Par Laurent Quevilly


38 ans de mandat ! Maire de Sainte-Marguerite, Joseph Foucault paraissait indéboulonnable. Ivrogne, voleur, tyran étaient pourtant les épithètes employés par ses opposants. En 1893, il finira par tomber...

Né à Duclair en 1930, Joseph Foucault s'était établi à Sainte-Marguerite après y avoir épousé, à 21 ans, Françoise Frémont, une jeune veuve, fille de cultivateurs du cru. Le jour de ses noces, Foucault avait eu pour témoin le notaire du chef-lieu de canton, maître Rigoult. C'est que ce jeune homme de bonne famille, orphelin de père et vivant de ses revenus, fréquentait les notables. Et il ne fut pas long à être élu maire de Sainte-Marguerite. Le 19 août 1855, il succédait à Louis Durand. Bientôt, son comportement, sa gestion attirent des soupçons. En 1861, il échappe même de peu à la révocation après enquête administrative. Mais Foucault a le bras long. Alors, quand s'annoncent de nouvelles élections, va-t-il conserver son écharpe ?



"Ivrogne, voleur, tyran..."


Quinze années s'étaient écoulées depuis sa nomination. En 1868, on avait vu Foucault ordonner l'arrestation d'un alliéné lors de l'incendie d'une chaumière, au hameau du Valbaret.  Il avait reçu aussi Mgr de Bonnechose pour sa première visite épiscopale. Bref, il remplissait ses fonctions. Mais les remplissait-il bien ? Le 20 août 1870 un corbeau écrit de Duclair au secrétaire général de la préfecture :

"Malgré tout le désir que j'avais et l'indispensable besoin de communiquer à M. le préfet des choses d'une haute gravité, je me vois privé de pouvoir le faire. En attendant donc que j'aie cet honneur, je dois dans le plus grand intérêt de Monsieur notre digne et honoré préfet vous informer des choses d'une nature grave auxquelles il importe d'apporter remède et d'éviter.

Des personnes haut placées, assure-t-on, vont prêter leur concours pour entreprendre de nouveau l'affaire très scandaleuse du maire de Ste-Marguerite-sur-Duclair qui a été gracié il y a quatre ans environ. Des ennemis de la préfecture se proposent de mettre tous les faits cachés au grand jour et assurent que dans le cas où il sieur Foucault serait nommé maire des témoins inconnus jusqu'alors, munis de pièces authentiques, doivent mettre à néant les simulacres d'enquêtes faites par M. Lécouflet, ancien juge de Paix de Duclair.

Le dit M. Lécouflet a rapporté à plusieurs personnes notables que le maire en question était réellement coupable et que si on lui avait fait grâce ce n'était qu'afin d'éviter un grand scandale et de grands désagréments pour M. le préfet et M. le procureur impérial. Aujourd'hui, tout est terminé. M. le préfet seul peut éviter tout le mal qui pourrait subvenir de nouveau s'il le nommait pour remplir une fonction dont il a abusé trop longtemps.

L'adjoint actuel, M. Tanquerel, M. Lebourgeois, voilà trois hommes honorables parmi lesquels on peut choisir un maire qui jouira de l'estime des habitants.

Cet avertissement est d'une haute importance et demande de très mûres réflexions. En outre, la conduite du maire Foucault est indigne sous tous les rapports. Comme ivrogne s'associant à toute la basse classe. On le voit ivre à peu près tous les mardis et fréquentant continuellement les cafés. Pour les habitants il n'est connu que sous le nom de voleur et de tyran. M. le préfet peut se convaincre de la vérité de ce que je relate dans la présente par une enquête auprès des maires du canton et autres personnes notables telles que Messieurs Lair, juge de Paix, Chantin à Epinay, Emangard à Duclair, Delaunay, Bicheray..."

NDLR. Louis-François Emangard gère une société de matériaux de bâtiments. Bicheray est notaire à Jumièges.

Réélu dans un fauteuil


Reste que dimanche 30 avril 1871, Foucault est largement réélu par ses conseillers. Dix suffrages contre un pour Alphonse Leboucher qui, à son tour, réalisera le même score pour le poste d'adjoint contre Jean-Baptiste Biget. Sainte-Marguerite est encore sous le coup de l'occupation prussienne et de l'affaire Delacroix Une sordide histoire à laquelle Foucault n'est pas étranger.

Mais un nouveau curé vient tout juste d'arriver. Nommé en mars 1871, il s'agit de l'abbé Bénard qui nous vient d'Auberville-la-Renault. Il remplace le vieux pasteur de la paroisse, Prosper Leroux, qui vient de décéder après 35 années de sacerdoce. Bientôt, les rapports entre Bénard et Foucault vont se détériorer. Le curé dira le maire volage. D'autant que ce dernier a maintenant les mains libres. En janvier 1873, il perd sa femme, âgée de 43 ans, qui lui a donné quatre enfants.

La bête noire du curé



Le matin du 18 avril 1874, venu confirmer ici 287 enfants de Sainte-Marguerite, d'Epinay et de Saint-Paër, le cardinal-archevêque de Bonnechose achève sa visite pastorale dans le canton de Duclair. Il est accompagné de son vicaire général, l'abbé Legros. Le curé de Sainte-Marguerite le prend à part. Le 15 juillet suivant, il lui écrit :

"J'éprouve un besoin de conscience de vous tenir au courant de la situation municipale de Ste-Marguerite dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir une première fois au mois d'avril dernier. Dans le même mois avait lieu la réinstallation de M. le maire en vertu de la nouvelle loi. Elle s'est accomplie dans des conditions scandaleuses. M. Foucault réélu s'est rendu à la mairie complètement ivre, accompagné du garde champêtre et de quelques suivants qui essayaient mais en vain de dissimuler sa position. Tout le monde s'en est aperçu sur la place et une bande d'enfants a suivi notre magistrat de ses rires et de ses cris. Arrivé à la mairie, il n'a pu dire un mot et son greffier a dû se charger de le remplacer pendant la cérémonie.

