Cette fois, c'est juré, nous n'aurons plus jamais de roi. En 1848, l'histoire balbutie et ramène la République en France. A Jumièges, cette révolution se traduisit par des élections épiques.


Avec les injustices sociales du gouvernement Guizot, ce fut la fusillade de trop. A Paris, derrière les Républicains et les Libéraux, le peuple se soulève et prend le contrôle de la capitale. Le 24 février 1848, se refusant au bain de sang, Louis Philippe abdique en faveur de son petit-fils, Philippe d'Orléans, âge de 9 ans. Mais ce même jour, la Seconde République est proclamée par Lamartine. C'en est définitivement fini de la monarchie.

A Jumièges, le maire est Casimir Caumont, propriétaire de l'abbaye, grand bourgeois rouennais. Le 20 mars, un mois à peine après la Révolution, il est révoqué ainsi que ses conseillers. On les remplace par une municipalité de transition. En 1848, Caumont voit brutalement s'interrompre son second mandat. Il avait été maire une première fois de 1830 à 1837, date à laquelle il démissionna. Avant d'être rappelé le 1er novembre 1846...

Pierre-Victor Condor est ainsi désigné maire provisoire. Fils d'instituteur, c'est un médecin de 36 ans natif d'Hauville. Il a épousé Célestine Berry dont le grand-père était le chirurgien de Jumièges sous l'ancien régime. 

Les deux adjoints de Condor forment un curieux attelage : Chantin, un Royaliste qui fut maire de 1843 à 1846 et L'Honorey, un farouche Républicain. Clerc du notaire Bicheray, L'honorey est né le 18 avril 1819 à Déville-lès-Rouen. Il a donc 24 ans et vient d'épouser, à Jumièges, Adèle Désirée Boutard, son aînée de quatre ans.

Installé le 26 mars, ce conseil est en outre composé de Goubert (terrassin), Jean-Baptiste-Prosper Chrétien, Lefebvre (cordonnier), Barbey (boucher), Bicheray (notaire), Narcisse Danger, Maillet, Delamare (rentier), Tabouret (serrurier), Jean-Pierre Deconihout (pêcheur) et Honoré Dossier (rentier).  

La grogne des Grognards

La France est alors en arme. Dans tous les villages paradent des milices de gardes nationaux héritées de 89. Parmi les conseillers exclus, cinq appartiennent justement à la garde nationale de Jumièges. Le 27 mars 1848, au commissaire de la République, ils se plaignent amèrement de leur éviction dans un français très approximatif: 

Les citoyens Heuzé, capitaine de la garde nationale et grenadier de l'ancienne garde impériale, Fauvel Aimable, lieutenant de la garde nationale, Boutard Sever, sergent, Simon Cabut et Pierre Le Bourg, propriétaires et cultivateurs se trouvant hors du conseil de la commune de Jumièges d'après l'installation du nouveau conseil qui a eu lieu hier, d'après la dénonciation qui a été portée contre eux, nous sommes blessés d'après notre patriotisme, nous nous sommes réunis pour repousser la vaine calomnie qui a été apportée contre nous.



François Guizot, auquel se réfèrent les gardes nationaux, a été l'homme fort du régime monarchique. Détesté, sa politique a creusé les inégalités sociales. Comme son roi, ill vient de fuir en Angleterre.

Hors donc, ils sont des vrais sentiments et de tout notre cœur adhèrent à la République que nous trouvons très juste et honnête. Autrefois, la garde impériale mourait et ne se rendait pas. Aujourd'hui, elle est accusée au point de ne pas avoir un vrai patriotisme. Nous repoussons de tout notre cœur cette (absurde ?) calomnie.

Le grand Guizot, après s'être entouré de fidèles a été obligé d'aller dans un pays étranger chercher une hospitalité. Il reste, et nous le pensons maintenant, bien de petits Guizot qui viennent à pouvoir à s'entourer de fidèles pour, dans la circonstance actuelle, à leur être agréables (sic).
Ils dénoncent le Royaliste
Pour vous prouver, citoyen commissaire que la dénonciation portée contre nous n'est que vengeance personnelle, c'est que le citoyen Jean Baptiste Chantin, deuxième adjoint de la commune, ne vous a pas été signalé, cependant, c'est constant qu'il a refusé de signer la délibération du conseil municipal à laquelle il adhérait au gouvernement de la République. Par ces motifs, citoyens commissaire, nous vous supplions de révoquer le citoyen Chantin et le remplacer par le citoyen Jean-Baptiste Beauvet, ancien notaire, homme capable.

Parmi les signataires, Sever Boutar est le père d'un futur maire de Jumièges, Simon Cabut, lui, l'a été. Et il le redeviendra...

Jumièges, le 28 mars 1848,

Cher Parent,

Après, ainsi que mes compatriotes trouvés blessés par la nouvelle organisation de la municipalité, nous avons eu une réunion dont je vous ai envoyé le résultat ci-joint que je vous prie de remettre au citoyen commissaire  pour par lui  en juger du mérite et en même temps de m'honorer d'une réponse en m'indiquant les dix-neuf personnages qui sont à élire  au chef-lieu du canton de Duclair le  neuf avril prochain.
Salut et fraternité
Cabut

Mais qui est ce Beauvet !

Qui est cet homme providentiel que réclament nos Grognards ? Jean-Pierre-Valentin Beauvet est né à Jumièges le 11 janvier 1797 de Jean-Pierre-Adrien et de Marie-Victoire Deconihout. Ses parents étaient cultivateurs. Vieille famille du cru attestée à Jumièges depuis le XVIIe siècle...

Le 14 janvier 1831, alors qu'il est notaire royal à Torcy-le-Grand, arrondissement de Dieppe, Beauvet épouse la demi-sœur d'Hector Malot, Cécile. Il a 33 ans. Elle n'en a que 20. Les noces eurent lieu à La Bouille où le père de la mariée, Jean-Baptiste Malot, avait son étude notariale, rue de Seine. Beauvet lui succédera dès l'année suivante. Pour trois ans...

