L'homme qui chanta Jumièges...

Par Laurent QUEVILLY.
Avec la précieuse collaboration de
Jean-Pierre Hervieux et Josiane Marchand


1829 ! Un livre sort des imprimeries Baudry. Un livre qui va faire connaître l'histoire de Jumièges au monde entier. Notaire, son auteur se fait aussi un nom: Deshayes, Charles-Antoine Deshayes... Mais que savait-on jusque là de lui ? Qu'il boitait, qu'il s'emportait volontiers... Nul éloge funèbre n'accompagna dans la tombe ce sociétaire des Antiquaires de Normandie. Voici sa première biographie...

1er octobre 1787. Un garçon naît à Caumont que l'on prénomme Charles-Antoine. C'est le premier enfant d’un couple marié un an plus tôt à Anneville-sur-Seine : Charles-Joseph Deshayes, marchand laboureur et Marie Élisabeth Cécile Mauger. Le lendemain, on transporta cet enfant à l'église Notre-Dame où il reçut le baptême sous la dextre de saint Eloi, le patron des charitons du cru. Prieur, le curé Saffray officiait ce jour-là. Comme le voulait la tradition, ce premier né eut pour parrain son grand-père paternel, Antoine Deshayes, lui aussi marchand laboureur à Anneville. Un personnage. Trois fois marié, il fut un temps syndic de sa paroisse. Il revenait à la grand-mère maternelle d’être marraine. Ce dont s’acquitta de bonne grâce Marie Madeleine Richer, épouse de Jean Guillaume Mauger, également marchand laboureur à Anneville. Bref, des paysans aisés…



A l'ombre des Colombel

A Caumont, les Deshayes sont les fermiers de la famille de Colombel, établie ici depuis le XVIe siècle. Elle tient sa noblesse d'Henry IV depuis qu'un de leurs devancier a occupé les fonctions de procureur-syndic de la bonne ville de Rouen. Le domaine des Colombel est le château de la Ronce, en bordure de seine, hameau du Bas-Caumont. Mais le maître des lieux vient de mourir. Écuyer, ami du puissant marquis de Mauny, Jacques de Colombel portait alors les insignes de chevalier de Saint-Louis et avait gagné ses galons de capitaine aux Indes. Lorsqu'il revint en France, ses deux frères, sans postérité, le supplièrent d'épouser Anne Le Vayer. Il se maria donc à 60 ans, prit le temps de faire un enfant et mourut un an plus tard.

Le domaine de la Ronce, c'est dans ce cadre que va grandir Charles Antoine. Près du château est une grotte serpentant dans la roche sur quelque 160 m,. Un irrésistible terrain de jeu. Plus loin, en grimpant un chemin de carrier, on découvre à flanc de coteau un chêne supportant une statue de la Vierge. Sans doute existe-t-il déjà un pèlerinage en ce lieu quand Charles Antoine y fait ses premiers pas.

Mais nous sommes maintenant sous la Révolution. Un chevalier de Colombel prend part aux assemblées de la noblesse à Pont-Audemer. Puis Anne Le Vayer brûle ses  titres dans la cheminée du château tandis que l'abbé Saffray préside le premier conseil municipal de Caumont. En 1790, quand vient un deuxième enfant chez les Deshayes, c'est Jacques Louis Félicité de Colombel, alors âgé de 5 ans, qui, signant d'une croix, endosse le rôle de parrain. Ce jeune garçon sera plus tard maire de Caumont durant plusieurs décennies. Ce qui lui vaudra une Légion d'Honneur. Vers 1845, il fera édifier une chapelle perchée derrière le chêne à la Vierge. Ce qui donnera lieu à cette légende. Jacques de Colombel avait ordonné à deux bûcherons d'abattre l'arbre. Ils en avaient descendu la statue quand la nuit interrompit leur travail. Au petit matin, miracle, la Vierge avait regagné son arbre. Ce qu'ils ignoraient, c'est que deux passants la découvrant à terre l'avait remise à sa place. Mais de ce jour, Jacques de Colombel, croyant à une intervention divine, décida de construite un sanctuaire à la Vierge. Depuis, un pèlerinage s'y tient tous les ans au mois de Marie.
Après Jacques de Colombel, ses descendants allaient longtemps tenir la mairie, arrachant parfois à leurs terre des vestiges de l'Antiquité. La place centrale de Caumont porte aujourd'hui son nom. 

En 1792, en 1795, deux naissances rythment encore la vie des Deshayes. Et voilà déjà sept ans que Charles Antoine a vu le jour. Sept fois qu'il a pu voir défiler la confrérie de Caumont lors de la grande procession du Roumois. A la messe, aux enterrements, les frères de Charité portent souliers à boucle, culotte courte noire sur des bas chinés, le gilet rouge à petits boutons sous une veste à courtes basques.
A Caumont, qui n'est pas laboureur, marin, commerçant ou artisan est forcément carrier. On en compte ici plus d'un demi-millier. La paroisse est ainsi réputée pour ses galeries souterraines dont certaines dépassent les dix mètres en hauteur. L'une d'entre elles, appelée Jacqueline, renferme une grotte hérissée de stalactites qui scintillent de mille feux à l'approche d'un feu de bengale. Parfois, quelques curieux s'y aventurent au risque d'en resortir maculés de boue. Depuis le moyen-âge, au Val-des-Leux, des ouvriers s'échinent, au risque de leur vie, à extraire des pierres calcaires, les scier, les modeler puis les expédier par voie d'eau à Rouen et autres lieux. La tradition veut que de ces carrières soient venues les matériaux qui, après les razzias des Vikings, servirent à la reconstruction de l’abbaye de Jumièges. L'abbaye de Jumièges ! Bientôt, Charles Antoine assistera à sa destruction… 

Pour l'heure, les jeunes années de Charles Antoine sont hantées par une légende vivante : Duramé. Depuis 89, ce tisserand de Bondeville s'est constitué une bande de "chauffeurs". Et leur repaire est là, dans une grotte de Caumont transformée en caverne d'Ali Baba. C'est du moins l'une de leurs nombreuses cachettes. Le visage barbouillé de suie, les brigands viennent de nuit pour enfoncer les portes des fermes, rançonner les propriétaires, brûler les pieds des plus récalcitrants. Pas un village de l'Eure, pas un du pays de Caux n'est à l'abri de ces expéditions et toute la région vit dans la crainte. S'exprimant en patois normand, François Duramé
reçoit l'aide d'indicateurs ou d'héritiers pressés. Il est flanqué d'un ancien tabellion et d'un curé défroqué surnommé La Calotte. On finira par enfumer les grottes de Caumont, encercler la forêt de Roumare. Mais c'est lors que l'attaque d'une ferme de Pissy-Pôville que le "chauffeur de pâturons" est enfin arrêté. Le 26 janvier 1798, Duramé et sept de ses complices auront la tête tranchée sur la place du Vieux-Marché. Le 1er mai suivra une seconde charretée de quinze brigands marchant vers l'échaffaud en chantant à tue-tête.

Les registres de Caumont ne nous diront plus rien des Deshayes. La famille retourna à son berceau d’origine : Anneville. Anneville où, en 1800, âgé de 13 ans, Charles Antoine pleure la mort de sa grand-mère, sa marraine... 


Notaire impérial à 26 ans
En ce début du XIXe, le notariat s’ouvre à de nouvelles catégories sociales : commerçants, propriétaires, agriculteurs… Il faut un minimum d’aisance pour acheter une étude. C’est par un décret daté du quartier impérial d'Erfurt, le 28 avril 1813 que "S.M.I. et R. a nommé le sieur Charles-Antoine Deshayes aux fonctions de notaire impérial à la résidence de Jumièges, canton de Duclair, arrondissement de Rouen." Il a de la famille dans la presqu'île. Sa tante, Marie-Anne Deshayes a épousé François Lesain, maire de Yainville depuis la Révolution. Et c'est une femme qui va beaucoup compter pour lui. Compter, le mot est tout choisi. Charles Antoine a alors 26 ans et est encore célibataire. Napoléon n’en a plus que pour deux ans. A la mairie siège Jean-Jacques Hue. Marchand de Canteleu, Jean-Baptiste Lefort est le propriétaire de l’abbaye qu’il démantèle méthodiquement. Chaque coup de mine retentit dans le cœur du notaire d'en face. 

Quel est son prédécesseur ? Par tradition, les notaires de la sergenterie de Saint-Georges établissaient leur résidence à Jumièges. Ce fut encore le cas pour Pierre Modeste Antoine Varenguien, nommé en 1777 et toujours en activité à la Révolution. Deux fois maire de Jumièges durant cette période, il fut remplacé par Durand, ancien greffier de paix du canton de Saint-Jean-du-Cardonnay qui, lui, fixa sa résidence à Duclair. Charles Antoine rouvrait donc une étude à Jumièges. En concurrence avec celle de Duclair.

Le 25 mai 1813, le président du tribunal de Première instance, Boullanger, bardé de sa Légion d'Honneur, ouvrit et parapha le répertoire encore vierge du nouveau tabellion. Le tout premier acte du jeune notaire intervint quatre jours plus tard. 
Le 29 mai 1813, Deshayes se rendit à Anneville au domicile de Jean Baptiste Thierry, un cultivateur qui mariait sa fille, Marie Anne Marthe, au fils de Louis Antil de feue Catherine Peine. "Par devant nous, Charles Antoine Deshayes, notaire impérial à la résidence de Jumièges, canton de Duclair, arrondissement de Rouen..." Le contrat eut pour témoins Jean-François Bettencourt, l'instituteur ainsi que Jacques Lamy, cultivateur. Deshayes apposa pour la première fois sa signature grandiloquente au bas du document. Le lendemain l'attendait un autre contrat de mariage à Jumièges, un autre encore à Berville, maître Deshayes était maintenant en exercice, passant d'une vente à un inventaire, délivrant procurations et quittances...

En 1814 se pose la succession du maire de Jumièges, décédé. Deshayes est alors cité parmi les quelques hommes capables de remplir la tâche. Desaulty le dit « plein d'esprit et de mérite ». C'est finalement le fils du défunt, Jean Victor Hue, qui reprendra le flambeau. Mais en 1815, Deshayes est élu président de la commission électorale qui, à l'église, procède à la réélection du maire. Voici qui témoigne du crédit dont jouit sa personne. Cette même année 1815, Deshayes qui a grandi avec la Révolution et l’Empire, prend cette fois le titre de notaire royal. Manifestement avec enthousiasme car il consent des sacrifices pour soutenir financièrement le nouveau régime. En témoigne cet article du Journal de Rouen daté du 31 décembre 1815 :

M. Deshayes, notaire royal à Jumièges, canton de Duclair, a déclaré renoncer, pendant cinq ans, aux intérêts de son cautionnement. Monseigneur son Excellence le Garde des sceaux, qui a mis sous les yeux du Roi cet acte de dévouement, vient de charger Monsieur le procureur près le tribunal de l'arrondissement de Rouen de témoigner au sieur Deshayes la satisfaction de Sa Majesté pour le sacrifice que ce fonctionnaire vient de s'imposer dans les circonstances difficiles où se trouve l'État.

Maître Deshayes se marie
Quatre ans après son installation, notre notaire se marie. Le 4 août 1817, en l'église Saint-Valentin, il épouse Pauline Thomas. Il a 30 ans, elle en a 26. Tous deux résident au hameau du Sablon.
Pauline est née à Rouen le 31 décembre 1790 et vit de son revenu. Les témoins de Deshayes ? François Lesain, propriétaire, 55 ans. C'est le maire de Yainville ! Et son oncle paternel. Un homme qui se distingua sous la Révolution en sauvant du bûcher, sur la place de Jumièges, les parchemins accordant les droits de panage de ses paroissiens. Deshayes en parlera plus tard dans ses écrits.
Son autre témoin est son beau-frère, Pierre Joseph Poulain, 41 ans, propriétaire à Anneville.

Les parents de l'épouse, Nicolas Thomas et Marie-Reine Prestel, sont originaires de Rouen. Établis au Sablon, à Jumièges, ce sont des propriétaires qui vivent de leur revenu. Pauline a pour témoins son oncle, Denis François Prestel, 58 ans, fabriquant, demeurant à Rouen et Stanislas Viard, 31 ans, son beau-frère, habitant à Rouen rue du Faubourg-Saint-Sever.

Mais ce bonheur sera de courte durée. En attendant, tout sourit à l'enfant de Caumont. Car voilà que deux grands érudits vont s'intéresser à lui...

Collaborateur de Taylor et Nodier
Très vite, Deshayes s’intéresse à l’histoire locale. « Habitant moi-même ces lieux depuis plusieurs années, écrira-t-il, j’ai eu l’avantage de découvrir plusieurs ouvrages, soustraits de la bibliothèque des moines à la révolution, qui m’ont instruit d’une partie des choses que je désirais savoir. »
En 1817, le baron Taylor se lance dans une œuvre monumentale: la publications en plusieurs tomes des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Au-delà de ses forces.
Alors, il sollicite l’aide de Charles Nodier, chef de file du mouvement romantique et du Rouennais Alphonse de Cailleux, plus spécialement chargé de la Bretagne et de sa Normandie natale. Tous trois parcourent la province. A Jumièges, en 1819, ils trouvent en Charles-Antoine Deshayes un précieux collaborateur, fort de ses fraîches connaissances sur la question. Taylor réalise des croquis sur le vif, Cailleux dresse le plan des ruines. Nodier observe. L'année suivante, on fait venir dans les ruines des artistes comme Fragonard fils, Daguerre... Et c'est Nodier qui rédige les textes. On a encore peu écrit et dessiné sur Jumièges. Roger de Gaignières en 1702, Dawson Turner en 1818... 
A l'actif de la Restauration, un mouvement d'études pour les choses du passé se développe. Dans notre région, on note Auguste Le Prévost, le sous-préfet de Rouen, Arcisse de Caumont, fondateur de l'Association normande. Après les secousses de la Révolution, de modestes écrivains aiguisent leur plume pour écrire l'histoire de leur petite patrie, démontrer que la destruction des monuments fut stupide et que leur construction n'avait pas été le fruit de la barbarie.  A Caudebec, c'est l'abbé Miette, vers 1820. A Jumièges, ce sera Deshayes, en 1821 puis 1828, année où, à la demande de la commission des Antiquités qui fête ses dix ans, Langlois réalise quarante croquis de Jumièges. Il venait alors d'éditer une histoire de l'abbaye de Saint-Wandrille...
Mais avant ces érudits, la voix de simples paysans s'était élevée. A Didbin qui visite Jumièges en 1818, une paysanne parle de sa "chère abbaye". En 1819, c'est un Jumiégeois qui dit à Estrup "quel spectacle admirable c'était de voir de la Seine 150 lumières éclairant le soir les cinq étages de l'édifice..."


