Il fut le premier homme fort du canton. Michel François Dinaumare en était le commissaire politique. Sa correspondance brosse un tableau teinté d'anecdotes de notre pays en l'an 4.

La famille Dinaumare est originaire de Dieppe. Mais elle à essaimé à Yvetot et dans l'ancienne capitale du Pays de Caux. Michel François Dinaumare est né à Caudebec-en-Caux le 28 novembre 1732. Il était fils de Michel et Marie Élisabeth Lecomte. Ses parrains furent François Le François et Marie Jeanne Coquerel. Très tôt, on le retrouve régisseur des biens de l'abbé de Jumièges. Jumièges où, le 28 février 1764, il épouse Marguerite Rose Tamy, originaire de Mauny.
Quelques temps après, toujours à Jumièges, sa jeune sœur, Geneviève Dinaumare, épouse les contrôleur ambulant des actes basé à Caudebec, le sieur Louis Antoine Charpentier, natif de Nogent-sur-Seine. Bref, nous baignons dans la petite bourgeoisie qui attend son heure. Michel François Dinaumare a pour ami Pierre Valentin Vastey, parti de Jumièges pour exercer le métier de feudiste à Bacqueville-en-Caux. Et c'est ce Vastey dont le frère, parti à Saint-Domingue, donnera naissance à l'idéologue de la révolution haïtienne, le baron de Vastey. A Duclair, Dinaumare parraine un fils de Jacques Vastey, petit agriculteur à la peine et frère du feudiste.

En 1769, Dinaumare, en qualité d'intendant de la manse du Prince de Lorraine, par ailleurs évêque de Metz, a son bureau au palais abbatial de Jumièges. C'est là que l'on doit s'adresser, en décembre de cette année-là, pour acheter une petite ferme d'une dizaine d'acres mise en vente par le biais des Annonces, Affiches et Avis divers de la Basse et Haute Normandie, ancêtre du Journal de Rouen.

Michel François Dinaumare est bon danseur. Chaque année, il a le privilège d'ouvrir le bal de la Saint-Pierre.
L'une de ses filles passe pour la plus belle femme du pays. Au point que le cellérier du monastère, Desaulty, la regarde d'un peu trop près. On l'envoie un temps se rafraîchir les sens à l'abbaye de Caen...

Oui, la bourgeoisie attend son heure. Quand elle sonne, Dinaumare, qui tient des Religieux un bien nommé La Pépinière, se retrouve adjoint du premier maire de Jumièges, le notaire Varanguien. Puis le voilà juge de paix du canton. Le 31 janvier 1790, il donne le doigt à l'ensevelisseuse pour danser autour d'un feu de joie où partent en fumée les titres féodaux de l'abbaye. Il ont pourtant fait sa fortune.

Une fille engagée

15 août 1791, jour de l'Assomption. A Jumièges, la municipalité, la garde nationale, toute la population est là, debout, silencieuse. Douze jeunes citoyennes tiennent un drapeau déployé. Marie-Françoise Sophie Dinaumare, la fille aînée de l'adjoint, se tourne vers l'abbé Adam :

"Monsieur, ce drapeau que nous vous présentons à bénir dit nous être, à l'avenir, un monument des sentiments dont nos cœurs sont animés en faveur d'une Constitution qui, à l'aide de Dieu, fera le bonheur commun des Français, pourvu cependant qu'ils se souviennent que ce précieux présent qu'il nous a fait, la liberté, ne consiste point à faire indifféremment tout ce qui peut être dicté par une volonté déréglée, mais à obéir scrupuleusement à la Loi, à la Nation et au Roi, obéissance sans laquelle il ne peut y avoir aucun bonheur dans la société. Quelle calamité pour notre chère Patrie si, à l'instant où nous allons jouir des bienfaits que nous promettent les nouvelles lois qui sont promulguées, des mains perverses venaient à détruire un ouvrage aussi sagement entrepris que courageusement exécuté..."