Pour ses activités professionnelles qui s'étendent également à Mauny et Grand-Couronne, Me Beauvet aura donc sa résidence principale à La Bouille. Mais il conserve la maison de ses ancêtres, sise section du Hameau. Quand il s'engage dans la vie politique à Jumièges, voilà qui va lui poser quelques problèmes...
Hector avait un an...

Au moment où Beauvet épouse sa Cécile, le petit Hector Malot, demi-frère de la mariée, vient tout juste de naître. Il est issu d'un second lit de Jean-Baptiste Malot avec Victoire Lebourgeois, née elle aussi à Jumièges en 1797.



Une représentation de Beauvet. Ce vitrail fut offert, en 1896, à l'église de La Bouille par Hector Malot et les familles Beauvet et Drapeau en souvenir des trois notaires de ce nom.(Photo : Agnès Thomas-Malville, descendante d'Hector Malot).


Élu, suspendu, réélu...


Avant lui, dès 1830, le père de Beauvet fut conseiller municipal de Jumièges. Réélu en 1837, il alla aussitôt habiter chez son fils à La Bouille. Pour y rendre l'âme. Jean-Pierre-Valentin le remplace alors au conseil de Jumièges.

Le 29 juin 1844, on retrouve Beauvet-fils à l'auberge Savalle. Un érudit vient de mourir : il s'agit de Charles-Antoine Deshayes, l'auteur de la fameuse Histoire de l'abbaye royale Saint-Pierre de Jumièges. Ce jour-là, on procède donc à la vente de ses biens. Pour 19 F, Beauvet se porte acquéreur de l'encyclopédie de Buffon. 39 volumes ! De quoi meubler ses soirées. Au moins ses étagères...

En janvier 1845, Beauvet-fils est une première fois suspendu par le préfet. Motif : retenu trop souvent à La Bouille, il a manqué trois séances du conseil. Celui-ci est alors présidé par Jean-Baptiste Chantin, le royaliste bon teint.

 Mais quand Beauvet est mis à la porte, il revient par la fenêtre...

Les gardes nationaux ont finalement fait mouche. Le 4 avril 1848, quand Chantin le Royaliste est révoqué, on nomme Beauvet second adjoint, chargé d'Heurteauville, cette section de Jumièges située de l'autre côté de l'eau.  Le 4 avril, furent également nommés pour compléter le conseil provisoire de Jumièges Sabatier, cultivateur et Lambert, propriétaire.

L'arbre de la Liberté

En attendant, on prépare une fête bien républicaine qui renoue avec les traditions révolutionnaires de 89 et 1830. Le 5 avril 1848, sur une lettre à l'en-tête du maire, L'Honorey, le premier adjoint, se permet de s'adresser au citoyen Bachelet*, de Rouen.

La fête de l'inauguration de l'arbre de la Liberté à Jumièges reste définitivement fixée à lundi prochain, 10 ce mois. Je m'occupe, d'accord avec le maire et le président de notre comité républicain, de cette cérémonie.

Nous avons adressés des invitations à Duclair, Caudebec, Guerbaville, La Mailleraye et aux maires des environs. Nous comptons sur le concours de tous. Notre souscription est ouverte à tous les patriotes, à tous ceux, qui comme vous, veulent franchement la République.


Vous m'avez permis, citoyen, d'assister à votre fête. Nous comptons tous sur votre présence, votre patriotisme et votre dévouement à la sainte cause de la liberté inséparable de la République nous y autorisent.

Ne pouvant adresser à tout le monde des invitations personnelles, veuillez inviter en notre nom les citoyens Dubois, Godard, Hardy etc.

* Le citoyen Bachelet auquel s'adresse L'Honorey sera traduit avec lui devant les tribunaux de Napoléon III pour leurs idées socialistes après un scandale dans les rues de Jumièges.


Charles Deschamps, bâtonnier du barreau de Rouen, est un éphémère commissaire du gouvernement.
Le 14 avril, Condor, maire de Jumièges, écrit à Charles Deschamps, commissaire du gouvernement provisoire pour le département.

Citoyen,

J'ai reçu le  7 courant votre arrêté du 4 de ce mois qui adjoint à la commission municipale provisoire de Jumièges les citoyens Beauvet, Lambert et Sabatier et révoque le citoyen Chantin des fonctions de conseiller et d'adjoint. Cette révocation, citoyen, commissaire, est loin de m'étonner, j'aurais moi-même provoqué cette destitution si, dans une conversation que j'eus avec lui il y a quelques jours, le citoyen Chantin ne m'avait annoncé sa démission que j'attendais par écrit pour vous l'adresser.

Les citoyens Lambert et Sabatier sont deux excellents patriotes et j'espère que l'élection générale communale sanctionnera cette nomination. Je leur ai de suite notifié l'arrêté qui les nomment mais je n'ai pu qu'écrire au citoyen Beauvet, attendu qu'il demeure à La Bouille. Quant à ce dernier, vous me permettrez citoyen commissaire de considérer son choix comme beaucoup moins heureux....