Un premier enfant
En mai 1819, un érudit britannique visite les ruines, le révérend Thomas Frognall Didbin. Accompagné d'un ami, il descend dans une auberge qu'il tient pour une ancienne dépendance de l'abbaye. Écoutons-le:

"Nous parcourûmes le village en faisant la conversation avec les habitants du lieu. La soirée s'annonçait d'une manière agréable; hommes, femmes et enfants étaient assis, ou folâtraient en plein air. On s'aperçut que nous désirions prendre quelques informations : il y eut bientôt cercle autour de nous. Un des assistants, particulièrement, me donna des notions exactes sur les dégâts éprouvés par l'abbaye pendant la Révolution..."

Qui d'autre que Deshayes a pu être cet habitant éclairé ?

Le 5 août 1818, un premier enfant vient au monde chez les Deshayes: Pauline Reine. Les déclarants sont le père et les grands-pères de l'enfant.

13 mars 1820. Cécile Amélie vient au monde chez les Deshayes. Les déclarants sont encore ses grands-pères.

Les Voyages paraissent cette même année 1820 avec cette introduction. « Nous se saurions témoigner trop de reconnaissance à M. Deshayes qui nous a fourni un mémoire plein de faits intéressants sur la péninsule de Jumièges.» Mais que reste-t-il de son travail. Peu de choses. Nodier développe les légendes des Énervés et de saint Aicadre. Puis livre des pages impressionnistes sur la harelle d'Heurteauville, les ruines, avant du chuter sur le manoir d'Agnès Sorel. Peu de détails historiques dans tout cela. Les romantiques s'attachent plus au pittoresque qu'aux faits bruts. Il en va de même pour les illustrateurs qui interprètent avec fantaisie l'architecture. Allant jusqu'à figurer une femme en prière devant un tombeau d'Agnès Sorel aux formes improbables et déjà gommé du paysage. Certaines gravures sont cependant plus précises.

Cette édition normande sera dédiée au duc de Berry, ultra-royaliste qui vient d’être assassiné, le 13 février, par un ouvrier. Il a laissé une veuve, Caroline, qui va compter dans la vie de Deshayes. Une veuve mais aussi un héritier posthume: le futur Henri V, dernier roi des Français qui ne régnera jamais, dernier mâle de la branche aînée des Bourbon. 

Avec ces Voyages romantiques vont accourir dès lors les premiers visiteurs des ruines, des Anglais, trop d’Anglais semble déplorer Deshayes qui les accuse de voler des vestiges. 


Son premier ouvrage
Nodier remerciera encore publiquement Deshayes pour sa contribution. Mais le rôle d'obscur collaborateur ne lui suffit pas. Nodier n'a guère exploité son mémoire.

Dès l’année suivante, en 1821, Charles-Antoine publie à Rouen, chez Periaux Père, imprimeur du Roi, La terre gémétique, notice sur les communes de Jumièges, du Mesnil et d'Yainville. Manifestement, voilà l'intégrale du manuscrit. Et il ne date pas d’hier : « Je l’avais composé d’abord pour ma satisfaction particulière, sans autre but que d’occuper quelques moments de loisirs. Si je le fais connaître, ce n’est qu’à la sollicitation de plusieurs personnes… » Aucune allusion à Taylor et Nodier. 


Avant de mettre sous presse, Deshayes a fait ajouter des croix au regard des statues et monuments dont il parle et qui ont disparu depuis la rédaction des articles. Tirée à 200 exemplaires sur papier ordinaire et quatre sur vélin, cette Terre gémétique est le brouillon de son futur ouvrage sur Jumièges. D’un livre à l’autre, Charles Antoine donnera ainsi le seul témoignage écrit de la destruction de Jumièges.  « Ces lieux, écrit-il, n'offrent dans ce moment qu'une solitude affreuse où presque tous les habitants du pays répugnent à pénétrer. Le morne silence qui règne dans cette enceinte n'est le plus souvent interrompu que par le manouvrier qui vient détruire les restes des édifices pour en employer les débris à des constructions que font faire les habitants.» 

Cette même année 1821, le 14 août, une troisième fille est née. Hélas, Flore Eugénie décède le 28 septembre suivant.

Le 12 décembre 1821, la commission des Antiquités tient séance à Rouen. Leprévost énumère la liste des communes où se trouvent des vestiges intéressants. « Mesnil-sous-Jumièges : bâtiments dépendant de l'abbaye de Jumièges et où a logé Agnès Sorel. Médailles romaines et vase d'étain trouvés par le Sr Faisre. Le vase doit encore exister. S'adresser à M. Deshayes, notaire à Jumièges… » 

Deshayes a adressé un exemplaire de son premier livre à la société libre d’émulation de Rouen. Elle réagit ainsi lors de sa séance de juin 1822 : « La description et l'histoire de ce monastère célèbre et de ses environs, vous a été adressée par M. Deshayes. Son ouvrage, intitulé : La terre gémétique (nom sous lequel fut autrefois connue la presqu'île formée par une anse de la Seine où se trouve Jumièges), offre au voyageur qui visite ces ruines, un guide sûr, une lecture intéressante. Bientôt malheureusement, si l'on continue à laisser enlever par les étrangers les débris les plus curieux, l'antiquaire y cherchera vainement ce qui l'y attirait, et l'ouvrage de M. Deshayes ne rappellera plus que des souvenirs. » 

Porte-parole des Jumiègeois
Notaire royal ! Un tel titre aurait pu porter Deshayes dans le fauteuil de maire de Jumièges. Il n’en fut rien. Mais, manifestement royaliste, qualifiant la Restauration de « gouvernement réparateur », notre homme ne se désintéressa pas de la vie politique locale. Juin 1823 : Charles Antoine publie chez Baudry, à Rouen, un libelle pour le rétablissement, 70 ans après sa disparition, du marché de Jumièges. Il appuie en cela la demande formée par les habitants.

Le 14 avril précédent, sous la présidence du juge de paix cantonal, une réunion s’est tenue à Jumièges à ce sujet. Là, le maire de Duclair s’est farouchement opposé au projet. Deshayes réfute ses arguments, développe les motifs économiques qui militent pour la tenue d’un tel marché le jeudi avant de conclure :
« l’amour de mon pays m’a porté à publier ma pensée, j’espère qu’une administration éclairée ne la dédaignera pas. » Elle la dédaignera.

Le texte intégral: 

Et le voilà veuf
Le malheur frappe Deshayes. Le 30 décembre 1823, à 7h du soir, son épouse rend l'âme. Dame Pauline Thomas à 33 ans. Le lendemain, Charles Antoine, "notaire royal à la résidence de Duclair", va déclarer son chagrin en mairie. Il est accompagné de Philippe Thomas, 22 ans, fabriquant à Rouen, jeune frère de la défunte. Celle-ci laisse à son mari un bien appelé La Petite Ferme, situé à Anneville-sur-Seine.

Le 1er mars 1824, Charles-Antoine adresse une pétition émouvante à l'adresse de Hue, maire de Jumièges.

M. Charles-Antoine Deshaye, notaire royal à la résidence de Jumièges y demeurant,

a l'honneur de vous apporter, Monsieur le maire, qu'il vient d'éprouver le coup le plus terrible qui puisse affecter une âme sensible. Son épouse, objet de ses plus chères affections, le soutien et l'espoir d'une famille chérie, vient de lui être enlevée à la fleur de l'âge.
Vous connaissez, Monsieur le maire, l'exposant et ses malheureux petits enfants.
il demande que le sol où sont déposés les restes de celle dont il est privé et sur laquelle il fondait l'espoir de son bonheur et de celui d'enfants chéris lui appartienne et que jamais sa dépouille mortelle ne soit dérangée.
C'est pourquoi, Monsieur le maire, il demande à acquérir dans le cimetière de Jumièges à l'endroit où elle est déposée deux mètres de terrain de long sur une mètre et demi de large pour qu'il appartienne à lui et à ses héritiers à perpétuité afin que nul étranger ne puisse déranger la terre comprise dans cette faible enceinte que l'exposant désirerait être respectée.
L'exposant croit avoir fait assez pour son pays dont ses vœux les plus ardents sont dy ramener la prospérité pour qu'on veuille accueillir sa demande.
Il offre 100 Fr du terrain qu'il réclame.
Si cette somme n'est pas jugée suffissante, ce qu'il ne pense pas, il demande qu'il soit nommé des arbitres pour en faire l'estimation.
D'après cet exposé, Monsieur le maire, l'exposant demande que vous ayez la bonté de réclamer près de Monsieur le préfet pour vous faire autoriser à assembler le conseil municipal pour délibéréer sur sa proposition qui, si elle est accueillie, satisfera le vœu de l'exposant.
Présenté à Jumièges, le premier mars mil quatre vint quatre. Deshayes.

Adjoint, Lesain ajouta au bas de cette lettre "Vu la présente à Jumièges le 1er mars 1824" et la transmit au préfet, accompagné de cette note :

Monsieur le préfet,

J'ai l'honneur de vous adresser une pétition qui m'a été présentée par M. Deshayes, notaire à Jumièges, qui forme une demande pour acquérir une portion de terrain dans le cimetière de Jumièges. Je vous demande, Monsieur le préfet, de bien vouloir m'autoriser à assembler le conseil municipal pour délivérer sur le contenu de cette pétition....

Que deviendront les filles de Deshayes ? Elles furent placées sous sa tutelle. Mais il est à penser qu'elles seront prises en charge par leur oncle maternel de Rouen, Philippe Eugène Thomas. Celui-ci abandonnera vite ses activités de fabriquant pour endosser la toge d'avocat. On le retrouvera un temps juge de Paix. Numismate distingué, il publiera trois ouvrages remarqués par les érudits normands.    


L’ami de Langlois
Très vite Charles Antoine s’est lié d’amitié avec Eustache Hyacinthe Langlois, de 10 ans son aîné, natif de Pont-de-l’Arche, élève de David et de condition misérable au moment de leur rencontre.  Langlois vit à Rouen sous les combles d'un ancien monastère. Et dessine, dessine... Très catholique, mais lié volontiers aux Républicains les plus farouches, il se contrefout de la réussite matérielle. C'est un ami de la famille Flaubert.
Quand, en 1823, Langlois publie "L'incendie de la cathédrale de Rouen", Deshayes figure en tête des souscripteurs en réservant trois exemplaires !


« Deshayes m'a donné souvent des preuves de sa complaisance, de son amitié… »
E. H. Langlois


1824 : Deshayes écrit à Langlois au sujet de la procession du Loup Vert : « Cette cérémonie s'est célébrée cette année et le futur loup a mérité les plus grands éloges par l'active libéralité qu'il a mise dans la distribution de ses coups de baguette au Loup Vert et à ceux de sa troupe. Gare à lui pour l'année prochaine ! » 


Cette même année, Langlois lit à la société libre d’émulation de Rouen une étude sur les Énervés de Jumièges et indique au passage. « C'est au manuscrit de la curieuse notice que prépare M. Deshayes, notaire royal à Jumièges, que nous empruntons cette deuxième date. Cet ouvrage relatif à l'histoire ecclésiastique et monumentale de ce célèbre monastère doit être mis incessamment sous presse. Il offrira une foule de faits très curieux relatifs aux mœurs et à beaucoup de coutumes bizarres du moyen âge; il pourra surtout offrir des matériaux précieux pour l'histoire de la Normandie dont on ne s'est occupé jusqu'alors qu'avec un médiocre succès. Ce travail qui fait honneur à l'esprit de recherches et à la laborieuse persévérance de l'auteur, doit être accompagné de plusieurs planches, parmi lesquelles on ne verra pas, sans un vif intérêt, une vue générale, fort exacte, et prise à vol d'oiseau, de l'abbaye, dans son état de splendeur. ». Il faudra cependant attendre encore cinq ans pour voir le livre sortir des presses. Deshayes a demandé à son ami les planches qui ont illustré l’essai sur les Énervés. Langlois a semble-t-il tardé à le satisfaire.
Langlois: « C'est à l'obligeance du Monsieur Deshayes que nous devons ce  dessin...» 
Cette sculpture représentant sainte Austreberthe avec, à ses pieds, le loup étranglant l'âne, était exécutée en bas-relief sur l'une des portes intérieures du monastère.

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Le jour de gloire

Samedi 24 juillet 1824, Jumièges accueille la duchesse de Berry, attirée là par la publication des Voyages romantiques dans l’ancienne France dont les tomes normands, rappelons-le, sont dédiés à son défunt époux. La belle fille de Charles X (qui va monter sur le trône dans deux mois) n’est pas encore au centre des intrigues politiques qui lui vaudront bientôt l’exil, la prison… 

La duchesse de Berry porta son beau regard sur Deshayes: "Un notaire boiteux très instruit..."

