Une abbaye. Des visiteurs. Beaucoup de visiteurs... De tous temps, Jumièges a été un lieu de prédilection pour l'hôtellerie. Réouverture après inventaire...
Au dessus de la voûte d'entrée de l'abbaye, une hôtellerie, la salle des Dames, accueillait aussi les femmes de visiteurs, proscrites dans l'enceinte du vieux moutier.
Ci contre est le plan du centre-bourg issu du cadastre napoléonien.
1 - Emplacement du café de l'Eglise.
2 - Emplacement de l'hôtel de l'Abbaye
3 - 4 : Emplacement de l'hôtel des Ruines et du café Ameline.
5 - Emplacement du café-épicerie de l'abbaye.
6 - Emplacement du café de la Poste.
Si Jumièges comptait plusieurs comptoirs, une auberge semble avoir dominé toutes les autres...
Agression à l'auberge Poisson
Il est 8 h du soir, ce dimanche 7 août 1763. Marie Élisabeth Folie, 31 ans, se rend à l'auberge de Nicolas Poisson pour y chercher son mari. Et son mari, c'est Jean-Louis Delahaye, le chandelier qui tient une échoppe au bourg de Jumièges. Elle s'avance sur le grand chemin quand, racontera-t-elle, elle est surprise de rencontrer Nicolas Deconihout, un laboureur du Mesnil-sous-Jumièges. Ils font alors quelques pas ensemble. Parvenus devant la porte ouvrant sur la cour de l'auberge, Deconihout l'interroge tout-à-trac :
— As-tu remis des balances à madame Gardin ?
— C'est mes affaires...
— Bougresse, s'emporte soudain l'homme, j'te fous su la goule...
Au
lieu de
cela, Deconihout frappe la femme à l'estomac. La force du
coup
de poing coucha la dite Folie à terre. Elle s'affala
à la
renverse, jupes par dessus tête, si bien que l'on vit la lune
en
plein jour. "Toutes les
personnes
qui étoient présentes eurent honte de la pudeur
de voir
cette femme jetée à terre..."
A grand peine, Marie Élisabeth se releva et, assure-t-elle, voulut s'en
retourner chez elle. Mais Deconihout proféra des insultes
contre
sa réputation et celle de son mari. "Sans le secours de quelques
paysans, elle aurait eu peine de rester à la place..."
La
femme du
chandelier allait rester clouée au lit et elle porta
plainte. Ce
qui lui valut d'empocher 25 livres de dommages et
intérêts.
Une représentation de Jumièges par Polyclès Langlois en 1834. La Tour lanterne et la façade sont très fantaisistes. On voit aussi que le mur d'enceinte de l'abbaye a disparu et qu'à l'arrière, dans un contre-bas qui n'existe pas, semble figurer une Seine qui n'est pas sa place. Reste que la plus imposante maison semble être une auberge
Un aubergiste récalcitrantEst-ce Nicolas Poisson le personnage de cette anecdote ? Je ne suis pas encore parvenu à la dater. A Jumièges, sourd aux réquisitions, on répugnait à loger les militaires. Mais c'était aller à l'encontre des bons désirs du roi, c'était commettre un crime de lèse-majesté... Aubergiste, le syndic de la paroisse refusa un jour la venue de cinq voitures de l'armée. Pour le punir, on lui opposa durant vingt-quatre heures cinq cavaliers. Après leur départ, le pauvre aubergiste fit le compte de leur consommation : 100 œufs, 10 livres de lard salé, 6 livres de bœuf, 15 livres de pain, 72 pots de cidre. Oui, 72 pots de cidre. A cinq ! En vingt-quatre heures ! Sacrée pépie...
Les moines, piliers de cabarets ?
Conservée à l'auberge du bac, l'assiette ci-dessus
représente un moine en goguette...
Émeute à l'auberge
En décembre 1791, le sieur Letellier fut chargé de décrocher les cloches des abbayes de Fontenellle et de Jumièges. Il commença sa besogne d'abord à Saint-Wandrille où son équipe amena huit cloches à terre. Prévenu de l'hostilité des Jumiégeois, il entre en tapinois dans le bourg au soir du 5 décembre. A l'auberge, il fait dételer ses chevaux, range sous une remise sa charrette chargées d'outils, de cordages, de massues et de palans. Les hommes demandent le souper et le coucher, sans dire un mot de leur mission. Qui a prévu les villageois : l'aubergiste? un client? Toujours est-il qu'aux aurores, la rue, la cour l'auberge sont envahies par une foule brandissant fusils et bâtons ferrés en proférant des menaces. Peut-être 700 hommes surexcités. Ils se postent partout : dans les tours de l'abbaye, devant le portail, les entrées. Partout. Le maréchal-ferrant, un colosse, mène la sédition. Brandissant une corde, il lance: " Je pendrai le premier qui osera descendre les cloches!" Quelques ouvriers de Letellier s'avancent timidement vers les grilles, soi-disant pour jeter un coup d'œil sur la superbe abbaye. Mais ils doivent se replier très vite. Car déjà, on se jette sur eux avec l'intention manifeste de les trucider. Prudent, Letellier reste terré à l'auberge où , sous son nez, les émeutiers viennent à tour de rôle se rincer le gosier à l'eau de vie. Histoire de "se réchauffer le courage". Et quand celui-ci est bien chaud, ils invectivent Letellier, pâle comme la mort.
Soudain, plusieurs le prennent à la gorge, le houspillant l'épée au poing. Quand Letellier voit que d'autres pénètrent par les écuries pour y abattre ses chevaux, qu'on coupe ses cordages et qu'on glisse des bourrées sous sa charrette pour l'incendier, Letellier bat le rappel de ses troupes et quitte piteusement le bourg de Jumièges sous les huées de la foule.

Détail d'une carte poste représentant l'hôtel de l'abbaye. A gauche pause sans doute M. Vauquelin...