Condor charge Beauvet


Je crois aussi devoir vous faire part, citoyen, des nombreuses plaintes et réclamations qu'élève dans l'important hameau d"Heurteauville la nomination du citoyen Beauvet comme adjoint spécial de ce hameau puisqu'il remplace celui révoqué. La population de ma commune (1.674 habitants) n'exigerait pas deux adjoints s'il ne dépendait de Jumièges, de l'autre côté de la Seine sur la rive gauche, un important hameau, celui d'Heurteauville, d'une superficie de 636 hectares et d'une population de 553 habitants (...) toujours difficiles sont souvent interceptées par suite des grandes eaux, des glaces et du mauvais temps. Ce hameau a son garde champêtre particulier et son adjoint spécial qui, l'un et l'autre, doivent nécessairement résider dans la section.
M. Beauvet n'habite pas, non seulement le hameau d'Heurteauville, mais pas même Jumièges où il a néanmoins quelques propriétés sur la rive droite. Il est de fait et de droit domicilié à La Bouille, il ne peut, par conséquent, être l'adjoint d'Heuteauville.
La présence d'un adjoint dans ce hameau est pourtant indispensable sur tous les rapports, tant pour la surveillance de la police locale que pour me suppléer, car vous savez, citoyen commissaire, que le maire est souvent appelé comme conciliateur entre deux voisins, pour une raie de terre retournée, une borne déplacée, un arbre mal planté et une infinité de petites dissensions qui, sans son intervention, deviendraient de grands procès. L'adjoint d'Heurteauville a, pour cela, toujours suppléé le maire, mais il n'est pas possible aujourd'hui aux habitants de ce hameau de l'aller chercher à La Bouille.
La suppression de l'adjoint d'Heurteauville, car je ne puis considérer le citoyen Beauvet comme le remplaçant, me donne à moi et à mon adjoint surtout, le citoyen L'Honorey, qui chaque jour donne tant de preuves de vrai patriotisme et de zèle, une double charge qui nous expose à négliger une partie de l'administration.
Je ne peux donc, citoyen commissaire, que me joindre aux habitants d'Heurteauville pour vous prier de faire droit à leurs justes réclamations, en rapportant en ce qui concerne le citoyen Beauvet, votre arrêté du 4 de ce mois.
Le citoyen Mallet, membre actuel de la commission municipale ou le citoyen Boucachard, boulanger, tous deux bons patriotes, feraient l'un ou l'autre, par leur position au centre du hameau, un très bon adjoint. Permettez-moi, citoyen commissaire, de vous les présenter.
Salut et fraternité,
le maire provisoire
CONDOR.

A Rouen, Charles Deschamps démissionne en mai de ses fonctions de commissaire du gouvernement. Des émeutes dans la capitale normande et son échec à l'assemblée constituante en sont les raisons. Condor doit revenir à la charge auprès d'Hypollite Dussard qui bientôt prendra le titre de préfet...

J'ai eu l'honneur de faire part à votre prédécesseur, le citoyen Deschamps, le 14 avril dernier, des justes et nombreuses réclamations que m'adressaient l'important hameau d'Heurteauville, ordinairement si tranquille, contre la nomination pour adjoint spécial de ce hameau du citoyen Beauvet qui demeure de fait et de droit à La Bouille.
Pour calmer les plaintes de ces paisibles habitants, je leur ai annoncé que j'avais transmis au citoyen commissaire de notre Département leur réclamation et qu'ils pouvaient attendre de sa justice et de sa sollicitude (...) Tous les jours on me demande une réponse que je n'ai pas eu l'avantage d'obtenir, je m'en suis excusé jusqu'alors, en disant que les élections générales absorbaient tous les instants du citoyen commissaire, mais aujourd'hui il ne m'est plus possible d'éluder la question et je viens en conséquence, citoyen commissaire, vous prier de me mettre à même de satisfaire mes administrés de ce hameau...

Caumont sort de sa réserve



Le 9 mai 1848, de l'abbaye de Jumièges dont il est propriétaire, c'est Casimir Caumont qui sort de sa réserve pour apporter son grain de sel. Il use d'une lettre dont l'en-tête, "Le maire de Jumièges", a été barrée.

La commune de Jumièges est située sur les deux rives de la Seine. Le hameau d'Heurteauville se trouve sur la rive gauche. Les fortes marées, les inondations, les glaces pouvant rendre les communications momentanément impossibles, dangereuses avec le bourg, Heurteauville avait un adjoint spécial y résidant en vertu du 2° paragraphe de l'art 2 de la loi du 21 mars 1831. M. Chantin Jn qui a été révoqué et remplacé par M. Beauvet qui habite La Bouille.
L'adjoint spécial à Heurteauville vient ainsi en aide au maire de Jumièges pour l'administration de ce hameau qui contient 6 à 700 habitants et au nom desquels je vous adresse cette réclamation.
Je suis persuadé, Monsieur le commissaire général qu'il suffira de vous signaler l'erreur commise sous votre prédécesseur. Salut, Fraternité et Respect.

Casimir CAUMONT,
ancien maire de Jumièges après la Révolution de 1830 et avant celle de 1848.

Et d'ajouter un post-scriptum :

J'apprends que M. le maire de Jumièges vous a a dressé la même réclamation et c'est d'après son autorisation et son indication que j'ai l'honneur de vous désigner M. Mallet, résidant au centre du hameau d'Heurteauville, comme l'un des membres du conseil municipal de cette résidence capables de remplir les fonctions d'adjoint spécial.


Et Beauvet est révoqué

La protestation des Condor et Caumont a porté ses fruits. Le 19 mai 1848, Beauvet est révoqué. On nomme à sa place le sieur Mallet comme 2e adjoint.

Mais la République est encore fragile et les détenteurs de capitaux la minent. La fermeture des Ateliers nationaux provoque une nouvelle révolte à Paris le 22 juin 1838. La garde nationale de Jumièges participera au rétablissement de l'ordre dans la capitale. Ce qui lui vaudra quelques critiques.

Et voilà que se profilent les premières élections au suffrage universel. Elles auront lieu le 30 juillet 1848 .

Dans cette perspective, Condor adressa cette lettre non datée au "citoyen préfet" :

 Nouvelles règles de vote
Depuis 1815, la monarchie avait rétabli le suffrage censitaire réservé aux hommes d'au moins 30 ans et disposant d'un certain revenu. L'âge minimum fut abaissé à 25 ans en 1830..

