeste
et ne
pouvait pas articuler ses paroles.
7°) Le 15
août, il a bu
toute l'après-midi avec un nommé
Sénateur Vilain,
par dérision surnommé Baba. Cet homme, repris de
justice,
a fait trois mois de prison pour vol.
8°) Au mois de
mars ou avril, une
chanteuse a été autorisée à
donner une
soirée au café. Avant la séance, le
maire
était ivre et il n'a pu suivre les chants que de la cuisine
où il était assis, la tête
appuyée sur la
table. Les enfants et les curieux le regardaient du dehors par les
fenêtres. Il applaudissait tout ivre et, après
chaque
morceau, il se faisait passer le plat de la chanteuse qu'il
récompensait chaque fois largement.
Tous ces faits se sont
passés sur la place de Ste-Marguerite.
En plus, le maire va
à
l'extrémité de la paroisse dans des guinguettes
où
il passe aussi des nuits. En revenant de Duclair il y a huit jours, un
cultivateur devant qui je faisais la sourde oreille, m'a
raconté
que chez un nommé Houdeville, dont la femme est
très
suspecte, le maire avait passé la nuit et qu'il avait
dépensé 60F en compagnie d'ouvriers du quartier.
Et comme
je faisais l'incrédule, il a ajouté qu'il en
faisait
autant au moins une fois la semaine.
En voilà,
Monsieur le Vicaire
Général, plus qu'il ne faut pour vois peindre la
situation déplorable de notre malheureux pays. Toutefois,
selon
votre avis, je prendrai note des faits saillants quoi pourront
survenir. Daignez agréer...
Le chantage de la première messe
Nouvelle lettre le 14 novembre.
Que votre bienveillance
me permette
quelques observations à votre lettre de ce matin, il est
bien
entendu que je vous les soumets en toute simplicité et que
votre dernière décision sera ma règle.
Les
conséquences si graves et
si délicates qui résulteraient du statut
municipal
après le 22 novembre m'autorisent à penser que
rien ne
sera négligé de votre part pour obtenir un
changement
à cette époque et qu'un dernier effort, s'il
était
nécessaire, sera fait pour y arriver.
Si, ce qu'à
Dieu ne plaise,
mes prévisions échouaient, je n'hésite
pas
à vous déclarer que les mesures
subséquentes
prises aussi subitement, sans cause comme sans avis
préalable,
au maire qui seul a traité avec son éminence la
question
de la première messe ne lui paraîtraient qu'une
intimidation
inopportune qui éveillerait toutes ses défiances
sans
amener aucun résultat. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ce
cas,
attendre un délai à fixer pendant lequel
l'autorité diocésaine le mettrait en demeure
d'exécuter sa promesse de 1871 (restauration de
l'église)
sous peine de se voir retirer la faveur de la 1ère messe
concédée à cette époque
sous la foi de
cette promesse ?... Il y aurait là un simple rappel
à une
obligation contractée et je ne
désespère pas que
sous cette forme on put obtenir au moins un effet matériel
important, à défaut du bienfait moral de sa
révocation.
Si au contraire la
1ère messe
nous était retirée sans conditions
posées,
l'administration municipale, ignorante et innocente des causes,
rejettera plus loin encore derrière elle la question de
l'église à laquelle elle est favorable et les
seules
victimes de ce retrait seront M. le Curé et ses paroissiens
qui
ont parfaitement compris la faveur de Mgr le Cardinal. La
1ère
messe en effet a fait ses preuves et produits d'excellents
résultats. La grand' messe, loin d'en souffrir, est plus
fréquentée, les offices bien suivis, notre
fête de
l'Adoration, elle-même, qui était presque nulle il
y a
quatre ans, avait peu à envier, cette année,
à
celles des belles paroisses du Pays de Caux. Or bien des fois
à
l'origine, j'ai fait valoir à leurs yeux la
facilité que
leur offraient les deux messes, que la 1ère messe ne leur
était rendue qu'à la condition que par leur
concours, ils
en établiraient eux-mêmes la
nécessité
(c'étaient les paroles mêmes de Son
Éminence lors de la
concassion). Assurément, Monsieur le Vicaire
Général, ces braves gens ont bien fait leur
devoir et
n'ont point démérité.