Cuite chez Tropinel
Dimanche 20 octobre 1793. Dans une rue de Jumièges, le citoyen Hervieux arbore fièrement une cocarde à son chapeau. Seulement, elle n'est pas tricolore. Et il a le malheur de croiser un militaire en congé, le sieur Joseph Hauriolle. Celui-ci le lui fait remarquer. Hervieux retire sa cocarde sans faire d'histoire. Puis il se rend au cabaret du citoyen Tropinel...
Mais, alertée par Hauriolle, la municipalité, entend vérifier le civisme d'Hervieux. Maire en tête, la voilà qui pénètre dans l'établissement. Le citoyen Amand, gros paysan parlant du nez, demande alors à voir l'objet du délit. Quand soudain, un autre consommateur, interpelle Hauriolle resté au dehors : "Toi, si tu rentres ici, j'te casse la barre du col !..." Aussitôt, le maire convoque cette clientèle distinguée à la maison commune.
Là, Hervieux présentera ses excuses et écopera d'une journée de détention. Deconihout, en revanche, insulte les officiers municipaux. Et sans ôter son chapeau, ce qui constitue à leurs yeux une circonstance aggravante. Un peu plus tard il reviendra encore à la mairie pour obtenir un certificat de civisme destiné à son fils, marinier au Havre. Là encore les insultes pleuvent quand on l'interroge. Dans la même journée, alors que l'on procède à la vente des biens nationaux à l'abbaye, Deconihout interrompt les opérations en traitant de menteur le président. Repoussée dans la cour, il hurle encore à la cantonade qu'il n'y a pas plus voleurs que les municipaux...
Quatre jours plus tard, Deconihout comparaîtra encore à la maison commune pour reconnaître les faits avec cette excuse : "j'étais imprimé d'bésson..."
Le
16 septembre 1799, un passeport révolutionnaire sera
délivré au nom de François Tropinel,
40 ans,
à Jumièges depuis sa naissance. Taille 1,70m,
cheveux et
sourcils bruns, yeux gris, nez long, bouche moyenne, menton
allongé, front haut, visage maigre et ovale,
pour aller
à Pont-Audemer Dieppe et Rouen. Signe.
Le 11 octobre 1805, veuf de Marie-Rose Cauchie, François
Tropinel se remaria à 46 ans avec Sophie Desjardins. Son
frère est le tailleur de Jumièges. Lui, on le dit
marchand et il a pour beaux-frères David Foutrel,
l'organiste de
l'abbaye et Bruno Harel, aubergiste...
Le 28 mars 1798, Lesain, agent municipal d'Yainville, se rend chez Jean Desmarais, journalier, où le cadavre d'un homme approchant la quarantaine a été déposé. C'est celui de Picard, domestique charretier chez Bruno Harel, "cabaretier de Jumièges", mort en tombant de la charrette qu'il conduisait. Tous les efforts pour le ramener à la vie furent inutiles. On l'inhuma à Yainville.
Le fait que Bruno Harel employait un charretier témoigne d'une auberge où l'on recevait des clients en attelage. Harel avait épousé Marie Desjardins quatre ans plus tôt. Il était alors jardinier.
Un an après la mort de son domestique, le 10 novembre 1799, Bruno Harel se fit délivrer à Duclair un passeport révolutionnaire pour aller à Rouen et autres lieux du département. On le dit cabaretier âgé de 32 ans, originaire de Saint-Wandrille, à Jumièges depuis 17 ans et marié depuis cinq ans. C'est un homme d' 1m 68, cheveux et sourcils châtain, yeux bleus, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, front bas, visage ovale et qui sait signer.
Comme nous le verrons, les cabaretiers de Jumièges ne font pas de vieux os sous Napoléon et sous la Restauration. Marie Desjardins mourut en 1809, son veuf est alors qualifié de marchand. Bruno Harel la suivit dans la tombe à 45 ans, le 29 août 1813.
L'auberge Lecouturier
Jacques Adrien Robert Lecouturier, 25 ans, natif d'Ylleville, fils d'un défunt journalier était laboureur à Jumièges depuis trois ans lorsqu'il épousa, le 5 mars 1812, Marie Rose Decaux, issue d'une famille de cultivateurs. La mariée était enceinte et il n'est pas certain que ses parents furent transportés d'allégresse face à ce mariage forcé. Seuls ses cousins signèrent l'acte. Marie Rose accoucha quelques jours après ses noces d'une fille qui trépassa peu après. Deux ans plus tard, elle décédait à son tour. A 25 ans.
Depuis son mariage, Jacques Lecouturier était devenu cabaretier. Peut-être avait-il succédé à Harel en 1813. Il observa une année de veuvage et, le 22 juin 1815, se remaria avec une couturière, Marie-Jeanne Monchrétien.
Après avoir servi sa clientèle une dizaine d'années et logé les visiteurs de l'abbaye, souvent des Anglais, Jacques Adrien Robert Lecouturier mourut à 37 ans, en décembre 1823. Il avait pour beau-frère Jean-Jacques Bussy, 45 ans, marchand tailleur d'habits à Jumièges. Lecouturier n'aura pas eu le loisir de voir venir ici la duchesse de Berry qui allait lancer un élan touristique vers les ruines.
Voici le récit d'un érudit anglais, Thomas Frognall Dibdin, en 1825 . L'aubergiste dont il va nous parler est sans doute Dame Marie-Jeanne Monchrétien, 39 ans, veuve Lecouturier...