On murmure que Desaulty le défroqué est le véritable auteur de ce discours. Effectivement, on reconnaît là son style opportuniste. En attendant, cette demoiselle Dinaumare serait-elle la cause de sa disgrâce ? Non. Celle-là, c'est Marie Françoise Sophie. Et elle épousera bientôt un paysan aisé, Jean-François Danger. Elle fut richement dotée par son père et sa tante, elle aussi de Caudebec et établie à Jumièges depuis des années... Le 20 mai 1796, Dinaumare se fera délivrer un premier passeport révolutionnaire. On le dit âgé de 64 ans, originaire de Caudebec et à Jumièges depuis 40 ans. Taille 5 pieds 7 pouces, cheveux et sourcils bruns mêlés de gris, yeux gris, nez gros, bouche moyenne, menton rond, front bas, visage ovale, inscrit n° 219, signe

En 1792, Dinaumare louche sur l'abbaye de Jumièges. La racheter lui traverse l'esprit. En attendant, lors d'une vente des biens du monastère, il remporte aux enchères douze biens divers...

Le trousseau de Marie Françoise

27 novembre 1794. Marie Françoise Sophie, épouse son paysan : Jean-François Danger. En homme de loi prévoyant, Dinaumare fit insérer dans le contrat de mariage de sa fille des clauses qui révèlent à la fois la prudence et la prévoyance normandes, « le futur époux a, dès à présent, gagé douaire à sa future épouse, sur tous ses biens présents et à venir, sans qu'elle soit tenue d'en faire aucune demande judiciaire, voulant et entendant qu'au lieu du tiers accordé par le statut de la ci-devante province de Normandie, le dit douaire s'élève à la moitié en usufruit jusqu'au décès de la future épouse, de tout le revenu des biens qui appartiendront au dit futur époux, lors de son décès ». Le trousseau de Marie-Françoise : 18 paires de draps, 3 douzaines de nappes, 6 douzaines de serviettes, 60 chemises de lin.

Son père lui donne des meubles : un lit en chêne avec sa courtine d'indienne, deux bons matelas de laine, deux couvertures de laine, une armoire de chêne à deux battants, une table de toilette. Sa tante, Geneviève Dinaumare, se fend d'une montre en or, un gobelet, trois cuillers et fourchettes d'argent, une grande caisse ferrée, et aussi un parapluie, luxe à cette époque. Les dons du père et de la tante sont évalués à 1.950 livres et à 2.700 livres avec cette précision « pareillement au taux de 1790, qui est celui du maximum » de la monnaie métallique, s'entend.

Il vend l'abbaye

Ancien gérant de biens de la principauté d'Yvetot, Pierre-Michel Lescuyer est devenu à la Révolution celui des biens nationaux dans le district de Caudebec, notamment à Jumièges. A ce titre, on l'a vu percevoir des rentes en mars 1791 en compagnie du citoyen Quevilly, ancien feudiste à l'abbaye. Lescuyer caresse maintenant le projet d'acheter Jumièges.

Le 12 juin 1795, Dinaumare guide au monastère Jean-Pierre Senard, expert de l'Administration, Jean-Louis Bouet, expert de Lescuyer. On estime les bâtiments, les terrains. Au cours de la visite, Dinaumare fait observer que "dans l'un des clochers, il y a une grosse cloche que l'on croit être du poids de sept à huit mille, que dans le même clocher, une grosse horloge qui depuis la suppression des ci-devant religieux a été démontée et faite réparer aux frais de la commune, laquelle l'a toujours entretenue jusqu'à ce moment, il serait à désirer qu'elle restât à ladite commune à la charge de l'enlever comme lui étant très utile..."

Le 20 juin 1795,  Lescuyer, demeurant à Rouen, rue des Bons-enfants, acquiert l'ensemble du domaine abbatial pour 40.000 francs. Destinées à la démolition, les deux églises sont considérées comme attenantes au logis, seul bâtiment utile. S’il obtient si facilement l’abbaye, c’est, dit-on, pour se rembourser d’avances consenties à l’État. 

La consécration
Le 15 janvier 1796, Dinaumare monte encore en grade en devenant le commissaire du directoire exécutif près l'administration municipale du canton de Duclair. Il est officiellement intronisé lors d'une séance publique présidée par Delanos, l'ancien curé de Duclair et à laquelle assistent Desaulty ou encore Le Sein, le maire d'Yainville. Quelques jours plus tard, les représentants de 13 communes prêtent serment.