2°) Le jour même de la confirmation, après avoir dîné avec Son Éminence, le maire s'est enfermé dans son café où il a passé la nuit et n'est rentré chez lui ivre qu'à deux heures du matin.

J'espérais que la visite de Monseigneur pourrait le rappeler à l'ordre, ou du moins au sentiment des convenances, au contraire le mal n'a fait qu'empirer et il n'est pas de semaine ou les mêmes faits ne se reproduisent plusieurs fois et publiquement, il va chercher sur la place des ouvriers, le premier venu, et passe la moitié de ses jours et de ses nuits avec des gens sans aveu.

Hier, 14 juillet, 2 heures après midi, il est sorti du café avec deux de ses abonnés, dont l'un est notre facteur, en ivresse manifeste et les voisins le regardaient en haussant les épaules... Il y aurait des scènes de détail à dépeindre que ne comporte point ma lettre.

Les conséquences de cette conduite, Monsieur le Vicaire Général, sont déplorables sur l'esprit de la population qui, à force d'être témoin de ces scandales, n'y fait plus attention. L'absence de toute police, surtout le dimanche, retient dans les cabarets jusqu'à une heure avancée dans la nuit la pire espèce des habitants et le mauvais exemple y entraîne des hommes jusqu'à présent bien réglés. Personne ne parle, personne ne songe à révéler l'état des choses quand même il s'agirait de faits tombant sous la police correctionnelle. Avec quelques politesses faites à M. Le Curé, M. le Maire reste parfaitement tranquille. D'ailleurs, on sait que M. Ferrand, juge de paix, connaît tout et reste son ami.

Comment M. Foucault suffit-il aux dépenses de ses orgies avec son petit revenu de 2.400F pour lui et ses 4 enfants ? Là-dessus, il n'y a qu'une voix, l'on répète dans la commune et plus encore au dehors les accusations dont il a été l'objet en 1864. A cette époque, dénoncé comme concussionnaire, prêt d'être perdu, il s'est tiré sans bruit au dernier moment grâce à l'intervention toute puissante de M. Darcel. Le dénonciateur, le greffier, un moment écouté, eut tort à la fin auprès du préfet et fut renvoyé de la commune peu de temps après... Au bureau de bienfaisance, dont je fais partie, il dispose, seul et sans aucun contrôle, de 2.000F chaque année !! pour besoins extraordinaires.

Vous avez pu deviner, Monsieur le Vicaire Général, à mon attitude, dans quel embarras j'étais plongé quand il me fallut vous faire la première révélation. Je me voyais pas d'issue satisfaisante à entreprendre quoique ce soit à cause de l'influence de ses patrons. Peut-être qu'aujourd'hui ils l'abandonneraient si l'autorité préfectorale se montrait ferme. M. le Doyen (NDLR: l'abbé Masqueray, curé-doyen de Duclair depuis 1869) lui-même pensait que je devais user d'une prudence extrême dans cette affaire dont les suites, disait-il, seraient désastreuses pour moi si le préfet manquait de discrétion ou d'énergie... C'est dans ces motifs qu'il faut chercher la cause de l'indécision et des réserves que je vous exprimai au moment de la confirmation, indécision dont je souffre au-delà de ce que je saurais dire.

Depuis lors, j'éprouve les mêmes craintes à cause des ressorts secrets que M. Foucault tient entre ses mains, mais je n'en suis pas moins profondément attristé, de ce que par la faute d'un seul homme toute amélioration spirituelle ou matérielle soir impossible avec de bonnes dispositions dans les habitants et un revenu communal de quinze à vingt mille francs...

Il m'a déclaré à moi-même qu'il avait trouvé Monseigneur très indulgent à son passage, qu'on pouvait attendre tranquillement pour restaurer l'église et qu'il nous suffit d'avoir obtenu notre première messe. (La 1ère messe fut retirée à Ste-Marguerite à mon arrivée et n'a été accordée de nouveau qu'à la condition que l'église serait restaurée, ce qu'il promit). Il est regrettable qu'à cette époque l'autorité diocésaine n'ait point été mieux renseignée sur la valeur de M. Foucault et des ses promesses... Moi-même, j'ai été la dupe de ces fallacieuses promesses en vertu desquelles je me suis cru obligé envers lui à de grands ménagements qui n'ont pas abouti à le faire avancer d'un pas. Au moment de la vacance, tout eut été possible, obtenir un vote régulier du conseil municipal qui était prêt. Cela fait, le nouveau curé eut pu se montrer un peu plus énergique et indépendant vis-à-vis du maire, et plus tard, quand il aurait constaté les excès de sa conduite, n'ayant aucun besoin de lui, il n'aurait eu qu'à accomplir son devoir. A présent, que faire ? Tel est, Monsieur le Vicaire Général, le problème à résoudre. A l'aide de ce résumé écrit de la situation et de mes sentiments, il appartient à votre haute sagesse de l'étudier et de le résoudre s'il y a lieu, ou au moins de me tracer une ligne de conduite. Dans des circonstances si délicates, à mon prochain voyage à Rouen, je me propose de vous faire une visite pour connaître vos impressions à cet égard. Daignez agréer...

