A la Révolution, dépossédée de ses privilèges, l'héritière de la Principauté d'Yvetot eut quelques démêlés avec la municipalité. Victorine d'Albon ne vendit ses dernières possessions qu'en 1833. Mais jusqu'en 2015 se succèderont plusieurs prétendants à la couronne... 
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Conflit entre la princesse et la municipalité


Alors que l'ancien prieur de l'abbaye de Jumièges, dom Bride, présidait désormais aux destinées du clergé de l'ancienne principauté, le 6 Floréal de l'an XI, 26 Avril 1803, le préfet autorisa la Commune à percevoir les droits de foires et marchés au détriment de Victorine d'Albon, propriétaire des terrains et des usages y afférant. Victorine, en se mariant avec M. de Vauquelin, le 18 juin 1805, trouvera en son époux un défenseur qui portera l'affairejusqu'au conseil d'Etat.
D'ici là, le procès fut cahotique, tantôt au profit de l'un, tantôt en faveur de l'autre.
Victorine d'Albon possédait encore nombre de biens immobiliers à Yvetot et restait impliquée dans la vie de la cité. C'est ainsi que, en 1809, Pierre Lucas, chargé de la remonte des dragons à cheval de la garde impériale, lui fieffe un terrain où sont édifiées une maison et des écuries.


Composée en 1813, la chanson de Béranger va
 longtemps se décliner sur un mode cocasse dans les théâtres, les fêtes populaires, les produits de consommation...

Napoléon reviendra encore à Yvetot le 30 mai 1810, flanqué cette fois de Marie-Louise. Arc de triompe, discours pompeux, jolies cauchoises en coiffe, Delalande décrochera sa Légion d'Honneur dix jours plus tard. L'année suivante, il épouse à 43 ans une bourgeoise de 20 ans sa cadette, Louise-Françoise Crevel des Mottes, fille du maire d'Etoutteville, cultivateur aux Mottes et dont la famille a fini par accoler ce nom à son patronyme. Le sous-préfet Legrand, moine défroqué et ancien curé d'Yvetot, le président du tribunal, le maire de Fécamp, un docteur Fessard, le receveur des contributions figurent parmi les notables témoins de cette union. Conseiller général, Delalande sera le plus ancien maire de France sous la Restauration et l'un des plus empressés à jurer fidélité au Roi. Il accueillera ainsi la duchesse d'Angoulème avec la même déférence qu'envers le vainqueur d'Arcole. 

Mais pour l'heure, Napoléon est toujours là. Cette même année 1811, on débat à l'Académie de Rouen du royaume d'Yvetot tandis que le procès concernant les droits de marché se poursuivait. En 1813, la commune jura la main sur le cœur qu'une partie des terrains en question lui avait été offerte par Camille III de son vivant. 1813, c'est aussi l'année où le folklore s'empare de l'histoire de l'ancienne principauté. Béranger compose une chanson, le Roy d'Yvetot, paisible chef d'Etat vivant en bonne intelligence avec ses voisins. Certains y voient un pamphlet contre Napoléon. L'Empereur l'ayant entendue en aurait souri et même chanté le refrain...

Il était un roi d'Yvetot
Peu connu dans l'histoire,
Se levant tard, se couchant tôt.
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Janneton
D'un simple bonnet de coton
Dit-on !


Son succès continua sous la Restauration et l'on vit alors dans ces couplets une allusion à Louis XVIII, ce monarque qui, physiquement, ressemblait tant au maire d'Yvetot.
Mais, Victorine d'Albon, elle, ne prend pas la Principauté à la légère. Du moins les droits dont elle a hérité. Le tribunal civil d'Yvetot, le 10 avril 1818, inflige un camouflet à Delalande. Non seulement Victorine d'Albon recouvre ses terrains et ses droits, mais elle perçoit même des arriérés. Elle vivait au château de son époux, à Ailly, près de Falaise, qui abritait aussi la veuve de Camille III, Angélique de Castellane, dernière princesse régnante d'Yvetot. Celle-ci s'éteignit à 70 ans, le 22 juillet 1822. Elle avait hérité du château du Rivau, à Lémeré, en Indre-et-Loire, qui va à sa fille.