Dans sa correspondance avec le commissaire du tout nouveau département de la Seine-Inférieure, Dinaumare se montre soucieux du bien-être de ses concitoyens. Il n'hésite pas à critiquer le gouvernement, fustiger la monnaie de singe. Il se montre aussi tolérant en matière de religion malgré les interdits

On interdit le son de la cloche

Duclair, le 1er ventôse an 4 de la République française une et indivisible (20 février 1796)

Le commissaire du directoire exécutif près l'administration municipale du canton de Duclair

Au commissaire près l'administration centrale du département de la Seine-Inférieure.

Citoyen,

Au reçu de votre lettre du 21 pluviôse, j'ai requis au nom de la loi tous les agents d'empêcher dans leurs communes respectives le son de la cloche pour convocation d'assemblées religieuses, vous pouvez compter sur mon zèle à faire exécuter la loi du 7 vendémiaire sur la police des cultes. Les alarmes du citoyen qui a dénoncé au ministre de l'Intérieur le son de l'office, l'exposition des signes religieux et les quêtes ne paraissent pas fondées. Du moins si l'on en juge par ce qui se passe dans ce canton.

Le son de la cloche qui n'est pas textuellement compris dans l'article 5 de la loi précité n'entraînait pas un très grand danger, il n'y a nulle par de signes extérieurs et les quêtes que la loi ne défend pas sont par là même permises, au surplus on peut être tranquille sur le son de la cloche. Elle ne se fera plus entendre que pour convoquer des assemblées civiles et annoncer le commencement et la cessations des travaux.


Le fanatisme n'a point été ici comme dans certains endroits noyé dans des torrents de sang mais il a disparu de nos contrées à l'aspect d'une philosophie dont la voix s'est fait entendre par l'organe des ministres soumis aux lois.

On parle déjà de Mahomet

Je ne vous dissimulerai pas, citoyen, qu'on a vu la grande majorité du peuple reprendre les exercices religieux, les gens sensés de ce pays les croient nécessaires et ils ont pour eux non seulement les plus grands législateurs de l'univers, tels que Confucius, Zoroastre, Moïse, Numa, Mahomet et plusieurs autres, mais encore l'exemple des assassinats, des vols des brigandages, des incendies et de tout les excès contraires aux mœurs qu'on vit se multiplier après l'abolition de tous les cultes.

Celui qui voit l'abus des religieux est un philosophe, peut-être que celui qui en sent la nécessité l'est encore plus.

Il n'y a dans ce canton qu'un culte extérieur ; le catholique romain. Les deux tiers des citoyens assistent aux offices, et tous les ministres sont reconnus patriotes, plusieurs même aident cette administration de leurs talents et de leurs lumières.

L'autre tiers des citoyens se partage en deux classes. La première ne reconnaît aucun culte et vit d'après les principes de la philosophie, c'est la moins nombreuse.

La deuxième s'abstient des offices par suite de préjugés qu'ont inspiré les prêtres réfractaires déportés mais ces préjugés ne sont nuisibles qu'à leur tranquillité et point à celle de l'Etat.

Pénurie de foin

Le tableau des contribuables en nature est avancé, la répartition des contingents en foin est effectuée mais le versement est entravé par la pénurie de cette denrée.

On travaille dans les bureaux aux matrices de rôle avec assiduité et bientôt le travail sera terminé parce que l'on est enfin parvenu à se procurer un bon tarif.

Le tableau général des militaires de première réquisition nous parviendra sous bref délai.

Enfin je ne négligerai rien pour que les opérations de l'administration remplissent toutes les vues du gouvernement.
Salut et fraternité
Dinaumare

Le 5 mai 1796, un corbeau de Fréville accuse le canton de Duclair d'être la terre d'asile des déserteurs. Dinaumare réagit violemment.

La fête des époux

Duclair, le 22 floréal, an 4e de la République une et indivisible (11 mai 1796)

Citoyen,

L'administration ayant reçu trop tard l'avis de célébrer la fête des époux, premier décadi de ce mois, a remis cette cérémonie civique au décadi suivant (30 avril), quoique les circonstances n'aient pas permis de lui donner tout l'éclat et la pompe dont seront dans la suite accompagnés les fêtes républicaines. Celle-ci a excité néanmoins l'attendrissement des spectateurs en mettant sous leurs yeux le spectacle touchant de la vertu couronnée par les mains du gouvernement.