Les huit griefs du curé



Le 19 août 1874, l'abbé Bénard écrit encore à son Vicaire Général.

J'ai l'honneur de vous transmettre à l'appui de ma dernière lettre et comme complément d'informations, le détail des faits les plus graves, pour quelques-uns je ne puis préciser les dates qu'on arriverait facilement à fixer en cas de besoin, provisoirement, il vaut mieux ne pas éveiller l'attention par des démarches indiscrètes, d'ailleurs les cas dont j'ai à vous entretenir sont connus pour la plupart de toute la paroisse.

1°) Scène Lieury

La femme Vve Lieury, habitant Ste-Marguerite, est notoirement connue pour sa mauvaise vie. Sa maison est ouverte à tout passant, l'on y voit avec le premier venu, il y a des intrigues honteuses vis-à-vis de la mère et de la fille, aujourd'hui décédée après avoir eu un enfant en 1870, peu avant mon arrivée, un assassinat a été commis dans ce mauvais lieu entre ivrognes et amants...
Un samedi, vers la fin de février ou mars de cette année, M. Le Maire a rencontré la dite Vve Lieury sur la place, ils sont entrés ensemble dans un cabaret où il ont passé l'après-midi, vers 10h du soir, sortis ensemble au bras l'un de l'autre, la particulière a entraîné le maire chez elle, à un kilomètre de là. A leur arrivée, la maison était occupée par un nommé Duboc, équarrisseur, homme de la pire espèce. On a recommencé à manger et à boire. Duboc qui était plus sain, s'est fait un malin plaisir d'achever ses deux compagnons, M. le Maire et la susdite, après quoi il les couchés dans le même lit. Le maire n'en a pas eu connaissance, il s'est réveillé vers 10h, le dimanche, chez cette femme avec ses habits maculés. Or, le lendemain dimanche, il était attendu à dîner chez son gendre avec son beau-frère. La servante du maire, instruite du fait, lui a fait porter des vêtements frais chez la particulière où il s'est changé et de là il a pris sa route, titubant encore, vers la maison de son gendre. Sa fille, prévenue, est allée au devant de lui et l'a introduit à son bras devant son beau-frère qui s'est aperçu de son état, mais qui ignorait les circonstances. Le fait a été connu le lendemain de la paroisse entière.

2°) Le mois dernier, le maire s'est retrouvé au même cabaret avec la dite femme Lieury où ils ont bu toute la nuit et n'en sont sortis qu'à deux heures du matin. Le maire a été entendu lui disant : allons par ici, tout le monde dort, personne ne nous voit.

3°) Dans le même mois de juillet, une femme, peu recommandable d'ailleurs, la femme Douillet, est allée chercher son fils au cabaret qui buvait avec le maire. Le fils ne voulant pas la suivre, elle s'est livrée envers le maire à des propos injurieux, mais mérités. Le maire a menacé de la frapper, alors, celle-ci s'est retournée vers lui en lui disant "Malheureux, tu vas battre sa mère mais tu n'oserais me frapper !" A ces mots, le maire la bouscule et lui arrache la ceinture de sa robe.

4°) Les 3 et 4 août de cette année, un nommé Pinot, précédemment cafetier à Ste-Marguerite avec la femme duquel le maire entretenait des relations coupables est revenu ici, il est descendu chez le maire avec une jeune femme de Rouen qu'il appelait sa cousine, l'on a bu ces deux jours sans cesser et pendant les nuits chez le cafetier Pays.
(NDLR : Ferdinand Pays fut déclaré en faillite en janvier 1875. Son épouse, née Laoisse, se sépara de lui.)

5°) Le 10 août, la femme Pinot est venue seule à son tour à Ste-Marguerite sans qu'on sache où elle ait pu aller ailleurs que chez le maire.

6°) Le 7 août, allant voir un malade, j'ai rencontré le maire sur la place, il a voulu me parler mais il était en état d'ivresse manifeste et ne pouvait pas articuler ses paroles.

7°) Le 15 août, il a bu toute l'après-midi avec un nommé Sénateur Vilain, par dérision surnommé Baba. Cet homme, repris de justice, a fait trois mois de prison pour vol.

8°) Au mois de mars ou avril, une chanteuse a été autorisée à donner une soirée au café. Avant la séance, le maire était ivre et il n'a pu suivre les chants que de la cuisine où il était assis, la tête appuyée sur la table. Les enfants et les curieux le regardaient du dehors par les fenêtres. Il applaudissait tout ivre et, après chaque morceau, il se faisait passer le plat de la chanteuse qu'il récompensait chaque fois largement.

Tous ces faits se sont passés sur la place de Ste-Marguerite.

En plus, le maire va à l'extrémité de la paroisse dans des guinguettes où il passe aussi des nuits. En revenant de Duclair il y a huit jours, un cultivateur devant qui je faisais la sourde oreille, m'a raconté que chez un nommé Houdeville, dont la femme est très suspecte, le maire avait passé la nuit et qu'il avait dépensé 60F en compagnie d'ouvriers du quartier. Et comme je faisais l'incrédule, il a ajouté qu'il en faisait autant au moins une fois la semaine.