La Révolution de 1848 instaure le suffrage universel masculin sauf pour les militaires et les Français de l'étranger. Pour voter, il faut avoir au moins 21 ans et résider depuis six mois au même endroit.

En 1843, sur la demande des habitants d'Heurteauville, hameau fort populeux dépendant de Jumièges et séparé du chef-lieu par la Seine, il a été établi une section spéciale pour ce hameau relativement à  l'élection des membres du conseil municipal. Le nombre de membres que cette section a été appelée à élire a été fixé à cinq parmi lesquels il doit être nommé un adjoint chargé de l'état-civil et de la police rurale du hameau.
Les élections se sont ainsi faites depuis. Je pense, avec mon conseil municipal, citoyen préfet, que la section du hameau d'Heurteauville établie en conformité de l'article 45 de la loi du 21 mars 1831 pour l'élection des cinq membres que l'on doit élire distinctement ne saurait être supprimée sans les plus graves inconvénients et dans l'intérêt d'une bonne administration. Je viens encore vous prier de demander le maintien en exécution de la loi nouvelle et de la circulaire du citoyen ministre de l'Intérieur.


A ces élections, Casimir Caumont tentera de reconquérir son siège. Mais il est battu. 66 voix sur 240 votants.

Le banquet républicain


Le mardi 15 août, c'est encore la fête à Jumièges. Le compte-rendu du Journal de Rouen :  

 Un banquet a été donné mardi dernier, à Jumièges, par trente gardes nationaux de cette commune. Aux volontaires de juin, leurs camarades, et à MM. Lefebvre et Minotte (le futur garde-champêtre), qui dirigent avec zèle l'instruction militaire de la garde nationale de Jumièges.

Ce banquet était présidé par M. Bicheray, chef de bataillon.

L'union la plus parfaite n'a cessé de régner pendant le dîner, plusieurs toasts empreints d'un sincère patriotisme ont été portés. Le premier de tous l'a été à la République.

La petite fête s'est dignement terminée par une collecte pour les pauvres de la commune. Elle s'est élevée à la somme de 28F.

Deux jours plus tard, un drame se déroule à Jumièges. Occupé à extraire des blocs de pierre pour l'endiguement de la Seine, un ouvrier de Cormeilles, Désiré Baron, meurt écrasé sous un énorme rocher qui se détache de la carrière.

Les élections vues par L'Honorey

Le même jour, 17 août, L'Honorey commente ainsi les élections au préfet.

« Le résultat de la 1ère section (Jumièges) est déplorable. Tous les citoyens instruits et dévoués aux intérêts de la commune ont été éliminés et le nouveau conseil, à 2 ou 3 exceptions près, se trouve composé de tout ce que la commune offre de moins intelligent, de gens ne sachant ni lire ni écrire et d'aveugles. 

Et qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas la le triomphe du principe démocratique car tous les nouveaux élus ont été pris dans les anciens électeurs censitaires communaux. C'est une première et fâcheuse épreuve du suffrage universel qui n'en a conservé pas moins toutes mes sympathies comme le seul juste et le seul en harmonie avec le principe républicain. 

L'ignorance, l'intrigue et la calomnie que nous avons dédaigné de combattre ont triomphé.

Le marais communal a été pour beaucoup dans le triomphe de la coterie qui doit bientôt diriger ma pauvre commune. Jumièges possède un vaste terrain qui ne produisait en 1846 que 1.975 francs et dont le produit, en 1848, s'élève à 2.945 francs par suite de la répression d'une fraude qui se commettait et de l'augmentation de la taxe de la pâture portée de 5 à 7 francs mais dont le produit pourrait être aisément quintuplé par le défrichement avantageux d'une partie de ce terrain et le facile assèchement de l'autre, assèchement que la salubrité publique réclame et que l'augmentation du produit aurait permis d'entreprendre. 

On a promis aux habitants, pour prix de l'élection des nouveaux membres, de laisser la taxe de la pâture à 2 francs, ce qui réduirait le produit à 800 F et interdirait, faute de ressources, toute amélioration, et cependant ce moyen a réussi sur des esprits faibles.
Il n'est pas un de nous, citoyen préfet, qui ait compté l'élection au prix du sacrifice de l'intérêt de la commune. 

On nous a fait aussi un crime d'avoir spontanément couru à la défense de l'ordre dans les malheureuses journées de juin. Cinq conseillers, comprenant le commandant et un capitaine, étaient partis comme gardes nationaux. Aucun n'a été réélu. Nous sommes, dit-on, des hommes dangereux qui exposeraient les habitants à se faire tuer dans le cas d'émeute. Pauvres gens !

Un incident dont j'ai eu l'honneur d'entretenir le citoyen secrétaire général s'est produit dans notre élection qui a eu lieu suivant votre arrêté, citoyen préfet, en deux sections appelée l'une et l'autre à voter le même jour, 30 juillet.

A la section d'Heurteauville, le scrutin a été ouvert à 8 h 30 du matin et fermé à midi, le dépouillement terminé à midi 45 minutes m'a donné la majorité absolue (50 suffrages sur 88 votants).

A la section de Jumièges, le scrutin ouvert à 10h du matin a été fini à 1h 20 minutes et le dépouillement terminé à 6h du soir a donné la majorité absolue (140 voix sur 240 votants) à M. Léon Boutard, mon beau-frère et par conséquent non compatible. J'obtenais à Jumièges à ce même tour de scrutin 85 suffrages et M. Boutard, à Heurteauville, 2 seulement. Je sais que les voix obtenues dans ce cas dans des sections différentes ne peuvent être comptées, mais elles indiquent au moins une certaine sympathie. Je me demande lequel de nous deux est nommé et si cette double élection incompatible n'entraîne pas la nullité des deux. Léon Boutard est le fils de François Boutard, ancien maire de Jumièges, propriétaire de la ferme de la Grange  à Heurteauville, décédé le 15 mai 1841. Sa sœur Adèle est l'épouse de L'Honorey. C'est elle qui donnera une portion de terrain pour qu'Heurteauville ait son cimetière


M. Dossier élu au 2e tour de scrutin à la section de Jumièges, n'a pas cru devoir ampter, devra-t-il être procédé à son remplacement avant l'installation du nouveau conseil ? J'attends à cet égard, citoyen préfet, vos instructions. 