Le Galibi, un vapeur de l'État était parti de Rouen à 6h du matin. A bord, la musique de la garde royale donne l'aubade aux invités : la duchesse de Reggio et la comtesse d'Hautefort, dames d'honneur de la duchesse, le comte de Mesnard, écuyer de Son Altesse Royale... Le Galibi ? « Un petit vapeur très doux, note la duchesse, commandé par un jeune officier très distingué. » Escorté d'une nuée de bateaux, le navire débarque Caroline de Bourbon-Naples face à Jumièges où l'attendent les notables. Il est midi. Le soleil brille. A sa sortie du canot, la duchesse est accueillie par le curé, le maire de Jumièges « et un notaire boiteux très instruit. » C’est Deshayes ! 
Des gamines vêtues de blancs lui présentent des fleurs et récitent des compliments. En cortège officiel, on s'en va visiter les ruines de l'abbaye. On reconnaît le baron de Vanssay, préfet de la Seine-Inférieure, le lieutenant-général de Rivaud, commandant la Division de Rouen, le commissaire de la Marine, Martin, l'ingénieur de la Marine, Marestier, l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Le Tellier, Duclos, le capitaine du Port... Laissons parler le Journal de Rouen: « Son Altesse Royale a visité sous tous ses aspects les vénérables ruines qui subsistent encore, et jusqu'aux vestiges des peintures à fresque des bas-reliefs qui ont échappé jusqu'à ce moment à la destruction qui va bientôt les atteindre. » 

La belle Caroline promène son regard sur l’abbaye : « L’aspect de la grande église en ruine est très beau, s’exclame-t-elle, avec ses énormes clochers et un arc pointu d’une hauteur prodigieuse. Seulement, on ne peut penser sans horreur que l’on vend les pierres et les sculptures aux Anglais et que nous sommes assez barbares pour le permettre. On m’a fait voir les fragments des tombeaux des fils de Clovis et de saint Philibert, le fondateur de l’abbaye. On m’a montré aussi la place où Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII, a été enterrée. Auprès de sa tombe, il y a un lierre magnifique que le l’on dit avoir été planté par elle. Au moment de la Révolution, les moines habitaient l’abbaye et tout existait encore… » 

Ce « on m’a fait voir », c’est bien sûr Deshayes qui lui sert de guide et pour qui c’est le jour de gloire. Deshayes et sûrement pas Lefort, l’indélicat propriétaire des ruines qui n’a plus que quelques semaines à vivre. 
En partant, la duchesse glissa au maire son obole pour les pauvres et s'en fut à la réception donnée en son honneur au château de la Mailleraye, par la marquise de Nagu. 
Les Jumiègeois firent graver le souvenir de cette date dans une plaque apposée à l'église paroissiale. Bientôt, dans les ruines, un nouveau propriétaire, Caumont, dressera un buste de la duchesse avec ces quelques lignes : 

Sa présence en ces lieux, 
sauva les tristes restes 
De ces murs délabrés, riches de souvenirs. 
Ces gothiques arceaux qui charment nos loisirs 
Ne craindront que du temps les ravages funestes ; 
Le voyageur errant sous les portiques saints, 
Heureux d’ouïr encore des bruits incertains, 
Pensif et méditant près de chaque ruine, 
Les quitte, en bénissant le nom de Caroline. 

L’arrêt du massacre

Cette année 1824 est décidément salutaire pour les restes de l'abbaye. Lefort meurt le 5 octobre. Sa fille, Sophie-Adèle, s’était mariée à Nicolas-Casimir Caumont en 1816. Quatre ans plus tard, elle décède. C’est le fils du couple qui hérite de Jumièges. Par tirage au sort chez le notaire. Louis-Casimir est cependant trop jeune. Alors c’est le père qui va gérer ses biens sous tutelle.

Qui est Caumont ? Né à Rouen en 1781, marié en 1816, son négoce dans la capitale normande a pris un tel essor qu'il a été juge et président du tribunal de commerce. Membre ensuite de la chambre de commerce, il en sera le président en 1834. A Rouen, il aurait pu s'asseoir dans le fauteuil de maire s'il n'avait été taxé d'opposant libéral, hostile à la Restauration. 
Nicolas-Casimir stoppe le dépeçage du monastère, en réunit les nobles débris, récupère du mobilier. Il trouve en Deshayes un allié éclairé. C'est lui qui, le premier, a attiré l'attention sur l'abbaye . On peut lui attribuer ce titre: L'homme qui sauva Jumièges... De la destruction, peut-être. De l'oubli, sans aucun doute !


Il abandonne son étude

Auteur de ce dessin, Deshayes s'est manifestement représenté. L'habit de notable, la canne (il claudique), le chien, compagnon d'un homme seul militent pour cette hypothèse. Cette silhouette est à ce jour la seule représentation que nous ayons de lui. Mais Langlois n'a-t-il pas fait son portrait?
Le samedi 30 juillet 1825, Me Deshayes prit le bachot et monta reconnaître le chêne cuve dans la forêt de Brotonne. Chez Baudry, à Rouen, il en fit l'année suivante un petit opuscule et un croquis que grava la fille de Langlois, Espérance.

Lire la notice:

Cette même année 1825, à 38 ans, il mit fin à ses fonctions de notaire de Jumièges, fonctions qu'il exerçait depuis douze années avec un baisse d'activité sur la fin.

Son dernier acte fut un contrat de mariage, rédigé le 4 octobre, entre Isidore Cornu et Rosalie Tellier, de Berville. Ce fut fait à Duclair en la demeure de la veuve Neufville et en présence de Jean-Louis Gauché, perruquier et Valentin Barbey, boulanger, tous deux demeurant à Jumièges.
Dès le 9 octobre, Frédéric Le Boucher prend la suite de Deshayes et engrange ce jour-là deux contrats de mariage et un acte de vente. Le sieur Prost, de Duclair, qui vérifait les actes de Deshayes eut cette sentence :    

"Reçu cinq francs cinquante centimes pour l'amende encourue par Me Deshayes pour l'omission au présent répertoire de la mention d'un contrat de mariage passé devant lui le vingt-neuf juillet 1825 entre le sieur Gosse et la Demoiselle Bellet et enregistré le 9 août suivant." Prost et Deshayes se détestent-ils déjà ? On va les voir s'affronter bientôt...

Il hérite de sa mère
Les minutes notariales de Charles Antoine sont conservées aux archives départementales sous la cote 2 E 71/1-13. Celles de son successeur, Leboucher (2 E 71/14-53). Il exercera jusqu’en 1838.   
Surprenante, la démission de Charles Antoine. Rappelons qu'il était en concurrence avec Maître Durand, à Duclair. Son étude était-elle d'un rapport suffisant ? A-t-il agi sur un coup de tête suite motivé par Prost ? Toujours est-il qu'il cesse son activité professionnelle peut avant la mort de sa mère qui interviendra à Anneville, le 28 février 1826. Elle avait 72 ans. Charles Antoine est son seul héritier. Il engrange 5463,50F. Une somme...

Deshayes semble avoir un pied-à-terre à Rouen dès le mois d'octovre 1825. Revient-il travailler auprès de Caumont à la protection de l’abbaye et la constitution du musée lapidaire ? La revue des Antiquaires de Normandie nous donne de ses nouvelles en 1826 : « M. C. A. Deshayes qui a recueilli avec zèle tout ce qui se rattachait à l’histoire de l’abbaye de Jumièges, fondée en 654, ne tardera pas à faire jouir le public du fruit de ses travaux. Vous lui devez une notice sur Simon Dubosc, l’un des abbés les plus célèbres de cette antique abbaye (…) M. Deshayes a retrouvé les mains et la tête de cette statue (celle de Du Bosc); ce dernier morceau est d'une très belle expression et un peu plus grand que nature. Les mains sont gantées, le doigt majeur de chacune d'elles est orné d'un anneau. Ces objets sont maintenant dans la collection de M. Hyacinthe Langlois. L'abbaye de Jumièges était très riche en monuments de ce genre. M. Deshayes a eu le bonheur d'en rassembler un assez grand nombre qui avaient été dispersés et mutilés pendant la révolution. »
 
Ainsi donc, pour ses collègues antiquaires, Deshayes a-t-il publié son chapitre consacré à Simon du Bosc. Mais l’intégrale se fait toujours attendre… 


C'est à Deshayes que l'on doit la découverte de cette tête d'abbé attribuée à Simon du Bosc. Langlois la dessina, sa fille la grava...

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Le 28 avril 1826, le Journal de Rouen lance la souscription du livre. L'Abbaye de Jumièges, dont l'origine remonte aux premiers temps de la monarchie française, n'est pas moins célèbre par la magnificence de ses édifices que par les événements importants qui s'y sont passés, événements dont la plupart se rattachent à l'histoire de France et principalement à celle de Normandie.
Cet ouvrage, maintenant sous presse, et fruit de longues recherches,  ne put, d'après l'examen qu'en ont fait plusieurs savants, manquer d'offrir au public, et surtout aux écrivains, un vif intérêt, par la révélation d'un grand nombre de faits inédits. l'auteur ose espérer qu'on lui saura gré de ses soins pour la publication de cette histoire et d'en avoir enrichi la partie descriptive de gravures et de dessins très curieux, exécutés par MM. E.-H. Langlois, du Pont-de-l'Arche, Brevière et autres.
On souscrit à Rouen, chez Frère libraire, rue Grand-Pont, n° 17, vis-à-vis la cour Saint-Martin. Le prix de la souscription est de 6 fr sur papier fin, caractère cicéro neuf. Elle est ouverte jusqu'au jour de la publication. Passé ce temps, l'ouvrage se vendra 7 fr. On ne paie rien d'avance.
Il sera tiré quelques exemplaires sur papier vélin. On joindra à la fin de l'ouvrage la liste des souscripteurs.

En août 1826, l'ancien notaire empoche 1 800 F en vendant deux pièces de terre à Pierre Deshayes, à Anneville. En novembre, il se séparera encore d'un parcelle au profit de Jean-Baptiste Hulin, moyennant 550 F.

L’ami de François Rever

Charles Antoine Deshayes entretient des relations épistolaires avec François Rever. Curé de Conteville échappé de la guillotine, maire, conseiller général, député de l’Eure sous la Révolution, Rever est aussi archéologue, botaniste et le premier président de la Société libre d'Evreux. Une variété de pomme porte toujours son nom.

Rever vu par Hyacinthe Langlois qui lui aussi correspond avec l'archéologue de l'Eure...

Deux ans avant sa mort, le 7 décembre 1826, Rever écrit à Deshayes une longue lettre sur Jumièges. 18 feuillets avec, entre autres choses, de curieuses indications sur la cérémonie du Loup-Vert. La société libre de l’Eure conserve également un plan des souterrains de Jumièges dressé par Deshayes et daté du 9 mars 1827.

En 1828, Charles-Antoine n'habite plus Jumièges. Mais au  66 de la rue Cauchoise, à Rouen, où il se dit maintenant homme de lettres. Il vient de vendre 12.000 F à Jean-Baptiste Hulin, le maire d'Anneville, la ferme de ses parents. Elle appartenait auparavant à son aïeul maternel. Ce n'est pas la première fois que Deshayes traite avec Hulin. Il lui a déjà vendu le pré du Mazarin en 1822 puis une terre appelée La Planquette en 1826. Des terres, il en a vendu aussi à ces dates à Pierre Deshayes, d'Anneville.

Rue Cauchoise, Charles-Antoine travaille à son livre qui a pris du retard. Ainsi en parle le Journal de Rouen dans son édition du 24 mai 1828.

Histoire de l'Abbaye Royale de Jumiéges ; par C. A. Deshayes,
membre de La Société des Antiquaires de la Normandie, ornée de figures.
La publication de cet ouvrage, dont S. A. R. Madame, duchesse de Berry a daigné agréer la dédicace, a été retardée par plusieurs causes indépendantes de la volonté de l'auteur ; mais auxquelles il eut cependant pu obvier, s'il n'eut pas rigoureusement tenu à faire entrer dans son travail de nouveaux documens, ainsi que la gravure de quelques monumens très curieux récemment exhumés. Ces opérations devant s'exécuter avec beaucoup de célérité et l'impression du texte étant terminée, la mise en vente doit avoir lieu sous un très-bref délai.
Cet ouvrage se trouvera chez les principaux libraires de Paris et de Rouen.                

Charles-Antoine ne resta guère à Rouen. Il retrouve Jumièges en 1829...


Enfin la consécration
1829 : c’est enfin la publication de L'histoire de l'abbaye royale chez Baudry. Deshayes la dédie à la duchesse de Berry. « Madame, Votre Altesse Royale a daigné permettre que l’histoire de l’abbaye royale de Jumièges parût sous ses auspices : il ne reste maintenant à l’auteur qu’à vous exprimer sa vive et respectueuse reconnaissance. Puisse son ouvrage inspirer à votre Altesse Royale quelqu’intérêt, en lui rappelant des lieux que vous honorâtes de votre présence et dans lesquels votre souvenir sera toujours aussi cher que révéré. Je suis, Madame, avec le plus profond respect, de Votre Altesse Royale, le très humble, très obéissant très soumis et dévoué serviteur, C.-A. Deshayes. »

Ainsi, Deshayes a-t-il sollicité la duchesse pour parrainer la sortie du livre. Peut-être même en a-t-elle aidé le financement. Caroline est mécène de foule d’artistes. L’année précédente, elle est intervenue pour faciliter l’entrée de Langlois à l’école de peinture de Rouen. Langlois qui, avec sa fille, a donné cinq planches à l'éditeur. On note aussi une représentation de l'abbaye dessinée en 1678 par D. Michel Germain. Quelques exemplaires de l'ouvrage sont tirés sur papier vélin grand raisin et papier de couleur. On le trouvera à la vente dans huit librairies: trois à Rouen, deux à Paris, une à Caen, au Havre et enfin à Dieppe, chez Marain fils, libraire de... SAR Madame, duchesse de Berry.


Le 19 juillet 1829, le Journal de Rouen salue cette publication :


HISTOIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE JUMIEGES
PAR C.-A. DESHAYES.

Dédié à S. A. R. Madame, duchesse de Berry. Un vol. in-8°, orné de cinq gravures et de deux vignettes. Se trouve à Rouen chez les principaux libraires. — Prix : 6 fr. II y a des exemplaires sur vélin.
L'Histoire de l'Abbaye Royale de Jumièges, par C.-A. Deshayes, est un ouvrage relatif à l'histoire ecclésiastique  et monumentale de l'un des plus célèbres monastères, contenant un grand nombre de faits curieux qui se rattachent aux mœurs et à une foule de coutumes bizarres du moyen âge ; il offre surtout des matériaux précieux pour l'histoire de la Normandie, dont on ne s'est occupé jusqu'à présent qu'avec un médiocre succès.
Ce travail fait honneur à l'esprit de recherches et à la laborieuse persévérance de l'auteur. Il est accompagné de plusieurs planches exécutées par M. E. H. Langlois, parmi lesquelles on ne verra pas sans un vif intérêt une vue générale, fort exacte, et prise à vol d'oiseau, de l'abbaye  dans son état de splendeur.