En voilà, Monsieur le Vicaire Général, plus qu'il ne faut pour vois peindre la situation déplorable de notre malheureux pays. Toutefois, selon votre avis, je prendrai note des faits saillants quoi pourront survenir. Daignez agréer...

Le chantage de la première messe


Nouvelle lettre le 14 novembre.

Que votre bienveillance me permette quelques observations à votre lettre de ce matin, il est bien entendu que je vous les soumets en toute simplicité et que votre dernière décision sera ma règle.

Les conséquences si graves et si délicates qui résulteraient du statut municipal après le 22 novembre m'autorisent à penser que rien ne sera négligé de votre part pour obtenir un changement à cette époque et qu'un dernier effort, s'il était nécessaire, sera fait pour y arriver.

Si, ce qu'à Dieu ne plaise, mes prévisions échouaient, je n'hésite pas à vous déclarer que les mesures subséquentes prises aussi subitement, sans cause comme sans avis préalable, au maire qui seul a traité avec son éminence la question de la première messe ne lui paraîtraient qu'une intimidation inopportune qui éveillerait toutes ses défiances sans amener aucun résultat. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ce cas, attendre un délai à fixer pendant lequel l'autorité diocésaine le mettrait en demeure d'exécuter sa promesse de 1871 (restauration de l'église) sous peine de se voir retirer la faveur de la 1ère messe concédée à cette époque sous la foi de cette promesse ?... Il y aurait là un simple rappel à une obligation contractée et je ne désespère pas que sous cette forme on put obtenir au moins un effet matériel important, à défaut du bienfait moral de sa révocation.

Si au contraire la 1ère messe nous était retirée sans conditions posées, l'administration municipale, ignorante et innocente des causes, rejettera plus loin encore derrière elle la question de l'église à laquelle elle est favorable et les seules victimes de ce retrait seront M. le Curé et ses paroissiens qui ont parfaitement compris la faveur de Mgr le Cardinal. La 1ère messe en effet a fait ses preuves et produits d'excellents résultats. La grand' messe, loin d'en souffrir, est plus fréquentée, les offices bien suivis, notre fête de l'Adoration, elle-même, qui était presque nulle il y a quatre ans, avait peu à envier, cette année, à celles des belles paroisses du Pays de Caux. Or bien des fois à l'origine, j'ai fait valoir à leurs yeux la facilité que leur offraient les deux messes, que la 1ère messe ne leur était rendue qu'à la condition que par leur concours, ils en établiraient eux-mêmes la nécessité (c'étaient les paroles mêmes de Son Éminence lors de la concassion). Assurément, Monsieur le Vicaire Général, ces braves gens ont bien fait leur devoir et n'ont point démérité.

C'est pourquoi j'ai l'honneur de vous répéter que c'est un homme qu'il faut atteindre, un seul, le coupable. S'il n'est pas atteint d'ailleurs, je suis obligé de me retrouver en face de lui au bureau de bienfaisance, au conseil de fabrique, chez moi même, dans deux dîners officiels. La temporisation que j'ai pratiquée constamment dans l'espoir d'un changement deviendra bien difficile en certains cas, une rupture éclatera bientôt qui sera d'autant plus terrible que cet homme, la plupart du temps inconscient, qui se vante de n'avoir jamais connu son maître, croira avoir reçu un soufflet de l'autorité par le retrait de la 1ère messe, il en recherchera l'auteur, et il finira par le trouver.

Maintenant, Monsieur le Vicaire Général, je tire les conclusions de cette longue réponse. De deux choses l'une : ou M. F. doit disparaître comme maire ou rester... S'il disparaît, il paraîtra tomber sous le poids de ses fautes, il n'y a rien à craindre pour personne. S'il reste et que M. le Préfet n'ose point toucher à sa personne, j'aime encore mieux le subir tel qu'il est que tel qu'il sera après les mesures en question. Mieux vaut, ce me semble, attendre un moment plus favorable qui viendra nécessairement de sa révocation que de précipiter la guerre. Après quatre années de paix, la guerre avec un tel homme me répugne.

J'attendrai patiemment le 22 9bre et me dispose après ce moment à prendre vos conseils. Si vous trouviez utile, Monsieur le Vicaire Générale, que je fisse plus tôt, je suis entièrement à votre disposition. Daignez agréer...

M. Chrétien, ancien procureur impérial à Yvetot, aujourd'hui substitut à Rouen (Rue Beauvoisine), avec lequel je suis intimement lié serait à même, s'il voulait, d'aider puissamment au succès de la mesure que je désire. Il est camarade de collège de M. Lizot et sont restés dans les meilleurs termes. M. Chrétien connaît suffisamment mon maire et le juge de Paix de Duclair.
Mgr le Cardinal qui a pu autrefois apprécier la déférence et la délicatesse de ce magistrat pourrait sans danger je pense employer son intervention directe auprès de M. le préfet en lui faisant part de ma situation à laquelle il s'intéresse beaucoup...

Le voyage en diligence


Du 16 décembre 1874 : J'ai l'honneur de vous faire part d'un scandale nouveau du maire de Ste-Marguerite. Il est de nature à convaincre ses défenseurs les plus dévoués.

Vendredi 11 courant, il est allé à Rouen et n'est revenu que le samedi par la voiture de Noël (voiture de Caudebec, place Henri IV). Au départ de Rouen, il était tellement ivre qu'il a fallu le monter sous la bâche. Le conducteur a étendu la paille et lui a dit : "Couche toi là et ne bouge pas !"