C'est pourquoi j'ai
l'honneur de vous
répéter que c'est un homme qu'il faut atteindre,
un seul,
le coupable. S'il n'est pas atteint d'ailleurs, je suis
obligé
de me retrouver en face de lui au bureau de bienfaisance, au conseil de
fabrique, chez moi même, dans deux dîners
officiels. La
temporisation que j'ai pratiquée constamment dans l'espoir
d'un
changement deviendra bien difficile en certains cas, une rupture
éclatera bientôt qui sera d'autant plus terrible
que cet
homme, la plupart du temps inconscient, qui se vante de n'avoir jamais
connu son maître, croira avoir reçu un soufflet de
l'autorité par le retrait de la 1ère messe, il en
recherchera l'auteur, et il finira par le trouver.
Maintenant, Monsieur le
Vicaire
Général, je tire les conclusions de cette longue
réponse. De deux choses l'une : ou M. F. doit
disparaître
comme maire ou rester... S'il disparaît, il
paraîtra tomber sous
le poids de ses fautes, il n'y a rien à craindre pour
personne.
S'il reste et que M. le Préfet n'ose point toucher
à sa
personne, j'aime encore mieux le subir tel qu'il est que tel qu'il sera
après les mesures en question. Mieux vaut, ce me semble,
attendre un moment plus favorable qui viendra nécessairement
de
sa révocation que de précipiter la guerre.
Après
quatre années de paix, la guerre avec un tel homme me
répugne.
J'attendrai patiemment
le 22 9bre et
me dispose après ce moment à prendre vos
conseils. Si
vous trouviez utile, Monsieur le Vicaire
Générale, que je
fisse plus tôt, je suis entièrement à
votre
disposition. Daignez agréer...
M. Chrétien,
ancien procureur
impérial à Yvetot, aujourd'hui substitut
à Rouen
(Rue Beauvoisine), avec lequel je suis intimement lié serait
à même, s'il voulait, d'aider puissamment au
succès
de la mesure que je désire. Il est camarade de
collège de
M. Lizot et sont restés dans les meilleurs termes. M.
Chrétien connaît suffisamment mon maire et le juge
de Paix
de Duclair.
Mgr le Cardinal qui a pu
autrefois
apprécier la déférence et la
délicatesse de
ce magistrat pourrait sans danger je pense employer son intervention
directe auprès de M. le préfet en lui faisant
part de ma
situation à laquelle il s'intéresse beaucoup...
Le voyage en diligence
Du
16 décembre 1874 : J'ai
l'honneur de vous faire part d'un scandale nouveau du maire de
Ste-Marguerite. Il est de nature à convaincre ses
défenseurs les plus dévoués.
Vendredi 11 courant, il
est
allé à Rouen et n'est revenu que le samedi par la
voiture
de Noël (voiture de Caudebec, place Henri IV). Au
départ de
Rouen, il était tellement ivre qu'il a fallu le monter sous
la
bâche. Le conducteur a étendu la paille et lui a
dit :
"Couche toi là et ne bouge pas !"
Pendant tout le voyage,
il a
été en butte aux quolibets de toute sorte. Comme
il
remuait beaucoup à sa place et se roulait sur les colis de
marchandises, le conducteur lui a dit : "Tiens toi tranquille,
autrement je te f... par terre."
Il continuait cependant
de s'agiter,
se levait, embrassait ses voisins sur la banquette. "Dis donc mon petit
Joseph (c'est le nom du maire) a repris un des voyageurs, quand tu
présides ton conseil et que tu es saoul comme cela,
qu'est-ce
que disent tes conseillers ? Mes conseillers, répond le
maire,
je m'en f... Je les emm... (sic)."
Un autre reprenait :
"Dis donc
l'administrateur, où est ton écharpe ? Je connais
mon
sort, je connais mon sort depuis trois jours, a répondu le
maire. Alors, tous les voyageurs ont repris : es-tu
dégommé ?" Ce à quoi il n'a pas
répondu.
"Et dis donc Joseph, où vas-tu coucher ce soir ?
Probablement
à la mare de Léguillon ?" (c'est
auprès de cette
mare que le maire a passé une partie de la nuit du 3 au 3
9bre
en revenant de Duclair.)
Enfin, il a
été
montré en dérision à sa descente de la
voiture aux
quelques voyageurs qui ne le connaissaient pas. Tout Duclair a su
l'histoire le lendemain, excepté le juge de Paix et les
gendarmes !!
Selon ces messieurs, le
maire se
corrige depuis les élections et il a promis d'être
sage.