Si Victorine pouvait crier victoire, le maire d'Yvetot, bien entendu, fit appel et fit délibérer son conseil dans le sens d'une entente avec l'héritière du prince pour acquérir ses biens yvetotais. Une ordonnance royale du 17 septembre 1925 en approuva le principe. Restait à la mettre en pratique...

Et la Principauté devient baronnie !



On croit rêver ! Yvetot a perdu son prince, mais elle s'est trouvée un baron ! Par lettres patentes du 12 avril 1828, Charles Juste Amable Delalande est fait écuyer, baron avec un "majorat composé d'immeubles siués dans le canton d'Yvetot". Delalande, on l'aurait bien vu baron d'Empire comme les maires de 36 bonnes villes de France, lui le bonapartiste affiché. Mais non, c'est Charles X qui confère la noblesse à l'ancien révolutionnaire. Dans le Journal de Rouen, un anonyme s'en amuse quand il reproche au baron Delalande l'état déplorable des rues d'Yvetot, "royaume autrefois, le voilà élevé au rang de baronnie grâce au dévouement de son maire..."
Le château des Albon aurait été encore debout, on imagine le baron Delalande y élire domicile. Mais il s'est trouvé un castel hors de sa ville, celui du Vert-Bosc, à Trouffreville-la-Corbeline. A Yvetot, sa demeure se trouve route de Rouen. Hélas, Delalande traverse des jours sombres. Affecté par la mort de son fils unique de 18 ans, en juin 1830. il renonce à la mairie. Une ordonnance du 26 août suivant lui désigne Bourdon-Bénard pour successeur. Resté conseiller général, il rend l'âme le 10 octobre 1832 en son château. Ce dernier resta à la famille des Mottes.

Ce n'est que le 8 mai 1833 que la municipalité d'Yvetot se rendit enfin propriétaire des derniers vestiges de la Principauté : la halle aux grains, l'hôtel-de-ville et ses terrains, la place d'Armes et des deux rangées d'arbres ainsi que les autres places où se tenaient les marchés au poisson ou encore à la viande, la promenade dite jardin anglais, le Champ-de-Mars où se tenaient les foires...


Derniers vestiges de la principauté. A gauche est la demeure de Victorine d'Albon avant la Révolution. Elle fut occupée sous la Terreur par Auguste Lenud puis par son oncle, Etienne Lenud. A droite est la halle aux grains édifiée par Camille III.

Les halles conservèrent longtemps cette inscription voulue par Camille III : « Gentium commodo Camillius III, M.D.CC.LXXXVI.» autrement dit, "Pour la commodité des peuples, Camille III, 1786." L'église porte aussi cette affirmation à son fronton : "Deo viventi Camillius III". Dieu vivant. Ce qui fit beaucoup rire.
On installa la poste dans l'ancienne demeure de Victorine d'Albon. L'église d'Yvetot, détruite lors de la seconde guerre mondiale, conservait aussi le souvenir des princes. Par délégation, Camille II en avait posé la première pierre en 1766. Jean IV, premier roi d'Yvetot attesté et fondateur d'une collégiale y figurait sur un vitrail.


Les produits dérivés


Depuis la chanson de Béranger, on n'avait de cesse de décliner le sujet sur un mode ironique.  Le Roy d'Yvetot, manuscrit trouvé au fond d'une citerne abandonnée depuis l'an 534 donne suffisamment d'inspiration à un certain Gilbert pour publier trois tomes sur le sujet. Le Roi d'Yvetot sera encore le titre d'un opéra comique d'Adolphe Adam créé en 1842. En 1848, c'est une comédie en un acte, Le Tyran d'Yvetot, de Lelion-Damiens à l'Odéon mais aussi un vaudeville de Davesne et Alzay intitulé La Reine d'Yvetot.
Le Curé d'Yvetot est le sujet d'une comédie de Marc Monnier en 1861. Le Roy d'Yvetot revient sur le devant de la scène avec un ballet de Lucien Petipa créé à l'Opéra de Paris en 1865 pui, dix ans plus tard, un opéra-bouffe de Chabrillat et Hemery. Nouvel opéra de Jacques Ibert en 1930.
Le Roi d'Yvetot va figurer sur foule de cartes postales humoristiques et fonds d'assiettes, représenté souvent juché sur un âne, coiffé d'un bonnet, une chope de cidre à la main et l'embonpoint épanoui. Bref, le roi d'Yvetot était devenu un personnage de légende, sujet à plaisanterie.