Mais Boutard est soutenu

Les soussignés MM Léon Boutard, Florentin Le Bourg, Sever Boutard, tous trois électeurs et nommés récemment conseillers municipaux ont l'honneur de vous exposer que M. Léon Boutard ayant obtenu majorité dans l'élection de la commune de Jumièges, il existe une contestation entre M. Léon Boutard et M. L'Honorey, tous deux beaux frères. M. Léon Boutard ayant obtenu un plus grand nombre de suffrages que le sieur L'Honorey qui se trouve le plus jeune des deux beaux-frères, ayant égard aux dispositions de la loi, le sieur Léon Boutard vous prie de le considérer de droit membre élu du conseil municipal de Jumièges, par les faits, il reste donc à élire deux conseillers municipaux pour compléter le nombre puisque M. Dossier (Honoré) a donné sa démission qui est constatée au procès-verbal de la 1ère section, il résulte donc que M. L'Honorey se trouve exclu de droit.

Décidément, l'année 1848 est néfaste à Caumont. Conseiller sortant d'arrondissement, il est battu le 3 septembre par le maire de Duclair, Rigoult : 483 voix contre 409.

Le 11 septembre 1848 , Pierre-Victor Condor, toujours maire provisoire, écrit au préfet :

J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli les procès-verbaux de l'élection d'un conseiller municipal dans la 2e section de Jumièges. Le citoyen Mallet, deuxième adjoint, présidant l'assemblée en l'absence du citoyen L'Honorey, empêché, a cru devoir se contenter d'une majorité relative pour la dénomination du citoyen Capelle... qui a obtenu 29 voix sur 63 votants.
Comme je pense que la nomination étant irrégulière puisqu'il n'y a pas eu de majorité absolue au premier tour,  l'élection ne peut être validée, je vous prie de vouloir bien fixer par un arrêté le jour le plus prochain pour recommencer l'opération.

La lettre du corbeau

J'ai l'honneur de vous rendre compte des élections de la commune de Jumièges et notamment de la première section qui est vraiment déplorable car, d'après la cabale qui a eu lieu, Sever Boutard ainsi que Pierre Lebourg et Boutard Léon ont été dans les maisons solliciter des votes. Ils ont fait mieux. Car ils ont donné des bulletins aux enfants Barnabé et les ont conduits jusqu'à la porte de la mairie pour « voté ». 

Ainsi, on peut dire que c'est vraiment une captation, la loi réprime tous ces délits, voici pourquoi on a fait tant de cabale contre M. Bicheray et M. L'Honorey, c'est pour avoir fait battre le rappel et avoir été défendre la patrie. Ainsi, je vous laisse en juger vous-même de pareils faits. D'après le décret (…) article 10 de l'assemblée nationale, M. Beauvet ne peut être maire, attendu quand il était du conseil, il mit la République en doute devant tous les membres. Subsédemment (sic) je conclus à l'annulation de l'élection de M. Simon Cabut, ancien maire, qui fut révoqué de ces fonctions et notamment pour avoir fait un mandat au nom de Pierre Guiot d'une somme de 80F ou 60F. Cet argent fut perdu pour la commune pour avoir fait des travaux dans la commune, le sieur Guiot déclare que jamais il n'avait fait aucun travaux, aussi M. Picard, ancien percepteur, dit au sieur Cabut comment il osait faire « une pareille acte », aussi, il ne peut répondre. 

C'est pourquoi je pense que vous n'hésiterez pas d'annuler la dite élection car on serait obligés d'écrire à l'assemblée nationale ainsi je vous engage d'écrire à M. le maire qui vous envoie un certificat du sieur Guiot pour vous convaincre de la vérité ainsi qu'à M. Picard, receveur de Darnétal. Il se trouve aussi un failli, je pense, qui n'est pas réhabilité, je vous prie de prendre des enseignements à cet effet comme la loi ne dit pas qu'il faut savoir lire et écrire pour être du conseil mais elle ne dit pas non plus qui si on ne sait pas lire ni écrire qu'on pou... occuper cette place. 

Les lois laissent à cet effet M. le ministre maître ou M. le préfet de révoquer à ce sujet tous citoyens pour cette cause, au mieux écrivez au sieur Pierre Guiot lui-même. Je vous prie de suspendre l'installation du conseil pour l'honneur du pays. Salut et fraternité. Un anonyme.

Le 16 septembre deux nouveaux conseillers sont élus pour remplacer dans la section de Jumièges Dossier et Delamarre démissionnaires.

Une pétition

Le 24 septembre, une pétition demande l'installation immédiate de l'administration municipale à l'élection de laquelle nous avons procédé. L'irrégularité qui se rencontre, dit-on, dans le dernier vote de la section d'Heuteauville, ne modifiera nullement par une élection ultérieure les choix maintenant arrêtés des officiers  municipaux. Ainsi, l'on pourra sans inconvénient s'occuper plus tard, s'il y a lieu de la nomination unique restant à faire.
La plupart des communes sont maintenant pourvues d'administrations définitives, la nôtre seule peut-être se trouve encore privée de cet avantage et sa situation précaire nous semble préjudiciable à ses intérêts, notamment en ce qu'elle nous prive d'un garde-champêtre et que des délits de toute nature restent chaque jour sans répression.
Nous vous prions donc, M. de faire droit à notre demande, sauf à la section d'Heuteauville à parfaire le plus tôt possible sa représentation si l'on croit que ce soit nécessaire. 