Le 4 octobre 1829, le Journal de Rouen revient plus longuement sur la sortie du livre.

Lettres sur rouen
(N° XLI.)
Histoire de Jumièges.

Certain antiquaire a fourni la matière de plus d'une lettre sur Rouen, en allant fouiller dans les vieilles chroniques de la Normandie. C'est, en effet, une mine riche à exploiter et qui renferme des trésors dignes de flatter notre amour propre national. Nos anciens monuments ont plus d'une fois aussi occupé sa plume patriotique ; et il a bien fait vraiment de se hâter, car la main du temps s'appesantit sur ces vénérables débris, et bientôt il n'en retera plus que le souvenir ; témoin les curieuses sculptures du BourgAchard qui viennent d'être ensevelies sous la chute de l'église de ce lieu.
Occupons-nous donc aujourd'hui d'un ouvrage d'un auteur normand qui a voulu, pour sa part, contribuer à sauver de l'oubli un des plus admirables monuments de l'architecture normande et rappeler les événements les plus remarquables qui s'y rattachent.
J'aime les chroniques et les mémoires ; là, l'historien apparaît dans son individualité ; il ne pose pas, il ne vise pas à l'effet ; écrivant plus pour lui-même que ceux qui le liront, ses réflexions sont plus franches, son récit plus naïf et l'impression qu'il éprouve des faits  qu'il rapporte est elle-même une partie de l'histoire de son époque et sert mieux, souvent, que tous les commentaires possibles à en faire apprécier l'esprit. Ainsi, quand Saint-Simon raconte simplement, sans commentaires, que M. de Rosen perdit une assez bonne confiscation qu'il avait obtenue à la révocation de l'édit de Nantes (1) ; quand il interrompt par son récit pour blâmer les confiscations et paraît presque plus sensible à la perte éprouvée par le donataire des biens confisqués qu'à celle du malheureux dont il avait recueilli la dépouille, vous pouvez en conclure hardiment que, dans le grand siècle, les hommes les plus droits de la cour n'avaient encore des notions très justes sur la propriété.
Mais l'étude des ouvrages originaux demande plus de temps que ne peut leur en consacrer le commun des lexteurs. D'ailleurs, souvent ces ouvrages sont rares, les exemplaires existants sont disséminés dans des bibliothèques éloignées les unes des autres ; il faut donc, bon gré mal gré, recourir aux résumes, aux histoires abrégées ; heureux quand ces recueils sont le fruit de l'érudition jointe à une sainte critique ; car ces deux qualités sont nécessaires pour démêler la vérité au milieu des récits presque toujours contradictoires des écrivains contemporains.
C'est un travail de ce genre que M. C. A. Deshaues a entrepris sur l'abbaye de Jumièges (2). Je n'ai pas la prétention d'être assez versé dans la connaissance de nos antiquités pour affirmer qu'il n'a rien omis d'important, ni rien accueilli de hasardé. Mais, comme il a puisé aux sources originailes, comme il y renvoie souvent, cette franchise est une première et forte présomption de son exactitude.

Je ne saurais suivre ici M. Deshayes dans tous les détails de son livre, la place que vous m'accordez n'y suffirait pas ; je me contenterai de citer quelques framents qi feront connaître la manière de M. Dehayes et pourront servir de texte à plus d'un rapprochement.
Après avoir raconté la fondation de l'abbaye, qui eut lieu en 654 par les soins de saint Filibert, l'auteur décrit ainsi la vie des religieux :
"La vie de ces pieux cénobites était tellement édifiantes, nous disent les vieilles légendes, que beaucoup de grands quittaient le monde pour venir se consacrer à Dieu sous la direction du saint abbé, après avoir fait don de leurs biens à son monastère ; ce qui fut cause qu'en peu de temps, il se trouva peuplé et enrichi d'une manière très considérable. il est également affirmé qu'au bout de dix ans de sa fondation, il renfermait huit cents religieux.
"Leur manière de vivre, malgré leurs richesses, était on ne peut plus austère. Leur nourriture ne se composait que de fruits, de légumes et de poissons. Parmi ces derniers, ils en pêchaient d'un taille gigantesque ; ils en mangeaient la chair, et en brûlaient l'huile pour l'entretien de leurs lampes.
" Il ne tardèrent pas à récolter dans l'enceinte de leur monastère des fruits et des légumes excellents ; ils y cultivaient la vigne et le vin qui en provenait passait alors pour être délicieux.
"Saint Filibert ne borna pas ses soins, pendant qu'il fut abbé de Jumièges, à travailler au salut des habitants de la Neustrie : il se montra en outre protecteur des opprimés et le bienfaiteur de l'humanité, en procurant des secours aux pauvres et en rachetant les chrétiens tombés au pouvoir des infidèles."
Il y a loin de cette ferveur et de cette simplicité au luxe que, depuis, déployèrent les moins de Jumièges ! Ainsi M. Deshayes nous apprend qu'au commencement du XIVe siècle l'argenterie de l'abbaye consistait, pour l'usage du réfectoire seulement, en "deux arbres ou chandeliers à langues de serpent, soixante-trois tasses d'argent, vingt coupes de madré ou pierre d'onice, onze pots et trois pintes, cinquante neuf écuelles, quatre-vingt-dix-hui cuillers, cinquante sauciers ou petits plats de portion, deux grands bassins pour donner à laver, six coffins ou corbeilles à mettre le fruit, deux dragoirs avec leurs cuillers, deux huiliers et trente-quatr amarres ou chaînes d'or pur."
Puisque M. Deshayes nous affirme que les religieux cultivaient la vigne et que le vin qui en provenait passait alors pour délicieux, je veux bie le croire ; mais il faut en conclure que le climat de la Normandie a terriblement changé depuis douze siècles ou que les robustes organes de nos aoïeux étaient délicieusement affectés par des boissons qui aujourd'jui seraient bonnes tout au plus  à gratter le gosier d'un cosaque.
Tout n'est qu'heur et malheur dans ce monde. Aux jours de la prospérité de l'abbaye de Jumièges succédèrent plus d'une fois de cruelles tribulations ; les invasions des Normands, la guerre entre la France et l'Angleterre, les guerres de religion au 16e siècle furent pour elle les occasions de rudes épreuves. On a si souvent racontés les ravagess des hommes du nord que je préfère citer le récit du pillage de l'abbaye par les Calvinistes en 1560 :
"Pendant que ces choses se passient, les guerres de religion agitaient la France. Les moines craignaient le pillage de l'abbaye et leurs craintes étaient fondées. Dans cette ancisété, les religieux prirent le partir de fuir après avoir caché leurs trésors au bout du dortoir et au bas du courtil. Les Calvinistes étaient réunis en très grand nombre à Caudebec. Ils arrivèrent à Jumièges le 8 mai pour saccager l'abbaye ; ils n'y trouvèrent qu'un vieillard et un frère  convers ; ils contraignirent ce dernier, à force de tortures, de leur ouvrir les armoires des églises et des salles et de leur découvrir les richesses cachées dans la terre. Les autels furent renversés, les images brisées, les reliques foulées aux pieds. Ces sacrilèges, non contents de ces impiétés, pillèrent les vases sacrés, les châsses, les trésors, les ornements, le linge, l'argenterie, le plomb dont les églises et les dortoirs étaient recouerts, l'étain, le cuivre, le blé, le vin, les bestiaux, les livres de la bibliothèque, les titres du chartrier et dix pièces de canon que les moines  possédaient. Le religieux resté avec le frère convers, parce qu'il n'avait pu suivre les autres, à cause de son âge et de ses infirmités, se retira pendant ce pillage dans la chapelle de la Vierge où il resta caché trois jours et trois nuits sans prendre de nourriture. Un Calviniste l'ayant découvert le troisième jour lui fut plusieurs questions auxquelles il ne put répondre, tant les événements qui venaient de se passer autour de lui l'avaient troublé. N'en pouvant avoir raison, il lui déchargea un coup de cimetère sur l'épaule et allait le tuer d'un second coup, si l'un de ses compagnons ne l'en eût empêché."
Le spectacle que présentait alors l'abbaye de Jumièges se reproduisait sur tous les points de France où  la lutte était engagés entre les deux communions ; il se reproduisait en Allemange, dans les Pays-Bas, en Angleterre ; et je l'avouerai, la peinture de M. Deshayes me paraît un peu pâle à côté de l'admirable description faite par Walter Scott dans son roman de l'Abbé de la profanation d'un temps catholique.
Quant à la règle suivie  dans l'abbaye, elle fut successivement sévère et relâchée. Est-il besoin de dire qu'au moment où la tourmente révolutionnaire se fit sentir sur Jumièges, cette communauté célèbre n'était plus que l'ombre d'elle-même ; que les moines étaient peu nombreux et que la conduite de certains d'entre eux était un outrage aux mœurs et à la religion ; qu'ils avaient commencé de leurs propres mains la dégradation de leurs édifices, en vendant jusqu'aux plombs qui les couvraient ?  Sauf de légères exceptions, c'est l'histoire de tous les monastères.
Aujourd'hui, de cet amas de constructions superbes qui reçurent des rois dans leur enceinte, dont des princes de sang royal briguèrent jadis la direction, il ne reste plus que des ruines. La chouette siffle et le corbeau croasse au milieu des débris de ces voûtes majestueuses qui retentissaient naguères des chants pompeux des clercs. Les ronces couvrent les fûts renversés des colonnes hardies, les sculptures sont mutilées. Et bientôt peut-être, malgré les soins d'un prorpiétaire ami des arts, le voyageur demandera où fut Jumièges. C'est un motif  de plus pour que tous les Normands s'mepressent au moins de placer dans leur bibliothèque le livre de M. Deshayes.

(1) Mémoires de Saint-Simon, tome 2, page 128.
'2) Histoire de l'abbaye royale de Jumièges, un vol. in-8°, prix, 6 fr.
A Rouen, chez Frère, libraire sur le port
Legrand, libraire rue Ganterie.
Julien, libraire, Cour Martin/


Hugo s'en inspire
Voilà enfin l’œuvre majeure de Deshayes publiée, celle à laquelle on va désormais se référer, celle qui lui donne un nom si bien nombre de revues littéraires vont aussi lui attribuer les travaux de ses homonymes. Victor Hugo lui-même va s’inspirer dans les Misérables de la légende du Trou-de-Fer rapportée par Deshayes. Le grand "Totor" a fait son miel de Deshayes au point de hisser Jumièges au rang de modèle folklorique français.

Jusqu'à l'abbé Loth, on ne trouvera guère de critique à l'égard de Deshayes. Juste une remarque de Fréville de Lorme, en 1857, dans son Mémoire sur le commerce maritime de Rouen.

"Dans son Histoire de l'abbaye de Jumièges, page 67, note M. Deshayes définit le heurtage, un droit que le seigneur prélevait sur le capitaine qui avait commis la maladresse de heurter son navire contre un autre. Ceci est une grosse erreur. Le heurtage était l'impôt dû pour l'abordage ou l'échouage du navire sur la terre ou dans les eaux d'une seigneurie. "



Les tribulations d'un manuscrit
Pour le reste. Que d'éloges. Archiviste de la Seine-Inférieure, Charles de Beaurepaire en sera convaincu : Deshayes a eu entre les main un manuscrit attribué à Dom Dubusc en 1760 et disparu de la bibliothèque de Jumièges en 1790. Mais qui l’a dérobé ? Ou Deshayes l’a-t-il déniché ? On retrouvera bien plus tard ce manuscrit sur les étagères de Madame Lepel-Cointet. Au temps de Casimir Caumont, il est dit qu’il possède une Histoire manuscrite de l’abbaye de Jumièges. Alors, ce document a-t-il vraiment quitté le monastère ?

Mais il existe une copie du texte original. En 1818, elle est la propriété de De La Foye, ancien avocat au Parlement de Rouen. Qui va la prêter au Comte de Kergariou, de la commission des Antiquités. Elle finira à la Bibliothèque nationale. Un temps, l'abbé Cochet envisagera de publier ce document. C’est finalement l’abbé Loth qui s'en charge. Le premier tome paraît en 1882 et la comparaison entre les deux ouvrages est édifiante.



Un plagiat presque parfait
Dès le début de son livre, Deshayes nous dit que saint Philibert « était fils de Filibaud, premier magistrat de Vic, qui depuis en fut évêque. » 
Manuscrit Loth : « il était fils unique de Filibaud, premier magistrat de Vic dont il fut depuis évêque… »

Le ton est donné. Les similitudes ne nous quitteront plus jusqu’à la fin des deux ouvrages. Un autre exemple au hasard ? 