Voilà qui finit par agacer les descendants de la famille princière. Ils le firent savoir en 1886 à la municipalité d'Yvetot qui, lors d'une délibération solennelle, prit la décision d'exposer dans la salle du conseil une lettre autographe du roi Jean Baucher datée du 21 août 1490. Mais c'est une occasion pour le journal Paris de railler une fois de plus la famille d'Albon.
Fort heureusement, la moquerie n'était pas toujours de mise. Ce fut le cas en 1927 lorsque l'Association normande vint tenir son congrès à Yvetot. Toute la littérature sur le sujet fut exposée ainsi que des documents comme la lettre de Baucher, un manuscrit de Martin du Bellay signé de sa main le 1er juin 1555.

Jean
Renoir, qui voyait dans la chanson de Béranger un hymne à la tolérance, fit du Roi d'Yvetot le titre d'un sketch dans un film réalisé en 1970 avec Fernard Sardou, Françoise Arnoul, Jean Carmet... C'est sans parler du calvados Roy d'Yvetot, du camembert Roy d'Yvetot, du café du Roy de la brûlerie d'Yvetot, des chromos, des protège-cachiers, des boîtes d'allumettes de la Seita à la gloire du monarque, des restaurants, des cafés au Roi d'Yvetot... On compta une imprimerie, un almanach du Roy d'Yvetot édité par L'Abeille cauchoise. Il y eut même un périodique à ce nom. Le 2 septembre 1873, le Journal de Rouen salue la sortie de ce redoutable concurrent : "On nous adresse le premier numéro du Royaume d'Yvetot, journal hebdomadaire publié à Yvetot sous la direction de M. Auguste Morisse. Ce journal nouveau se déclare partisan de la République. Nous ne pouvons que l'en féliciter."


On retrouve effectivement à cette époque un journal de ce nom, imprimé au Havre et dirigé par Morisse, par ailleurs auteur de poèmes, de pièces de théâtre et d'un pamphlet anticlérical intitulé L'impôt sur les cloches. Le Royaume d'Yvetot se veut une chronique bi-hebdomadaire, paraissant les mercredi et dimanche : politique, agriculture, commerce, lettres & beaux-arts.
Mais à la même époque paraît aussi Le Roi d'Yvetot, sous-titré Journal officiel du Pays de Caux. Il est daté du 16 octobre 1873, "1215e année de la Monarchie, N° 99,999." Ce document de 32 pages est imprimé à Paris. Il proclame le retour d'Yvetot à la royauté sous le règne d'Elzéar XIX, Vidame de Saint-Wandrille, de son "vrai" nom Elzéar Joseph-Marie de Chenu, arrière-petit-fils du dernier roi en titre. Elzéar signe dans son journal officiel diverses ordonnances "en notre royale métairie de Sassetot-le-Mauconduit". On y détaille la constitution, la composition du gouvernement, les débats de l'Assemblée nationale, les couleurs du royaume d'Yvetot qui, en avance sur leur temps, sont celles de l'arc-en-ciel.

Les journaux d'Auguste Morisse, sont pour lui le prétexte de tourner en dérision un chef-lieu de canton resté monarchiste dans l'âme. C'est le cas en 1874 lorsqu'il lutte contre les influences cléricales à l'occasion de l'élection du général Letellier-Valazé et son journal est suspendu. En 1876, avec la qualité de propriétaire à Yvetot, Morisse conteste auprès de l'Assemblée nationale l'élection du député de droite Anisson-Duperon. La même année, il publie une carte, La France à Versailles. Le quotidien le XIXe siècle le signale : "L'auteur de ce travail est M. Auguste Morisse, le fondateur du journal le Royaume d'Yvetot
qui, après avoir lutté neuf mois au chef-lieu d'une de nos arrondissements les mieux inféodés à la réaction, a été obligé de cesser sa publicaton devant les tracasseries du préfet, M. Lizot, et les persécutions du sous-préfet, M. Dieudonné..." A Yvetot, des affiches annoncent que le Royaume d'Yvetot reparaîtra bientôt. On voit Morisse représenter la presse démocratique à Saint-Valery lors des obsèques de Léon Pillore, directeur du journal républicain Le Pays de Caux, mort à 47 ans après avoir arraché à la sympathie des plus réactionnaires.