Groult Laurent, Valentin Billier, Félix Duparc, Frédéric Ouin, Augustin Lebourg, Jacques Dominique Lambert, Lambert Eléonor, Boutard Sever, Delamare, Valentin Neveu, Martin Lefebvre, Jean Baptiste …. Jacques Lambert, Patrice Lambert, Lambert V..., Alphonse Neveu, Fre... Prosper, Jean Duquesne, Pierre Vauquelin Lambert,  P... Ouin.

Lors des élections complémentaires du 15 octobre, Caumont est réélu sur le fil. 35 voix sur 71 votants. Au poste de maire, on va lui préfère Beauvet.

Victor Condor signa son dernier acte comme maire provisoire le 6 novembre 1848. Valentin Lambert prit sa relève le 18.

Retour de Beauvet, Vive Cavaignac !

 Le 12 novembre 1848 Beauvet est élu maire par 9 voix sur 16 votants. Deux jours plus tard, Caumont, Boutard, Condor, L'Honorey et Tabouret s'empressent de contester cette nomination au vu que Beauvet réside à La Bouille.

Tandis que se déroulent ces intrigues politiques, une belle harmonie de façade s'affiche dans le Journal de Rouen a qui quelqu'un écrit le 20 novembre. « Nous avons eu hier notre fête de la Constitution qu'un très beau temps a favorisée. La lecture de la constitution a eu lieu sur la place publique après un Te deum chanté à l'église en présence du conseil municipal, de M. le curé et son clergé*, de la garde nationale et d'une nombreuse population qui a écouté avec recueillement chaque article de notre nouveau code politique. Après cette lecture, les cris répétés de Vive la République ! Vivre Cavaignac ! Ont prouvé que, quoi qu'en disent les journaux des prétendants de couleur plus ou moins blanche, nos habitants des campagnes savent comprendre l'ère nouvelle que l'œuvre de nos représentants est appelée à consolider. On a vu avec plaisir, dans ce pays aux traditions monacales et absolutistes, le peuple apprécier aussi judicieusement les droits et devoirs de l'homme libre.
La garde nationale était fort nombreuse et jamais ses rangs n'avaient compté autant d'uniformes. Après la cérémonie, les gardes nationaux se sont réunis chez l'un d'eux et ont fraternisé. »
* Le curé de Jumièges est alors l'abbé Prévost, enfant du pays.


Acclamé par les Jumiégeois Louis Eugène Cavaignac (1802-1857) est un général et homme politique français. Gouverneur d'Algérie puis président du Conseil des ministres durant l'année 1848. Candidat des Républicains modérés à l'élection présidentielle, il sera battu en décembre par Louis-Napoléon Bonaparte.


Le 23 novembre, Charles Drapeau, le maire de la Bouille s'en mêle. Il certifie que Beauvet habite bien sa commune, qu'il est inscrit sur les listes électorales, le jury, la garde nationale. Il y paye une cote personnelle et mobilière. Très confraternel ! Drapeau est notaire et il a succédé à Beauvet dans l'étude de Me Malot...

Le même jour, Beauvet riposte par une lettre au préfet :

Citoyen,

On dit que mon élection est attaquée. Je ne sais par qui ni pourquoi. Cependant, une rumeur circule : on me parle de défaut de domicile. Voici ma réponse à cet égard.

Jumièges est le lieu de ma naissance. Ma famille y demeure depuis trois siècles. Moi-même, je ne l'ai quittée momentanément que pour aller ailleurs exercer une profession emportant résidence obligée. A l'époque de ma retraite, je suis revenu à Jumièges habiter la maison de mes aïeux. Mais celle que j'abandonnais à La Bouille n'a pu être louée. J'ai continué de la fréquenter. Je n'ai point passé de déclaration de changement de domicile, par conséquent, on a pu croire que je conservais à La Bouille celui que j'avais dû y prendre pour la pratique de mon état. J'avoue que je n'ai rien fait pour empêcher cette supposition de s'accréditer. Toutefois, si le lieu du domicile peut se déduire des circonstances, à défaut de déclaration expresse (art. 105 du code civil), c'est bien à Jumièges que je demeure. J'y reste des années entières sans en sortir. Là est mon principal établissement. J'y fais valoir, fort en petit il est vrai, de la terre de labour, des prés, un taillis, un verger, une pépinière etc. tandis qu'à La Bouille, et n'exerce aucun état et n'occupe qu'une simple maison.

Je paye la contribution mobilière dans les deux communes. On m'avait même imposé à la cote personnelle dans l'une comme dans l'autre. C'était par trop fort. Je me suis plaint et je crois, n'ayant pas mon bordereau sous les yeux, qu'on m'a laissé l'unité. Dans des actes publics, on a dit tantôt que j'étais domicilié à La Bouille, tantôt que je l'étais à Jumièges. Enfin vous même, Monsieur le préfet, dans les permis de chasse que vous me délivrez, vous dites que je demeure à Jumièges et cela, sans doute, sur de bonnes attestations (...) C'est à ne plus s'y reconnaître. Je m'y perds moi-même, et dans ma perplexité, je crains bien qu'il soit arrivé à ceux qui vous ont adressé les certificats sur le vu desquels vous m'accordez mes ports d'armes, d'être aussi ceux qui m'assignent une résidence toute différente aujourd'hui. Pour apprécier la moralité de cette affaire, je vous prie, citoyen, d'y prendre garde.

Au surplus, j'ai pris domicile à Jumièges le jour même de l'élection. En l'approuvant, vous donnerez à la commune un maire domicilié dans son sein et c'est tout ce que prescrit l'art. 4 de la loi de 1881. 