Que dirait M. Le Préfet s'il apprenait ce fait tout
récent et absolument certain ? Je le tiens de M. Lecouteux,
commis principal dans la Douane à Rouen et conseiller
municipal
de Ste-Marguerite. Ce Monsieur voyageait par la même voiture
que
M. le Maire et était assis non loin de lui pendant qu'il se
livrait à ces évolutions.
J'attends avec patience
que la mesure
soit comble. L'heure viendra, sans doute, de la délivrance.
Il
paraît sombre et un peu inquiet, il paraît
s'éloigner de ses anciens conseillers
réélus
malgré lui, aussi bien que de moi-même. Il m'a
fait savoir
que s'il n'avait réussi dans les élections, cela
tenait
à moi, que je lui avais tourné le dos, et que
j'avais
composé la liste des opposants etc. etc. Je n'ai pas dit un
mot
relativement aux élections à un seul de mes
paroissiens,
si ne ce n'est au maire lui-même à qui j'ai fait
visite
deux jours avant l'élection pour le prévenir
poliment et
amicalement qu'il ne cherchât point la cause de mon
abstention,
mon principe en fait d'élections municipales
étant de ne
point voter lorsque la liste est double... Néanmoins, lui,
ses
amis, sa famille, ses créateurs semblent croire à
la
trahison. Daignez agréer...
Une nouvelle enquête
administrative
Du 2 janvier 1875 : J'ai
l'honneur de vous adresser sous
ce pli une réponse de M. Chrétien, 1er substitut
à
Rouen, relative à l'état de la situation
municipale de
Ste-Marguerite. Il résulte de cette lettre :
1°) que M. X
(lisez procureur de
la République) a vu M. le Préfet ou
Sous-Préfet
pour lui exposer la conduite morale de M. le Maire de Ste-Marguerite,
conduite allant jusqu'à motiver l'intervention de la Justice.
2°) que M. le
Préfet ou Sous-Préfet a pu croire
à peine l'exposé de ce magistrat.
3°) qu'on n'a
pas voulu admettre,
que sous une menace d'enquête judiciaire, la
vérité
du fait dernier voyage de Rouen (voir ma
précédente
lettre).
4°) qu'enfin une
enquête
administrative est ouverte dans laquelle seront entendus MM. Darcel et
Lamer (NDLR : conseiller
d'arrondissement) avec lesquels Monsieur le
Vicaire Général a
dîné chez moi à la confirmation.
5°) qu'un
complice (lisez M.
Ferrand, juge de Paix, qui autrefois étant huissier, a
blasphémé dans les ventes qu'il faisait des objet
de
piété Dieu, la Ste Vierge et les Saints) a
donné
à la préfecture les meilleurs renseignements sous
tous
les rapports de M. le maire de Ste-Marguerite.
Maintenant, Monsieur le
Vicaire
Général, nous voilà de nouveau en
présence
d'une enquête. En 1861, une enquête a eu lieu
déjà sur la dénonciation de
l'instituteur d'alors,
M. Foutel, accusant le maire actuel de concussion. Les preuves
étaient si convaincantes et si publiques qu'elles semblaient
écraser déjà le maire. On pria et
supplia M.
Foutel de se relâcher de sa plainte. Il ne le voulut point et
on
regarda le maire comme perdu, comme il le croyait lui-même.
Et
pourtant, au dernier moment, il dut sauvé par l'intervention
de
M. Darcel et M. Foutel fut disgracié.
Telle est encore la
question
aujourd'hui : M. Darcel aura-t-il changé d'idée ?
Il en
sait beaucoup et pourra savoir le reste. Le voudra-t-il ? Pourra-t-il ?
Je ne sais. Vous êtes à même de voir,
Monsieur le
Vicaire Général, s'il y a de votre part une
dernière intervention à tenter et dans quelle
mesure.
J'ai confiance dans la haute loyauté et l'inflexible
énergie que chacun se plaît à
reconnaître en votre
personne. Vous daignerez aviser de manière à
obtenir le
résultat absolument nécessaire et à ne
pas me
laisser vivre avec un petit Gambetta et sa guerre, car la situation
serait intolérable. Je finis en me recommandant à
votre
dévouement et à la plus grande bienveillance de
Mgr le
Cardinal. Daignez agréer...