Pendant tout le voyage, il a été en butte aux quolibets de toute sorte. Comme il remuait beaucoup à sa place et se roulait sur les colis de marchandises, le conducteur lui a dit : "Tiens toi tranquille, autrement je te f... par terre."

Il continuait cependant de s'agiter, se levait, embrassait ses voisins sur la banquette. "Dis donc mon petit Joseph (c'est le nom du maire) a repris un des voyageurs, quand tu présides ton conseil et que tu es saoul comme cela, qu'est-ce que disent tes conseillers ? Mes conseillers, répond le maire, je m'en f... Je les emm... (sic)."

Un autre reprenait : "Dis donc l'administrateur, où est ton écharpe ? Je connais mon sort, je connais mon sort depuis trois jours, a répondu le maire. Alors, tous les voyageurs ont repris : es-tu dégommé ?" Ce à quoi il n'a pas répondu. "Et dis donc Joseph, où vas-tu coucher ce soir ? Probablement à la mare de Léguillon ?" (c'est auprès de cette mare que le maire a passé une partie de la nuit du 3 au 3 9bre en revenant de Duclair.)
Enfin, il a été montré en dérision à sa descente de la voiture aux quelques voyageurs qui ne le connaissaient pas. Tout Duclair a su l'histoire le lendemain, excepté le juge de Paix et les gendarmes !!

Selon ces messieurs, le maire se corrige depuis les élections et il a promis d'être sage. Que dirait M. Le Préfet s'il apprenait ce fait tout récent et absolument certain ? Je le tiens de M. Lecouteux, commis principal dans la Douane à Rouen et conseiller municipal de Ste-Marguerite. Ce Monsieur voyageait par la même voiture que M. le Maire et était assis non loin de lui pendant qu'il se livrait à ces évolutions.

J'attends avec patience que la mesure soit comble. L'heure viendra, sans doute, de la délivrance. Il paraît sombre et un peu inquiet, il paraît s'éloigner de ses anciens conseillers réélus malgré lui, aussi bien que de moi-même. Il m'a fait savoir que s'il n'avait réussi dans les élections, cela tenait à moi, que je lui avais tourné le dos, et que j'avais composé la liste des opposants etc. etc. Je n'ai pas dit un mot relativement aux élections à un seul de mes paroissiens, si ne ce n'est au maire lui-même à qui j'ai fait visite deux jours avant l'élection pour le prévenir poliment et amicalement qu'il ne cherchât point la cause de mon abstention, mon principe en fait d'élections municipales étant de ne point voter lorsque la liste est double... Néanmoins, lui, ses amis, sa famille, ses créateurs semblent croire à la trahison. Daignez agréer...

Une nouvelle enquête administrative


Du 2 janvier 1875 : J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli une réponse de M. Chrétien, 1er substitut à Rouen, relative à l'état de la situation municipale de Ste-Marguerite. Il résulte de cette lettre :

1°) que M. X (lisez procureur de la République) a vu M. le Préfet ou Sous-Préfet pour lui exposer la conduite morale de M. le Maire de Ste-Marguerite, conduite allant jusqu'à motiver l'intervention de la Justice.
2°) que M. le Préfet ou Sous-Préfet a pu croire à peine l'exposé de ce magistrat.
3°) qu'on n'a pas voulu admettre, que sous une menace d'enquête judiciaire, la vérité du fait dernier voyage de Rouen (voir ma précédente lettre).
4°) qu'enfin une enquête administrative est ouverte dans laquelle seront entendus MM. Darcel et Lamer (NDLR : conseiller d'arrondissement) avec lesquels Monsieur le Vicaire Général a dîné chez moi à la confirmation.
5°) qu'un complice (lisez M. Ferrand, juge de Paix, qui autrefois étant huissier, a blasphémé dans les ventes qu'il faisait des objet de piété Dieu, la Ste Vierge et les Saints) a donné à la préfecture les meilleurs renseignements sous tous les rapports de M. le maire de Ste-Marguerite.

Maintenant, Monsieur le Vicaire Général, nous voilà de nouveau en présence d'une enquête. En 1861, une enquête a eu lieu déjà sur la dénonciation de l'instituteur d'alors, M. Foutel, accusant le maire actuel de concussion. Les preuves étaient si convaincantes et si publiques qu'elles semblaient écraser déjà le maire. On pria et supplia M. Foutel de se relâcher de sa plainte. Il ne le voulut point et on regarda le maire comme perdu, comme il le croyait lui-même. Et pourtant, au dernier moment, il dut sauvé par l'intervention de M. Darcel et M. Foutel fut disgracié.

Telle est encore la question aujourd'hui : M. Darcel aura-t-il changé d'idée ? Il en sait beaucoup et pourra savoir le reste. Le voudra-t-il ? Pourra-t-il ? Je ne sais. Vous êtes à même de voir, Monsieur le Vicaire Général, s'il y a de votre part une dernière intervention à tenter et dans quelle mesure. J'ai confiance dans la haute loyauté et l'inflexible énergie que chacun se plaît à reconnaître en votre personne. Vous daignerez aviser de manière à obtenir le résultat absolument nécessaire et à ne pas me laisser vivre avec un petit Gambetta et sa guerre, car la situation serait intolérable. Je finis en me recommandant à votre dévouement et à la plus grande bienveillance de Mgr le Cardinal. Daignez agréer...