Jumièges ce 23
9bre 1848.
Salut et  fraternité

Le maire désigné de Jumièges

Beauvet

L'Honorey enfonce Beauvet

25 novembre. L'Hororey insiste auprès du préfet. « Il est à remarquer que seulement après son élection comme maire, et comme conséquence de cette élection, le citoyen Beauvet a déclaré faire son domicile à Jumièges, ainsi, au moment de l'élection, il n'y était pas domicilié et sa principale demeure est encore aujourd'hui à La Bouille où réside sa femme et ses enfants. Aucune cessation de domicile n'a encore été faite en cette commune ainsi que l'atteste le certificat du maire que j'ai l'honneur de vous adresser. Il nous importerait peu, citoyen préfet, que M. Beauvet ait été précédemment domicilié à Jumièges si on pouvait espérer  rencontrer en lui l'homme dévoué à nos intérêts communaux et à nos institutions républicaines, mais malheureusement il n'en est pas ainsi et s'il en était besoin, je serais prêt, citoyen préfet, à vous donner des renseignements certains établissant le contraire.

Depuis dix huit ans, M. Beauvet courait après une écharpe municipale et dans cet espoir il a alternativement tantôt fixé son domicile à Jumièges, puis à La Bouille, est revenu à Jumièges pour retourner après en celui à La Bouille, changeant de commune selon que l'une, au moment des élections, lui offrait plus de chances que l'autre et cette année encore, élu le dernier à La Bouille, il n'a opté pour Jumièges qu'après l'élection du maire à laquelle il espérait. Le citoyen maire de La Bouille peut d'ailleurs, citoyen préfet, vous donner des renseignements précis sur l'homme que je considérerais comme un malheur de voir à la tête de ma commune.

L'affaire devant les tribunaux

Le 13 décembre 1848, la préfecture décide de s'en remettre au tribunal civil pour statuer sur le domicile de Beauvet.

24 décembre 1848. De Duclair, Metterie, huissier, écrit au procureur de la République.

Le 23 du mois, j'ai reçu un réquisitoire pour assigner M. Beauvet, maire de Jumièges, devant le tribunal civil en fixation de domicile. Aujourd'hui, 24, M. le juge de paix me communique une lettre dans laquelle vous m'ordonnez d'assigner M. Beauvet pour le 3 janvier, aujourd'hui et demain, jour de Noël étant deux jours fériés et ne s'agissant pas de poursuites en nature criminelle, je ne pourrai assigner valablement M. Beauvet que le 26, mais alors il n'y aura plus entre ce délai et celui de la comparution la 8e franche voulue par la loi.
Dans la circonstance, je viens vous prie, Monsieur le procureur, de bien vouloir me dire s'il faut assigner M. Beauvet pour  le 3 janvier sans avoir égard au délai de 8e ou s'il faut fixer la comparution à un jour plus reculé, jour que vous auriez, dans ce cas, la bonté de m'indiquer.

Le 27 décembre, Jean Baptiste Ferdinand Metterie assigna finalement Beauvet à comparaître le 8 janvier.

Deux maires provisoires se succèdent

Après Condor, et malgré l'élection si contestée de Beauvet, deux maires provisoires se sont succédé. D'abord Valentin Lambert qui habite loin du centre-bourg et lassé de cette situation.
 Le 2 février 1849 il demande au préfet de démissionner, « éloigné de la mairie et l'organisation municipale de notre commune paraissant ajournée... »
Ce même jour, il préside un conseil et donne lecture d'une lettre de Casimir Caumont lui reprochant de ne pas avoir pris les dispositions nécessaires pour engager les travaux de la maison d'école "bien qu'il importe (à l'intérêt de la commune) que ces travaux commencent au début de la carrière qui va s'ouvrir...."
Le conseil de 1849

Au 2 février, le conseil est composé de Lambert,  maire par intérim, Cabut, et Mallet, adjoints, Sever et Léon Boutard, Lebourg, Sabatier, Deconihout, Fauvel, Pierre Vauquelin, Le... Saint-André, Barnabé, Heuzé, Caumont (absent)  et Beauvet, élu secrétaire de séance.
Caumont a été délégué par le préfet pour les entreprendre et les surveiller en qualité de conseiller municipal. Lambert se défend. Il n'a pas entrepris ces travaux parce qu'il n'était que maire provisoire, ce qui, à ses yeux, lui interdisait d'engager ainsi la commune. Son souhait, c'était de cesser cette fonction précaire. Or c'est Casimir Caumont qui, par ses protestations à l'égard de la composition du conseil, a retardé la mise en place d'une municipalité définitive.
Le conseil supplie Lambert de rester à son poste jusqu'à l'élection du maire et lui vote des remerciements.
Le 7 février 1849, l'élection de Beauvet est officiellement annulée par le conseil de préfecture qui ordonne au conseil de procéder à une nouvelle élection le dimanche 11 février.

Et Beauvet est réélu !

Seulement, le 11 février 1849 Beauvet est de nouveau élu maire. Le 15, L'Honorey demande encore l'annulation de cette nouvelle élection. Argument : Beauvet réside depuis moins de six mois à Jumièges.
Le 18 février, Cabut, conseiller, devenu à son tour maire par intérim, adresse au préfet le procès-verbal de la réélection de Beauvet et assure, la main sur le cœur, qu'aucune réclamation n'a été signifiée au conseil sur la validité des opérations.

 Le 25 février 1849, Beauvet écrit au préfet : « Je pense qu'il est nullement nécessaire que l'on me signifie le jugement qui annule mon élection. En tant que de besoins, je déclare le tenir bon  pour signifié. Mais vous m'obligeriez, Monsieur, si vous vouliez bien avoir la complaisance de m'en faire adresser de vos bureaux une simple copie. Puissiez-vous maintenant, Monsieur, prendre bientôt un arrêté qui permette à la commune de procéder à un nouveau choix, de l'organiser enfin et de sortir de l'état d'oubli dans lequel elle semble plongée depuis trop longtemps... »

La justice tranche

 Le 7 mars 1849 la demande en annulation intentée par L'Honorey est rejetée par le préfet. Ses arguments du délai de six mois ne tiennent pas. Il suffit d'habiter une commune le jour de son élection pour pourvoir en être maire. C'est ce qu'a considéré le tribunal civil. L'élection de Beauvet est cette fois validée.
 