Nous entrâmes dans le village, laissant à droite et à gauche quelques maisons élégantes, parmi lesquelles nous remarquâmes un presbytère mieux conditionné que ne le sont ordinairement ceux de France. Nous descendîmes, et gagnâmes une jolie petite auberge, faisant évidemment partie de quelques dépendances extérieures, ou du chapitre de l'abbaye. Une grande voûte gothique , un pilier circulaire qu'on aperçoit en entrant, attestent d'une manière non douteuse le caractère primitif du lieu. (*) Nous demeurâmes convaincus, à l'aspect de l'ensemble, que l'édifice entier devait être anciennement d'une très vaste étendue. Nous étions après midi, le soleil brillait dans toute sa majesté : les villageois ne tardèrent pas à entourer le cabriolet. « Voilà messieurs les Anglais qui viennent voir l'abbaye; mais effectivement il n'y a rien à voir. » J'informai la maîtresse de l'auberge du sujet de notre visite; elle nous procura un guide et une clef; cinq minutes après, nous entrions dans la nef de l'abbaye (...)
(*) Je connais parfaitement la petite auberge dont parle l'auteur. Je puis assurer qu'elle ne faisait point partie du chapitre. C'était néanmoins une dépendance extérieure de l'abbaye : mais oserai-je dire que c'était l'étable aux vaches ?
(...) La maîtresse de l'auberge nous ayant fait apporter des serviettes et des verres, nous dînâmes au milieu de la scène que je viens de décrire, et non sans éprouver des émotions peu communes. (...) Après avoir satisfait notre curiosité autant que possible, mais non pas autant que nous l'aurions désiré, nous retournâmes à l'auberge, commandâmes nos chevaux, et fîmes nos préparatifs de départ pour Caudebec. L'hôtesse paraissait affligée de se séparer de nous, tant elle aimait messieurs les Anglais qui venaient voir sa chère abbaye de Jumièges ! Il fallut traverser une seconde fois le village; ce fut l'affaire de cinq minutes. Nous dîmes adieu à l'abbaye, « un long, un bien long adieu. » Plus d'une fois nous nous retournâmes pour la voir encore, et les deux sveltes clochers à l'occident semblaient répondre avec empressement à nos vœux, en se montrant autant de fois à nos regards. Nous les apercevions encore à une lieue du gîte que nous allions chercher.
L'auberge Gossé
Veuve Lecouturier, Marie-Jeanne Monchrétien est toujours attestée comme aubergiste en 1826. Elle se remarie cette année-là avec un cultivateur, Simon Gossé. Celui-ci épousa aussi le métier de cabaretier. Dix années s'écoulèrent et M. Gossé, à l'âge de 65 ans, rendit l'âme. Aussitôt, son neveu par alliance, Adolphe Savalle, reprit l'affaire.
L'auberge Savalle
Natif de Mauny en 1808, Adolphe Savalle était encore charron à Jumièges quand il épousa Adélaïde Guiot en 1833. Elle était cultivatrice chez ses parents. En 1836, à la naissance de leur fille Louise, les Savalle embrassent la profession de cabaretiers puis d'aubergistes. Effectivement, au recensement de 1841, Adolphe Savalle a bien la qualité de cabaretier. Cette année-là, Savalle compte deux locataires. Il y a là Paul Auguste Meunier, 69 ans, pensionné de l'État, décoré de la Légion d'Honneur, natif du Havre veuf d'Angélique Levacher. Il n'a plus qu'un an à vivre. Que diable fait-il là !
Après avoir habité le palais abbatial, Charles Antoine Deshayes, l'auteur de l'Histoire de l'abbaye de Jumièges, finit lui aussi ses jours à l'auberge Savalle où il a placardé une affiche pour vendre son ouvrage aux visiteurs des ruines. Il vit là dans une petite chambre où il a entassé les trésors d'archives de toute une vie.
A la mort de l'écrivain, en 1844, Adolphe Savalle se rendra acquéreur de plusieurs objets ayant appartenu au défunt. Dont des livres.
Après la mort de Deshayes, l'auberge Savalle aura encore un lien avec l'étude notariale. En 1851, elle accueille Auguste Savalle, clerc de notaire et Augustin Lieury, principal clerc de notaire. Il y a aussi un ancien militaire à la retraite, Pierre Deshayes, 79 ans, un journalier de 27 ans, Lucien Jourdain. Enfin les aubergistes hébergent un neveu de 13 ans, Jules Savalle.
Le cabaret Tropinel
Près de l'auberge Savalle est le cabaret de François Tropinel, époux d'une couturière, Françoise Leroux. Il apparaît aux recensement de 1836, 1851....
L'épicerie Chantin
Pierre Wandrille Chantin, 46 ans, tient cet établissement avec sa femme, Vertu Danger, en 1836. Il est toujours attesté en 1851.
Le cabaret Herpin
Jacques Herpin tient un cabaret en 1836 et 1841 en compagnie de son épouse, Aimée Fleury.
Le café Cauvin
Louis Cauvin, époux de Rose Delépine, tient un café en 1836. Il est toujours ouvert 20 ans plus tard. Les deux filles de la maison sont alors couturières. Leur comptoir était tout près de l'étude notariale de Me Bicheray.
Dans le bourg, les principaux cafés entrevus en 1836 seront toujours ouverts vingt ans plus tard. Louis Valentin Barbey cumulait le métier de cafetier avec celui de boulanger, aidé en cela par sa femme, Reine Hébert. Quant à leur fille, Julienne, elle était blanchisseuse. Marie Joséphine Savalle, veuve Gossé, est épicière. Un cumulard encore : Pierre Jacques Minotte, Non seulement il est garde-champêtre, mais il tient aussi un café avec sa femme, Euphrasie Dossier. C'est un ancien grognard qui a été badestamier. En 1851, il a sa mère sous son toit, pensionnaire de l'État et un enfant en nourrice. Le commerce est résolument florissant au bourg. Cordonnier, Louis Barbey tient lui aussi son épicerie avec sa femme Thérèse Barnabé, Valentin Auguste Prunier est tonnelier cafetier et sa femme, Justine Barnabé, épicière cafetière. Épicière encore est Adélaïde Carpentier.
Pierre-Pascal Lefèbvre, 48 ans, tenait une auberge avec sa femme, Marie Pointel. Il était aussi bottier et deux ouvrier l'aidaient dans la tâche : Michel Rouland et Alexandre Godu. En 1850, son établissement fut impliqué dans une affaire de sédition qui alla devant la cour d'assises.