On été invités à la fête des époux le citoyen Louis Duperon, cultivateur à Varengeville pour avoir vendu à bas prix et aux plus indigents le grain nécessaire à sa propre subsistance et s'être par la mis dans la nécessité de se nourrir de pain d'avoine.

Le citoyen Jacques Philippe Le Clerc, petit cultivateur à Varengeville, pour avoir adopté une orpheline quoi qu'il fut déjà chargé de quatre petits enfants, il serait inutile d'entrer ans un plus grand détail, j'observerai seulement que ces fêtes aujourd'hui très simples et très peu nombreuses sont néanmoins bien plus intéressantes que celles naguère commandées par la terreur et célébrées par crainte sous les yeux des espions d'un régime tyrannique et sanguinaire.

Le remplacement des chevaux réformés est très lent et très difficile quoique je consacre absolument tout mes soins, j'espère néanmoins que l'entier fournissement, s'il n'est effectué le 23, le sera au plus tard le 28 du courant.

Deux faits divers

Je reçois aujourd'hui votre lettre du 14 sur la formation à faire d'un tableau des contribuables à l'emprunt forcé dont les cotes sont réduits ou qui n'ont point fait de réclamations, je fais ce jour même rédiger des tableaux semblables pour être remplis sous trois jours par les percepteurs de manière qu'à la fin de ce mois je serai à portée de vous faire connaître ceux contre lesquels il doit être décerné des contraintes. Je vous observe, citoyen, que je n'ai point reçu la copie de la lettre du ministre des finances relative aux poursuites à faire pour la rentrée de l'emprunt forcé, mais votre lettre précitée me donne des renseignements suffisants pour me tracer la marche que je dois suivre.

Il s'est commis deux délits par le moyen d'armes à feu, mais ils n'ont pas un rapport direct avec l'exercice de mes fonctions. Un instituteur de Saint-Pierre de Varengeville a été blessé d'un coup de fusil nuitamment en passant le long d'une masure, il a porté sa plainte devant le juge de paix qui instruit cette affaire. Rien à encore transpiré.
Une jeune fille de 12 ans a été légèrement blessée, on dit même simplement émue, d'un coup de pistolet chargé à poudre tiré par un jeune homme âgé de 15 ans? Cette affaire a été également portée au tribunal de paix, du reste nous continuions à jouir de la plus grande tranquillité.
Salut et fraternité
Dinaumare

La famine des fonctionnaires

Duclair, le 22 prairial an 4 (10 juin 1796)

Citoyen,

Un des objets qui mérite le plus de fixer l'attention du gouvernement et la désorganisation des bureaux des administrations municipales, il est impossible que les employés subsistent avec le payement de leurs salaires, c'est en vain qu'ils se présentent chez les marchands des denrées de première nécessité avec la monnaie dont on les paye, ils sont partout repoussés, notre situation à cet égard est désolante, nous allons nous trouver dans la dure nécessité d'abandonner nos travaux et notre correspondance. Quel administrateur assez injuste et assez inhumain pour retenir à son poste un employé père de famille qui périt de faim, nous n'en n'avons pas le courage.

Ce qui rend plus douloureuse notre position est ce peu d'efforts que fait jusqu'à présent le gouvernement pour améliorer le sort des employés des administrations municipales. Après quatre mois de souffrance et de privations, le ministre nous autorise à faire un emprunt dont le produit devient nul par la chute du papier qui en est résulté, nous en avons perçu viron moitié et nous regardons comme parfaitement inutile d'en achever la perception.

Ces oisifs douaniers

Si chacun de nos employés laborieux avait seulement en monnaie de cuivre le quart de ce que touche un oisif et inutile employé des douanes, il se tiendrait à son poste dans l'attente d'un meilleur sort. Il est bien étonnant qu'on ne prenne pas cette mesure en accordant à chaque administration municipale une certaine quantité de monnaie de cuivre échangeable contre des assignats.
Obligé de vous prévenir de tout ce qui peut porter atteinte à la sûreté du gouvernement, j'ai dû vous peindre d'une manière vraie un abus qui le renversera nécessairement en tarissant les premières sources d'où lui viennent les renseignements et les connaissances loyales dont il ne peut se passer.
Je vous prie de mettre sous les yeux de l'administration centrale la disposition critique où se trouve la nôtre afin qu'il puisse indiquer et procurer les moyens d'empêcher sa destruction.