Foucault tient bon
31 janvier 1875 : Je
crois devoir vous informer que
votre démarche auprès de M. le Préfet
a
été révélée dans
ses moindres
détails. Il y a eu hier 8 jours, le magistrat
dînant en ville
chez un de ses amis connaissant parfaitement la position de
Ste-Marguerite, lui a fait par de votre visite, de votre dossier et de
vos observations tendant à éliminer de
l'enquête
MM. Darcel, le juge de Paix etc. M. le Préfet a du reste
ajouté qu'il allait être probablement
obligé d'en
finir avec un maire sur lequel il a reçu
déjà de
nombreuses plaintes. S réellement la révocation
est lancée, ou est sur le point de l'être,
l'indiscrétion de M. le Préfet que je ne veux
point
qualifier, ne produirait ici qu'un effet d'irritation
momentané
dont je me sens assez fort pour supporter le poids. Mais si le maire
était conservé et devait surnager encore une fois
au
dessus de toutes les lois, vous comprendrez quelle serait ma situation
vis-à-vis de mes paroissiens et surtout vis-à-vis
du maire
et de sa suite.
J'espère,
Monsieur le Vicaire
Général, qu'il n'en sera pas ainsi et que vous
tiendrez
à assurer dans le plus bref délai le sort de l'un
et de
l'autre.
Jusqu'ici, nous n'avons
point entendu
parler d'enquête. Le maire paraît se rassurer et
vient
d'envoyer à ses conseillers une lettre de convocation pour
l'installation du conseil jeudi prochain. J'espérais qu'il
n'aurait point cet honneur et que M. le Préfet qui est tout
à fait renseigné sur son compte aurait eu le
courage de
lui infliger plus promptement le châtiment qu'il
mérite.
Je vous conjure de nouveau, Monsieur le Vicaire
Général,
de terminer votre œuvre. Daignez...
PS Il vous sera facile
de savoir
d'abord si M. le Préfet est décidé
à une
révocation. Dans ce cas, il me semble qu'il ne faudrait
point
parler de l'indiscrétion commise. Dans le cas contraire, ne
serait-il pas permis de lui en signaler les conséquences qui
en
résulteront pour moi ? Si M. le Préfet
désirait me
voir, je me tiendrais à sa disposition.
Nouvelles incartades
Du 23 avril 1875 : Conformément
aux instructions de M. le Doyen, j'ai l'honneur de vous informer que :
Le mardi 6 avril, M. F. est
allé au marché de Duclair et n'est revenu chez
lui que le
lendemain mercredi à 11h en état d'ivresse
(témoins M. le Curé, Varin, Vatier et les gens de
la
place).
2°) Le mardi 13,
sorti du
café vers 9h et demie du soir. M. F. a emmené
chez lui
ses compagnons ordinaires, a bu avec eux toute la nuit jusqu'au
lendemain dans la matinée et s'est rendu en ivresse
manifeste
vers midi pour dîner chez la Vve Lercier dont il fait les
affaires... Témoins les convives et les voisins. Daignez
agréer...
Poussé à la
démission
1er mai : La lettre dont
vous me
parlez est écrite à l'occasion d'un fait
particulier et
n'a aucun rapport aux faits généraux qui ont
motivé
les poursuites contre M. F. (23 9bre je crois). Cette lettre exprime
des reproches plutôt amicaux qu'hostiles et fait appel au bon
sens de M. F. Qu'elle invite à ne point tromper l'opinion
publique en me prêtant des sentiments que je n'ai jamais eux
à son égard. Je ne suis point l'ennemi personnel
de M. F.
et c'était précisément pour
éviter une
rupture dont j'avais horreur que je lui ai envoyé ce petit
mot,
espérant par là l'arrêter et le faire
revenir. La
lettre exhibée au dernier moment est un expédient
à la façon de celui qui disait "Donnez-moi
quelques
lignes d'un homme, et je me charge de le perdre". Elle n'a ni ni le
sens ni les crudités que l'on signale. En tenant compte du
fait
qui la motive, elle s'explique toute seule et se propose de ramener M.
F.
Qu'on dise qu'on ne peut ou qu'on n'ose révoquer M. F.
à la bonne heure ! Il importe, Monsieur le Vicaire
Général, de ne pas laisser déplacer la
question et
de ne pas la rendre personnelle. Les faits reprochés
à M.
F soit par l'archevêché, soit par M. L. sont-ils
vrais ou
faux ? Rép. Ils sont vrais selon la déclaration
de M.