En 1866, Augustin Lieury, clerc de notaire, est toujours logé à l'auberge Savalle. A côté de là, la sœur de Savalle logeait quant à elle le second clerc, Jules Gossé. Un peu plus loin Victrice Savalle, 48 ans, est lui aussi clerc et vit seul dans un petit logement. Maître Bicheray est manifestement bien secondé ! En bien entouré : La même année, près de là, Auguste Chantin tient une épicerie ainsi que Claude Dard ou encore Valentin Prunier. Alfred Fleury et Louis Cauvin sont cafetiers. Julienne Barbey, femme de Louis Lequesne, cocher, est limonadière.
Scandale à l'auberge !
Flanqué de quelques amis, un certain Genevay vint dans une auberge du bourg. Il nous parle de Monsieur "de Cumont", propriétaire de l'abbaye et maire de ces lieux. On aura reconnu Casimir Caumont, en poste en 1851. Il nous parle surtout d'une tenancière fort peu recommandable...
Je n'ai nulle raison pour médire de la Normandie, de ses pommiers, de ses verts herbages, de son beurre, de ses bonnets de coton, de ses pluies continuelles, de ses habitants, de ses excellentes crevettes et des fillettes qui les pèchent. Je n'y ai jamais eu de procès normands. Respect donc à la Normandie, admiration pour les églises de Rouen, pour Saint-Pierre de Caen, pour le Mont-Saint-Michel, pour Granville, pour toutes les côtes normandes, pour l'industrieuse vallée de Lillebonne, une petite Alsace, pour le royaume d'Yvetot, pour les ruines de Tancarville et celles de Jumièges. Tous ces lieux je les ai souvent visités, j'aimerai toujours à les revoir; la Normandie est une bonne terre, mais Dieu vous garde de ses hôtels et même de ses auberges, non que la nourriture y soit mauvaise, mais la carte à payer... Vous allez en juger." Nous irions visiter les ruines..."
Je me trouvais il y a quelques années,— un bon nombre d'années, — chez des amis à Lillebonne; ils se mettaient en quatre pour me faire trouver mon séjour agréable; ils me conduisirent pêcher des truites excellentes, moins fines de goût cependant que celles du Jura, ils me montrèrent le cirque romain nouvellement découvert, ils me firent grimper à Tancarville, et, enfin, il fut arrêté que nous irions visiter les ruines de Jumièges si pieusement entretenues par leur savant propriétaire, M. de Cumont.
Un beau matin, nous montâmes dans un char-à-bancs, nous étions cinq, deux dames et trois hommes, sans comprendre le cocher et le cheval.
" Voilà des affamés !"

Nous nous imaginions bien, quand notre char s'arrêta devant une auberge qui portait pour enseigne un cheval blanc brandillant au bout d'une tringle de fer, que nous ne trouverions pas les fourneaux du Café-Anglais, mais que nous importait !
"Jésus Dieu !"
Nous entrons comme un tourbillon dans une grande cuisine, notre premier regard est pour le foyer; « Triste!, triste! » comme dit Hamlet, il est à peu.près éteint; une grande Normande paraît, c'est la propriétaire, la cuisinière, la servante du lieu; le dialogue suivant de rapidement s'échanger, entre elles et nous :
— Brave dame, pouvez-vous nous donner à.déjeuner ?
— Jésus Dieu ! Oui.
— Qu'avez-vous ?
— Jésus Dieu ! ce n'est point aujourd'hui jour du marché.
—Qu'avez-vous ?
Elle pirouette, ouvre un buffet et en tire deux côtelettes.
— Mais nous sommes cinq !... Y a-t-il un boucher ?
—Jésus Dieu! Oui, mais il ne tue que dans trois jours.
— Vous avez du jambon?
— Nous saignerons notre porc la semaine qui vient, sauf votre respect.
— Des œufs ?
Nouvelle pirouette et la dame nous offre cinq œufs, grimace générale..
— Du beurre ?
— Je battrai ce soir.
"Nous nous croyons empoisonnés"
Nous poussons des cris de naufragés. Enfin notre hôtesse nous dit gravement : « Je vais chercher un canard. » Ah! nous voilà sauvés! Cinq minutes, dix minutes, un quart d'heure, se passent. Nous sommes exaspérés. Furetant dans tous les coins, un de nous découvre une petite bande de lard, fatale trouvaille! On arrête que l'on fera une omelette au lard. Les hommes ravivent le feu, les dames galamment troussées, fouettent les œufs, des morceaux de lard grésillent dans la poêle, on dispose les assiettes, une petite fille apporte du cidre, les deux côtelettes sont servies à nos compagnes, et nous autres nous nous jetons sur l'omelette, horreur des horreurs ! Le lard était si rance qu'à la première bouchée nous nous croyons empoisonnés.
Notre hôtesse reparaît tout essoufflée, rouge comme une pivoine, le bonnet de travers. « Jésus
Dieu ! ai-je couru !
— Et le canard !
— Il n'a point-voulu se laisser prendre, il est sur la mare.... »
"Il y eut tempête."
La chose était trop comique, nous partîmes tous d'un éclat de rire, et nous dûmes nous contenter de deux ou trois poignées de cerises qui nous arrivèrent par miracle.
Enfin nous prîmes cinq tasses de chicorée, et riant, malgré le cri féroce de nos entrailles, nous
demandâmes combien nous devions.
Devinez le chiffre de la carte ? cinq œufs que nous ne mangeâmes pas, quatre doigts de lard, trois bouteilles de cidre, une cinquantaine de cerises, et cinq tasses de ce que vous savez... dix-neuf francs!
Il y eut tempête, la Normande tint bon, nous menaça du garde champêtre, et de fait il arriva heureusement. Je lui remis un petit mot pour M. le maire avec la somme demandée, priant ce magistrat de régler cette note et de donner l'argent qui resterait aux pauvres de l'endroit.