Foucault tient bon



31 janvier 1875 : Je crois devoir vous informer que votre démarche auprès de M. le Préfet a été révélée dans ses moindres détails. Il y a eu hier 8 jours, le magistrat dînant en ville chez un de ses amis connaissant parfaitement la position de Ste-Marguerite, lui a fait par de votre visite, de votre dossier et de vos observations tendant à éliminer de l'enquête MM. Darcel, le juge de Paix etc. M. le Préfet a du reste ajouté qu'il allait être probablement obligé d'en finir avec un maire sur lequel il a reçu déjà de nombreuses plaintes. S réellement la révocation est lancée, ou est sur le point de l'être, l'indiscrétion de M. le Préfet que je ne veux point qualifier, ne produirait ici qu'un effet d'irritation momentané dont je me sens assez fort pour supporter le poids. Mais si le maire était conservé et devait surnager encore une fois au dessus de toutes les lois, vous comprendrez quelle serait ma situation vis-à-vis de mes paroissiens et surtout vis-à-vis du maire et de sa suite.

J'espère, Monsieur le Vicaire Général, qu'il n'en sera pas ainsi et que vous tiendrez à assurer dans le plus bref délai le sort de l'un et de l'autre.

Jusqu'ici, nous n'avons point entendu parler d'enquête. Le maire paraît se rassurer et vient d'envoyer à ses conseillers une lettre de convocation pour l'installation du conseil jeudi prochain. J'espérais qu'il n'aurait point cet honneur et que M. le Préfet qui est tout à fait renseigné sur son compte aurait eu le courage de lui infliger plus promptement le châtiment qu'il mérite. Je vous conjure de nouveau, Monsieur le Vicaire Général, de terminer votre œuvre. Daignez...

PS Il vous sera facile de savoir d'abord si M. le Préfet est décidé à une révocation. Dans ce cas, il me semble qu'il ne faudrait point parler de l'indiscrétion commise. Dans le cas contraire, ne serait-il pas permis de lui en signaler les conséquences qui en résulteront pour moi ? Si M. le Préfet désirait me voir, je me tiendrais à sa disposition.

Nouvelles incartades


Du 23 avril 1875 : Conformément aux instructions de M. le Doyen, j'ai l'honneur de vous informer que :

Le mardi 6 avril, M. F. est allé au marché de Duclair et n'est revenu chez lui que le lendemain mercredi à 11h en état d'ivresse (témoins M. le Curé, Varin, Vatier et les gens de la place).


2°) Le mardi 13, sorti du café vers 9h et demie du soir. M. F. a emmené chez lui ses compagnons ordinaires, a bu avec eux toute la nuit jusqu'au lendemain dans la matinée et s'est rendu en ivresse manifeste vers midi pour dîner chez la Vve Lercier dont il fait les affaires... Témoins les convives et les voisins. Daignez agréer...

Poussé à la démission


1er mai : La lettre dont vous me parlez est écrite à l'occasion d'un fait particulier et n'a aucun rapport aux faits généraux qui ont motivé les poursuites contre M. F. (23 9bre je crois). Cette lettre exprime des reproches plutôt amicaux qu'hostiles et fait appel au bon sens de M. F. Qu'elle invite à ne point tromper l'opinion publique en me prêtant des sentiments que je n'ai jamais eux à son égard. Je ne suis point l'ennemi personnel de M. F. et c'était précisément pour éviter une rupture dont j'avais horreur que je lui ai envoyé ce petit mot, espérant par là l'arrêter et le faire revenir. La lettre exhibée au dernier moment est un expédient à la façon de celui qui disait "Donnez-moi quelques lignes d'un homme, et je me charge de le perdre". Elle n'a ni ni le sens ni les crudités que l'on signale. En tenant compte du fait qui la motive, elle s'explique toute seule et se propose de ramener M. F.

Qu'on dise qu'on ne peut ou qu'on n'ose révoquer M. F. à la bonne heure ! Il importe, Monsieur le Vicaire Général, de ne pas laisser déplacer la question et de ne pas la rendre personnelle. Les faits reprochés à M. F soit par l'archevêché, soit par M. L. sont-ils vrais ou faux ? Rép. Ils sont vrais selon la déclaration de M. Ferrand, l'ami de M. F. Le magistrat reconnaît à chaque mot l'indignité de M. F. et conclut à sa révocation. Donc...


Le seul danger, à mon avis, est que l'on en vienne à ne plus considérer la question municipale comme une question d'ordre général, mais un cas de maire à curé.... C'est pour l'éviter que j'ai témoigné extérieurement à M. F les mêmes égards, aux deux séances de quasimodo, après que vous m'aviez appris qu'il n'était plus maire. Je l'ai reçu avec la même politesse qu'à l'ordinaire et nous avons pris un verre de vin, comme à l'ordinaire. Jamais depuis ce mois je n'ai dit encore un mot contre lui.
Il me semble donc que je ne dois point être mis en cause mais que l'archevêché et le Parquet n'ont qu'à s'appuyer sur leurs dossiers respectifs approuvés par le juge de Paix sans en faire connaître l'origine, étant prouvé qu'ils sont vrais, le coupable peut-il conserver son pouvoir. Daignez...

PS : Il est regrettable que la préfecture et M. D aient dénoncé l'autorité ecclésiastique et moi comme les auteurs des plaintes contre M. F. Il est évident que M. F. à qui je suis signalé par M. D. va chercher comment j'ai été amené à le dénoncer et ne pouvant se l'expliquer à cause de nos bons rapports antérieurs va forger de l'histoire de façon à servir sa cause.