Ferrand, l'ami de M. F. Le magistrat reconnaît à
chaque
mot l'indignité de M. F. et conclut à sa
révocation. Donc...
Le seul danger,
à mon avis,
est que l'on en vienne à ne plus considérer la
question
municipale comme une question d'ordre général,
mais un
cas de maire à curé.... C'est pour
l'éviter que
j'ai témoigné extérieurement
à M. F les
mêmes égards, aux deux séances de
quasimodo,
après que vous m'aviez appris qu'il n'était plus
maire.
Je l'ai reçu avec la même politesse
qu'à
l'ordinaire et nous avons pris un verre de vin, comme à
l'ordinaire. Jamais depuis ce mois je n'ai dit encore un mot contre lui.
Il me semble donc que je
ne dois
point être mis en cause mais que
l'archevêché et le
Parquet n'ont qu'à s'appuyer sur leurs dossiers respectifs
approuvés par le juge de Paix sans en faire
connaître
l'origine, étant prouvé qu'ils sont vrais, le
coupable
peut-il conserver son pouvoir. Daignez...
PS : Il est regrettable
que la
préfecture et M. D aient dénoncé
l'autorité
ecclésiastique et moi comme les auteurs des plaintes contre
M.
F. Il est évident que M. F. à qui je suis
signalé
par M. D. va chercher comment j'ai été
amené
à le dénoncer et ne pouvant se l'expliquer
à cause
de nos bons rapports antérieurs va forger de l'histoire de
façon à servir sa cause.
Foucault est poussé à la
démission. Le 11 mai 1875,
Amand Dacher, cultivateur et conseiller, est nommé maire. On
l'installe
le 24 mai. |
|
Dacher
fut
installé par MM. Boutard, Lefebvre, Ferdinand Leclerc,
adjoint,
Henri Lecouteux, Charles Gueudry, Arsène Vautier, Victor
Lecouteux, Florentin Thierry, Louis Leboulanger et Arthur Saillard. |
Le curé craint pour sa vie
Le 14 juin 1875, nouvelle lettre au Vicaire
Général : Conformément
à vos espérances, depuis l'installation de M.
Dacher, la
situation s'est améliorée, le conseil municipal
se rallie
extérieurement, la population en
général semble
prendre son parti et accepter le fait accompli. L'on peut
prévoir dès à présent
qu'à moins de
bouleversement politique M. F. ne rentrera point de longtemps aux
affaires et que tout ira bien.
D'après ce
qui me revient, le
maire nouveau est décidé d'étudier
à fond
la gestion municipale précédente et
peut-être
devons-nous nous attendre à des poursuites pour concussion.
Quant à M.
F., sous un calme
apparent, il dissimule une haine profonde pour ses
persécuteurs,
lui, sa famille et quelques affidés de bas-étage
ont
peine à contenir leurs vrais sentiments à mon
endroit.
Selon ce qui m'a été rapporté par une
personne
bien renseignée est digne de foi. M. F. aurait dit en me
montrant du doigt "qu'il savait à qui s'en prendre et que
s'il
n'avait pas d'enfants, il se vengerait."
J'ai reçu de
plusieurs
personnes conseil de ne point le rencontrer à des heures
indues
et de ne point passer devant sa maison ni trop souvent ni tard.
Je le crois capable de
tout oser, par
lui-même ou quelqu'un des siens, mais j'espère que
la
Providence veillera sur moi et daignera, au besoin me
préserver
de tout projet criminel. Daignez...
Descente du Parquet
Le 5 août 1875 : Que
votre
bienveillance me permette de vous parler avec une simplicité
filiale. Le Parquet vient de faire une descente à
Ste-Marguerite
pour vérifier une dénonciation de concussion
faite contre
M. F. par le nouveau maire.
Le bruit court, et me
paraît
fondé, que M. F. va être arrêter
après les
preuves qui ont été faites se sa
culpabilité. La
haine est de plus en plus profonde chez l'ancien maire et ses partisans
contre l'administration nouvelle. Quoique je sois
complètement
en dehors de cette nouvelle affaire, l'opinion des partisans de M. F.
la joint à la première, à sa
révocation.