Quelques jours après, M. de Cumont m'apprit que le compte, y compris l'avoine du cheval, avait été établi à cinq francs....
Méfiez-vous des auberges normandes. Qu'est-ce que la brave femme nous eût demandé, si elle eût plumé le canard ? c'est nous qui l'aurions été.
Le fils de l'aubergiste, Emile Savalle, né en 1834, tiendra l'établissement avec son père. En 1862, il pleure sa mère, en 1864, il épouse Césarine Marais qui exercera à Jumièges le métier de sage-femme.
Victor Pavie, en 1863...
Après avoir passé une semaine à Rouen dans les meilleurs hôtels, cet ami de Victor Hugo, écrivain, poète et historien de l'Art débarqua du bateau à Jumièges, visita l'abbaye, et goûta aux charmes de l'auberge Savalle. Ambiance...
"Quand
nous quittâmes l'abbaye, le soleil planait sur ses tours; et
telle était à cette heure la magie de ses ruines,
que je
me demande encore ce que la lune y eût ajouté de
prestige
à l'heure la plus rêveuse de la nuit.
Après huit
jours
d'hôtel, qu'on s'attarde divinement à une auberge
de
village, si les coquetiers sont de bois, si les verres
évasés et maigres sont à
côtes, si l'on voit
s'ébaucher, au fond des assiettes de terre, des
chimères
de fleurs et d'oiseaux, si le pain un peu bis correspond à
la
nappe écrue, et si le maître, absorbé
dans
l'honneur de votre visite, vous fait deux réponses par
question!
— Combien
d'ici Duclair?
— Huit
kilomètres ; et d'ici Yainville, par où vous
passerez, trois kilomètres seulement.
— A quand la
messe d'Yainville?
— Dam', plus
tôt que
plus tard. Monsieur le curé n'aime pas attendre ; je ne m'y
fierais pas. Tandis qu'ici rien ne vous hâte; vous avez tout
le
loisir de voir le portrait de sainte Austreberthe et de son loup,
représentés sur un pilier de l'église
au naturel.
— Eh bien !
va pour Yainville
; nous y ferons halte à la grand'messe, et l'on nous
réchauffera le café de Jumiéges
— à
Duclair.
Jamais conclusion ne
faillit si
inopinément aux prémisses. Notre hôte
n'en revenait
pas ; il nous croyait à lui, il nous perdait. Debout et
pétrifié sur le seuil de sa porte, il nous suivit
du
regard jusqu'à perte de vue dans la plaine."
Le guide Joanne de 1866 ne mentionne pour Jumièges qu'une "petite auberge peu approvisionnée". La même année, le guide Richard est encore plus sévère: "petite auberge MAL approvisionnée".
Entre deux naissances, Emile Savalle, le jeune aubergiste s'adonne à l'écriture. On lui doit Les derniers moines de l'abbaye de Jumièges publiée en 1867 chez Brière, à Rouen, et, l'année suivante, une dissertation sur les Énervés.
En 1872, le père Savalle était toujours aubergiste à Jumièges. Il avait 64 ans. Après quoi, son fils rendit son tablier pour devenir commis principal à l'état-civil du Havre mais aussi archéologue et paléontologue. Il donnera encore un ouvrage historique sur le culte des saints avant la Révolution mais surtout d'innombrables publications scientifiques avant de décéder en 1902 avec le surnom de Pé Caillou.
Le café de l'Eglise
On y vit ici Andrée Huet,
épouse Leblond qui le céda en 1971 à
Jean-Pierre Bourguet. Tenu 16 ans par Dominique Decaux, le
café de l'Eglise a
fermé ses portes
en 2010. J'aimais y manger en terrasse, un œil sur
l'église Saint-Valentin, l'autre sur l'andouillette,
spécialité de la maison et une oreille pour la
patronne qui
avait la voix pleine de douceur.
Au 2 de la rue Mainberte, les
bâtiments, qui typaient depuis des lustres
l'entrée de Jumièges ont
été
rachetés par
la commune. Puis détruits pour faire place
à un immeuble à usage de
crèche, garderie, cantine et maison des associations avec
bibliothèque.
Tout en face, de l'autre côté de la rue, se trouvait jadis une graineterie.
L'hôtel
de l'Abbaye
|
Louis Vauquelin avait pour cousin Me Olivier, l'huissier de Duclair. Il s'était marié à Bouville, commune natale de sa compagne, Célina Bertaux.
Hélas, Vauquelin rendit l'âme le 20 janvier 1900. Dès lors, son épouse et sa sœur, Aimable Vauquelin, veuve d'un instituteur nommé Duvrac, continuèrent le commerce. Les deux femmes avaient alors la cinquantaine bien sonnée. A 25 ans, le fils de la maison, Louis Vauquelin, né en 1873 exerçait encore la profession de serrurier. En 1901, il y avait là une domestique de 21 ans, Augustine Brossard. L'établissement affichait les plaques du Touring et de l'Automobile-club de France, gage d'une clientèle assurée. La maison offre aussi une liaison attelée avec la gare d'Yainville. Ici descendaient les marchands d'Honfleur partant vendre des fruits en Angleterre. Il se tenait aussi un marché aux fruits sur la place.
En 1906, Célina
Bertaux tenait toujours le commerce. Son fils avait épousé le
métier de
quincaillier. La bonne était dorénavant Germaine
Thuillier, une fille du Mesnil. L'année suivante, c'est
Edvige
Bouquet qu'épousa Louis. Elle allait lui donner deux filles
et
un fils, Pierre.
C'est à l'hôtel Vauquelin que fut détenu sous bonne garde Jules Martin, l'assassin du maire de Jumièges, le 14 juillet 1910.
Louis Vauquelin prit enfin la succession de sa mère en compagnie de sa femme. En 1921, la servante et domestique était la jeune Julia Ligois.