La lignée des princes d'Yvetot


La famille d'Albon continua par le frère puiné de Camille III, André Suzanne, militaire depuis ses 17 ans, capitaine de cavalerie en 1778, puis lieutenant du roi, dans la province de Lyonnais, Forez et Beaujolais, il aura voulu, disait-il "sauver l'honneur de la Principauté" en s'opposant au démantèlement opéré par son aîné au fil de transactions désavantageuses.
Nommé le 1er juillet 1791, par Louis XVI, mestre de camp de cavalerie, il émigra, marcha sous les drapeaux de Coblence contre la République, servit la Hollande, l'Angleterre... Rentré en France, il fut rayé de la liste des émigrés, sans doute grâce à la participation d'un d'Albon au coup d'Etat du 18 brumaire. André Suzanne fut nommé maire de Saint-Romain-de-Popey de 1808 à 1813, année où Napoléon lui donna la mairie de Lyon. Il le fit baron d'Empire le 7 janvier 1814. Ce qui, accusent ses détracteurs, ne lui inspira aucune gratitude. On lui reprochera d'avoir livré Lyon aux Autrichiens la nuit du 9 avril 1814 et hissé le drapeau blanc sur l'hôtel de ville en se vantant d'avoir "tourné contre la tyranie de Buonaparte les armes qu'elle avait remise entre ses mains." Voilà qui lui vaudra de la part de l'empereur d'Autriche la Croix de Saint-Léopold, "en récompense de la bonne conduite qu'il a tenu à Lyon pendant l'occupation..."


En saluant le retour de la Monarchie, le prince d'Yvetot poussa le zèle jusqu'à interdire tout portrait de Napoléon dans sa ville. Le gouvernement, lui-même, jugea ce geste excessif et le destitua. Quand Napoléon rentra en France, un mandat d'arrêt fut lancé contre d'Albon. Sans succès.
Au début de la seconde Restauration, le comte d'Albon est quelques mois député ultra-royaliste. Lui et sa femme sont cités le 18 juillet 1816 comme témoins à décharge lors du procès du général Mouton-Duvernet, traduit devant le conseil de guerre pour trahison envers le roi. Rallié à Napoléon lors des cent jours, il s'était opposé au retour des Bourbon. La déposition de d'Albon est tout à son honneur. Il dit à la barre tout le service qu'il doit à Mouton-Duvernet, chargé de le faire arrêter, et qui n'en donna l'ordre que lorsqu'il le sut en sûreté. Neuf jours plus tard, Duvernet était fusillé. D'Albon ne fut pas réélu député.


André Suzanne d'Albon se maria  à Septème le 26 mars 1803 avec Marie Thérèse de Viennois.
Château de Septème (38) / Archives familiales.