Alors, le 18 mars 1849 Beauvet revêt l'écharpe de maire et nomme comme adjoints les dévoués Cabut et Sabatier. Sont également présents Lambert, Euzé, Le Picard, Sever Boutard, Léon Boutard, Mallet, Fauvel, Pierre Vauquelin, Valentin Vauquelin et Saint-André. Comme le veut la règle, un inventaire est dressé des archives et du mobilier de la mairie.

Le 20 mars 1849 Beauvet adresse au préfet le PV de son installation et de ses adjoints au préfet. Il demande l'approbation de cet acte « afin d'être confirmé dans la croyance où je suis qu'ils devaient être installés et de pouvoir leur répartir quelque besogne, s'il s'en présente, avec la certitude de les voir fonctionner régulièrement.
Je rappelle à votre souvenir, Monsieur, qu'une demande vous a été par moi adressée par rapport à une rectification de chemin que le conseil a jugée très propice pour arriver au placement de notre école-mairie. Je viens vous prier au nom de ce conseil de bien vouloir accueillir notre proposition...

Un mandat de deux ans

Que d'intrigues pour en arriver là. En mai, la France renvoya à l'Assemblée une majorité royaliste. Le mandat de Beauvet ne durera que deux ans. En décembre 1851, le voilà de nouveau suspendu. Avec son coup d'Etat, Napoléon III fait le grand ménage dans l'administration. On rappelle Casimir Caumont au poste de maire de Jumièges pour un troisième mandat.

Beauvet ne s'effaça pas du paysage politique. En 1853, on le voit intervenir dans un litige qui durait depuis... 1570 ! Aux lieux-dits du Home et du Braquetuit, les habitants revendiquaient un droit de pâture qui leur fut régulièrement contesté au fil des siècles par les moines. En 1853, Beauvet est donc des trois hommes qui, devant notaire, obtinrent définitivement gain de cause en faveur de  leurs concitoyens.

On lui avait reproché sa maison de La Bouille. C'est bien dans celle de Jumièges que Jean-Pierre-Valentin Beauvet mourut le 1er décembre 1862 à l'âge de 65 ans. Il y avait alors trois ans que son prestigieux beau-frère, Hector Malot, avait publié son premier roman. 

Cécile Malot, l'épouse de Beauvet, survivra plus de 30 ans à son défunt mari. Et c'est également à Jumièges qu'elle s'éteindra le 30 septembre 1897. Alphonse Bulley, un journalier et l'épicier, Albert Bouquet, déclarèrent son décès en se disant ses amis.


 

Notes

Témoins du mariage de Beauvet et Cécile Malot  : Louis François Varengue, notaire honoraire âgé de 63 ans, Alphonse Louis Marie Varengue, notaire royal âgé de  34 ans demeurant à Rouen, amis du futur, Jean Bernard Bataille, 63 ans, maire de Sahurs, oncle de la future, époux de feue Catherine Boulon, enfin Jean François Antoine Ferry, 69 ans, suppléant de justice de Paix, 18 rue de l'Hôpital à Rouen, cousin de la future. Parents, époux et témoins signent ainsi que Renoir, maire provisoire de La Bouille et Prudence Malot.

Acte de décès de Beauvet : Du premier jour de décembre, l'an mil huit cent soixante deux, à une heure après midi, acte de décès de Beauvet Jean Pierre Valentin, décédé aujourd'hui à midi, en son domicile à Jumièges, section des Hameaux, âgé dé soixante cinq ans, né en cette commune le onze janvier mil sept cent quatre vingt dix sept, propriétaire et ancien maire, fils de feu Jean Pierre Adrien Beauvet et de feue Marie Anne Victoire Deconihout, époux de Cécile Malot,  marié à la Bouille le quatre janvier mil huit cent trente et un, sur la déclaration à nous faite par Duquesne Jean, garde champêtre, âgé de soixante deux ans et de Gruley Charles, instituteur, âgé de vingt neuf ans, tous deux amis du défunt et demeurant en cette commune, lesquels ont signé après lecture faire le présent acte qui a été fait double en leur présence et constaté par nous, maire de la commune susdite, remplissant les fonctions d'officier public de l'état civil. Gruley    Duquesne   Lepel-Cointet

Les héritiers Beauvet. Jean-Pierre Valentin Beauvet  (1797-1862) a eu avec Cécile Malot (1810-1897) 2 enfants :
Olympe (1931, La Bouille - 1900 La Bouille) et Théodule (1834, La Bouille - 1906, Jumièges). L'héritage de ce dernier prête à sourire :


 Pierre Victor Condor mourut à 50 ans le 27 juillet 1862. Son père, ancien instituteur à Hauville et alors rentier, déclara le décès en compagnie de Charles Gruley, l'instituteur de Jumièges. Son épouse, Célestine Berry, petite-fille du chirurgien de Jumièges sous l'ancien régime, le suivit dans la tombe le 12 août 1865.  Décédée la veille, c'est son beau-père, devenu sacristain, qui déclara sa mort en mairie en compagnie de Nicolas Urbain Lefieux, herboriste. Elle avait 52 ans.

Sources

ADSM 3M 1072. documents numérisés aux archives départementales par Jean-Yves et Josiane Marchand.
Voir les documents originaux :  


Rédaction Laurent Quevilly, photo du vitrail Beauvet : Agnès Thomas-Malville.