Retournant à la
quincaillerie, Louis Vauquelin céda l'hôtel en
1925 à Albert
Jehaneuf, originaire du Havre, marié à Albertine
Courtois, d'Angiens.
Après le décès de M. Jehaneuf, dans les années 50, sa fille,
Raymonde et son gendre, Joseph Persil, ont continué la
restauration et le bar mais ont fermé les chambres. On cite encore Condos, Sorel pour gérants. Tout
s'est arrêté au début des
années 1970. C'est aujourd'hui une très
belle habitation près de laquelle se blottit la maison de poupée de mes rêves...
L'hôtel
des Ruines
En
avril 1897, Littré, le cafetier de la place de
Jumièges,
"prévient la jeunesse que, comme chaque
année, il y
a bal à grand orchestre dans son établissement
tous les
dimanches et fêtes".
Et un garage pour
vélocipèdes ! Car on est affilié à l'Union
vélocipédique de France et même au Cycling
Touring-club d'Outre-Manche. On assure aussi la liaison avec la gare
d'Yainville. Né en 1857 à Vains, dans la Manche, fils d'un colon de Terre-Neuve mort là-bas, François Littré avait épousé en 1886 Olga Boucachard, fille de commerçants jumiégeois. Il était alors restaurateur au Havre, 85 boulevard de Strasbourg. Dans les années 1900, l'établissement est connu sous le nom d'hôtel Littré "avec sa tonnelle des cent couverts". En octobre 1907, François Littré porte plaine pour vol de 100 kg de farine d'orge et 40 kg de maïs. Non, mais ! Les deux fils de la maison firent la guerre de 14. L'un d'eux, grainetier et engagé volontaire en 1913, disparut dans la Somme en 1916. Les Littré avaient également des filles : Thérèse, Marthe... Toujours en 1913, François Littré, est attesté comme maître d'hôtel. Son successeur fut Raoul Neveu, né en 1892 à Jumièges et qui fut d'abord garçon épicier. En 1900, à Paris, il s'était engagé pour trois ans. Neveu est attesté comme épicier en 1901. Il est porté sur la liste électorale de 1913 comme cafetier. Il fut mobilisé en août 14 et vite promu sous-lieutenant. Mis en congé en 1919, il regagna Jumièges. En 1921, mariée à une fille de Barneville, il a pour servante Antoinette Shmit. A l'hôtel des Ruines, il assurait un service de voiture à cheval jusqu'à la gare d'Yainville. |
Le guide Diamand de 1925 signale deux hôtels à Jumièges, ceux des Ruines et de l'abbaye qu'il qualifie de "modestes".
En 1926, Raoul Neveu tient toujours l'hôtel des Ruines avec sa femme. Domestiques : Hélène Shmit et Julien Lecomte.
A
noter que la même année, une Marguerite Neveu
tient une
épicerie au bourg. Elle est née en 1890
à
Jumièges, épouse d'un espagnol,
Alexandre
Alvarez, charpentier aux chantiers du Trait. La boutique tourne avec
l'aide de la belle-mère et la grand-mère
d'Hauville, la
nièce d'Hénouville. Mais cette
épicerie n'est pas
encore localisé.....
Toujours en 1926 apparaît une nouvelle épicerie
tenue par Louis et Marguerite Thuillier. Mais où ?
Une autre, encore, est tenue par Raymond Fontaine, de
Saint-Jean-Le-Blanc. Une servante : Madeleine Grouet.
Jules Boutard en tient également une.
En 1936, l'établissement est tenu par Françoise Beaudesson, veuve Grèverie, née à Fécamp. Elle a pour bonne Andrée Shmit.
En février a lieu ici le bal des conscrits... jusqu'en 1939. Et il n'y en aura plus.
Durant
l'Occupation, l'Hôtel des Ruines fut bureau annexe du
Comité central des fruits et légumes du canton de
Duclair. Il en existait un autre à Berville, café du
Passage. C'est là que tout acheteur en gros devait retirer une
autorisation de transport.
Gisèle
Vestu se souvient
des années qui suivirent la Libération.
Avec ses animations à l'hôtel
Gréverie. "Cinéma
le jeudi
soir. Une dame Léon Grain, de Yainville, était
assistante. Théâtre: un certain Alex Lenoir
animait un groupe de jeunes qui se produisaient le dimanche. Une revue
connut un certain succès: "Oui, c'est à
l'hôtel des ruines, où l'on s'en va, ça
s'devine..."
"Il y avait des bals réguliers animés par Claude Deuil, Claude Lemire, actuellement accordéoniste dans la compagnie Nicollet. La salle de l'auberge servait de salle des fêtes pour certaines occasions. Elle servit même de salle de classe..."
On y donnera des spectacles, des remises de prix jusque dans les années 60. En 1976, l'établissement fut géré par Irène Florentin-Godement. Il y avait là huit chambres. Qui fermeront. A l'Auberge et non plus l'hôtel des Ruines, le chef Christophe Mauduit a perpétué depuis la tradition.
Chez Ameline![]() |
A
côté de l'atelier du charron, le café
Ameline. C'est là que le 4 mai 1909 eut lieu le rendez-vous
des 100 kg. Belle brochette... |
Sur la façade de l'ancien atelier du charron, l'œil averti remarquera, dans une niche, un bas-relief représentant Austreberthe, son âne et le loup provenant de l'abbaye...
Ernest Ameline était né au Maulévrier en 1864 et avait épousé une fille du Mesnil, Louise Carielle. En 1906, on comptait une domestique, Louise Lamy, de Barneville, et un pensionnaire, André Beaufils, Rouennais clerc de notaire chez Peschard.
L'établissement a accueilli le coiffeur Jacques Fleury. Il fut connu un temps sous le nom d'Au rendez-vous des chasseurs puis Bar des Sports, tenu par Joseph Persil, époux de Raymonde Jouhanneuf, l'une des deux filles de l'ancien patron de l'hôtel de l'Abbaye. Natif d'Yainville, Persil est lui aussi figaro.