Foucault est poussé à la démission. Le 11 mai 1875, Amand Dacher, cultivateur et conseiller, est nommé maire. On l'installe le 24 mai. Dacher fut installé par MM. Boutard, Lefebvre, Ferdinand Leclerc, adjoint, Henri Lecouteux, Charles Gueudry, Arsène Vautier, Victor Lecouteux, Florentin Thierry, Louis Leboulanger et Arthur Saillard.
 
Le curé craint pour sa vie


Le 14 juin 1875, nouvelle lettre au Vicaire Général : Conformément à vos espérances, depuis l'installation de M. Dacher, la situation s'est améliorée, le conseil municipal se rallie extérieurement, la population en général semble prendre son parti et accepter le fait accompli. L'on peut prévoir dès à présent qu'à moins de bouleversement politique M. F. ne rentrera point de longtemps aux affaires et que tout ira bien.

D'après ce qui me revient, le maire nouveau est décidé d'étudier à fond la gestion municipale précédente et peut-être devons-nous nous attendre à des poursuites pour concussion.

Quant à M. F., sous un calme apparent, il dissimule une haine profonde pour ses persécuteurs, lui, sa famille et quelques affidés de bas-étage ont peine à contenir leurs vrais sentiments à mon endroit. Selon ce qui m'a été rapporté par une personne bien renseignée est digne de foi. M. F. aurait dit en me montrant du doigt "qu'il savait à qui s'en prendre et que s'il n'avait pas d'enfants, il se vengerait."
J'ai reçu de plusieurs personnes conseil de ne point le rencontrer à des heures indues et de ne point passer devant sa maison ni trop souvent ni tard.
Je le crois capable de tout oser, par lui-même ou quelqu'un des siens, mais j'espère que la Providence veillera sur moi et daignera, au besoin me préserver de tout projet criminel. Daignez...

Descente du Parquet



Le 5 août 1875 : Que votre bienveillance me permette de vous parler avec une simplicité filiale. Le Parquet vient de faire une descente à Ste-Marguerite pour vérifier une dénonciation de concussion faite contre M. F. par le nouveau maire.
Le bruit court, et me paraît fondé, que M. F. va être arrêter après les preuves qui ont été faites se sa culpabilité. La haine est de plus en plus profonde chez l'ancien maire et ses partisans contre l'administration nouvelle. Quoique je sois complètement en dehors de cette nouvelle affaire, l'opinion des partisans de M. F. la joint à la première, à sa révocation.

J'ai été averti, depuis le premier avis que j'ai eu l'honneur de vous communiquer, par différentes personnes de me tenir sur mes gardes et de ne pas sortir le soir. J'ai paru n'en pas tenir compte pour ne pas aggraver les soupçons. Mais quoiqu'il en soit, je commence à craindre et à me demander s'il ne serait pas temps qu'on songe à mon déplacement. Il vous appartient, Monsieur le Vicaire Général, d'examiner si me craintes sont fondées et de voir si, après le résultat obtenu, je ne suis pas appelé à faire plus de bien ailleurs.

MM. Darcel et Lamer ainsi que le juge de Paix nouveau restent favorables au fond à M. F. et se disposent si j'en juge par des confidences intimes dont je vous ferai part à ma plus prochaine entrevue, à  le faire remonter à sa place.

Le nouveau maire rencontre de la part de l'administration des obstacles ou de l'indifférence qui nous présagent un avenir fâcheux....

J'ai fait ce que j'ai pu, ce que j'ai vu dans des circonstances difficiles et avec la plus grande prudence possible, mais nous avons mis la main dans un guêpier et tous les frelons de Duclair et d'ici sont après nous. M. F. grâce à ses qualités apparentes et à une politique habile conserve toute l'influence de ses relations. Daignez...

PS : M. le Doyen est en retraite et sera à même de vous édifier sur la situation si vous le trouvez utile.

Il reprend la mairie


Coup de théâtre ! Aux élections de 1876, Foucault est réélu maire en obtenant sept suffrages contre cinq à Dacher. Il reprend Leboucher pour adjoint. La fortune du premier magistrat est alors estimée à 3.000F de revenu contre 500 pour Leboucher.
L'année 1877 fut marquée, à Sainte-Marguerite, par l'assassinat d'un paysan, Armand Fulgence Breton.
En 1878, Foucault est encore réélu, et cette fois par onze voix contre une pour Ferdinand Leclerc qui devient son adjoint.



Procès en diffamation


Dacher, l'homme qui a brièvement succédé à Foucault, poursuivait sa campagne de dénigrement. Le 27 novembre 1879, en correctionnelle, il a est condamné pour diffamation. La peine est symbolique : 1 F de dommage et intérêts. Dérisoire à côté des 200 F d'amende que doit verser Dacher à l'Etat. Le jugement est publié par le Journal de Rouen. Il est dit que le citoyen Armand-Maurice Dacher est coupable d'avoir "diffamé par des faits relatifs à ses fonctions, le maire de la commune de Sainte-Marguerite-sur-Duclair, en proférant publiquement que ledit maire Foucault et l'instituteur Sannier volaient la commune et qu'il leur avait fait remettre 630F."

Ce n'est qu'en novembre 1880 que l'abbé Bénard est enfin muté à la cure de Fontaine-le-Bourg, doyenné de Clères. Il sera remplacé par l'abbé 
Louis-Thomas Laurent, piqué de légitimisme, venu du Vieux-Manoir.