Au mois de février 1818, un vol de bijoux, de couverts et argent et autres valeurs fut perpétré dans la maison des d'Albon, à Lyon. On arrêta d'abord un cordonnier, ancien forçat, qui avoua le vol. Puis sa sœur chez qui furent trouvés foule d'objets. Mais voilà que cette dernière accuse ; c'est sa voisine qui lui a confié ce butin. Et cette voisine n'est autre que  la couturière de Mme d'Albon, Marie Pinard. Le frère confirme : c'est bien Marie Pinard qui l'a renseigné sur la disposition des lieux, l'absence des propriétaires. On arrête bientôt un autre complice du vol, Nicolas Maupoil, ancien bagnard. Une cinquième larron se serait pendu dans sa cellule le lendemain de son arrestation. Mais Marie Pinard reste l'accusée la plus sulfureuse pour avoir trahi sa maîtresse de maison. Sa principale accusatrice confirma la chose par lettre à la comtesse d'Albon.
Le 13 juin 1818, par sept voix contre cinq, Marie  fut condamnée à cinq ans de travaux forcés à l'exposition en place publique durant une heure. Maupoil alors se leva pour crier l'innocence de l'infortunée couturière. Il était trop tard. Même si le doute s'était emparé d'une poignée de personnes.
Un recours en grâce fut sans lendemain. Incapable de faire triompher la vérité, Marie Pinard tenta plusieurs fois de se donner la mort en prison. Puis elle fut traînée jusqu'à l'odieux poteau à côté des scélérats qui avaient conspiré sa perte. Condamnée par la maladie, son accusatrice, Françoise Sipard, finit par tout avouer, appelant de ses vœux "le pardon de Marie". Alors qu'elle agonisait, ses aveux furent consignés le 5 février 1820 et confirmés le 10. On en fit un mémoire adressé au Roi qui, en retour, fit parvenir à Lyon des lettres de grâce. Marie fut conduite au tribunal sans savoir pourquoi. Et ne put que crier "Vive le Roi !"
Les deux voleurs furent conduits au bagne de Toulon où ils purgeaient la perpétuité. L'un d'eux refusa d'avouer où il avait caché une partie du butin. Si ce n'est qu'elle était à Mâcon. C'est un missionnaire qui, en 1820, le fit avouer. Quelques temps après, le vicaire de Mâcon avisait le marquis d'Albon que ses objets étaient à sa disposition.

A partir de 1821, André-Suzanne d'Albon redevient maire de Saint-Romain-de-Popey.
On le voit en 1825 inauguer à Lyon une statue équestre de Louis XIV aux cris de "Vive le Roi ! Vive les Bourbon !" Le 5 novembre 1827, Charles X, qui l'avait fait chevalier de Saint-Louis, le met en tête de la liste des 76 pairs que Villèle introduit dans la Chambre haute. Il siége à l'extrême-droite, et soutient les ministères Villèle et Polignac. Après les journées de Juillet 1830, d'Albon cessa de figurer sur la liste de la pairie et quitta sa mairie. Il mourut en son château d'Avauges en 1834, laissant trois fils. Et tandis que la Gazette de France tressait des lauriers au défunt, une mauvaise langue lui composa cette épitaphe :

Ci gyt d'Albon, Roy d'Yvetot
Et qui plus est Baron d'Empire,
Il était laid, perdide et sot ;
Priez Dieu pour le pauvre sire !




Fille et unique héritière de Camille III, très haut et très puissant prince d'Yvetot, seigneur patron, haut-justicier du dit-lieu, Victorine d'Albon, mourut cinq ans après son oncle, le 31 octobre 1839. Oncle qui, dans la presse de son temps, est constamment désigné avec le titre de comte d'Albon, jamais de prince d'Yvetot. Son acte de décès le donne bien marquis et ajoute à ses distinctions l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
En 1874, le Cabinet historique précise dans l'une de ses publications : "C'est aux descendants de la maison d'Albon, encore subsistants aujourd'hui, que pourroit revenir le titre de roi d'Yvetot..."
 Voici donc la liste des prétendants successifs.



Jean Guigues Marie Alexis d'Albon, (1803-1878) fils aîné
d'André-Suzanne, époux de Marguerite Duval (1810-1866), reprit les titres de marquis et de prince d'Yvetot. Il vivait bien loin de son prétendu fief mais, du fait de son mariage, conservait des intérêts en Normandie dans la forêt et les forges de Conches. Maire de Saint-Romain de Popey durant un demi-siècle, légistimiste et clérical il fut quarante ans le chef de file de la droite au conseil général du Rhône,. Il fut aussi président de conseil d'admistration d'une compagnie de chemin de fer luxembourgeoise, officier de la Légion d'Honneur...
Dans son édition du 7 janvier 1866, le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire écrit : " La révolution ne distingua pas Yvetot des autres communes de Normandie. Mais, de même qu'il existe des ducs sans duchés, de même les rois d'Yvetot ont survécu à leur royaume. Le roi d'Yvetot actuel est M. le marquis d'Albon, d'une grande famille du Lyonnais, qui compte le maréchal de Saint-André parmi ses ancêtres. M. le marquis d'Albon a fait un très riche mariage : il a épousé Mlle Duval, fille d'un associé du célèbre M. Roy. Mais il n'a eu que des filles. Or la loi salique régit la royauté d'Yvetot comme la royauté de France. M. le marquis d'Albon avait bien un frère mais ce frère était garçon. Ce titre s'éteindrait donc ! Il fallait sortir de là.
M. le comte d'Albon a trouvé un moyen : il a épousé une de ses nièces. Dans la nuit de dimanche à lundi, il est né un héritier présomptif de la royauté d'Yvetot..."