Au bar des Sports, j'ai été curieusement accueilli par la faconde de François Rose. Je n'avais pas dit trois mots sur les beautés du pays qu'elle me coupa la parole : "Vous, vous êtes Laurent Quevilly !" Nous ne nous étions jamais vus mais elle avait manifestement navigué sur mon site. Ce jour-là, elle nous fit à manger alors que tout fermait et qu'elle-même était sur le point de le faire. Le lendemain, elle nous fit visiter son gîte au Conihout, à l'ancien passage de la Roche. Endroit hors du temps. Son café-restaurant a pris ensuite le nom de Ah ma Normandie.
L'affaire a été reprise ensuite sous le nom de Rocket, bar à bières, avec des soirées concerts.
Le café-épicerie de l'Abbaye
C. Eliot a tenu un temps l'établissement. En 1921, c'est Georges Anquetil le patron. Originaire de Bolleville, il est secondé par sa femme Clotilde, native de Dieppe, son beau-père, Frédéric Hamel, de Bourville, et une servante, Cécile Hamel, née à Saint-Sylvain. En 1926, les mêmes sont toujours là à l'exclusion du beau-père. En 36, il n'y a plus que le couple de patrons.
Eliot, Bouquet, Anquetil, tous ont édité des cartes postales...
Après vint la famille Dumond puis André Fessard, en 1942. Natif d'Yainville, percepteur-inspecteur des finances à Rouen, M. Fessard renonça à son statut de fonctionnaire pour nourrir sa famille. A la Libération, il se reconvertit dans l'élevage et deviendra maire de Jumièges en 1977.
Aux Fessard succédèrent à la Libération les Lefrançois, Quatresol. Puis Jean Gallay, ancien footballeur du Dac. On a oublié le nom des suivants jusqu'à Mme Dumesnil. C'est alors une crêperie, La bonne famille, qui est aussi salon de thé et propose des produits à emporter. On y a rouvert des chambres sous forme de relais de groupes pour cyclistes, motard, randonneurs.. De l'autre côté de la rue des Fontaines à l'enseigne de Pommes et fraises, est la Cave de l'abbaye.
Au Rendez-vous des Touristes
C'est près de l'ancienne maison de Monsieur Destienne, guide de l'abbaye, qu'est le café-restaurant le plus proche du vieux moutier. Avant la Révolution existait déjà une taverne face à l'entrée de l'abbaye. Certains moines n'hésitaient pas à s'y adonner au jeu. Il y avait aussi un logement pour les dames, interdites d'entrée à l'abbaye. |
Sur la deuxième photo, l'homme assis en casquette est sans doute Détienne, le guide de l'abbaye qui pose en voisin. A l'enseigne du Rendez-vous des Touristes, ce lieu fut tenu successivement par L. Partoy, J. Delaunay, A. Gamelin et, en 1931, Emile Huet qui le rebaptise l'Hôtel de la Poste. C'était aussi tabac, une maison de la presse et une station essence...
Emile Huet est natif de Maromme et a pas mal roulé sa bosse du commerce : Rouen, Petit-Quevilly, Paris et à nouveau les première villes normandes. Sergent, plusieurs fois blessé de guerre, bardé de décorations et versé dans les services auxiliaires, c'est un héros de la Grande guerre. En 1921, il a épousé Hélène Ruquois, de Saint-Ouen. Son dernier commerce dans la capitale normande sera place du Vieux-Marché, à Rouen, avant d'arriver à Jumièges en 31.
La bonne, en 1936, est une Traitonne, Madeleine Bettembos. Il y a là deux pensionnaires, chaudronniers aux carrières Drouard : un Italien du nom d'Alfred Di Mari Santo et Pierre Boutté, d'Eu.
En 1949, le grand photographe américain Todd Webb immortalisa au café de la Poste une partie de dominos. Sorte de Jack London venu sur le tard à la photographie, Webb était chargé de documenter les effets du plan Marshall. Les patrons, Emile et Hélène Huet, sont ici à gauche. Qui mettra un nom sur les autres visages ?
En 1980, sous l'enseigne du Café de la Poste, Georges et Huguette Huet cédèrent leur affaire familiale à Vincent Lecerf et Sylvie Quesne.
Au 65 de la rue Guillaume-le-Conquérant, dans un passé récent, il s'est appelé un temps le Deiz mat, (boujou, en breton) avant d'être judicieusement rebaptisé en 2011 Le Bistrot puis la Taverne des Moines, renouant ainsi avec l'histoire. J'y ai fort bien mangé cet été-là dans la cour intérieure, un soir où le soleil couchant enrobait d'or les deux tours de l'abbaye...
La Taverne a fermé ses volets en décembre 2022. Elle a été ensuite reprise par Lise Bruneau-Patin, son mari Loïc Patin, déjà à la tête de la Chèvrerie du Courtil, et Christophe Mauduit, chef-cuisinier du restaurant gastronomique l’Auberge des Ruine. Elle a ouvert ses portes le 8 décembre 2023.
L'auberge du Bac
En
1732, Antoine Fossé tient l'auberge du Passage, Jacques
Lefèbvre en 1750. En 1778, c'est Adrien Leroy. Il y aura bagarre dans son établissement et procès ![]() |
Dans
les années précédant la Grande guerre,
on ne
relève aucun estaminet au Passage. L'Auberge
était tenue
dans les années 60 était tenue par Ernest
Coté et décorée d'armes anciennes. Je
m'y suis rendu souvent avec mon père. Et je garde le souvenir des
grenadines servies dans
des verres bombés. Il y avait sur un mur une assiette
sculptée qui représentait un moine en bombance.