Deshayes : « On commença le XVIIe siècle par une assemblée capitulaire où D. Adrien Langlois, alors prieur claustral, s’éleva avec beaucoup de force et de liberté, quoiqu’avec prudence, contre les abus qui s’étaient introduits dans le monastère pendant les troubles et s’étendit sur la nécessité d’y remédier par de sages règlements. » 

Loth : « On commença le XVIIe siècle à Jumièges par une assemblée capitulaire ou le R.P. Dom Adrien Langlois, prieur claustral, exposa, avec une grande liberté, quoiqu’avec beaucoup de sagesse et de prudence, les abus qui s’étoient introduits dans le monastère pendant les troubles et la nécessité dont ils étoient d’y remédier par des règlements salutaires. »

Bref, copie presque parfaite. Édulcorée. Après tout, pourquoi pas. Le problème, c’est que Deshayes ne cite pas clairement sa source, laissant entendre qu’il a puisé à plusieurs fontaines, à « des manuscrits, dit-il, échappés aux Omar de 1793. »

Des critiques injustes
Loth se montrera sévère envers Deshayes : « il aurait dû dire, pour être tout à fait sincère, qu’il n’a puisé que dans ce seul manuscrit dont il a reproduit, mot à mot des pages entières, des chapitres entiers, se contentant seulement d’abréger quelques développements et de modifier certaines expressions (…) Monsieur Deshayes a intercalé quelquefois des réflexions de son cru, et certes elles n’ajoutent pas à la valeur de son livre. C’est précisément parce que M. Deshayes a reproduit imparfaitement le travail de notre bénédictin qu’il était nécessaire de faire connaître ce travail dans sa forme première et intégrale. (…) Les lecteurs sérieux devront recourir à la source trop souvent altérée par le compilateur du XIXe siècle qui a glissé au milieu des pages de l’honnête bénédictin le venin de son scepticisme. »

Le venin de son scepticisme... Diable ! l’homme d’église est bien impitoyable envers son prochain, je veux dire son devancier. Car il fait fi de l’impact salutaire qu’eut cette version condensée du manuscrit, de toute la description contemporaine que fit Deshayes de la presqu’île gémétique. Une véritable enquête ethnologique. Deshayes n’est pas le plagieur que l’on nous dépeint ici. Il ne s’est pas contenté de compiler au chaud d'un cabinet d'écriture. Il témoigne de la destruction, s’insurge contre le pillage, fouille aux côtés de Caumont, en un mot voue sa vie à ces ruines. On imagine la réaction de Charles Antoine si de tels arguments lui avaient été opposés de son vivant…


Pour l'anecdote, notons que Deshayes évoque dans on ouvrage la personnalité de son oncle paternel, témoin à son mariage et mort à Yainville en 1826 :
"On a poussé l'extravagance au point de brûler jusqu'aux titres qui constataient des droits que les habitants avaient dans la forêt et dont ils sont maintenant privés. M. Lesain, décédé récemment maire d'Yainville, a eu le bon esprit de sauver des mains des incendiaires ceux concernant sa commune, et ses administrés lui doivent l'obligation d'en recueillir les avantages."

Il habite de palais abbatial


En 1830, Charles-Antoine Deshayes, loue et occupe l'ancien palais abbatial, propriété de la veuve Œillard, d'Yvetot, en compagnie de Mlle Thomas qui, annonce le Journal de Rouen rétrocéderaient volontiers leur bail pour le jour de la Saint-Michel prochaine. Ainsi est décrit l'édifice : "vaste et belle maison située à Jumièges, contre l'ancienne abbaye, dite Maison de l'Abbé, avec pavillons, remises, écurie, cour d'honneur jardins et masures ; le tout entouré de murs et contenant environ 4 acres ou 2 hectares 26 ares, 84 centiares. La récolte en fruits y est abondante, tous les murs étant garnis d'espaliers et la cour fort bien plantée. Cette propriété peut convenir à tout espèce d'établissement, étant à demi-côte, à proximité de la grande route, dite d'En-Bas, de Rouen au Havre et dans le plus beau site possible, ayant vue sur la rivière de Seine et sur toutes les communes environnantes."
Pour la visiter, on doit s'adresser sur les lieux à Melle Thomas ou au sieur Baron, le jardinier. Et pour en traiter à Mme Veuve Œillard, propriétaire, demeurant rue du Calvaire, à Yvetot.


Emprisonné pour diffamation
Le 14 octobre 1830, Deshayes se réjouit sans doute la nomination de Caumont, son protecteur, dans les fonctions de maire de Jumièges.

Le 15 mars 1831, Charles Antoine fait imprimer à Rouen, chez Bloquel, un libelle intitulé : Observations que Deshayes croit devoir rendre publiques. Morceaux choisis :

« Me Queval, greffier de la justice-de-paix de Duclair, a vendu le mobilier de ma mère, en adjugeant à son profit des honoraires surtaxés. Ma mère était interdite et Me Queval s’est entendu, pour cette opération, avec son curateur. Ma mère meurt, et Me Queval conserve indûment, pendant plusieurs années, des fonds dont partie m’appartient. » Quelque 6.000 F. Du coup, Charles Antoine finit par porter plainte. 

Mais Queval bétonne son affaire. Les rapports entre les deux hommes s’enveniment. « Il s’est permis publiquement, se plaint Deshayes, de m’adresser quelques railleries de sa façon. Entre trente-six sottises qu’il m’a débitées, je me rappelle encore celles suivantes : d’abord que je faisais le métier de dénonciateur et que j’étais un galopin ; ensuite qu’il me donnerait bien une claque ! Pauvre Me Queval, il devait savoir que s’il eût fait un geste, je la lui aurais prêtée… » 

Pour obtenir le procès-verbal des ventes effectuées par Queval, Deshayes harcelle alors par courrier le receveur de l’enregistrement à Duclair, un certain Prost. Qui, excédé, finit par lui répondre :




Duclair, 4 mars 1831,


J’ai reçu, Monsieur, votre impertinente lettre du 28 février, je ne perdrai pas mon temps à discourir longuement avec vous et à répondre à tout ce que votre lettre contient d’inepte et de ridicule. Je me borne à vous prévenir d’une seule chose, si vous l’ignorez, c’est que je ne suis pas doué d’un caractère à supporter trois fois impunément la réception de lettres semblables à votre dernière et je me verrais forcé, quoiqu’à regret, de vous mettre tant soit peu brutalement mon pied dans le derrière à la première rencontre. Comme j’aime à m’acquitter de mes dettes, je me trouverais même dans la pénible obligation, si cette rencontre tardait trop, d’aller vous gifler à domicile.

                             

 Deshayes n’est pas dupe. Prost et Queval sont cul et chemise. Les menaces ? « Je tâcherai d’en éviter les suites. Qui croirait que un homme lettré, auteur (M. Prost est auteur anonyme de plusieurs libelles tant en vers qu’en prose qui ont été livrés à l’impression) et de plus gradé dans la garde nationale de son pays aurait pu écrire une lettre aussi ridicule que celle que je viens de transcrire. Des coups de pied et des gifles ; et il porte épée ! Elle conservera longtemps sa virginité dans ses mains. Il ne me sert que de la plume pour… En un mot, c’est un Canard de Duclair ! Ils ont de réputation ailleurs que dans leur pays. On peut comparer M. Prost au capitan de l’ancienne comédie.»

Le 9 septembre 1831, Deshayes "vivant de son revenu, demeurant à Jumièges", est condamné à 10 jours de prison pour voie de fait et 16 F d'amende.

Le 29 mars 1832, Deshayes, "se disant homme de lettres", écope de huit jours de prison, 50F d'amende et 300F de dommages et intérêts. Par arrêt de la Cour d'Assises de Rouen du 25 mai suivant, Deshayes est condamné à huit jours de prison et 200 F de dommages-intérêt envers Me Queval, greffier de la justice de paix de Duclair, pour délit de diffamation. Deshayes eut beau fomuler un pourvoi en cassation, sa demande fut rejetée par la section criminelle.

Le procès fut manifestement mouvementé. En témoigne un cette lettre du 31 mai émanant de Claude-François Petit, l'ancien maire de Duclair établi à Boscherville :

"Le 25 de ce mois, je figurais comme témoin à décharge dans une plainte en diffamation portée devant la cour d'assises de Rouen par le sieur Queval, greffier de la justive de paix de Duclair contre le sieur Deshayes, ancien notaire, lorsque le sieur Queval, blessé sans doute par ma déposition, s'est permis d'articuler contre moi l'imputation la plus outrageante. Il a osé dire, pour infirmer mon témoignage, que dans un procès soutenu par moi, il y a sept ou huit ans, devant la cour royale de Rouen au sujet d'un testament en ma faveur, mon appel avait été rejeté par un arrêt flérissant, fondé sur une altération d'écriture. Pour toute réponse à pareille calomnie, je transcris ici les motifs de cet arrêt, ils suffiront pour faire apprécier la bonne foi du sieur Queval. L'arrêt de la cour me repose, ainsi qu'on va le voir, que sur un vice de forme :

1er chef : La cour faisant droit sur l'appel de Petit, considérant qu'il n'existe aucune fraude ni suscpicion dans les actes cités, le décharge des condamnations prononcées contre lui. Quant au deuxième chef, attendu que le bon pour n'est pas en toutes lettres, met l'appel au néant, etc."


En 1832, Deshayes a droit à une note de bas de page dans les précis analytiques de l'Académie de Rouen :  "M. C.-A. Deshayes a publié une histoire complète de cette abbaye, avec figures. Nous croyons pouvoir signaler cet ouvrage comme intéressant sous beaucoup de rapports."

Été 1833. Un couple d’écrivains anglais accomplit un voyage en Normandie. Descendus dans une auberge, face à l’abbaye, Thomas et Frances Follope y rencontrent Charles-Antoine Deshayes. Sur le mur, une affiche informe le visiteur qu’un ouvrage est disponible sur l’histoire de Jumièges. Ils en demandent un exemplaire que Deshayes va chercher dans la petite pièce qui lui sert d’habitation. Après s’être restaurés, les Follope visitent les ruines, le livre en main. 

22 octobre 1834, le baron Taylor nous fait l’honneur de sa visite. On ouvre les tombes de deux abbés. Signent le procès-verbal : Caumont, Achille Deville, le baron Taylor et Charles-Antoine Deshayes.
Qui est ce Déville ? Né à Paris en 1789, ancien fermier général, il est arrivé à Rouen en 1825 comme receveur des contributions directes. On le retrouve immédiatement dans la société libre d'émulation, la société d'encouragement. Le 10 décembre, le musée des Antiquités de Rouen a ouvert ses portes. Le 19, le baron Dupont-Delaporte, préfet, le nomme conservateur et lui adjoint Langlois pour "l'aider dans la régie et l'administration du musée."

Le 14 novembre 1840, Deshayes vend à Louis Cauvin, menuisier à Jumièges, la propriété appelée la Petite Ferme, à Anneville, laissée par sa défunte épouse. Un an plus tard, par acte notarié, ses filles se désistent de leur droit d'hypothèque légale contre lui. Elles demeurent alors à Rouen, au 14 rue de la Cigogne, chez leur oncle maternel, Philippe Eugène Thomas, l'avocat, l'érudit...

Deshayes, quant à lui, est l'un des deux locataires de l'auberge Savalle. Il y a là Paul Auguste Meunier, 69 ans, pensionné de l'Etat, décoré de la Légion d'Honneur, natif du Havre veuf d'Angélique Levacher. Il n'a plus qu'un an à vivre. Que diable fait-il là !

La tante à héritage
Le 23 juillet 1842, à Duclair, la tante de Deshayes, veuve de François Lesain, s'éteint à 68 ans. Deux jours plus tard, le curé Auger procède à l'inhumation en présence de Nicolas Aubert, propriétaire à Duclair.

Marie-Anne Deshayes laisse à son neveu un joli petit pactole. Elle a pourtant 24 héritiers. L'ancien notaire de va pas profiter de cette manne.
Le 12 août 1842, par devant Maître Bicheray, Deshayes procède à la donation-partage de ses biens en faveur de ses filles. Pauline a 22 ans, Cécile 22. Toutes deux vivent toujours chez  leur oncle
Thomas. Bicheray note qu'elles vivent de leur revenu. Que met Deshayes dans leurs trousseau ?

D'abord la coquette somme de 24.000F. Ce qui représenterait de nos jours environ 60.000€. L'argent vient de la tante Marie-Anne.
Une ferme située à Epinay d'environ 25 hectares et que la veuve Lesain avait acquise en 1840.
Une pièce de terre d'un peu plus trois hectares sise au même lieu et acquise par la veuve devant maître Durand le 5 avril 1828.
Deux masures et deux maisons avec bâtiments et terres de labour situés à Anneville, toujours acquises par la même le 19 juillet 1811 de Martin Modeste Deshayes. Sans doute un frère de la défunte.
Une prairie de 90 ares, également à Anneville, et que la veuve Lesain avaient acquise de Charles Antoine lui-même le 28 octobre 1824 devant Durand.
Un peu plus de 7 hectares de marais et prairies, le tout en six pièces, toujours à Anneville, que la veuve Lesain tenait de son père.
Une ferme sise à Hauville acquises par la veuve des héritiers de son mari. devant Durand le 9 juillet 1823.
La moitié d'une petite ferme située à Heurteauville avec verger, bâtiments, terres de labour et prairies acquise aux termes du même contrat.
Près de 80 ares de terre à Hauville acquises par la même de la veuve Bailly selon un contrat passé devant Durand le 31 octobre 1823.
Trois hectares au même lieu acquis devant le tribunal de Pont-Audemer 11 juillet 1822.
Trois hectares en deux pièces, toujours à Hauville, triage de la Couture, acquis devant Durand le 27 avril 1830.
Enfin un hectare, encore à Hauville.

On ne voit dans cette donation aucune fortune personnelle émanant de Deshayes. Il ne fait que retransmettre, sans y toucher, l'héritage de sa tante à ses filles. En contrepartie, il obtint d'elles une rente viagère de 600 F.
Le contrat fut passé à Saint-Martin-de-Boscherville, en l'auberge d'Edouard Duval, témoin requis et de... Frédéric Leboucher, propriétaire, notaire honoraire, demeurant au 22 de la rue de la Cigogne à Rouen. Frédéric Leboucher ! C'est l'homme qui a succédé à Deshayes de 1826 à 1833. Il demeure rue de la Cigogne, la rue où vivent les filles Deshayes et leur oncle maternel. Le monde est petit.

Deshayes signa l'acte d'un paraphe réduit à la plus simple expression. La signature ampoulée du jeune notaire a perdu son panache avec les années...


Son aînée se marie

Le 15 février 1844, avant midi, Reine Pauline Deshayes prend pour époux, dans la mairie de Rouen, Jean Baptiste Marie Langlois, maître de pension, demeurant au 2 rue de La Perle. L'homme est un enfant naturel né de Suzanne Jacqueline Langlois, le 26 février 1809 à Littry, arrondissement de Bayeux. Deshayes n'assiste pas au mariage. Il a donné son consentement devant maître de Bicheray le 25 janvier précédent. Les témoins ? Jacques Frédéric Leboucher, 46 ans, notre notaire honoraire, Nicolas Louis Mainot, 47 ans, propriétaire, 86 route de Darnétal, Alphone Thomas, 47 ans, commis de négociant, 112 rue Saint-Martin à Paris et enfin Philippe Eugène Thomas, avocat, 42 ans, l'oncle des filles Deshayes demeurant avec elles au 14 de la rue de la Cigogne.