J'ai
été averti, depuis
le premier avis que j'ai eu l'honneur de vous communiquer, par
différentes personnes de me tenir sur mes gardes et de ne
pas
sortir le soir. J'ai paru n'en pas tenir compte pour ne pas aggraver
les soupçons. Mais quoiqu'il en soit, je commence
à
craindre et à me demander s'il ne serait pas temps qu'on
songe
à mon déplacement. Il vous appartient, Monsieur
le
Vicaire Général, d'examiner si me craintes sont
fondées et de voir si, après le
résultat obtenu,
je ne suis pas appelé à faire plus de bien
ailleurs.
MM. Darcel et Lamer
ainsi que le juge
de Paix nouveau restent favorables au fond à M. F. et se
disposent si j'en juge par des confidences intimes dont je vous ferai
part à ma plus prochaine entrevue, à le
faire
remonter à sa place.
Le nouveau maire
rencontre de la part
de l'administration des obstacles ou de l'indifférence qui
nous
présagent un avenir fâcheux....
J'ai fait ce que j'ai
pu, ce que j'ai
vu dans des circonstances difficiles et avec la plus grande prudence
possible, mais nous avons mis la main dans un guêpier et tous
les
frelons de Duclair et d'ici sont après nous. M. F.
grâce
à ses qualités apparentes et à une
politique
habile conserve toute l'influence de ses relations. Daignez...
PS : M. le Doyen est en
retraite et sera à même de vous édifier
sur la situation si vous le trouvez utile.
Il reprend la mairie
Coup de théâtre ! Aux élections de
1876, Foucault est réélu maire en
obtenant sept suffrages contre cinq à Dacher. Il reprend
Leboucher pour adjoint. La fortune du premier magistrat est alors
estimée à 3.000F de revenu contre 500 pour
Leboucher.
L'année 1877 fut marquée, à
Sainte-Marguerite, par l'assassinat d'un paysan, Armand Fulgence
Breton. 
En 1878, Foucault est encore réélu, et cette fois
par
onze voix contre une pour Ferdinand Leclerc qui devient son adjoint.

Procès en diffamation
Dacher, l'homme qui a brièvement
succédé à
Foucault, poursuivait sa campagne de dénigrement. Le 27
novembre
1879, en correctionnelle, il a est condamné pour
diffamation. La
peine est symbolique : 1 F de dommage et intérêts.
Dérisoire à côté des 200 F
d'amende que doit
verser Dacher à l'Etat. Le jugement est publié
par le Journal de Rouen.
Il est dit que le citoyen Armand-Maurice Dacher est coupable d'avoir "diffamé
par des faits relatifs à ses fonctions, le maire de la
commune
de Sainte-Marguerite-sur-Duclair, en proférant publiquement
que
ledit maire Foucault et l'instituteur Sannier volaient la commune et
qu'il leur avait fait remettre 630F."
Ce n'est qu'en novembre 1880 que l'abbé Bénard
est enfin muté à la cure de Fontaine-le-Bourg,
doyenné de Clères. Il sera remplacé
par l'abbé Louis-Thomas Laurent, piqué de
légitimisme, venu du Vieux-Manoir.
Constamment réélu
1881 : Foucault retrouve son écharpe de justesse avec sept
voix
contre cinq à Eugène Frémont.
Émile Riquier est
alors l'instituteur du village tandis qu'une religieuse enseigne aux
filles.
1884 : huit
suffrages confortent Foucault à son poste contre quatre pour
Ferdinand Leclerc.
1885 : le soir du 6 mai, on reçoit à
Sainte-Marguerite Mgr Thomas le Magnifique, le nouveau cardinal qui
entame ici sa première visite épiscopale du
canton de Duclair. La Semaine religieuse : "L'église de
Sainte-Marguerite a été rebâtie dans de
vastes proportions ; tenue avec goût, elle se prête
aisément, nous en avons eu la preuve, aux plus belles
solennités."
1888,
Foucault creuse l'écart pour une nouvelle
réélection. Dix voix contre une à
Leclerc. Foucault à encore usé un
curé.
L'abbé Laurent est nommé à Oissel et
cède son presbytère à Henry-Damase
Hazé, le
Premier aumônier de l'Hôtel-Dieu de Rouen, auteur
de pièces pour orgue et harmonium.
1892, il ne compte plus que sept fidèles, cinq
conseillers lui préfèrent Florentin Thierry.
C'est
Arsène Vautier qui, au bénéfice de
l'âge,
est proclamé adjoint. Seulement cette, fois, les affaires se
gâtent. Six conseillers contestent des sommes
empochées par Foucault. Une enquête administrative
est
ouverte...