En 1869, le marquis gagna un procès en diffamation contre le journal Le nain jaune. Un article l'accusait d'avoir délaissé sa femme, malade du cœur, peu après son mariage, de lui avoir arraché un testament avant de la laisser mourir seule et d'avoir trompé les héritiers colatéraux de son épouse avec qui il était effectivement en procès. Le prince d'Yvetot est mort à
Saint-Romain de Popey sans postérité mâle en 1878 à l'âge de 74 ans.


Abel Christophe Raoul d'Albon (1809-1879) qui partageait le château d'Avauges avec son frère aîné releva les titres de marquis d'Albon et de prince d'Yvetot durant sept mois avant de décéder à son tour en 1879 à Paris.




Château de Septème (38) / Archives familiales.

Né à Grenoble, Raoul d'Albon servit dans l'armée sarde. En 1845, co fondateur du Jockey-Club, il est assigné comme témoin dans le procès du prince de Berghes, accusé d'avoir fabriqué 25 faux-jetons de club. En voyage, il ne se présenta pas aux Assises de la Seine. Deux ans plus tard, dans les salons de Mme Laffitte, il constate que le sieur Gudin, officier d'ordonnance, triche au jeu pour empocher d'importantes sommes d'argent. Gudin fuira aux USA. Là encore, notre précieux témoin ne se présenta pas au tribunal. En 1858, Raoul d'Albon céda à l'anglomanie de l'époque, autrement dit la fureur des paris. Pour 30.000 F à la clef, il paria avec M. de Saint-Romain qu'il irait de Bastille à la Madeleine les yeux bandés tout en s'aidant de sa canne. Le défi fut relevé de nuit et bientôt une foule considérable et silencieuse suivit le comte d'Albon qui, à l'aveugle, se guidant en frappant de sa canne arbres et trottoirs, se retrouva bloqué par la grille du chemin de fer de Strasbourg, à deux kilomètres de sa cible. Il s'acquitta de sa dette le lendemain.
Raoul d'Albon se maria effectivement en 1861 avec sa nièce, Gabrielle d'Albon, de 25 ans sa cadette. Elle est décédée en 1883 au château d'Avauges et fut inhumée dans la sépulture familiale de Saint-Forgeux, lieu d'une antique baronnie. Deux garçons sont nés de cette union, André qui suit, héritier du château d'Avauges et Jacques qui, demeuré célibataire, fut maire et châtelain de Septème, membre de la société hippique française et propriétaire des châteaux de Septème et Juliénas. Bref, on voit que la famille était bien lotie, ce qui n'était pas le cas de ce d'Albon, Gaston Henry, descendant par sa mère, née de Gaqui, d'une lignée des plus blasonnée de Provence. Le 1er avril 1876, nous apprend le Journal de Montélimar, il reçut sa dizième condamnation... pour vagabondage ! Il avait pourtant possédé le château de Montaren. On ne connaît pas le lien avec nos d'Albon. Un nom qui, en 1886 fut usurpé à Alger pour procéder à un escroquerie.


Guigues Alexis Marie Joseph André, marquis d'Albon, prince d'Yvetot (1866-1912), époux en 1891 de Marie de Nettancourt-Vaubécourt (1871-1952) dont il eut deux fils. Habitant le château d'Avauges, adepte de la chasse à courre, André d'Albon publia un important ouvrage sur les Templiers ou encore une compilation de documents sur la première guerre de religion en Forez. Héritier de son frère Jacques, il posséda aussi les châteaux de Septème et de Juliénas.




Château de Septème (38) / Archives familiales.