(Archives municipales de Rouen, relevé: Jean-Pierre Hervieux)


Mort à Jumièges

Un mois après ce mariage, le 14 avril 1844, à onze heures du matin, Deshayes succombe dans sa chambre, à l'auberge Savalle. Il avait 57 ans. A une heure de l'après-midi, Chantin, officier de l'état-civil, recueillit la déclaration réglementaire des deux témoins, "voisins et amis du défunt". Il s'agit d'Adolphe Savalle, 34 ans, son logeur, et de Jacques Désiré Modeste Philippe, instituteur communal. Sur son acte de décès, Deshayes est dit rentier et ex-notaire de Jumièges.
 
On ne lira dans toutes les revues des sociétés savantes de Haute-Normandie nulle nécrologie pour cet homme abondamment cité des années plus tôt. Longtemps, nous avons eu la conviction que Deshayes avait laissé derrière lui un petit trésor de guerre. Des notes, des documents, des objets... A titre d'exemple, il se disait possesseur d'actes établissant que des trésors littéraires de ce monastère furent livrés au gouvernement par ignorance. Eh bien ce trésor de guerre, il existait. Jean-Pierre Hervieux l'a retrouvé aux archives départementales.

Le 15 avril 1844, Louis Félix Sanson, suppléant du juge de Paix du canton de Duclair vint poser les scellés dans la chambre occupée par Deshayes.


L'inventaire après décès
D'après des documents numérisés aux AD 76 par Jean-Pierre Hervieux

Le jeudi 13 juin 1844, à 10 h du matin, Maître Bicheray se rend à l'auberge Savalle. Les deux filles de Deshayes sont là pour assister à l'inventaire des biens de leur père.
Reine Pauline Deshayes, épouse Langlois, demeure à présent au 2 de la rue de la Perle, à Rouen. Elle a aujourd'hui 26 ans. Cette adresse est aussi celle de Charles de Stabenrath, membre de l'académie royale de Rouen.

Sa cadette, Cécile Amélie, 24 ans, est encore célibataire. Et vit toujours chez son oncle, rue de la Cigogne. Deux pas les séparent. La rue de la Cigogne tenait à la rue de la Perle et aboutissait rue de la Seille. Nous sommes dans le quartier du collège royal, aujourd'hui lycée Corneille.
Rue de la Cigogne, "vieille rue sombre" comme l'écria Maurice Leblanc, se trouvait une maison close fréquentée à cette époque par Flaubert et ses amis.
Au 4 se trouvait aussi un couvent. Bref, le pire côtoyait le meilleur. La maison habitée par Cécile comportait les numéros 12, 14 et 16 et était surmontée d'une cigogne en plomb à qui la rue devait son nom. Cette effigie était symbole de bonheur. Au n° 3 vivait Delalonde du Thil, gros propriétaire rural, au n° 6 l'architecte Derlyn, au 8 le vicomte Langlois d'Estaintot, avocat, membre de la commission des prisons mais aussi Hubert, conseiller honoraire à la cour royale de Rouen, au 12, un certain Morin qui écrira "De l'amélioration du sort de la Classe ouvrière. Du beau linge. Mais il y a plus étonnant. En 1855, on retrouve au 14, rue de la Cigogne, là où habitaient Thomas et les soeurs Deshayes, Théodore Bachelet, professeur agrégé d'histoire au Lycée et à l'Ecole supérieure des sciences, auteur de nombreux ouvrages. Il a alors 35 ans. Mais revenons à Jumièges...

A l'auberge Savalle, il y a aussi Adrien Despeaux, juge de Paix du canton de Duclair assisté d'Amable Delaunay, son greffier. Adolphe Savalle assistera lui aussi à l'inventaire. Il promet de tout montrer et sera constitué gardien des scellés. On compte encore Louis Cauvin, menuisier et Jacques Philippe Herpin, cafetier. Eux, ils sont requis en qualité de témoins instrumentaires.

Bicheray inventorie d'abord les objets en évidence dans la pièce unique qu'occupait Deshayes. Le lit de bois peint et sa paillasse en toile grise, un matelas couvert de toile de coton, deux couvertures le laine blanche, une contrepointe en toile, un damier, un traversin rempli de plumes. Le tout fut prisé 14,50F.

On découvrit ensuite une table de nuit, la mauvaise paire de brodequins que chaussait Deshayes, la petite table sur laquelle il écrivait. Et surtout une armoire en bois de chêne surmontée d'un fût de bibliothèque. Bicheray estima tout cela à 6,50F.

Le notaire examina ensuite les vêtements de son prédécesseur: un habit en drap bleu, deux redingotes, deux gilets, deux pantalons, le tout en très mauvais état. 2,75F.

On trouve encore dans la pièce deux crochets de bottes, deux petites brosses. La décoration ? deux petites gravures, une mauvaise plaque en cuivre, un portrait de famille. Enfin sont pendus les deux mauvais chapeaux. 3F.

Le juge de paix examina alors les scellés posés sur la bibliothèque. Ils étaient intacts. Delaunay tendit la clef et l'on ouvrit les deux battants. Bicheray estima à approximativement au nimbre de 570 les livres brochés ou cartonnés qui s'offraient à sa vue. Toute la culture de Deshayes. Pour 26,70F.

 Les scellés de la commode, prisée 3F, étaient intacts. On procéda à l'ouverture des trois tiroirs. C'est là que Deshayes rangeait son linge. Un tricot, une paire de bamboches, deux chemises en toile, trois autres en calicot, le tout prisé 5,50F.

Voici deux gilets de piqué blanc, deux paires de bas en coton, une taie d'oreiller en mauvais drap de toile, un caleçon en toile de coton, trois mouchoirs de poche, un calicot blanc, une paire de bas de laine. Le tout prisé 3,25F.

Voici encore cinq paires de bas en coton, un gilet, un lot de chiffons qui ne méritent même pas description. Le tout prisé 1,25F.

Pour manger à l'auberge, Deshayes avait un couvert d'argent et une timbale. Bicheray prit le soin de la peser: 290g. Tout cela fut prisé 58F. Deux fois le prix des 600 livres !

Il y avait aussi dans la chambre une grande malle en bois couverte de peau. Elle valait 1F. Scellés intacts. On l'ouvrit. Voici la canne de Deshayes. Une canne en bois de jonc. Voici aussi sa flûte en buis. Valeur : 2F. On trouva aussi des liasses de papiers dans la malle. Le notaire se proposa de les examiner le lendemain, à  9h du matin.

Ainsi fut clos l'inventaire. Savalle fit le serment qu'il n'avait rien détourné. Avec le consentement des filles Deshayes, il a simplement loué du linge de corps tels que chemises, draps, mouchoirs de poche en petite quantité et en mauvais état. Quelle idée !... C'est la dame Jean-Baptiste Herpin qui a emporté ces articles. Elle devra les présenter pour qu'estimation en soit faite.

Les filles Deshayes déclarèrent ne rien rien savoir de l'actif ni du passif de la succession.
Savalle va aussitôt les éclairer. On lui doit 1.500F en nourriture et loyer selon un mémoire terminé le 1er novembre 1842. On lui doit encore 135F pour les mêmes motifs mais aussi frais de garde et autres dépenses depuis le 12 février jusqu'au jour du décès. Savalle accepte la garde des objets. Il est déjà 7h du soir quand tout le monde signe le procès-verbal.

Le lendemain vendredi, à l'heure dite, la dame Herpin vint montrer les objets empruntés: six draps, cinq taies d'oreiller, cinq chemises, un caleçon, une nappe, six mouchoirs de poche. Le tout fut prisé 50F. Une somme...

Bicheray procéda ensuite à l'examen des papiers, la plupart insignifiants, estima-t-il. Il accorda cependant de l'importance à quelques pièces. Un mandat de 80F tiré par le défunt sur un sieur Gauchi. Un bon de 7,19F souscrit au profit du défunt par un certain Beaudouin pour solde de frais de contrat de mariage du 28 novembre 1822. "Ces deux créances paraissent être d'un recouvrement très douteux", note Bicheray.

Le notaire examina ensuite une liasse de 22 pièces composées d'obligations éteintes, quittances et autres à la décharge de la succession.

Bicheray trouva encore une liasse de dix feuilles de papier : actes d'état-civil, notes généalogiques et renseignements de famille. Le notaire en confia la garde à la fille aînée de Deshayes. Les héritères avouèrent enfin devoir la pension de rente viagère due à leur père depuis le 12 février.

Herpin et Cauvin ajoutèrent leur signature à celle des filles Deshayes et du notaire.



Ses maigres biens aux enchères...
Les filles Deshayes décidèrent de mettre en vente les objets conservés par leur père. Et de se partager les profits. Le 13 juin 1844, le mari de l'aînée signa un pouvoir en ce sens. Ce texte, il allait être enregistré à Duclair, le 24 juin 1844, au bureau des déclarations préalables aux ventes immobilières. Il en coûta 2 F et 20 centimes

Le lendemain, 25 juin 1844, Maître Louis Armand Bicheray, notaire à Jumièges, se rend lui aussi au bureau de Duclair. Et tend à Mercier le texte d'un placard rédigé par ses soins :

On fait savoir que samedi prochain, 29 de ce mois, à midi, à Jumièges, au domicile de M. Adolphe Savalle, aubergiste, lieu ou demeurait et où est décédé Monsieur Charles Antoine Deshayes, ancien notaire à Jumièges.

Me Bicheray, notaire à Jumièges, procèdera par suite d'inventaire à la vente publique du mobilier resté après le décès de Monsieur Deshayes et consistant en: linges et habillement à l'usage du défunt, linge de ménage, table de nuit, une petite table, couche et couchure, une commode, une armoire, une malle, argenterie, ouvrages de littérature et autres livres...


Voilà donc tout le bien de Charles Antoine. Quelques meubles, quelques frusques. Mais des livres ! Beaucoup de livres. Et des beaux !


La bibliothèque d'un érudit
Dis moi ce que tu lis...

Le placard de Bicheray fut bien affiché aux lieux accoutumés. Et nous voilà à l'auberge Savalle, ce samedi 29 juin 1844. Midi sonne au clocher de Saint-Valentin. Deux témoins instrumentaires assistent le notaire: Simon Dossier, rentier, et Jean-Jacques Vivier, peintre et vitrier. Deux figures de Jumièges. Attention ! Sitôt une enchère remportée, vous devrez payer comptant en or ou argent. Sinon les objets seront immédiatement remis en vente. Vous êtes prêts ?

Après avoir lu les conditions de la vente, Bicheray présente le premier lot :

1 Nouveau dictionnaire d'histoire appliquée aux arts, à l'agriculture, à l'économie rurale et domestique, à la médecine. C'est la nouvelle édition avec figures. 36 volumes brochés in-octavo. Un homme lève la main. Il sera le dernier. On se retourne. C'est le propre beau-frère du défunt, Eugène Philippe Thomas, qui donne aussitôt 23 francs. Maître Thomas, avocat, chez qui vit la fille cadette de Deshayes, va délacer souvent les cordons de sa bourse. Son argent reviendra à sa protégée. Et lui aura de bien beaux objets. Reste à savoir ce qu'ils sont devenus...

2 Essai sur les invasions maritimes des Normands dans les Gaules. Un ouvrage en un volume broché neuf de Jean-Baptiste Capefigue. Le lot comporte encore :
Résumé de l'histoire de Normandie. Par Louis Dubois, un volume in-12. Encore une fois, c'est Thomas qui emporte la chose pour 20F.

3 Œuvres de Jean-Jacques Rousseau. Vingt volumes ! Vingt volumes in-octavo avec notes historiques agrémentées d'un appendice des Confessions. Une somme signée Musset-Pathay. Cette fois, c'est Caumont qui sort 20F de son gilet. Oui, Casimir Caumont, le propriétaire de l'abbaye, un temps maire, de Jumièges, l'ami de Deshayes.

4 Chroniques neustriennes. Ou Précis de l'histoire de Normandie depuis le IXe siècle jusqu'à nos jours, par Marie Dumesnil, un volume in-octavo.
Essais de Noël sur le département de la Seine-Inférieure. Deux volumes brochés. Ils sont adjugés 3,50 F à Thomas. Deshayes y fait plusieurs fois référence, à la fois dans La terre gémétique mais encore dans L'histoire de l'abbaye.

5 Les mémoires des Antiquaires de Normandie. Quatre volumes in-octavo dont s'empare Caumont pour 6,25F. Etonnant de trouver si peu de volumes de cette société à laquelle appartenait Deshayes. Sans doute possédait-il les tomes où il est cité.

6 Histoire de l'abbaye de Jumièges. Un volume. Deshayes ne conservait donc qu'un seul exemplaire de son ouvrage. Ce qui indique qu'il avait vendu l'intégralité de ceux dont il disposait. Aujourd'hui, l'édition originale se monnaye dans les 250€ et j'en possède un exemplaire. La réédition de Monfort, datée, de 1980 atteint les 20€
Robert Le Diable.
Un volume in-18. Sans doute la version de Trébutien parue en 1837. J'en possède un exemplaire.
Jumièges.
Guttinguer. C'est le recueil de poèmes d'Ulrich Guttinguer que Deshayes à dû rencontrer. J'en possède également un exemplaire original.
Grammaire hollandaise
. Un volume. Tiens, Deshayes s'intéressait à cette langue ?
Le tout alla à Marais fils, pharmacien à Duclair pour 6,75F.

7 Etat historique en abrégé des paroisses de Bardouville, d'Ambourville, de Berville, d'Anneville, d'Yville (et de la haute justice de la baronnie de Mauny). Rarissime ! Cet ouvrage de 39 pages date de 1717.
Histoire des troubles causés par M. Arnauld après sa mort. Un vol., c'est un ouvrage du Père de Cerceau publié en 1696. Pour 2,50F, Thomas s'en rend propriétaire.