Constamment réélu


1881 : Foucault retrouve son écharpe de justesse avec sept voix contre cinq à Eugène Frémont. Émile Riquier est alors l'instituteur du village tandis qu'une religieuse enseigne aux filles.

1884 : huit suffrages confortent Foucault à son poste contre quatre pour Ferdinand Leclerc.

1885 : le soir du 6 mai, on reçoit à Sainte-Marguerite Mgr Thomas le Magnifique, le nouveau cardinal qui entame ici sa première visite épiscopale du canton de Duclair. La Semaine religieuse : "L'église de Sainte-Marguerite a été rebâtie dans de vastes proportions ; tenue avec goût, elle se prête aisément, nous en avons eu la preuve, aux plus belles solennités."

1888, Foucault creuse l'écart pour une nouvelle réélection. Dix voix contre une à Leclerc. Foucault à encore usé un curé. L'abbé Laurent est nommé à Oissel et cède son presbytère à Henry-Damase Hazé, le Premier aumônier de l'Hôtel-Dieu de Rouen, auteur de pièces pour orgue et harmonium.

1892, il ne compte plus que sept fidèles, cinq conseillers lui préfèrent Florentin Thierry. C'est Arsène Vautier qui, au bénéfice de l'âge, est proclamé adjoint. Seulement cette, fois, les affaires se gâtent. Six conseillers contestent des sommes empochées par Foucault. Une enquête administrative est ouverte...

Les affaires se gâtent


1) Foucault est accusé de s'être approprié pendant plusieurs années une certaine somme sur le crédit de 300F inscrit au budget municipal sous le titre de frais de bureau de la mairie.

2) Pendant plusieurs années, il a procédé lui-même à la vente des foins communaux et prélevé sur le produit s'élevant à 5.000 ou 6.000 F par an la somme de 50F à titre de vacation.
Mis en demeure par le conseil qui soupçonnait ses errements d'employer un huissier pour procéder à la vente, il a, en 1893, obtenu de cet officier ministériel une somme de 100F... pour frais d'arpentage.

3) Il se faisait verser la totalité d'un crédit de 500F inscrit au budget pour fournitures de la mairie et na pu justifier du paiement d'ouvriers que jusqu'à concurrence de 175F. Foucault a nié avoir reçu ces 500F mais sa dénégation est mensongère et il résulte des pièces comptables produites par le receveur municipal qu'il a touché deux mandats qu'il a fait acquitter par un tiers, l'un de 300F, le 2 mars et l'autre de 200F le 28 du même mois.

4) Au moment de l'enquête, il n'a pas encore versé dans la caisse municipale le produit de la vente de l'ancien mobilier de l'école des filles bien que la vente ait été faite au comptant depuis un mois et que le produits s'élevant à 280Fr lui ait été remis.

Sur plusieurs autres crédits peu importants (Fête nationale, assistance, travaux communaux), Foucault est convaincu d'exagération dans les paiements et soupçonné fortement d'en avoir profité par des remises des parties prenantes.

Sur l'exercice 1891, par exemple, six conseillers s'étonnent qu'il ait été payé à Couture, bedeau et fossoyeur, un mandat de 20F comme garde malade pour le compte du bureau de bienfaisance. Couture confirme qu'il n'a jamais été garde-malade mais se souvient que le maire, n'ayant pas de crédit suffisant pour lui payer les sommes dues pour inhumations d'indigents, a prélevé 20F sur un autre crédit.
50 F ont été payés à Thuillier pour enclore la mare communale de poteaux. Sept conseillers déclarent ce prix surélevé.
Blondel, le sacristain à touché 8F pour entretenir les haies de l'école des filles et réparé le mobilier de l'institutrice. La somme ne correspond pas au travail réel. Foucault la justifie en affirmant que Blondel a été en outre employé à divers travaux dans le cimetière.
Foucault a touché aussi une certaine somme pour régler l'extraction de marne nécessaire aux biens communaux. Or sur les 400 mètres qui devaient être extraits par Saunier Père et fils, seuls 40 l'ont été...

Suspendu, destitué...


Bref, les pièces comptables sont transmises au conseil de Préfecture, sous réserve que l'instruction ouverte ne révèle des faits délictueux ou criminels relevant de la Justice. Mais dès lors, Foucault est totalement discrédité dans sa commune et l'enquête administrative aboutit à la suspension du maire le 17 novembre 1893. Puis à sa révocation par décret présidentiel signé de Sadie Carnot. Vautier est invité à gérer les affaires de la commune.
Le 2 décembre, Foucault ainsi que trois conseillers, Alphonse Vallois, Adolphe Lefebvre et Casimir Ponty signifient à Vautier leur démission du conseil : "Par des considérations toutes particulières, écrivent-ils, ils ne veulent en aucun façon s'occuper de l'administration de la commune." Le 4, c'est Vautier qui démissionne. Le préfet accepte mais le prie de continuer encore le service de la mairie jusqu'à la reconstitution de la municipalité. Six postes sont alors vacants avec le décès de Leboucher. Le 31 décembre, les électeurs sont donc convoqués. Et c'est Florentin Thierry qui s'assied dans le fauteuil de maire. La page Foucault est enfin tournée. Il meurt le 22 octobre 1895 à Sainte-Marguerite à l'âge de 65 ans.

Laurent QUEVILLY.


Sources


Archives départementales de la Seine-Maritime, cotes 3 M 1324 et 1 J 902, recherches et documentation : Jean-Yves Marchand.