Salut et fraternité
Dinaumare

Trois militaires honorés

Duclair, 16 prairial  (16 juin 1796).

Citoyen,

La fête des Victoires et de la Reconnaissance a été célébrée décadi dernier (29 mai) au chef lieu de canton avec toute la pompe qui convient à cette cérémonie civique. Ces militaires blessés ont reçu les palmes dues à leur courage et aux honorables blessures qu'ils ont reçues dans les combats. Des discours patriotiques et touchants ont été prononcés et couverts d'applaudissements. L'air a retenti de chants civiques et patriotes de femmes citoyennes dont la voix a été accompagnée par la musique. La fête s'est terminée par des danses qui ont duré jusqu'à la nuit.

Les lâches à l'index

Je vais porter, je crois, le dernier coup aux lâches qui languissent dans une honteuse oisiveté près de leurs foyers au lieu de servir la patrie au poste de l'honneur par des réquisitions individuelles que je leur donne de rejoindre sous vingt quatre heures leurs corps respectifs
.

Il n'a point été apposé de scellés sur les caisses des percepteurs par ce que cette mesure n'a point été nécessaire, mais elles ont été exactement vérifiées conformément à la loi du 13 pluviôse. Jamais les contribuables ne montrèrent plus d'empressement à s'acquitter et la confection totale des rôles va mettre les percepteurs à porter de compter définitivement avec les préposés du receveur général.

Pénurie de chevaux


L'exécution de la loi du 14 pluviôse et de l'arrêté du directoire exécutif du 20 du même mois éprouve toujours des obstacles presqu'invincibles dans ce canton, telle est la pénurie des chevaux propres au service que nous sommes réduits à exiger des propriétaires de chevaux une cotisation forcée d'après l'autorisation de l'administration centrale mais ce moyen est encore sur le point d'échouer par le discrédit des assignats et même des mandats dont les marchands ne veulent point du tout.
Salut et fraternité
Dinaumare.

Le peuple respire enfin

Duclair, 12 messidor an 4 de la République française une et indivisible (30 juin 1796)

Citoyen,

La stérilité des événements tant soit peu dignes d'attention m'ont déterminé à réunir dans le compte la dernière décade de prairial dernier et la première de messidor, présent mois. L'esprit public n'est dirigé par aucune faction, il ne reçoit aucune impulsion de l'enthousiasme où se borne ici à la stricte observation des lois. C'est le but où doit tendre tout bon gouvernement.

Le peuple respire enfin en voyant les subsistances se multiplier sous ses yeux par une libre circulation. On est fâché de la parcimonie qu'on met dans l'envoi des mandats échangeables contre des assignats. Les deux envois qui nous ont été faits de ce papier monnaie, nous n'avons pas reçu la moitié de ce qui nous est nécessaire, il nous reste encore deux cents quarante neuf millions d'assignats à échanger, il est bien urgent qu'il nous soit transmis une somme de soixante huit milles trois cents francs pour en effectuer l'échange.
Rien ne serait plus si contraire au crédit public, rien de plus désespérant pour la confiance, rien de plus alarmant même pour la tranquillité de l'Etat qu'un trop long retard dans cet envoi.


On fête les agriculteurs

L'administration s'occupe sans relâche de la formation de la colonne mobile, bientôt, ce travail sera terminé.

Je puis vous assurer, citoyen, que si nous n'étions pas dans une pénurie absolue de ressources, rien ne serait en retard dans notre administration.

La fête de l'agriculture s'est célébrée décadi dernier (28 juin) avec toute la solennité et toute la pompe que les circonstances ont pu le permettre. Les bons discours, les bons exemples et le temps rendront un jour les fêtes agréables au peuple qui s'y rendra en foule quand il y trouvera le bonheur.
Salut et fraternité
Dinaumare
Les bons citoyens gémissent

Duclair, 30 messidor an 4 (18 juillet 1796) de la République française une et indivisible.