Les affaires se gâtent
1)
Foucault est
accusé de s'être approprié pendant
plusieurs
années une certaine somme sur le crédit de 300F
inscrit
au budget municipal sous le titre de frais de bureau de la mairie.
2) Pendant plusieurs années, il a
procédé
lui-même à la vente des foins communaux et
prélevé sur le produit s'élevant
à 5.000 ou
6.000 F par an la somme de 50F à titre de vacation.
Mis en demeure par le conseil qui soupçonnait ses errements
d'employer un huissier pour procéder à la vente,
il a, en
1893, obtenu de cet officier ministériel une somme de
100F... pour
frais d'arpentage.
3) Il se faisait verser la totalité d'un crédit
de 500F
inscrit au budget pour fournitures de la mairie et na pu justifier du
paiement d'ouvriers que jusqu'à concurrence de 175F.
Foucault a
nié avoir reçu ces 500F mais sa
dénégation
est mensongère et il résulte des
pièces comptables
produites par le receveur municipal qu'il a touché deux
mandats
qu'il a fait acquitter par un tiers, l'un de 300F, le 2 mars et l'autre
de 200F le 28 du même mois.
4) Au moment de l'enquête, il n'a pas encore versé
dans la
caisse municipale le produit de la vente de l'ancien mobilier de
l'école des filles bien que la vente ait
été faite
au comptant depuis un mois et que le produits s'élevant
à
280Fr lui ait été remis.
Sur plusieurs autres crédits peu importants (Fête
nationale, assistance, travaux communaux), Foucault est convaincu
d'exagération dans les paiements et
soupçonné
fortement d'en avoir profité par des remises des parties
prenantes.
Sur l'exercice 1891, par exemple, six conseillers s'étonnent
qu'il ait été payé à
Couture, bedeau et
fossoyeur, un mandat de 20F comme garde malade pour le compte du bureau
de bienfaisance. Couture confirme qu'il n'a jamais
été
garde-malade mais se souvient que le maire, n'ayant pas de
crédit suffisant pour lui payer les sommes dues pour
inhumations
d'indigents, a prélevé 20F sur un autre
crédit.
50 F ont été payés à
Thuillier pour enclore
la mare communale de poteaux. Sept conseillers déclarent ce
prix
surélevé.
Blondel, le sacristain à touché 8F pour
entretenir les
haies de l'école des filles et réparé
le mobilier
de l'institutrice. La somme ne correspond pas au travail
réel.
Foucault la justifie en affirmant que Blondel a
été en
outre employé à divers travaux dans le
cimetière.
Foucault a touché aussi une certaine somme pour
régler
l'extraction de marne nécessaire aux biens communaux. Or sur
les
400 mètres qui devaient être extraits par Saunier
Père et fils, seuls 40 l'ont été...
Suspendu, destitué...
Bref, les pièces comptables sont transmises au conseil de
Préfecture, sous réserve que l'instruction
ouverte ne
révèle des faits délictueux ou
criminels relevant
de la Justice. Mais dès lors, Foucault est totalement
discrédité dans sa commune et l'enquête
administrative aboutit à la suspension du maire le 17
novembre
1893. Puis à sa révocation par décret
présidentiel signé de Sadie Carnot. Vautier est
invité à gérer les affaires de la
commune.
Le 2 décembre, Foucault ainsi que trois conseillers,
Alphonse
Vallois, Adolphe Lefebvre et Casimir Ponty signifient à
Vautier
leur démission du conseil : "Par des
considérations
toutes particulières, écrivent-ils,
ils ne veulent en
aucun façon s'occuper de l'administration de la commune." Le
4,
c'est Vautier qui démissionne. Le préfet accepte
mais le
prie de continuer encore le service de la mairie jusqu'à la
reconstitution de la municipalité. Six postes sont alors
vacants
avec le décès de Leboucher. Le 31
décembre, les
électeurs sont donc convoqués. Et c'est Florentin
Thierry
qui s'assied dans le fauteuil de maire. La page Foucault est enfin
tournée. Il meurt le 22 octobre 1895 à
Sainte-Marguerite
à l'âge de 65 ans.
Laurent QUEVILLY.
Sources
Archives
départementales
de la Seine-Maritime, cotes 3 M 1324 et 1 J 902, recherches et documentation :
Jean-Yves Marchand.
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