Elle y
est toujours. Et puis il y avait ces nappes vichy qui ne trompaient
personne : on était bien en Normandie. Ernest
était
né à Hénouville, en 1893. Il
s'était
engagé en 1913 et fit la guerre de 14. Il fut
cité
à l'ordre de son régiment pour avoir
évacué
son véhicule de reconnaissance sous les bombardements. Ce
qui
lui valut la Croix de Guerre. Évacué comme malade en 1917,
il
rejoint les armées en 18, fut
démobilisé en
août 19 et regagna Hénouville. Après
quoi, il fut
chef de garage à la centrale d'Yainville. Mon
père lui
succéda. Après avoir quitté l'auberge
du bac,
Ernest a tenu une station service à Duclair.
C'était un
homme tendre comme le bon pain, bien qu'il ait
été
meurtri par un drame familial... Je suis retourné parfois
à l'auberge du bac qui n'a rien perdu de son charme. Quand
votre
repas est rythmé par les allées et venues du bac,
que
rêver de mieux...
Le
café-épicerie du Conihout
En
1825, Simon Gosse et son épouse, Flore
Pélagie Bellet, avaient ouvert un
café-épicerie au
Conihout.
En 1862, M. Gosse devint veuf. Après
sept années de veuvage, en 1869, il épousa sa
servante,
Euphrasie Havert. C'était une enfant trouvée
recueillie
par l'assistance. Venue de
Bourg-Achard, elle avait 19 ans. Et lui... 65 ! |
Sa veuve n'avait alors que la quarantaine mais resta fidèle à sa mémoire. En 1925, Euphrasie Havert fêta les 100 ans du café-épicerie, entourée des pompiers, du garde-champêtre et du maire, Sever Jérémie Boutard, 2e à partir de la droite.
En 1926, Euphrasie tient toujours son commerce. Seule. Après elle, Charles Duparc, le fils d'un agriculteur voisin, fut le patron des lieux. Denise Delahaye est un temps employée de commerce. En 36, Charles Duparc est recensé avec la qualité de charron.
Les cafés des Sablons
En 1913, veille de la Grande guerre, Théophile Hulin, natif du Mesnil en 1872 est attesté comme cafetier "au Sablon" de même que Raoul Martin, natif de Jumièges en 1888.
Chez Canu
|
![]() |
C'était aussi le siège de la "cabine publique" de téléphone – en fait un combiné accroché au mur de l'arrière-salle..."
Mme Gibourdel a vendu son affaire en 1975. Le café a été tenu par Paul Morice, il s'est appelé un temps le café-épicerie des Étangs. Puis Le Rendez-vous des chasseurs. En 2011, j'ai longuement discuté avec la patronne de cet établissement qui en avait gros sur le cœur. Siège social d'une entreprise de nettoyage, le café a pris ensuite le nom de Bar Bare, patron Jacques Lefebvre, avant de fermer le 31 décembre 2011. C'est aujourd'hui une maison particulière.
Quelques figures
Sous l'ancien régime
Delamare, condamné pour trafic
de bois en 1722,
était cabaretier
à Jumièges.
Antoine Fossé tient
"l'Auberge de Jumièges" en 1732 et est locataire du passage
d'eau. Un
homme du nom de Jacques Tranchant, était mort sous son toit
le 23 septembre 1727.
Jacques Lefebvre,
veuf Capelle, époux de Catherine
Lecompte, cabaretier et passager en 1750.
Nicolas Poisson
est aubergiste
en 1752. On le voit témoin de la mort de Valentin
Porgueroult,
laboureur de 52 ans en compagnie d'Étienne Duquesne, batelier. Il est
aussi témoin du décès de Pierre
Delépine,
journalier de 60 ans en compagnie du clerc Jean Hue dont il parraine un
enfant. en 1753.
Georges
Delépine,
époux de
Marie Rose Anne Boutard, aubergiste en 1758.
Augustin Philippe Perrier,
époux de Marie Madeleine Neveu, cabaretier en 1758,
il
avait Jean-Baptiste Moret, cocher, pour ami.
Nicolas Poisson,
veuf
Labarbe, époux de Marguerite Belbarbe, veuve Bardet,
toujours cabaretier
en 1763.
Noël Augustin
Philippe, époux de Marie
Rose
Angélique Vallois, aubergiste en 1776.
Etienne Tougard,
époux de Marie Desmarais, aubergiste en 1780.
Jean Ponty,
époux de Marie-Madeleine Lefrançois, cafetier en
1788.
Sous la Révolution
Cabaretiers : la femme Lasire, le citoyen Tropinel, Noël Augustin Philippe, qui est aussi marchand.
Débitants d'eau de vie : Nicolas Bouteiller le bien nommé, Marie Anne Renout, Jean Ponty, Louis Romain Dépouville, huissier et dont la fille tint un cabaret. Elle est morte en 1826 à 41 ans.
Marchands de cidre : Pierre Deconihout, Emmanuel Heuzé, Jean Baptiste Ouin, qui vend aussi du vin, Pierre Desjardins, Jean Maze fils, au détail, Bruno Harel.
Depuis...
Jean
Isidore Caboulet, 32 ans en 1825, était
cabaretier à Heurteauville.
Pierre Wandrille Dieudonné Chantin,
35 ans,
était marchand-épicier en 1825. En 1826, avec sa
famille,
il acquiert une propriété à
Heurteauville ayant
appartenu à Jean-Victor Hue.
Césarine Mauger,
veuve Persil, native du Landin en 1867 était cafetière en
1901 et 1936. Entre temps, la famille vécut quelque temps
à Yainville.
Hubert Vézier, sur l'épicerie de l'abbaye et le bar des Sports
Jean-Claude Richal a identifié M. et Mme Huet sur la photo de Weeb
Josiane Marchand, Les patentes du canton de Duclair, ADSM.
Gilbert Fromager, "Le canton de Duclair", tomes 1 et 2.
Recensement de la population, Jumièges.
Claude Levasseur, promenade dans la boucle de Jumièges, 2021.
Gisèle Vestu, lettre à Laurent Quevilly..
Jean Mourot, "La blouse du maître".
Dany Deconihout, archives familiales