8 Précis de l'histoire de Rouen. Par Théodore Licquet, un vol. in-12.
Essai de Saint-Wandrille. C'est l'ouvrage de Langlois paru en 1827. Savalle, l'aubergiste, lève la main. Charron de métier, il s'intéresse donc aux belles lettres. Il met 6,25F.

9 Buffon. C'est l'édition Didon aîné, format in-18 dont voici le détail.
Quadrupèdes : 11 vol. ; Poissons : 16 vol. ; Oiseaux : 18 vol. ; Matières générales : 24 vol..
Pour 19F, Beauvet, ancien notaire demeurant à Jumièges en fait l'acquisition. Il s'agit de Jean Pierre Valentin Beauvet qui sera maire de 1848 à 1851.

9 bis Ovirares et Serpents. D'Etienne de Lacépède, quatre vol. trouvent encore preneurs en la personne de Beauvet pour 2,25F.

10 Buffon. Insectes, neuf vol. in-18 cartonnés. Beauvet complète sa collection pour 8F.

10 bis Cours de littérature, de Jean-François Laharpe. Seize vol. in-18. Beauvet encore l'emporte pour 4,75F.

11 Bernardin de Saint-Pierre. 19 vol.. Thomas y met 7,50F.

12 Chateaubriant, Génie du christianisme. Neuf vol. in-18 brochés qui resteront à l'auberge. Savalle se fend de 4,50F.

13 Dumoustier, Lettre à Emilie sur la mythologie, dix vol. in-18 et Tablettes mythologiques, un vol. in-18. Caumont sort 6,50F.

14 & 15 Lettres de Ninon de Lenclos, deux vol. in-18. Pascal, Les provinciales, deux vol. in-18. Toujours Caumont. 1,50F.

16 Delille, L'imagination, deux vol. in-18. Le paradis perdu, deux vol. in-18. Beauvet tend 1,50F.

17 Traduction de L'Eneïde, de Virgile, quatre vol. et Les bucoliques, du même, un vol. in-12. Caumont s'en acquitte pour 4F.

18 Delille, Les trois règnes, deux vol. in-18. La conversation, Poésies fugitives et Œuvres posthumes, trois vol. in-18, le tout adjugé 2,75 à Beauvet.

19 Piis, Œuvres choisies, quatre vol. in-octavo. Le domestique de Caumont, Jean-Baptiste Elliot, lève la main. Il lui en coûtera 2,25F.

20 Voltaire, Théâtre, douze vol. in-18. Monsieur Caumont ? Non ? Eh bien ce sera Monsieur Thomas pour 5F.

21 Voltaire, Dictionnaire philosophique, 14 vol. in-18.
Ah ! c'est le trublion de Jumièges qui se manifeste: Alexandre Lhonnorey. Un homme qui a tâté de la prison pour ses idées et finira élu d'Heurteauville. 3,50F. Une affaire...

22 Voltaire, Essais sur les moeurs, huit vol. in-18, 1F pour Lhonnorey.

23 Œuvres de Molière, huit vol. in-18, 1,50F pour Lhonnorey.

24 Voltaire, Franciade, Contes et Epîtres, quatre vol. in-18. 1F pour Thomas.

25 L'Iliade, Homère, traduction par Bitaubé, deux vol. in-octavo. Caumont s'allège de 2F.

26 & 27  Théâtre de second ordre (comédies), quinze vol., Tragédies, cinq vol. Caumont en aura pour 4F. Ces livres font sans doute partie du Répertoire du théâtre français paru en 1819.

28 & 37 Jean-Jacques Rousseau, Nouvelle Héloïse, et Confessions, en huit vol. in-18, Œuvres de Parny, trois vol. in-18. 50 centimes pour Thomas.

29 Œuvres de Regnard, cinq vol. in-18. Eliot y consacre 1,25F.

30 & 31 Œuvres choisies de Piron, deux vol. in-18 et Commentaires sur Corneille, par Voltaire, quatre vol. in-octavo. Thomas investit 1F.

31 bis & 32 Esprit des lois, Montesquieu, cinq vol. in-octavo et L'histoire de la Russie, deux vol. in-18. L'aubergiste Savalle est intéressé contre 1,75F.

33 & 69 Numa Pompilius, deux vol. in-18, Théâtre, de Florian, trois vol., Œuvres diverses, trois vol., Galathée, un vol. in-18. Lhonnorey pousse jusqu'à... 2F.

34 Œuvres de Boileau, trois vol. in-18. Caumont nous gratifie de 1,75F.

34 bis Lettre à Sophie sur la physique, Martin, quatre vol. in-18. Thomas remet 2F.

35 Mémoires de Beaumarchais, quatre vol. in-18. Alexandre Lepage, de Jumièges, intervient:  1,75F.

36, 39 et 46. Contes moraux par Marmontel, cinq vol., in-18, Voyage de la Russie, cinq vol. in-18, Le compère Mathieu, quatre vol., 2F au sieur Savalle.

38. Œuvres diverses de La Fontaine, trois vol. adjugés 75 centimes à Thomas.

40. La Chine en miniatures,  quatre vol. in-18. 2F au même

41 Histoire des Ottomans, six vol. in-18, 5F à Caumont.

42 et 43 Poésies de Madame et Mademoiselle Deshoulières deux vol. in-18 Mémoires d’un homme de qualité, trois vol. in-18. 1,25F à M. Philippe, instituteur à Jumièges. Le témoin de la mort de Deshayes ! Jacques Désiré Modeste Philippe sera emporté jeune par une tuberculose. Laissant le souvenir d'un enseignant estimé. Sever Boutard, maire de Jumièges, l'évoque avec respect dans ses mémoires.


44 et 45 
Œuvres choisies de Lemierre, deux vol. in-18, L’ogre de Corse, deux vol. in-18, 75 centimes à Lhonnorey. Ce dernier ouvrage de Rougemaître traite de Napoléon.

46, 48 et 49. Œuvres de Crébillon, deux vol. in-18, Œuvres choisies de Ledainel, trois vol. in-18, Héloïse et Abailard, deux vol. in-18. 1F à Thomas.

50 Œuvres de Racine, quatre vol. in-18, reliés, 1F à Caumont.

51 Demonstiers, Théâtre, et Cours de morale, deux vol. in-18 reliés, 2F au même.

51 bis. Œuvres de Colardeau, deux vol. in-18, reliés, édition Cazion, 3F à Thomas

52 Pierre Corneille, Théâtre, cinq vol. in-12, 3F au même.

53, 53 bis, 54, 55 & 56. L’hermite de la chaussée d’Antin (Etienne de Jouy) et Le Franc parleur (dito), quatre vol. in-octabo, L’hermite et la Guyanne, trois vol. in-octabo, L’hermite en province, dix vol. dito brochés, L’hermite en prison et, dito, en Liberté, cinq vol. in-ocvao, L’hermite de Londres, sept vol. dito, le tout adjugé par 25 F à Beauvet.

57 La gastronomie, un vol., Poésie D’Affian, un vol., L'Aminte, traduction, un vol. et Poésies choisies de C. Mortot un dito, le tout adjugé 3,60F à Thomas.

58. Les plantes, un vol., Charlemagne, un dito, Poésies de Vigée, un vol., Poésies de Lafare et Chaulieu, un dito, le tout 1F au même.

59 Les ruines, de Volney, un vol., Les Odes, d’Horace, un vol., Le prince, par Machiavel, un dito et Le génie de l’homme (Chênedollé), un vol.. 1,50F à Caumont.

60 Ouvrages anglais, douze vol. divers, 4,75F à Thomas. Deshayes pratiquait-il la langue de Shakespeare ou tient-il ces ouvrages d'érudits anglais...

61 La danse, un vol., Le printemps d’un proscrit (poèmes de Michaud), un vol., L’Atlantide, un vol. et Les chevaliers de la Table ronde, un dito, le tout adjugé pour 1,25 F à M. Rouette, marchand à Duclair.

62 Œuvres du philosophe sans souci, un vol. in-octavo, Le cimetière du père Lachaise, un dito, Voyage de Paris à Rouen et Voyage de Rouen au Havre, un vol., 1,25F à Rouette.

63 Manuel de l’arpenteur, un vol., Manuel du peintre, un vol., Code de procédure civile, un dito, Le Pariseum, un vol., le tout 1F à François Delamare, de Jumièges.
5,25 cts au dit sieur Rouette.

64 Œuvres de Régnier, un vol., Histoire des révolutions de Suède, deux vol., La mort de Solan, un vol., Ode à Voltaire, un dito, 1F à Thomas.

65 Le paradis perdu (John Milton) traduit par Monneron, un vol., L’Atlantiade, poëme, un vol., Aviceptologie  française, cinquième édition, 1,50F au même. Il s'agit d'un traité de toutes les ruses pour attraper les oiseaux...

66 et 67. La grange Chomel, un vol., Legauve, un vol., La religion, un vol., La mélancolie, un dito, La confession, par Jules Janin, deux vol. in-12, Typpo - Joël -  Hector, Les templiers & Cartaxera ( ?) un vol. in-octavo, 2F à Thomas. Nous ne voyons pas à quoi Bicheray fait allusion dans cette série.

68. L’artiste et le philosophe, salon de 1824, un vol. in-octavo, Le naufrage de la Méduse, 1821, un vol. in-octavo, 1,75F à Savalle.

70-71 Jean-Baptiste Rousseau, trois vol. in-12, Les mondes par Fontenelle-Deslagues, dit Gilbert, trois vol. in-18, Cazion, 4F à Thomas. On connait Les mondes de Fontenelle. Mais je ne retrouve pas l'ouvrage ainsi libellé.

72 Description des maisons de Rouen, (Delaquérière), un vol. in-octavo, Essai sur la peinture sur verre, (Langlois) un vol. in-octavo, Histoire naturelle de Liebis, un vol. in-octavo,  Sténographie de Couen de Prépean, un dito, 9F au même.

73 Almanach des Muses, (musique), huit vol. 1,25F à Caumont.

74 Vingt-quatre brochures diverses, 1,25 à Savalle. On aimerait en connaître la nature.

75 et 76 Chansonnier des Grâces, douze vol. in-12, dito, douze autres vol. adjugés 5,25F à Rouette

77 Le magasin pittoresque, quatre années reliées en trois vol. in quarto, deux paquets de livraisons détachées, le tout adjugé 10 F à Rouette. Le magasin pittoresque a publié des articles sur Jumièges du vivant de Deshayes.

78 Journal des gourmands, L’Epicurien français & D'autre chansonniers, 25 volumes in-12, brochés, 3F pour Caumont.

79 Un lot d’ouvrages dépareillés, onze vol., in-octavo, 2,50F à Foyssard, lieutenant des Douanes à Jumièges. On aimerait connaître le contenu de ces ouvrages.

80 Un lot d’ouvrages dépareillés dix vol., 1,50F à Thomas.

81 Un idem composé de dix vol., 75 centimes à Savalle.

82 Voyage d’Anacharsis, incomplet, deux vol. in-18, L’Atlas, in-quarto, cartonné, 1,25F à Aimable Duval, d’Anneville-sur-Seine.

83. Un lot de musique tant vocale qu’instrumentale adjugé 1,25F à Beauvet.

84. Un lot de gravures, une boëte à couteaux et une boëte en ferblanc, 3F à caumont.

85. Un lot de gravures une vue de Rouen encadrée et une de Jumièges dito, adjugé par 10,50 centimes à Thomas.

86 Une flûte garnie en ivoire et argent avec le corps de rechange, 6F au même.

88 Vingt-cinq feuilles en parchemin blanc. 1F à François Delamare.

89. Brouillon de La terre gémétique adjugé 15F à M. Thomas. (Je possède l'édition originale)

90. Brouillon de Notes sur Jumièges adjugée 15F au même. Comme l'on s'en doutait, Deshayes a couché sur le papier des observations sur sa commune d'adoption. Que contenait ce brouillon ? Qu'est-il devenu ? Assurément un document intéressant...

91 La Terre gémétique, beau manuscrit avec environ cinquante dessins et vignettes par CA Deshayes, adjugé 20F au même. Après le brouillon, voici le manuscrit de son premier ouvrage avant impression. Cinquante dessins ! La Terre gémétique est parue sans illustration. Là aussi la question se pose. Que sont devenus ces croquis ? Que représentent-ils ? Nous aimerions les voir...

87 et 92. Manuscrit sur la vie et les miracles de Saint-Valentin, 6,50, F à Caumont. Enigmatique. Deshayes avait-il l'intention de publier un ouvrage sur ce sujet ? Ou s'agit-il d'un manuscrit échappé à l'abbaye. Caumont avait la réponse. Chose curieuse : l'abbé Prévost, curé de Jumièges, publia une Vie et Miracles de saint Valentin en 1860. Avait-il consulté celui de Deshayes acheté par Caumont ?

La vente atteint alors 341,75F. On est loin de 26F estimés lors de l'inventaire après décès.

Objets domestiques

93. Un couvert d’argent et un gobelet brisé à l’instant même pour éviter le poiçonnage auquel serait tenu l’adjudicataire en conservant les objets dans leur état primitif, adjugés 45F à Thomas.

94 Un lit de plumes adjugé 30F à Rouette.

95 Un matelas recouvert de coton. 25 F au sieur Thomas.

96. Un autre matelas recouvert en coton. 10,50 à Rouette.

97. Une couverture de laine blanche. 10F à Thomas.

98. Un traversin, 5F à à Rouette.

99. Une couverture, une courtepointe, un bout de toile et un bout de damier adjugés 8F à Rouette.

100 Sept draps en toile. 20F à Thomas.

101 Une bibliothèque en bois de chêne vitrée adjugée 17F au même.

102 Une couche en bois peint. 10F à Savalle.

103 Une petite commode. 10,25 à Thomas.

104 Une table de nuit, une petite table, une paire de brodequins 1,75 à Rouette.

105. Une malle et une petite boîte adjugée 3,50F à Thomas.

106 Un lot de vêtements en mauvais état. 3F à Rouette.

107 Un tricot blanc, adjugé 4,75F à M. Lepage, de Jumièges.

108. Un lot de chemises. 5F à Rouette.

109 Un lot de menus linges. 2F à Thomas.

110 Cinq mouchoirs de poche et quatre taies d’oreiller. 2,25F au même.

111 Un lot de bas et une paire de chaussons à lisière. 4F à Savalle.

112 Deux nappes, trois torchons et et un bonnet de coton. 2,25F au même.

113 Un lot de chiffons. 75 centimes au même.

Au total, la vente rapporta 629,47F. Herpin et Dossier signèrent le procès-verbal.  Ce qui fut enregistré à Duclair le 15 juillet.