On reparla du royaume d'Yvetot lorsque, en 1887, René Goblet, ministre de l'Intérieur, voulut supprimer 72 sous-préfectures. Yvetot ne fut pas la dernière à brandir l'étendard de la révolte. Dans son numéro du 7 février, Le Siècle s'en fait l'écho sous la plume de Raymond Texier: En proposant la déchéance d'Yvetot, M. Goblet avait certainement oublié que cette ville a une histoire et des traditions qui méritaient d'être prises en considération. Yvetot a été la capitale d'un royaume, à, telles enseignes que son dernier roi a laissé une descendance qui existe encore aujourd'hui'et porte, en raison de cette auguste origine, une couronne fermée. Le nom de cette famille doit être d'Albon, si je m'en rapporte à certain quatrain que j'ai lu quelque part et qui commençait ainsi :

Monsieur d'Albon, roi d'Yvetot
Et qui, plus est, baron d'Empire.

On comprend que Yvetot, capitale d'un royaume qui, après tout, était pour le moins aussi grand que les Etats du prince de Monaco, se soit résigné avec peine à n'être plus qu'un chef-lieu d'arrondissement. Mais qu'on le débusque aujourd'hui de cette dernière position, c'est ce qu'il ne permettra pas. Il luttera énergiquement pour le maintien de ce sous-préfet dont la broderie d'argent est le dernier reflet de la royauté d'autrefois. C'est ce qui explique la métaphore du député de la Seine-Inférieure disant à M. Goblet : Si Yvetot est décapité, il en perdra la tête.

Fin octobre 1895, le comte de Brimont demande réparation pour injures au marquis d'Albon et mandate deux témoins pour lui proposer un duel. Au cercle de l'Union, d'Albon est introuvable. Brimont, dans la presse, l'accuse alors d'avoir fui à l'étranger sous un faux nom. "D'albon est dorénavant synonyme de lâcheté". Suite à ces propos, les frères d'Albon s'estiment à leur tour offensés  et demandent réparation. Brimont va donc se battre en duel contre chacun de ses adversaires, quelque part, aux alentours de Paris. La première rencontre se règle au pistolet le 4 novembre. Quatre balles furent échangées à 25 mètres de distance entre Brimont et le marquis d'Albon. Sans résultat. Le 5, l'infatigable Brimont rencontre cette fois le comte d'Albon et lui fait une entaille d'un centimètre au flanc droit. Ce que voyant, les médecins mirent immédiatement un terme à la confrontation.
En 1903, le roi d'Yvetot, celui de la farce, est encore à l'honneur avec un char au carnaval de Toulon... Plusieurrs cartes postales représentent "l'arrivée de S.M. le roi d'Yvetot, Carnaval XVII, place de la Liberté."
En 1910, l'épouse du marquis reçut la Croix étoilée d'Autriche, un ordre où il convenait de justifier de seize quartiers de noblesse ainsi que du côté de son époux. On comptait alors quelque 830 dames de la Croix étoilée. 
Deux ans plus tard trépassait le marquis et ses obsèques furent célébrées en l'église de Saint-Fargeux. Sa veuve lui survécut 40 ans.



Antoine d'Albon (1892-1965), marquis d'Albon et prince d'Yvetot après la mort de son père, en 1912, il se fiança avec Béatrix de Bourbon (1895-1973) en janvier 1919. Antoine d'Albon était alors maréchal des logis, interprète à la mission militaire française attachée à l'armée brtinannique. Ses frères Hilaire et Bertrand sont tombés au champ d'honneur de même que les deux frères de sa fiancée, les comptes Philippe et Henri de Bourbon. Issue d'une vieille famille bretonne, leur mère est née de Kerret.
L'Echo de Paris du 11 août 1923 : "La marquise d'Albon, Princesse d'Yvetot, née de Bourbon, a mis au monde un fils, André-Suzanne". Oui, André-Suzanne, comme celui qui défendit la Principauté de sa ruine et qui prit ses distances avec Napoléon. L'Excelsior du 17 octobre : "Le marquis et la marquise d'Albon, prince et princesse d'Yvetot, quittent Avauges, leur résidence en Lyonnais, pour Pau où ils passeront l'hiver."
Reçu au concours de l'écoles des Chartes, Antoine d'Albon publia une étude sur les peintures du château de Saint-Marcel-de-Félines, une histoire de Saint-André-d'Apchon. Il sauva la Bâtie d'Urfé et ouvrit aux chercheurs les archives du château.