Citoyen,

Nous continuons de jouir du calme le plus heureux. Le peuple, trouvant dans le commerce une subsistance facile, s'occupe de ses utiles travaux et bénit le jour où il a vu disparaître ses tyrans qui promettaient le nourrir et qui l'ont affligé de trois ans de famine.

Les bons citoyens gémissent sur l'énorme dilapidation des biens nationaux vendus presque tous pour un seul capital. on se demande avec effroi ce que deviendront les mandats lorsqu'il n'y aura plus de payement à faire et que deviendra la République quand elle n'aura plus de papier monnaie.
Ces réflexions tristes que fait tout bon citoyen sont ignorées du peuple qui ne raisonne pas et ne voit pas l'abîme où il est près de tomber, il serait bien à désirer que les administrations supérieures fissent au gouvernement les remontrances les plus fortes sur les horribles dilapidations dont sera victime le peuple qui leur a donné sa confiance.


Les employés ne travaillent point

De l'état critique ou se trouvent les finances s'ensuit nécessairement la désorganisation du gouvernement, les employés découragés ne travaillent presque point, les marchands ne fournissent plus, les chevaux ne se livrent point, rien ne s'exécute. Vous ne devez par être surpris que la loi du (blanc) pluviôse pour la levée du 30' cheval reste sans exécution, notre canton dépourvu de chevaux nécessaires a obtenu du département une autorisation de faire contribuer forcément à l'achat du nombre demandé les communes qui n'ont point fourni leur contingent, mais cette mesure devient inutile parce que les marchands de chevaux ne veulent aucune espèce de papier monnaie.

Un évadé arrêté

Un étranger logé à Duclair dans une auberge a été arrêté faute de passeport, il a été conduit devant le juge de paix et renfermé dans la maison de sureté. Des informations prises à cet effet, il est est résulté que cet inconnu était un fripon échappé des prisons de Bourg-Achard, des ordres ont été donnés sur le champ pour le réintégrer dans les mêmes prisons tant la loi du 10 vendémiaire an 4 est exécutée avec ponctualité et exactitude.
Salut et fraternité
Dinaumare.

Le 10 janvier 1797, Michel François Dinaumare intervient dans une affaire de marin déserteur à Duclair : le matelot Decaux Le 16 février, on parle cette fois de sept déserteurs :

  
La fin des Dinaumare

Après le coup d'État du 19 brumaire, Dinaumare tombe en disgrâce. Il est destitué le 13 janvier 1798 après avoir dirigé politiquement le canton durant deux ans. Jean-Jacques Hue, l'exploitant des tourbières d'Heurteauville, lui succède. Le 5 mai 1800, une pétition de Jumiégeois le propose comme adjoint au maire aux côtés de Desaulty. Le préfet refuse.
Dinaumare fut en 1803 parrain chez les Varanguien.

Le 3 mai 1813, Michel François Dinaumare, avec la qualité de premier suppléant au juge de paix de Duclair, 80 ans, et Pierre Danger, conseiller municipal, cultivateur, déclarent le décès de Jean-François Danger, adjoint au maire, 51 ans. Il laissait une veuve, Marie Françoise.

Dinaumare meurt à Jumièges en 1814. Son petit fils par alliance, Charles Lesain fut témoin de son décès avec Jean-Baptiste Cauchie, un marin. Marie Élisabeth, sa sœur, veuve Anquetil, disparaît en 1816 au domicile de sa nièce, Mlle Dinaumare et le notaire Charles-Antoine Deshayes procède à l'inventaire de ses biens.

Fille de l'ancien notable, veuve Danger, Marie-Françoise Dinaumare alla finir ses jours au bourg de Guerbaville le 10 octobre 1839 à l'âge de 72 ans.

Restée célibataire, sa sœur, Victoire Rose Adélaïde, avait hébergé Desaulty qui mourut dans sa maison en 1826. Mlle Dinaumare rendra l'âme peu avant la Noël de 1840 dans sa maison du bourg. Son voisin, Noël Lefebvre, cultivateur de 54 ans, déclarera le décès en compagnie de Gosse, l'écrivain public. Elle avait 76 ans.


Sources de la correspondance

Archives départementales de la Seine-Maritime, cote L 246, document numérié par Jean-Yves et Josiane Marchand, rédaction : Laurent Quevilly.