Remarques
Voici donc quelles étaient les nourritures spirituelles de Deshayes. Il a la solide culture classique d'un bourgeois de province piqué de régionalisme. Deshayes s'intéresse à tout : la philosophie, la poésie, la musique, la nature... Il est aussi épicurien.

Beau-frère de Deshayes et en quelque sorte tuteur de sa fille cadette, Philippe Eugène Thomas se porte acquéreur d'une grande partie des biens. A l'exclusion de l'exemplaire de l'Histoire de l'abbaye, ses notes, ses manuscrits, ses dessins sont donc restés dans la famille. Mais aussi sa collection de gravures. Seuls ses descendants pourraient aujourd'hui nous donner une idée de leur contenu.

Toute la collection de Deshayes est-elle vraiment mise en vente. On sait qu'il entretenait une correspondance avec des érudits. Langlois, Rever. Elle n'apparaît pas ici. C'est que ses documents personnels ont été remis à la famille ? Alors, où est la frontière entre les notes de Deshayes sur Jumièges et celles de ses correspondants sur le même sujet ? On a vu aussi Deshayes souscrire par exemple à trois exemplaires de L'incendie de la cathédrale de Rouen, de Langlois. On ne les retrouve pas le jour de la vente.

Deshayes cite par ailleurs dans son œuvre des auteurs et des titres absents de cet inventaire : Pommeraye, Histoire des archevêques de Rouen,
Mabillon, Duplessis, Meyer et ses Annales de Flandres, le Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle de 1817, Gabriel Dumoulin et son Histoire générale de Normandie, Gilbert, Description historique de l'église de Saint-Ouen, A. Versailles, Nouvelle histoire de Normandie, 1814.

Deshayes vit dans une chambre d'auberge mais les meubles lui appartiennent. Et ils sont rudimentaires.
Aucun ustensile de cuisine. Deshayes doit manger à la table de l'auberge. En revanche, il vit entouré de plus de 600 ouvrages ! Dont finalement une infime proportion traite de l'histoire locale.

On est étonné des prix pratiqués le jour de la vente. Un lot de bas et une paire de chaussons partent à un prix plus élevé que les 14 volumes du dictionnaire philosophique de Voltaire !... De quoi susciter une vague de suicides chez les bibliophiles !

Une filiation intellectuelle
Les acheteurs quittèrent l'auberge. Savalle rangea les livres et objets dont il s'était rendu propriétaire. Ils lui rappelleront ce bien curieux pensionnaire.

Émile aussi s'en souviendra. Émile, c'est le fils de la maison. Il a 10 ans. Deshayes était sûrement pour lui un drôle de tonton. Il faisait partie du décor. Il racontait des choses. Le gamin va feuilleter sans aucun doute les ouvrages acquis par son père: le Saint-Wandrille de Langlois, L'histoire de Rouen, dix ouvrages dépareillés, 24 brochures diverses dont on ignore le contenu...

Et puis quand Émile Savalle aura 32 ans, il publiera Les derniers moines de l'abbaye de Jumièges, suivis d'une longue dissertation sur La légende des Énervés. Comment ne pas faire un rapprochement entre la vocation littéraire du fils de l'aubergiste et l'antiquaire mort sous son toit. Savalle a-t-il eu entre les mains des documents inédits laissés par Deshayes ? Nous avons vu que non si l'on en juge par l'inventaire de la vente aux enchères. Au moins, le souvenir du vieil érudit l'aura sûrement influencé pour l'amener à s'intéresser à l'histoire de Jumièges. Ce 14 avril 1844, à l'auberge Savalle, un écrivain s'éteignait, un autre était en devenir. Voilà qui ressemble à une filiation...


Laurent QUEVILLY.

Remerciements tout particuliers à Jean-Pierre Hervieux pour  les actes d'état-civil concernant le mariage et le décès de Deshayes et de son épouse ainsi que la naissance de ses trois filles. Mais surtout pour les inventaires après décès qui nous éclairent sur la personnalité de Deshayes.

Notes
Philippe Eugène Thomas, beau-frère de Deshayes, est ainsi décrit dans le Journal de Rouen du 3 avril 1858. M. E.P. Thomas, avocat à Rouen, juge de Paix dans la même ville en 1848 et 1849, fit une étude spéciale de la numismatique.
Ses publications:
- Notice sur le projet d'un pont suspendu vis-à-vis la rue Grand-Pont, Périaux, 1833, Rouen, in-8 de 28 p.
- Description de cinq monnaies franques trouvées dans le cimetière mérovingien d'Envermeu, Dieppe, Delavoye, 1854, in-8 de 49p.
- La maladrerie de la Madeleine, près Bernay, Rouen, Brière, 1858, in-8 de 4 p.


Le premier descendant de Charles Antoine Deshayes fut Charles Marie Langlois, né le 8 juin 1845 à 3h de l'après midi au domicile de ses parents, 23, place à Saint-Ouen, à Rouen, où ils s'étaient établis après la rue de la Perle. Les témoins de la naissance furent encore Jacques Frédéric Leboucher, notaire honoraire et Philippe Eugène Thomas, l'avocat.

(Archives municipales de Rouen, relevé: Jean-Pierre Hervieux)
Généalogie de Charles-Antoine Deshayes

Nombre d'enfants du pays trouveront peut-être ici un cousinage avec Charles-Antoine Deshayes. Pour ma part, nous avons le même ancêtre commun en la personne de Louis Deshayes.

 Génération 1

1 Charles Antoine Deshayes, né le 2 octobre 1787, Caumont, décédé le 14 avril 1844 à Jumièges (à l'âge de 56 ans), Notaire royal de Jumièges, écrivain, membre de la société des Antiquaires de Normandie. Parents: 2 et 3.



 Génération 2

2 Charles Joseph Deshayes, né le 24 février 1759, Anneville-sur-Seine. Parents: 4 et 5.

... marié le 29 novembre 1786, Anneville-sur-Seine, avec...

3 Marie Élisabeth Cécile Mauger, née le 7 mars 1753, Bardouville, décédée le 23 février 1826, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 72 ans). Parents: 6 et 7.

... dont

  1. Charles Antoine. , né le 2 octobre 1787, Caumont, décédé en 1844 (à l'âge de 57 ans)Voir 1.
  2. Jacques, né le 29 mai 1790, Caumont, baptisé le 31 mai 1790, Caumont. Parrains : Jacques Louis Félicité de Colombel (1785-1865) et Marie Anne Deshayes, d'Anneville.
  3. Rose Élisabeth, née le 16 août 1792, Caumont. Parrains : Jean Guillaume Mauger et Marie Anne Rose Durdan, la troisième épouse du grand-père paternel. 
  4. Marie Magdeleine, né le 11 décembre 1795, Caumont. Parrains : Pierre Martin Deshayes, 27 ans, et de Marie Madeleine Mauger, veuve de Jacques Charles Savalle, le meunier de Duclair. Mariée en 1817 à Duclair avec Amédée Hamelet, boucher. Le père de la mariée est alors dit cultivateur et propriétaire à Anneville.


... marié le 19 novembre 1754, Anneville-sur-Seine, avec...

 Génération 3

4 Antoine Deshayes, né le 26 avril 1729, Anneville-sur-Seine. Décédé le 23 mars 1797 à Anneville. Parents: 8 et 9

5 Marie Madeleine Hulin, née le 23 mars 1733, Anneville-sur-Seine, décédée avant 1767, Anneville-sur-Seine. Parents: 10 et 11.

... dont

  1. Catherine, née le 8 octobre 1755, Anneville-sur-Seine.
  2. Antoine, né le 26 octobre 1756, Anneville-sur-Seine, décédé le 25 octobre 1774, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 17 ans).
  3. Charles Joseph , né le 24 février 1759, Anneville-sur-Seine, Voir 2.

Marié (2) le 25 février 1767, Anneville-sur-Seine, avec Marie Anne Richer, fille de Nicolas Richer (voir 14) et Madeleine Pigache (voir 15). Dont :

Pierre Martin Deshayes.

Marié (3) le 16 avril 1776, Anneville-sur-Seine, avec Marie Anne Rose Durdent, fille de Jean-Baptiste Durdent et Marie Marthe Ponty.


6 Jean Guillaume Mauger, décédé le 9 mars 1799, Bardouville. Parents: 12 et 13.

... marié, Bardouville, avec...

7 Marie Madeleine Catherine Richer, décédée en 1800, Anneville-sur-Seine. Parents: 14 et 15.

... dont:

  1. Marie Élisabeth Cécile, née le 7 mars 1753, Bardouville, décédée le 23 février 1826, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 72 ans) Voir 3.
  2. Marie Madeleine, mariée à Anneville le 22 juin 1789 avec Jacques Charles Savalle, alors laboureur puis meunier à Duclair, veuf de Geneviève Marie Madeleine Lafosse, mort le 14 novembre 1794 à Duclair, à 44 ans. Les témoins furent Jean Guillaume Mauger, son beau-père, alors âgé de 68 ans, Jean-Baotiste Savalle, son frère, 40 ans, cultivateur à Anneville. Le couple avait eu trois enfants dont un garçon mort en bas-âge. De son premier lit, fondé en 1776, Savalle avait eu cinq enfants.


 Génération 4

8 Antoine Deshayes, né en 1704, décédé le 30 juillet 1758, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 54 ans). Parents: 16 et 17. Marié (2) le 5 février 1755, Anneville-sur-Seine, avec Françoise Faraguet, veuve Vestu.

... marié le 6 juillet 1728, Anneville-sur-Seine, avec...

9 Marie Françoise Testu, décédée le 7 janvier 1751, Anneville-sur-Seine. Parents: 18 et 19.

... dont:

  1. Jean-Baptiste, né le 10 décembre 1728, Anneville-sur-Seine.
  2. Antoine. , né le 26 avril 1729, Anneville-sur-Seine, Voir 4.
  3. Marie-Françoise, née le 18 mars 1731, Anneville-sur-Seine, décédée le 18 mars 1731, Anneville-sur-Seine.
  4. Pierre-Louis, né le 23 juillet 1733, Anneville-sur-Seine, décédé le 1er septembre 1735, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 2 ans).
  5. Marie-Anne, née le 2 mars 1738, Anneville-sur-Seine, décédée le 10 janvier 1742, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 3 ans).
  6. Pierre-Louis, né le 28 septembre 1740, Anneville-sur-Seine.
  7. Catherine, née le 12 juillet 1742, Anneville-sur-Seine.
  8. Louis, né le 6 juin 1744.

10 Pierre Hulin, né en 1702, Anneville-sur-Seine, décédé le 11 mai 1759, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 57 ans).

... marié avec...

11 Marie Madeleine Chauvon, née en 1700, Anneville-sur-Seine, décédée le 17 novembre 1763, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 63 ans). Parents: 22 et 23.

... dont:

  1. Marie Madeleine. , née le 23 mars 1733, Anneville-sur-Seine, décédée avant 1767, Anneville-sur-Seine Voir 5.

12 Guillaume Mauger.

... marié avec...

13 Geneviève Barjolle.

... dont:

  1. Jean Guillaume. , décédé le 9 mars 1799, Bardouville Voir 6.

14 Nicolas Richer. Marié (2) avec Madeleine Pigache.

... marié avec...

15 Madeleine Pigache. Mariée (2) avec Nicolas Richer.

... dont:

  1. Marie Madeleine Catherine. , décédée en 1800, Anneville-sur-Seine Voir 7.


 Génération 5

16 Louis Deshayes. Parents: 32 et 33.

... marié le 16 juillet 1693, Yville-sur-Seine, avec...

17 Catherine Pigache, née, Berville-sur-Seine.

... dont:

  1. Catherine, décédée le 16 mai 1709, Yville-sur-Seine.
  2. Antoine. , né en 1704, décédé le 30 juillet 1758, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 54 ans)Voir 8.

18 Richard Testu. Parents: 36 et 37.

... marié le 12 janvier 1700, Yville-sur-Seine, avec...

19 Françoise Lebourgeois. Parents: 38 et 39.

... dont:

  1. Marie Françoise. , décédée le 7 janvier 1751, Anneville-sur-Seine Voir 9.

22 Pierre Chauvon.

... marié avec...

23 Catherine Mazurier, née en 1676, décédée le 17 avril 1741, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 65 ans).

... dont:

  1. Marie Madeleine. , née en 1700, Anneville-sur-Seine, décédée le 17 novembre 1763, Anneville-sur-Seine (à l'âge de 63 ans) Voir 11.


 Génération 6

32 Louis Deshayes, décédé avant 1698.

... marié avec...

33 Barbe Metterie (de la).

... dont:

  1. Magdeleine. Mariée le 6 février 1698, Yville-sur-Seine, avec François Chéron, né en 1672, décédé le 23 décembre 1719, Yville-sur-Seine (à l'âge de 47 ans), fils de Nicolas Chéron ca 1650 et Marie Paine.
  2. Louis. Voir 16.

36 Antoine Testu.

... marié le 28 octobre 1669, Yville-sur-Seine, avec...

37 Catherine Decaux.

... dont:

  1. Richard. Voir 18.

38 Nicolas Lebourgeois.

... marié avec...

39 Françoise Mutel.

... dont:

  1. Françoise. Voir 19.

QUIZZ


Les descendants de Charles-Antoine Deshayes peuvent apporter une contribution capitale à la biographie de leur aïeul. On sait que Deshayes laissa un portrait de famille, des notes sur Jumièges, une cinquantaine de dessins. Des scans seraient miraculeux...

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