Le dernier prince d'Yvetot


Quand, en 2015, mourut le dernier marquis d'Albon, il portait toujours le titre de Prince d'Yvetot. Signé Elise Colin, l'article du Progrès
:

Saint-Romain-de-Popey 
Le marquis d’Albon, prince d’Yvetot, s’est éteint à l’âge de 91 ans

Nécrologie. Malgré ses titres de noblesse, cette figure locale était attachée à une vie simple et épris de grand air.

Il était né le 4 août 1923, au domaine d’Avauges, à Saint-Romain-de-Popey, là où il a vécu ensuite pendant 91 ans. Le marquis d’Albon est décédé ce 23 mars à Lentilly, à la maison de retraite St-Laurent, où il avait été accueilli il y a un an et demi, suite à un AVC. André d’Albon appartenait à une des plus vieilles familles françaises nobles.

Alors qu’il a une douzaine d’années, le jeune marquis quitte la France avec ses parents pour vivre pendant quelques mois en Angleterre. C’est là qu’il apprend à parler anglais. Il fera ensuite deux ans d’études à la fac d’histoire de Lyon, vivra quelque temps à Paris où il possédait un hôtel particulier, mais il ne sentait vraiment chez lui qu’au domaine d’Avauges, qu’il a toujours refusé de vendre. Une partie de ses terres a été réquisitionnée pour la construction de l’autoroute A89, une épreuve pour l’homme attaché à son domaine : « C’est ça qui l’a éreinté », témoigne l’une de ses filles, Claude, née en 1971, deux ans après sa sœur aînée, Marie et quatre ans après le mariage de leurs parents.

Ce passionné de randonnées avait traversé une partie des Alpes à pieds. Professionnellement, il a longtemps été représentant dans le tissu en région Rhône-Alpes. Ces dernières années, il donnait également régulièrement et bénévolement des conférences.

Marquis d’Albon et prince d’Yvetot, l’homme était pourtant attaché à une vie simple. Pas question de " faire le marquis " : « Ça l’assommait, il aimait plutôt faire son potager, consulter ses archives, lire ses livres, » se remémore son épouse. Il possédait d’ailleurs, selon certains, la plus belle bibliothèque de Rhône-Alpes. N’ayant pas d’héritier masculin, les titres de prince et de marquis s’éteindront avec ses deux filles. André d’Albon sera inhumé ce vendredi à St-Forgeux, dans le caveau familial.

Ainsi s'acheva la dynastie des princes d'Yvetot. Mais on trouvera bien un nouveau prétendant au titre. Tien, après tout, pourquoi pas moi...

Laurent QUEVILLY.



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Des liens


La fille cachée de la princesse d'Yvetot 
 
Délibérations du conseil municipal d'Yvetot




Sources




Journal de Rouen
Histoire de la Principauté d'Yvetot, LA Beaucousin,
Yvetot pendant la Révolution, Léon Paul Lefèvre, 1908.
La Révolution à Yvetot, Robert Tougard, 1989.
Annuaire des cinq départements de la Normandie, 1928
Le Royaume d'Yvetot, Edward Montier, Le Mois littéraire et pittoresque, 1916.
Le Progrès.fr
Notice biographique sur M. le Bon de Vauquelin par le comte de Beaurepaire.de Louvagny, 1861.
Le Royaume d'Yvetot, Labutte, Revue de Paris, juillet 1868.
Examen de la légende du Royaume d'Yvetot, Oscar de Poli, Annuaire du Conseil héraldique de France ;1888.
Journal de Roanne, 26 juillet 1866.
Paris, 6 septembre 1886.
Histoire de Montmorency, Le Feuve, , 1856.
Travaux de l'Association en passant par Franconville.
La vie religieuse à Yvetot sous la Révolution, abbé Sevestre, Association normande, 1927.
Mélanges offerts au professeur Maurice Gresset. Presses universitaires de Franche-Comté, 2007.
L'année mondaine, Firmin-Didot, 1890.

Source iconographique : le château de Septeme




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